Chatrichalerm Yukol

Le prince Chatrichalerm Yukol (en thaï : หม่อมเจ้า ชาตรีเฉลิม ยุคล[1],[2]), né le à Bangkok, est un réalisateur, scénariste et producteur de cinéma thaïlandais[3]. Il est aussi désigné par le surnom Tan Mui (มุ้ย) et est apparenté à la famille royale régnante, la dynastie Chakri[4].

Parmi les réalisateurs du renouveau du cinéma thaïlandais dans les années 1970 et 1980 (avec, entre autres, Euthana Mukdasanit, Permpol Choey-Aroon et Manop Udomdej), Chatrichalerm Yukol est sans doute le précurseur le plus prolifique et le plus complet. Membre de la famille royale, il profite de sa position pour traiter des sujets sociaux audacieux comme dans Docteur Karn en 1973, Hotel Angel (en) en 1974, Taxi Driver en 1977[5] et Gunman (en) en 1983[6].

Biographie[7]

Années 60 : les études

De 1957 à 1973, le cinéma et la littérature thaïlandais sont constitués essentiellement de « bluettes sirupeuses » qui échappent à la censure du régime autocratique et de films d'horreur qui flattent le goût du public[8]. Dans les années 60, le jeune Chatrichalerm Yukol quitte la Thaïlande pour aller étudier d'abord en Australie puis aux États-Unis à l'Université de Californie à Los Angeles (UCLA). Il obtient une licence en géologie[9] option cinéma. Il rencontre Francis Ford Coppola[10] et Roman Polanski. Ensuite, il travaille comme assistant pour Merian C. Cooper, réalisateur (avec Ernest B. Schoedsack) de Chang (1927) et du célèbre King Kong (1933)[11].

Des années 70 aux années 90 : un cinéma social[12]

De retour en Thaïlande, Chatrichalerm Yukol tourne d'abord Out of the Darkness (en) (มันมากับความมืด / Mun ma gub kwam mud / It Comes Out of the Darkness) (1971), le premier film de science-fiction thaïlandais[13]. Puis, très vite, il réalise, profitant de la liberté et protection que lui assure le fait d'être membre de la famille royale[14], des films décrivant avec franchise la réalité sociale de la Thaïlande contemporaine[15],[16],[17] :

  • La corruption générale : Docteur Karn (เขาชื่อกานต์ / Khao chue Karn / Son nom est Karn, 1973) est basé sur le roman du même nom de l'écrivaine Suwanni Sukhonta.

Ce film est considéré comme le premier film engagé de l'histoire du cinéma thaïlandais.

Il traite de la corruption des fonctionnaires à travers l'histoire des luttes et de l'assassinat d'un médecin de province[18].

Ce film a failli être censuré mais Chatrichalerm Yukol est allé rencontré en personne le dictateur militaire anti-communiste Thanom Kittikhachon (premier ministre thaïlandais de 1963 à 1973) et l'a convaincu de ne pas couper son film[19]. Le , la contestation sociale et étudiante fait chuter le régime après 3 jours de violence contre les étudiants. Thanom Kittikhachon démissionne et est contraint à l'exil.

  • La prostitution : La madone des bordels (Hotel Angel (en) / Angel / เทพธิดาโรงแรม / Theptida rong ram, 1974)[20],[21] ;
  • Le divorce et la déception amoureuse : Le Dernier Amour (Last Love / ความรักครั้งสุดท้าย) (1975 ; remake en 2003)[22] ;
  • L'exode rural, les taudis et les arnaques de la ville : Taxi Driver (ทองพูน โคกโพ ราษฎรเต็มขั้น / Thongpoon khopko rasadorn temkan / Citizen 1 / Citizen Thongpon Khokpho / Citoyen à part entière, 1977)[23] ;
  • La spéculation immobilière et les bidonvilles de Bangkok[24] : Somsee (ครูสมศรี / Kru Somsri / Teacher Somsi, 1986) ;
  • La déforestation[25] et le trafic illégal du bois[26] : The Elephant Keeper (คนเลี้ยงช้าง / Khon Liang Chang / Le gardien d'éléphants, 1987)[27] ;
  • Les filières de la drogue : Powder Road (เฮโรอิน / Heroin, 1991)[28] ;
  • Les trafics d'armes à la frontière Thaïlande-Birmanie : Gunman 2 (Salween / มือปืน 2 สาละวิน / Muepuen 2 Salawin, 1993)[29] ;
  • Les dérives d'une certaine jeunesse de Bangkok, la vie d'adolescentes rongées par la drogue[30],[31] : Daughter (เสียดาย / Sia Dai / Dommage, 1994)[32] ;
  • Une affaire de sang contaminé : Daughter 2 (เสียดาย 2 / Sia Dai 2 / Dommage 2, 1996).

