Belladone

La belladone (Atropa belladonna) est une plante herbacée vivace de la famille des Solanacées. Elle est parfois désignée par divers noms vernaculaires : « belle cerise », « belle-dame », « bouton noir », « cerise de juif[réf. souhaitée] », « cerise du diable », « cerise empoisonnée », « guigne de côte », « herbe empoisonnée », « mandragore baccifère », « morelle furieuse », « morelle marine », « morelle perverse » ou encore « permenton »[1],[2].

Cette plante peut se révéler très toxique, ses baies noires contenant de l'atropine, substance active sur le système nerveux du fait de ses propriétés anticholinergiques. Les ophtalmologues l'utilisaient au XIXe siècle pour dilater la pupille lors d'un examen des yeux.

Atropa belladonna

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Histoire

Très rare en Grèce, la belladone était ignorée ou très peu connue dans l'Antiquité. Il est difficile de reconnaître cette plante dans les textes classiques[3]. Toutefois, elle est probablement décrite par Théophraste sous le nom de Mandragore à fruit noir, de saveur vineuse[4]. Il est donc possible que Atropa belladonna soit considérée comme une plante capable de provoquer à une certaine dose les effets d'une plante magique, hallucinations et transes, associées à la magie noire, mais pouvant provoquer la mort[5].

En grec ancien, le terme de στρύχνον strychnon renvoie à diverses plantes toxiques, parfois soporifiques, entre lesquelles il est difficile ou impossible de choisir, d’autant plus que Pline et Dioscoride ont mêlé souvent dans leurs notices les caractères morphologiques, que Pline contamine Sextus Niger (sa source commune avec Dioscoride) et Théophraste[6].

Au XIIIe siècle, sainte Hildegarde indique : « La belladone est dangereuse à manger et à boire pour l’homme car elle agresse son esprit et le rend comme mort[7]. » Elle recommande de l'utiliser en onguent pour soigner les rages de dent, la belladone étant nommée sous le terme « dolo », de l'allemand « toll » (« Tollwut » signifiant « rage » aujourd'hui)[4].

La belladone est nommée et clairement figurée à partir du XVIe siècle. Elle perd son caractère de plante magique ou de sorcellerie pour devenir plante médicinale, cultivée dans les jardins d'apothicaires[3].

Étymologie et nomenclature

Linné a nommé la plante Atropa belladonna en 1753 dans Species plantarum 1 :181[8].

Son nom générique, Atropa, donné par Linné, correspond à celui de l'une des trois Moires, Atropos inflexible » en grec ancien), celle qui coupait le fil de la vie.

Son épithète spécifique belladonna vient de l’italien bella donna « belle dame ».

Cette dénomination de la plante est bien plus ancienne que l’époque de Linné. Deux siècles auparavant, Mattioli l’introduit dans son commentaire la matière médicale de Dioscoride (en iltalien en 1544, puis en latin en 1554) « Solanum majus, sive Herba Bella Donna »[9] (ou traduction en français de 1572[10]), avec pour seule justification que c’est l’usage des herboristes et des Vénitiens.

La première explication[11] sera donnée en 1640 par le botaniste anglais John Parkinson dans le Theatrum Botanicum[12] : les dames utilisent son jus ou son eau distillée, dont la qualité de grand froidure, permet d’obtenir un teint plus pâle. Vingt ans plus tard, le naturaliste John Ray reprend l’idée que les femmes l’utilisent pour « faire pâlir leur visage taché de rouge sous l’effet du vent froid »[13]. Le même John Ray rapporte une observation importante : en appliquant la feuille de la plante près de l'œil pour soigner un ulcère chancreux, il observe une remarquable relaxation de la pupille[14].

La découverte de cette propriété antispasmodique aura deux conséquences 1) la dilatation de la pupille provoquée par la plante sera utilisée par Reimarus, Grasmeyer, Himly, en préparation de l’opération de la cataracte[11] 2) l’étymologie sauvage selon laquelle, la dénomination de belladonna de la plante viendrait de ce qu'à la Renaissance, les Italiennes élégantes instillaient dans leurs yeux du jus de belladone pour faire briller leur regard et se donner plus d’attirance[4].

