Avant-garde jazz

En musique, l'avant-garde jazz est un style d'improvisation qui mélange la musique expérimentale (d'avant-garde) et le jazz. Créé dans les années 1950, il s'est développé jusque dans les années 1960.

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L'avant-garde peut paraître similaire au free jazz par son éloignement par rapport à l'harmonie traditionnelle, il a cependant une structure prédéterminée (éventuellement partielle sur laquelle des improvisations sont alors faites).

Dans les notes liminaires de l'album The Avant-Garde de John Coltrane et Don Cherry, enregistré le 28 juin 1960 par Atlantic Records, A. B. Spellman (en) indique quelles sont les différentes tendances que recouvre ce terme d'avant-garde : « La recrudescence de Monk et du monkisme a toutefois donné de l'impulsion à des forces nouvelles, et l'arrière-garde est assaillie sur trois fronts : harmonique (Coltrane), tonal (Cecil Taylor), et rythmique-mélodique (Ornette Coleman). »

LeRoi Jones, alias Amiri Baraka, y consacre un chapitre entier, indiquant Il y a définitivement une avant-garde en jazz actuellement et liste des musiciens qu'il considère comme faisant partie de l'avant-garde[1], dont Eric Dolphy, Ornette Coleman, Archie Shepp, Don Cherry, Freddie Hubbard, Charlie Haden, Scott LaFaro, Ed Blackwell, Billy Higgins, Cecil Taylor, Wayne Shorter, etc. Quant à Frank Kofsky, auteur de John Coltrane and the Jazz Revolution of the 1960s, il indique à propos de l'avant-garde que « ma réponse est que le mouvement d'avant-garde en jazz constitue une représentation musicale de vote de méfiance vis-à-vis de la civilisation occidentale et du rêve américain ». Il la définit (cf. pages 224 et 226) comme « une musique qui s'est éloignée des canons de la musique européenne[2] ». Dans les notes liminaires de la réédition du disque Miles de The New Miles Davis Quartet Robert, Levin écrit en décembre 1962 : « D'un point de vue historique, je pense que Davis doit être considéré comme un pion majeur entre Parker et les leaders de l'avant-garde contemporaine — Cecil Taylor, Ornette Coleman et l'actuel John Coltrane ».

Histoire

Des années 50 à la mort de Coltrane en juillet 1967

Longtemps en jazz, la forme usuelle consiste en une exposition du thème suivie d'improvisations sur la grille d'accords du morceau, puis une réexposition finale du thème. Dans les années 40, les jazzmen de bebop (Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk, Miles Davis, etc.) conservent le modèle de forme mais improvisent sur des harmonies beaucoup plus complexes.

Quatre courants majeurs définissent les innovations apportées par des jazzmen par rapport au bebop et hard bop aux États-Unis pour la période allant des années 50 à 1967, année de la mort de John Coltrane) :

  • des morceaux sont joués sans thème, centre tonal, harmonie ou tempo préétabli (Lennie Tristano, Cecil Taylor) ;
  • certains morceaux comprennent des improvisations de musique modale (Miles Davis, John Coltrane) ;
  • dans le courant free jazz les morceaux sont des improvisations collectives avec une grande interaction entre les différents musiciens ;
  • pour un courant particulier la texture sonore constitue désormais le matériau essentiel, la notion de justesse de hauteur de ton devenant accessoire (Albert Ayler).

Un des tout premiers pionniers de l'avant-garde en jazz est le pianiste Lennie Tristano qui, en 1949 déjà, enregistre deux morceaux, Intuition et Digression, sans thème ni harmonie déterminés au préalable, ni tempo fixe[3]. Vers la fin des années 50 apparaissent des improvisations sur une base de musique modale (cf. les modes grecs), notamment dans les groupes de Charles Mingus et le sextette de Miles Davis. Dans une improvisation de type modal, le soliste improvise au départ d'un mode, d'une gamme majeure ou mineure ou sur un seul accord tenu durant un certain nombre de mesures (Litweiler cite So What, Milestones, Flamenco Sketches du sextette de Miles Davis)[4]. Une expérience que prolonge John Coltrane dans son morceau My Favorite Things de 1960, l'improvisation se fait sur un mode mineur et un mode majeur pour la coda[3].

À la même époque, le pianiste Cecil Taylor abandonne tout rythme régulier ou swing, les thèmes ou l'harmonie. Eric Dolphy, Don Cherry et Thelonious Monk, entre autres, relèvent aussi de l'avant-garde de cette époque en raison de l'iconoclastie de certaines de leurs improvisations et compositions, s'écartant des schémas traditionnels.