Depuis 2000 : un cinéma historique, royal et épique

Le prince Chatrichalerm Yukol, dans ses derniers films, s'attache à des fresques historiques sur les rapports aux XVIe et XVIIe siècles entre la Thaïlande et son ennemi de toujours, la Birmanie :

  • La légende de Suriyothai (2001)[33], film racontant la vaillance de la légendaire reine Suriyothai[34] (qui, comme le légendaire roi Arthur et ses chevaliers de la table ronde, a une existence très mystérieuse et n'aurait peut-être même jamais existé selon des historiens) ;
  • Les six films (deux triptyques) sur le roi Naresuan, le grand roi d'Ayuthia (de 2007 à 2015)[35].

Dans ces fresques historiques très maîtrisées, aux personnages complexes et aux décors somptueux, tournées avec des moyens considérables (les plus gros budgets de l'histoire du cinéma thaïlandais mais aussi les plus grands succès commerciaux locaux en salle de tous les temps[36]), Chatrichalerm témoigne surtout d'un réel plaisir de filmer et du souci de restituer aux thaïlandais leur histoire.

Filmographie

  • 1971 : Out of the Darkness (en) (มันมากับความมืด / Mun Ma Kub Kwam Mued)
  • 1973 : Docteur Karn (เขาชื่อกานต์ / Khao Chue Karn)
  • 1974 : The Colonel (ผมไม่อยากเป็นพันโท / Pom Mai Yak Pen Pan To / I Don't Want To Be a Lieutenant)
  • 1974 : Hotel Angel (en) (เทพธิดาโรงแรม / Thep Thida Rong Raem / The Angel / La madonne des bordels)
  • 1974 : Last Love (ความรักครั้งสุดท้าย / Kuam Rak Krang Suthai)
  • 1975 : The Violent Breed/ Angel Who Walks on the Ground (เทวดาเดินดิน / Thewada Doen Din / Grounded god / Earth Angel)[37]
  • 1975 : Dangerous Modelling
  • 1977 : Taxi Driver (ทองพูน โคกโพ ราษฎรเต็มขั้น / Citizen I / Citoyen à part entière)
  • 1978 : Sister-In-Law (น้องเมีย)
  • 1978 : Kama (กาม)
  • 1980 : The Yellowing of the Sky (อุกาฟ้าเหลือง / The Yellow Sky / Before the Storm)
  • 1981 : If You Still Love (ถ้าเธอยังมีรัก)
  • 1983 : Gunman (en) (มือปืน / Meu peun / Le Tueur à gages)
  • 1984 : Detective, Section 123
  • 1985 : Freedom of Taxi Driver (อิสรภาพของ ทองพูน โคกโพ / Freedom of Citizen / Citizen II)
  • 1986 : Somsee (ครูสมศรี / Kru Somsri / Teacher Somsi)
  • 1987 : The Elephant Keeper (คนเลี้ยงช้าง / Khon Liang Chang / Le gardien d'éléphant)
  • 1990 : Song for Chao Phraya (น้องเมีย / Nawng Mia) [38]
  • 1991 : Powder Road (เฮโรอิน / Heroin)
  • 1993 : Salween (มือปืน 2 / Gunman 2)
  • 1994 : Daughter (เสียดาย / Sia Dai / Dommage)
  • 1995 : Daughter 2 (เสียดาย 2 / Sia Dai 2 / What a Shame 2 / Dommage 2)
  • 1998 : Box (Klong)
  • 2001 : La Légende de Suriyothai (สุริโยไท / Suriyothai)
  • 2003 : Last Love (ความรักครั้งสุดท้าย / Kuam Rak Krang Suthai / remake de son film de 1974)
  • 2007 : King Naresuan (les premier et deuxième des six films sur Naresuan)
  • 2011 : King Naresuan 3 et 4
  • 2014 : King Naresuan 5[39]
  • 2015 : King Naresuan 6[40]
  • 2015 : Pantai Norasingha (พันท้ายนรสิงห์)

