Bleu horizon

Le bleu horizon est un nom de couleur qui fait référence à la couleur indéfinissable qui sépare le ciel de la terre. Il est principalement utilisé pour désigner la couleur des uniformes bleu-gris des troupes métropolitaines françaises de 1915 à 1921. Il a également servi d’emblème à des groupes politiques se réclamant de l'armée de la Grande Guerre, ainsi que dans la mode féminine.

Soldat en tenue bleu horizon pendant la Grande Guerre.

Historique

Premiers emplois

L'expression « bleu horizon » est attestée dans la mode féminine française en 1884[1].

L'expression « couleur d'horizon » se trouve dans des descriptions diverses à partir de 1895[2]. En 1899, le Journal des débats indique, à propos de canots à moteur destinés à l'administration du bagne de Cayenne qu'ils sont « peints en couleur d'horizon pour se dissimuler plus facilement[3] ».

Le Répertoire de Couleurs de la Société des chrysanthémistes publié en 1905, donne quatre tons d'un Bleu d'horizon, « couleur rappelant le bleu du ciel à l'horizon », synonyme de « Bleu de cobalt imitation »[4].

L'uniforme bleu horizon

La couleur de l'uniforme de l'infanterie française se désigne comme « bleu horizon » en trois temps :

  1. Les premiers ordres de la fin 1914 désignent un nouveau drap d'uniforme comme « bleu clair »[5].
  2. Le , un article de L'Illustration désigne la couleur de la tenue des soldats comme « couleur d'horizon »[6]. Le 26, Le Matin assimile cette couleur au « bleu horizon »[7]. En février, le journal Le Temps compare les tenues ancienne et nouvelle : « On voit le drap foncé des capotes anciennes voisiner avec l'azur clair de la nouvelle tenue « couleur d'horizon »[8] ». Au printemps 1915, l'expression se popularise[9]. Devenue insensiblement « bleu horizon », elle est parfaitement courante en septembre. Elle ne sera jamais réglementée[10].
  3. L'expression finit par se trouver dans les descriptions officielles de l'armée[11]. L'emploi de « drap bleu horizon » au lieu de « bleu clair » s'explique notamment par le fait que cette expression possède un caractère national et semble faire écho à la ligne bleue des Vosges[12]. Cette confusion demeure une facilité de langage ; les règlements continueront à dénommer le drap d'uniforme « drap bleu clair » jusqu'en 1921 et au-delà[13].

Les essais d'avant-guerre

En 1914, l'Armée française est équipée de capotes de couleur dite « gris de fer bleuté » et de pantalons et képis rouge garance[14]. Au début du XXe siècle, la guerre des Boers avait attiré l'attention des états-majors des grandes nations sur la nécessité de réformer l'habillement militaire[15]. Une étude produite en 1892 avait estimé qu'il était plus difficile de tirer sur une cible gris-bleu que sur du rouge et bleu[16]. Entre 1903 et 1914, l'Armée française essaye plusieurs nouvelles tenues de couleurs peu voyantes[17] : en 1902 la tenue gris-bleu dite « Boërs », en 1906 la beige-bleu, en 1911 la tenue réséda.

Toutes ces tentatives de réformes échouent du fait de l'opposition de l'opinion publique[18]. Le commandement français choisit finalement le bleu-gris en sur décision de principe d'Alexandre Millerand[19]. Le le Conseil supérieur de la guerre vote l’adoption d'un drap dit « tricolore » obtenu par un mélange de fibres de laines bleues, blanches et rouges[20]. La loi du prévoit le remplacement des uniformes par d'autres, dont toutes les pièces seront intégralement confectionnés dans un nouveau drap de cette couleur[21].

«  Pourquoi la couleur bleue ? Elle était déjà adoptée sur le principe, d’après une décision prise par le ministre à la suite de la réunion du 26 mai 1914 du Conseil supérieur de la Guerre. Le bleu avait été jugé la seule couleur pouvant être utilement choisie, attendu que toutes les autres nuances, et parmi elles les teintes neutres, avaient été mises en service dans les armées étrangères.  »

 Intendant-Général Defait (1921)[22]