Litweiler cite l'alto Ornette Coleman « Je pense qu'un jour la musique sera plus libre. Alors, la structure d'un morceau, par exemple, sera oubliée et le morceau lui-même sera la structure et ne sera pas forcé dans des structures conventionnelles[3]. » Il avait commencé dès 1959, lors d'un long engagement au Five Spot Café de New York, à se faire remarquer par sa façon non orthodoxe de jouer et d'improviser. Certains critiques au nombre desquels il y avait des jazzmen (Miles Davis, selon Litweiler), disant de lui qu'il ne savait pas jouer du jazz. Dans l'album Free Jazz: A Collective Improvisation, enregistré en décembre 1960 par un double quartette sans piano (notamment avec Eric Dolphy, Don Cherry et Freddie Hubbard), Ornette Coleman mit en pratique le principe d'une improvisation de 37 minutes tout à fait libre avec un minimum de conventions préétablies. Ce fut là un jalon majeur de l'histoire de l'avant-garde dans le jazz. Plus tard, dans sa propre musique, il développa le principe de l'improvisation sans centres tonaux ou de type thématique. Donc non pas sur une base harmonique mais en fonction du thème joué et/ou du climat désiré,un principe que le ténor que Sonny Rollins avait déjà appliqué à la fin des années 50 et de musique sans centres tonaux[4].

Dès le début de la période surnommée free jazz (> 1960), se développèrent d'autres expériences musicales relevant de l'avant-garde, comme dans les groupes du pianiste Sun Ra, de l'Art Ensemble of Chicago (cf. Association for the Advancement of Creative Musicians), d'Archie Shepp ou de Steve Lacy. Pour l'auteur Ekkehard Jost, deux caractéristiques déterminent le free jazz, tout d'abord une substance rythmique sous forme d'énergie cinétique et en second lieu une production de sons.

À partir d'Ascension (1965)  une improvisation collective de type modal, selon Ekkehard Jost (de)  mais aussi plus tard au sein de son dernier quintette ou en duo avec Rashied Ali (période 1966/967) John Coltrane fut à nouveau à la pointe de l'avant-garde repoussant les frontières du jazz conventionnel, jouant tour à tour free, atonal, ou sans centre tonal. Il dit lui-même à ce propos : « Je ne sais pas ; c'est probable, mais je ne sais pas comment on pourrait vraiment appeler cela : je crois que le terme « étendues tonales » pourrait bien être le bon[5] », ou pratiquant de la musique par séquences[4].

Une étape de plus fut franchie par le ténor Albert Ayler jouant avec une amplitude de hauteur de ton telle que, d'une part beaucoup de critiques déclarèrent qu'il jouait faux, d'autre part rendant presque impossible la transcription sur partition conventionnelle de ses solos, du moins d'une manière académique. De lui, Litweiler écrit : « Il a passé outre toute l'histoire du jazz pour remonter à des attitudes et des idées d'avant la naissance du jazz; il bâtit alors son propre art de découvertes primitives. » Dans son ouvrage Free Jazz, Ekkehard Jost a ainsi noté un passage de Witches and Devils en transcrivant d'une manière non conventionnelle l'amplitude de hauteur de ton des notes jouées par Ayler. Litweiler cite John Coltrane à propos de ce que faisait Ayler : « Je pense que ce qu'il fait, il semble qu'il meuve la musique dans des fréquences encore plus hautes… Il comble une région, à ce qu'il me semble, dans laquelle je ne me suis pas encore aventuré. » Il est caractéristique pour l'avant-garde en jazz qu'à l'enterrement de John Coltrane, le , les seuls groupes invités à y jouer furent les groupes d'Ornette Coleman et d'Albert Ayler.

Bibliographie

  • David Glen Such, Music, metaphor and values among avant-garde jazz musicians living in New York City, 1985
  • David Glen Such, Avant-garde Jazz Musicians, 1993
  • Robert G. O'Meally, Brent Hayes Edwards, Farah Jasmine Griffin, Uptown Conversation: The New Jazz Studies, 2004, p.27
  • David Dicaire, Jazz Musicians, 1945 to the Present, 2006, p. 133
  • John Gray: Creative Improvised Music: An International Bibliography of the Jazz Avant-Garde, 1959–Present. African Diaspora Press.

Notes et références

  1. Black Music, par Amiri Baraka, Akashi Classics
  2. John Coltrane and the Jazz Revolution of the 1960s
  3. The Freedom principle, Jazz after 1958 par John Litweiler, Da Capo Press
  4. Free Jazz, par Ekkehard Jost, Da capo Press
  5. John coltrane : « Je pars d'un point et je vais le plus loin possible », entretiens avec Michel Delorme, éditions de l'Éclat
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