Les deux « étymologies » du terme botanique bella donna selon lesquelles l’expression viendrait de l’usage cosmétique de la substance soit comme fard soit comme collyre, par les élégantes italiennes, viennent donc de deux naturalistes anglais, environ un siècle après que le médecin naturaliste Pietro Andrea Mattioli ait écrit en italien (en 1544, puis en latin en 1554) à Gorizia au nord-est de Venise, la traduction et les Commentaires de la Matière médicale de Dioscoride.

Toutes ces explications très tardives demandent confirmation et nous obligent à chercher l’origine de l’emploi de belladonna par les herboristes du temps de Mattioli. Selon les étymologistes (Alain Rey[15]), le terme serait peut-être de même origine que le latin médiéval bladonna (VIIIe – XIe siècle), adapté en français sous le nom de bladone XVe siècle) « molène » (bouillon blanc). Le mot d'origine gauloise, en passant dans les dialectes du Nord de l’Italie, devint °beladonna, forme adaptée finalement en belladonna « belle dame ».

Description

C'est une grande plante vivace à rhizome, robuste et ramifiée. Les tiges sont légèrement velues, de couleur rougeâtre[3]. La plante peut atteindre jusqu'à 1,5 à 2 m de hauteur[16]. Son port est dense et très touffu.

Elle est inégalement répartie en France, de préférence calcicole (sols riches en calcium), elle se trouve dans les clairières de bois humides mésohydriques, eutrophiles, et neutrophiles. On la trouve surtout dans les régions médioeuropéennes et alpines[5], mais aussi en Asie occidentale et en Afrique du Nord[3]. En Suisse, on la rencontre principalement sur le Plateau et dans le Jura[17].

Ses feuilles sont entières, ovales pointues (15 sur cm environ), pétiolées, d'odeur un peu fétide.

La floraison débute en juin, mais fleurs et fruits peuvent coexister sur un même pied, d'août à octobre en Europe.

Ses fleurs sont hermaphrodites, en cloche ou en doigt de gant, solitaires, pendantes, brunes à l'aisselle des feuilles, violacées ou parfois jaunes chez les variétés cultivées. L'inflorescence est en cyme multipare. La pollinisation est entomogame.

Les fruits sont des baies noires luisantes de la taille d'une petite cerise (sphérique, de 15 à 17 mm de diamètre), de couleur noir violet à maturité, luisante. La baie se reconnait facilement par son calice persistant, de forme étoilée (5 dents courtes). La pulpe est juteuse violacée. Les graines sont nombreuses, du gris au noir selon le degré de maturité, d'un diamètre inférieur au millimètre, avec une surface finement chagrinée[16].

La dissémination des graines est endozoochore.

Toutes les parties de la plante sont très toxiques pour l'humain, mais c'est la baie qui provoque le plus grand nombre d'accidents, surtout chez l'enfant par confusion, par exemple la belladone peut se trouver au voisinage de framboisiers sauvages très recherchés[16].

Il existe une variété assez rare de belladone à fleurs jaunes, dénommée Atropa belladonna var. lutea

Pharmacopée

Histoire

Atropa belladonna

Selon Jules Michelet, au Moyen Âge, les sorcières auraient été les seules à savoir utiliser la belladone par voie interne dans du lait, de l'hydromel, du vin ou par voie externe sous forme d'onguents. Du point de vue moderne, une telle utilisation reste confuse[4]. Selon P. Delaveau, il existe une hypothèse selon laquelle le sabbat des sorcières serait en fait un délire atropinique. Pour se rendre au sabbat, la sorcière chevauchait un manche enduit d'onguent. La résorption au niveau de la vulve, plus intense et plus rapide, aurait entrainé un délire hallucinatoire (lévitation, transport dans un autre lieu, vision du diable)[18].

Poison mortel, la belladone fut aussi utilisée pour parfaire la beauté des femmes de la Renaissance. Les Italiennes élégantes appliquaient sur leurs yeux quelques gouttes d'une infusion à base de belladone qui avait pour effet de dilater leurs pupilles et de leur donner de profonds yeux noirs[5] yeux de biche »). D'où l'expression belladonne, c'est-à-dire « belle femme » en italien. Un regard sombre lié à la dilatation de la pupille avait semble-t-il le pouvoir de susciter la convoitise de la gent masculine[5],[19]. Ce serait l'une des manifestations de l'excitation sexuelle et du désir[20]. La belladone faisait aussi légèrement loucher, ce qui, à l'époque, était caractéristique de la beauté (cf. l'expression « avoir une coquetterie dans l'œil »).