Influence

« Celui qui leur (à Euthana Mukdasanit, Permpol Cheyaroon, Manop Udomdej...) avait ouvert la voie et continuait de marquer profondément le paysage du cinéma thaïlandais était M.C. Chatri Chalerm Yukol. Dans une longue suite de films dont il convient au moins de citer Thongpoon khopko rasadorn temkan (Thongpoun Khopko, citoyen à part entière, 1977) ou Muepuen (Le Tueur à gages, 1983), il a abordé l'essentiel des problèmes de la société thaïlandaise contemporaine[41]. »

 Gérard Fouquet, Profondeurs insoupçonnées (et remugles ?) des « eaux croupies » du cinéma thaïlandais

Références

  1. (fr + th) Gilles Delouche, Méthode de Thaï - Volume 2, L'Asiathèque - maison des langues du monde, (1re éd. 1991), 218 p. (ISBN 978-2-915255-67-6), p. Chapitre X page 188
  2. (fr + th) Wanee Pooput et Michèle Conjeaud (préf. Gilles Delouche), Pratique du thaï - Volume 2, L'Asiathèque - maison des langues du monde, , 252 p. (ISBN 978-2-36057-012-6), p. Conversation 11 - Aller au cinéma pages 253 à 256
  3. (th) « หม่อมเจ้าชาตรีเฉลิม ยุคล », sur thairath.co.th, Thai Rath (consulté le )
  4. Hélène Delye, « Plongée au cœur du cinéma thaïlandais sur Canal+ », Le Monde, (lire en ligne)
  5. Sous la direction d'Adrien Gombeaud, Dictionnaire du cinéma asiatique, nouveau monde édition, 640 p. (ISBN 978-2-84736-359-3), p. 517-521
  6. (fr + en) Collectif (sous la direction de Bastian Meiresonne), Le cinéma thaïlandais, Asiexpo Edition, , 256 p. (ISBN 978-2-9528018-0-5), p. 14-24
  7. Sous la direction d'Adrien Gombeau, Dictionnaire du cinéma asiatique, Paris, Nouveau monde (éditions), , 640 p. (ISBN 978-2-84736-359-3), p. 599-600
  8. Arnaud Dubus, Thaïlande : Histoire, Société, Culture, Paris, La Découverte, , 224 p. (ISBN 978-2-7071-5866-6), p. 204
  9. (en) « At the movies - Royal Filmmaker », sur nytimes.com, The New York Times,
  10. « Coppola sur la croisette », sur lesinrocks.com, Les Inrockuptibles,
  11. (en) David Chute, « It's just a Thai royal custom », sur latimes.com, Los Angeles Times,
  12. Valérie Cadet, « Le temps du cinéma thaïlandais », Le Monde, (lire en ligne)
  13. (en) Anonyme, « Review : Out of the Darkness », sur thaifilmjournal.blogspot.com, (consulté le )
  14. Sous la direction d'Adrien Gombeaud, Dictionnaire du cinéma asiatique, Paris, nouveau monde édition, , 640 p. (ISBN 978-2-84736-359-3), p. 517-521
  15. « Introduction au cinéma thaïlandais (par Gérard Fouquet) », sur cinematheque.fr, du 20 septembre 2006 au 1 octobre 2006
  16. (fr + en) Collectif (sous la direction de Bastian Meiresonne), Thai Cinema / Le cinéma thaïlandais, Asiexpo Edition, , 256 p. (ISBN 978-2-9528018-0-5), p. 14-24
  17. (en) Anchalee Chaiworaporn, « Thai Cinema Since 1970 », sur academia.edu, , p. 141-162