Août 1914

Le , jour de la mobilisation générale, le ministère de la Guerre adopte le principe d'adoption d'un drap bleu unique pour la confection de l'ensemble des uniformes. Le , l'intendant-général Defait, directeur de l'Intendance du ministère de la Guerre, renonce à l'adoption du drap tricolore sur les conseils de M. Balsan, drapier à Châteauroux[22]. Deux facteurs s’opposaient à l'adoption du drap tricolore : le manque d'alizarine, la teinture de garance synthétique fabriquée en Allemagne, entre autres, par la BASF[23], et la difficulté de mise en œuvre du drap tricolore par l'ensemble des fabricants français de drap dont la production uniforme était difficile à organiser en pleine guerre. Le , le ministère demande par téléphone à la société Balsan d’établir des échantillons de nouveaux draps[24] dans différents tons de bleus compris entre les teintes réglementaires « gris de fer bleuté » et « bleu de ciel »[22]. Maurice Allain, le directeur de la production de la manufacture, propose notamment un drap reprenant les procédés de teintures des fibres de laine du drap « gris de fer bleuté » destiné aux capotes d'avant guerre[24]. Ainsi les drapiers ne perdront pas les fibres de laine déjà teintes pour cet usage et le savoir-faire des teinturiers sera maintenu[24]. Le matin du , le directeur administratif de la draperie de Châteauroux, Roger de La Selle apporte à Paris les échantillons au ministère de la Guerre. Dans la journée, l'intendant-général Defait soumet les échantillons de drap à Adolphe Messimy dans son cabinet et sélectionne personnellement un drap gris de fer bleuté éclairé de fibres bleu clair et de fibres blanches[24]. Le lendemain, , ce drap est officiellement adopté pour l'ensemble des uniformes de l'Armée française[25].

Le drap Bleu Horizon en 1914-1918

Les premières livraisons d'uniformes de cette couleur arrivent en corps de troupe fin [26]. Il faut encore environ un an avant que toute l'armée française en soit équipée. Cette période est appelée la crise de l'habillement[27][source insuffisante].

Le drap est composé de laine blanche (35 %) et de laine teinte en bleu-indigo (15 %) de laine bleu foncé, (50 %) de laine bleu clair[28]. Ce bleu horizon n'est pas totalement apprécié par les Poilus, car la couleur résiste mal à la lumière et aux intempéries :

« Nos capotes bien brossées ont leurs pans abaissés, et comme ils sont relevés d'habitude, on voit se dessiner, sur ces pans flottants, deux carrés où le drap est plus bleu. »

 Barbusse, Le Feu[29].

Après la Grande Guerre

Le bleu horizon devient rapidement le symbole du poilu de la Première Guerre mondiale. Après le conflit, il symbolise les anciens combattants et le nationalisme intransigeant de la Chambre bleu horizon composée, en 1919, de conservateurs soucieux de « faire payer l'Allemagne »[réf. souhaitée].

Les troupes métropolitaines françaises adoptent le drap kaki, dit « kaki américain », par vote du Conseil supérieur de la guerre le [30]. Le Conseil ayant cependant décidé d'écouler les énormes stocks existants de drap bleu horizon, l'habillement reste panaché pendant l'entre-deux-guerres. Certaines troupes de l’arrière sont encore équipées d'uniformes en drap bleu horizon pendant la bataille de France[31].

Au XXIe siècle, l'expression « bleu horizon » se retrouve dans la mode et la littérature, avec son caractère descriptif d'avant la Grande Guerre, pour désigner des ensembles de tissus bleu-gris clair, ou des couleurs d'yeux.

A l'issue de la création de l’École militaire des aspirants de Coëtquidan (EMAC) le , un drap de couleur dit « bleu horizon » est choisi pour la tenue de tradition de ses élèves en hommage à la tenue des officiers de réserve mobilisés lors de la Première Guerre mondiale[32].