En 1548, Mattioli donne les doses à employer selon l'effet désiré. Ainsi :

« Pour rendre une femme un peu folâtre pensant être la plus belle du monde, il faut lui faire boire une drachme de belladone [eau distillée de la plante]. Si on la veut faire plus folle, il lui faudra bailler deux drachmes. Mais qui la voudra faire demeurer folle toute sa vie, il lui convient bailler à boire trois drachmes et non plus ; car si on baillait quatre, on la ferait mourir ». (Commentaires sur Dioscoride)[3].

Au début du XIXe siècle, les préparations à base de belladone sont utilisées par les médecins allemands Franz Reisinger (de)(1787-1855) et Karl Himly (1772-1837) pour effectuer des examens des yeux[21].

Bien dosé, un poison peut aussi être un médicament. Ainsi des principes actifs de la belladone, comme l'atropine, sont toujours utilisés en médecine moderne.

Composition et toxicité

La partie utilisée est la feuille qui contient 7 % d'eau environ et jusqu'à 15 % de matières minérales, et moins de 1 % d'alcaloïdes qui sont les principes actifs. Il s'agit de 90 à 95 % d'alcaloïdes atropiniques : hyoscyamine (dont le racémique est l'atropine) et 5 à 10 % de scopolamine (hyoscine). On trouve aussi des traces de scopolétol (une coumarine), ce qui permet son identification sous ultra-violets[3].

Les effets de la belladone peuvent différer selon les espèces animales. Chez les mammifères, les lapins, lièvres et rongeurs sont moins sensibles car ils possèdent une atropinase hépatique, une enzyme qui dégrade l'atropine[22].

Les fruits (baies) sont le plus souvent responsables d'intoxications, surtout chez l'enfant (le goût du fruit de la belladone est doux[23]). Ils peuvent aisément confondre les myrtilles et les baies de belladone[5]. Les effets sont extrêmement violents chez l'humain. Chez l'adulte, 10 à 15 baies ingérées peuvent provoquer la mort, 2 à 3 peuvent entrainer une intoxication grave chez l'enfant[16].

Cette intoxication se manifeste par des troubles digestifs immédiats : nausées, vomissements, avec rejet de débris de baies rouge noirâtre.

Suivent rapidement des troubles neuro-végétatifs : tachycardie, sécheresse de la peau et des muqueuses, gêne respiratoire et pour avaler, douleurs vulvaires chez la fillette, mydriase avec troubles de la vision voire cécité complète transitoire. En même temps des troubles neurologiques apparaissent : anxiété, vertiges, délire gai ou furieux, hallucinations étranges et terrifiantes, crises convulsives[16].

Par ailleurs on peut noter une hyperthermie, avec rougeur du cou et de la face, une constipation avec rétention urinaire.

L'intoxication évolue vers une prostration, une perte de conscience, un coma calme avec perte des réflexes. La mort peut survenir par paralysie cardio-respiratoire.

Une intoxication humaine peut aussi se produire par consommation d'oiseaux ou d'escargots se nourrissant eux-mêmes de feuilles ou fruits de belladone, à laquelle ils sont insensibles[16].

Propriétés thérapeutiques

La plante (la feuille) doit être exclusivement réservée à la préparation de formes galéniques en milieu pharmaceutique : teintures, extraits, poudres entrant dans différentes préparations (sirops, suppositoires), gouttes et granules homéopathiques.

Son action parasympatholytique (principe actif atropine) est la principale raison de son emploi en thérapeutique.

Elle entrait dans la composition de diverses préparations à visée antispasmodique : troubles fonctionnels du tube digestif et des voies biliaires, en association avec des laxatifs. Cette dernière association, médicalement non rationnelle, était présente dans des « dépuratifs », dont « tout usage prolongé devait se révéler plutôt caustique » selon Pierre Lieutaghi[24]. Ces dépuratifs étaient encore vendus en pharmacie rurale en Haute-Provence jusque dans les années 1980[25].

Les effets psychodysleptiques de la belladone et la découverte de nouvelles classes thérapeutiques lui confèrent un mauvais rapport bénéfice-risque pour le traitement de la plupart des affections, ce qui a entraîné sa suppression progressive de nombreuses spécialités pharmaceutiques vers la fin du XXe siècle, et l'abandon de ces spécialités (même sans belladone) au début du XXIe siècle.