  18. Gérard Fouquet, « Présentation : Profondeur insoupçonnée (et remugles ?) des « eaux croupies » du cinéma thaïlandais », Aséanie n°12, , p. 146 (lire en ligne)
  19. (en) Anchalee Chaiworaporn, « Politics in Thai Film », sur thaicinema.org
  20. « Tour du monde en bobines à Amiens », sur next.liberation.fr, Libération,
  21. (en) Anonyme, « Reviews : Butterfly in Grey, Angel », sur thaifilmjournal.blogspot.com, (consulté le )
  22. « Le Dernier Amour », sur 3continents.com, Festival des 3 continents de Nantes,
  23. Jean-Loup Passek, Dictionnaire du cinéma, Paris, Larousse, , 850 p. (ISBN 2-03-512317-8), p. 749
  24. Jean Baffie et Thanida Boonwanno, Dictionnaire insolite de la Thaïlande, Bidonvilles de Bangkok, Cosmopole (Diffusion Marcus), première édition mai 2011 / deuxième édition juin 2013, 160 p. (ISBN 978-2-84630-084-1), p. Cinéma / Khru Somsi page 38
  25. Steve Derry, « Évolution des territoires agricoles et forestiers en Thaïlande : une interprétation cartographique », Les Cahiers d'Outre-Mer, , pp. 35-58 (lire en ligne)
  26. Guido Franco, « Thaïlande », Autrement, Série monde, H.S n°43, , pp. 103,104,105 et 106 (article Le pillage des forêts) (ISSN 0336-5816)
  27. « Le gardien d'éléphant », sur 3continents.com, Festival des 3 continents de Nantes,
  28. (en) Anonyme, « Review : Powder Road », sur thaifilmjournal.blogspot.com, (consulté le )
  29. (en) Kong Rithdee, « Reliving an era through film », sur bangkokpost.com, Bangkok Post,
  30. Arnaud Dubus, Thaïlande : Histoire, Société, Culture, Paris, La Découverte (éditions), , 224 p. (ISBN 978-2-7071-5866-6), page 204
  31. Samira Guennif et Claude Mfuka, « La lutte contre le sida en Thaïlande : de la logique de santé publique à la logique industrielle », Sciences sociales et santé, , pp. 75-98 (lire en ligne)
  32. (en) « Daughters », sur iffr.com, Festival International du film de Rotterdam 25ème édition,
  33. (en) « Suriyothai », sur biff.kr, festival international du film de busan (2001)
  34. (en) A.O. Scott, « FILM REVIEW ; "The legende of Suriyothai" », sur nytimes.com, The New York Times,
  35. (en) « The end is now », sur bangkokpost.com, Bangkok Post,
  36. (en) Collectif, Thailand at Random, Didier Millet, , 160 p. (ISBN 978-981-4385-26-8, lire en ligne), Top 10 local film blockbusters of all-time page 9
  37. « Earth Angel », sur fivestarproduction.co.th
  38. « Le Chant De Chao Phraya », sur premiere.fr, Première
  39. "Naresuan's like a visiting uncle can't get rid of", The Nation, 31 octobre 2014
  40. "No, really, Naresuan 6 is supposed to be the end", The Nation, 20 novembre 2014
  41. Gérard Fouquet, « Présentation : profondeurs insoupçonnées (et remugles ?) des « eaux croupies » du cinéma thaïlandais », Aséanie, Sciences Humaines en Asie du Sud-Est, 12, , p. 153 (lire en ligne)

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