Références

  1. Frétillon, « Le strict nécessaire », La caricature, , p. 274 col. 2 (lire en ligne).
  2. « Le halo délicat, sous les yeux au regard de lointain, est aussi couleur d'horizon automnal », Marie Krysinska, « Impressions d'automne », Le Figaro. Supplément littéraire du dimanche, (lire en ligne).
  3. « Guerre et marine », Journal des débats politiques et littéraires, (lire en ligne).
  4. Henri Dauthenay, Répertoire de couleurs pour aider à la détermination des couleurs des fleurs, des feuillages et des fruits : publié par la Société française des chrysanthémistes et René Oberthür ; avec la collaboration principale de Henri Dauthenay, et celle de MM. Julien Mouillefert, C. Harman Payne, Max Leichtlin, N. Severi et Miguel Cortès, vol. 2, Paris, Librairie horticole, (lire en ligne), p. 216.
  5. « Le Ministre de la Guerre, Alexandre Millerand, décide le 25 novembre 1914 l'utilisation exclusive du terme « drap bleu clair » », F. Vauvillier, Les uniformes de l'armée française de 1914 à 1945, Paris, Chez l'auteur, , planche no 2.
  6. « le nouveau manteau gris-bleu, dit « couleur d'horizon » », L'Illustration, , cité par F. Vauvillier, « L'acte de baptême du drap bleu clair alias bleu horizon », Militaria Magazine, , p. 11.
  7. « l'ex-capitaine Meynier, qui au sortir de la maison centrale, vêtu d'un complet du plus beau bleu horizon et l'étoile des braves sur la poitrine, quêtait à domicile pour les blessés, avec mandat, disait-il, du général Joffre », « Contre les aigrefins », Le Matin, (lire en ligne). Dans le numéro du 23, l'escroc est « vêtu de la nouvelle tenue ».
  8. Gaston Deschamps, « Tableaux de Paris », Le Temps, (lire en ligne).
  9. « On pourrait croire que pendant la guerre la mode ne varierait pas. Jamais au contraire elle n'a changé si vite. […] L'équipement bleu ciel de nos armées a eu l'approbation de tout l'univers, et il n'est point de femme qui ne se veuille vêtir de couleur d'horizon, qui rend invisible. Si on y réfléchit, cette façon de s’accommoder à la couleur des guerriers est très touchante et certainement fort ancienne. C'est un signe d'obéissance de dévouement qui a dû être inventé dans les cavernes (…) », Y., « Croquis de Paris », Journal des débats, (lire en ligne).
  10. F. Vauvillier, « La fantastique histoire du Bleu Horizon », Militaria, , p. 34.
  11. Gouvernement français, Bulletin officiel du Ministère de la guerre, Paris, , 106 p. (lire en ligne).
  12. Michel Pastoureau, Bleu. Histoire d'une couleur, Le Seuil, (lire en ligne) (n. p., Google Livres).
  13. France. Ministère de la guerre, Bulletin officiel des Ministères de la guerre, des travaux publics et des transports, du ravitaillement général, de l'armement et des fabrications de guerre, Paris, , 39 p. (lire en ligne).
  14. Capitaine Clément-Grandcourt, « La question de l'uniforme de l'infanterie », Revue militaire générale, , p. 791-801 (lire en ligne) : favorable à la tenue « bleu ciel tirant sur le gris » (p. 793) dite aussi « bleu de ciel pâle », (p. 794), mais en maintenant le pantalon garance (p. 796).
  15. Laurent Berrafato (directeur de publication), « Le fantassin de la Grande Guerre 1914-1918 », Uniformes Magazine, Paris, .
  16. Lavisse, Émile (1855-1915), Sac au dos, études comparées de la tenue de campagne des fantassins des armées française et étrangères, avec une préface du général Dumont, Paris, Hachette, , 163 p. (présentation en ligne).
  17. G. Dilleman, « De la tenue Detaille au Bleu Horizon », la Gazette des Uniformes, , p. 8 col. 2..
  18. L. Delpérier, L'habillement et l'équipement du soldat français 1870-1914 : Thèse pour le doctorat de troisième cycle, Paris, Université Paris 1 Panthéon la Sorbonne, , 350 p..
  19. F. Vauvillier, Les uniformes de l'armée française 1914-1945, Paris, Chez l'auteur, , Planche 3.
  20. L. Delpérier, « 1914 - L'infanterie », la Gazette des Uniformes, , p. 3.
  21. République française, Journal Officiel de la République Française, Loi et Décrets, Paris, Journaux Officiels, , 6448 p. (lire en ligne), p. Chapitre 150 bis: Substitution aux draps actuels d'un drap de couleur neutre..
  22. Louis Descols, « Le rôle de la société Balsan dans la création du drap Bleu Horizon », L'Indre dans la Grande Guerre (actes du colloque), , p. 111 (ISBN 978-2-953-165-05-0).
  23. Charles Moureu, La chimie et la guerre : science et avenir, Paris, Masson, , 393 p. (lire en ligne), p. 113sq..
  24. Louis Descols, « Août 1914, La Naissance du Drap Bleu Horizon », Militaria Magazine, no 358, , p. 66 1re partie.
  25. Descols 2014.
  26. Louis Descols, « Août 1914, La Naissance du Drap Bleu Horizon », Militaria Magazine, no 362, , p. 20. 2e partie.
  27. Christophe Fombaron, « Le nouvel uniforme bleu horizon ».
  28. Huguette Rouit et Jean-Marcel Humbert, A la recherche de la mémoire : le patrimoine culturel, K.G. Saur, , p. 224.
  29. Henri Barbusse, Le Feu : journal d'une escouade, Paris, Flammarion, (lire en ligne), p. 320.
  30. F. Vauvillier, 1940 l'infanterie, corps de troupe - uniformes - équipements : insignes, Paris, Argout, , 15 p..
  31. « Ces vareuses de couleur bleu clair (bleu horizon) existant encore en stock sont distribuées aux unités du corps de bataille n'apparaissant pas sur la ligne de feu », écrit Olivier Bellec, 1940 — Le Soldat Français, Paris, Histoire & Collection, , 58 p. (ISBN 978-2-35250-165-7).
  32. « Création de l’Ecole militaire des Aspirants de Coëtquidan », sur www.defense.gouv.fr (consulté le ).

Annexes

Bibliographie

  • Louis Descols, La Genèse du drap Bleu Horizon, Eguzon, Point d'Ancrage, , 40 p. (ISBN 978-2-911853-16-6 et 2-911853-16-4)
  • Annie Mollard-Desfour (préf. Michel Pastoureau), Le Bleu : Dictionnaire des mots et expressions de couleur. XXe et XXIe siècles, CNRS éditions, coll. « Dictionnaires », (1re éd. 1998)

Articles connexes

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