Notes et références

  1. Jean-Claude Rameau, Dominique Mansion et Gérard Dumé, Flore forestière française : guide écologique illustré, t. 1 : Plaines et collines, Paris, Institut pour le développement forestier, , 1785 p. (ISBN 2-904740-16-3 et 978-2904740169, présentation en ligne, lire en ligne), p. 879.
  2. « La Belle Empoisonneuse », La Hulotte, nos 33-34, , p. 60-72.
  3. G.J. Aillaud, Les plantes aromatiques et médicinales, Association Méditerranéenne de Diffusion des Sciences et des Techniques, , p. 89-90.
    catalogue de l'exposition « Plantes aromatiques et médicinales en Provence ».
  4. P. Delaveau, Histoire et renouveau des plantes médicinales, Paris, Albin Michel, coll. « Sciences d'Aujourd'hui », , 353 p. (ISBN 2-226-01629-5), p. 139-140.
  5. Christophe Poupinel entrepreneur privé, « Belladone », sur Ooreka (consulté le )
  6. Jacques André, Les noms des plantes dans la Rome antique, Les Belles Lettres, , 334 p.
  7. Sainte Hildegarde de Bingen, Le livre des subtilités, des créatures de diverses nature. Physica, Éditions Grégoriennes (Kindle),
  8. Carl von Linné, Lars Salvius, Species plantarum :exhibentes plantas rite cognitas, ad genera relatas..., Holmiae :Impensis Laurentii Salvii, (lire en ligne)
  9. Petri Andreæ Matthioli, Commentarii in sex libros Pedacii Dioscoridis Anazarbei De medica materia, Venetiis : Ex Officina Valgrisiana, 1565 [1554] (lire en ligne)
  10. Mattioli, Commentaires de M.P. André Matthiolus, medecin senois, sur les six liures de Pedacius Dioscoride Anazarbeen de la matiere medecinale : traduits de latin en françois par M. Antoine du Pinet,, A Lyon : A l'Escu de Milan, (lire en ligne)
  11. Jean-Yves Cordier, « Étude du nom Belladona (Atropa belladona L.1753), 22 février 2015 » (consulté le )
  12. Theatrum Botanicum: The Theater of Plants : Or, An Herball of Large Extent .Chap. 6 Tribe 3 page 348.
  13. 1660 Catalogus plantarum circa Cantabrigiam nascentium
  14. John Ray, 1686 Historia plantarum
  15. (direction) Alain Rey, Dictionnaire historique de la langue française (tome I, II), Le Robert,
  16. A.M. Debelmas, Guide des plantes dangereuses, Paris, Maloine, , 200 p. (ISBN 2-224-00933-X), p. 102-104.
  17. « Fiche espèce », sur www.infoflora.ch (consulté le )
  18. P. Delaveau 1982, op.cit, p. 140 donne comme référence de cette hypothèse « R. Mauny, Communication personnelle » sans autre précision.
  19. Selon Delaveau 1982, il ne s'agit pas de regard sombre mais de regard brillant, ce qui parait plus plausible. En matière de regard, il semble bien qu'un regard profond n'est pas forcément sombre.
  20. Bernard Long, « Belladone, la belle qui a du chien », sur G.G Jung Rêve, alchimie et homéopathie (consulté le )
  21. (en) M. L. Sears, Pharmacology of the Eye, Springer Science & Business Media, (ISBN 978-3-642-69222-2, lire en ligne)
  22. « Toxicologie des animaux de compagnie », sur toxivet.free.fr (consulté le )
  23. http://www.herbes-medicinales.ca/herbes/belladone.html
  24. P. Lieutaghi, L'herbe qui renouvelle, un aspect de la médecine traditionnelle en Haute-Provence, Paris, Maison des sciences de l'homme - Ministère de la Culture, , 374 p. (ISBN 2-7351-0181-9), p. 237
    la pagination est celle de la version papier (et non de la version numérique), elle correspond au chap.6, vers la fin de la section 3.
  25. Selon Lieutaghi, ces associations « dépuratives » représentent un détournement abusif d'un savoir traditionnel incompris, exploité par le commerce pharmaceutique du XIXe siècle (p. 237-238).

Voir aussi

Liens externes

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