Au cœur des ténèbres

Au cœur des ténèbres (Heart of Darkness) est un roman court de Joseph Conrad paru en 1899. Son œuvre est largement inspirée d'éléments autobiographiques expliquant ses choix narratifs[1].

Au cœur des ténèbres
Publication
Auteur Joseph Conrad
Titre d'origine
Heart of Darkness
Langue Anglais britannique
Parution Royaume-Uni
février 1899
Blackwood's Magazine
Recueil
Traduction française
Traduction André Ruyters
Parution
française
1925
Éditions Gallimard, Paris
Intrigue
Genre Roman court
Nouvelle précédente/suivante

Historique

Au cœur des ténèbres est une longue nouvelle de Joseph Conrad, parue en feuilleton dans le Blackwood's Magazine[2] en 1899, puis au sein d'un recueil de trois récits, Youth: A Narrative, and Two Other Stories (Jeunesse), en 1902.

Résumé

Alors qu'un équipage fait une halte dans l'estuaire de la Tamise pour attendre le courant de jusant, un narrateur relate le récit que Charles Marlow, un jeune officier de la marine marchande britannique, fait de sa remontée du cours d'un fleuve au cœur de l'Afrique noire des années auparavant. Embauché par une compagnie belge[3], il doit rétablir des liens commerciaux avec le directeur d'un comptoir situé au cœur de la jungle, Kurtz, très efficace collecteur d'ivoire, mais dont on est sans nouvelles depuis plusieurs mois. Le narrateur décrit l'expérience de Marlow comme un voyage au sein des aspects les plus ténébreux du monde.

Sources

De nombreux personnages ont été proposés comme sources d'inspiration pour le personnage de Kurtz. Le plus proche de Conrad fut Georges-Antoine Klein, un agent malade de la Compagnie du Commerce et de l'Industrie du Congo que Conrad alla chercher avec son steamer Roi des Belges en remontant le fleuve, mais qui mourut à bord (comme Kurtz)[4]. Comme sources d'inspiration, on cite aussi Léon Rom, le marchand d'esclaves Tippo Tip ou l'officier Edmund Musgrave Barttelot, ou encore le marchand Arthur Hodister[5].

Mais Conrad a pu utiliser d'autres récits, comme Dans les ténèbres de l'Afrique[6] de Henry Morton Stanley relatant l'expédition pour retrouver l'aventurier Oscar Schnitzer.

Lors de son arrivée au Congo en 1890, Conrad a eu une rencontre à Matadi avec le consul britannique Roger Casement, qui lui a fait part des atrocités dont il avait été témoin et sur lesquelles il produisit plus tard un rapport dévastateur[7].

Enfin, en 1899 retentit en France l'affaire dite "mission Voulet-Chanoine", expédition française de conquête coloniale du Tchad, menée par les capitaines Paul Voulet et Julien Chanoine et marquée par de nombreux massacres et par la perte totale de contrôle des autorités françaises sur les deux officiers.

Pour le diplomate belge Jules Marchal, qui a été abondamment documenté par Adam Hochschild, le personnage de Kurtz correspond bien à une dimension tout à fait réelle : « Kurtz avait entouré sa maison de piquets auxquels étaient accrochées des têtes humaines décapitées. Il montre que l'environnement colonial peut créer un homme capable d'aller jusqu'au bout du crime et de l'horreur, c'est ce que veut faire sentir Joseph Conrad[8]. » Il ajoute cependant que Kurtz ne représente pas la « généralité des Blancs ».

L'écriture

Joseph Conrad parle couramment le polonais, le français et l'anglais. Il donne libre cours à son talent d'écrivain en choisissant l'anglais pour écrire[9]. Son anglais reste hanté par la langue française, de nombreux gallicismes étant présents dans son texte[10].

Adaptations et transpositions

Le Roi des Belges, bateau sur lequel a navigué Joseph Conrad pour l'État indépendant du Congo.
Villageois rassemblés au passage du Roi des Belges à Sankuru en 1888.

Cinéma

Orson Welles a proposé d’adapter Heart of Darkness pour la RKO, avec une hypothèse de caméra subjective  il aurait lui-même joué le rôle de Kurtz  mais ce projet n'a finalement jamais abouti[11].

Le film Apocalypse Now de Coppola transpose le récit dans le contexte de la guerre du Viêt Nam, avec des éléments du roman L'Adieu au roi (1969) de Pierre Schoendoerffer (John Milius, qui a réalisé en 1989 une adaptation cinématographique de ce dernier roman, fut aussi le scénariste d'Apocalyse Now)[12]. La trame (un bateau remontant une rivière au cœur de la jungle) et les thèmes abordés (la « déshumanisation » de l'homme au fur et à mesure qu'il remonte le fleuve) sont identiques. Comme dans la nouvelle, le personnage recherché par le narrateur s'appelle Kurtz ; il est interprété par Marlon Brando.

La télévision a donné une adaptation plus fidèle au texte en 1993, par Nicolas Roeg, avec Tim Roth, John Malkovich, Isaach de Bankolé et James Fox.

Le film Aguirre, la colère de Dieu, de l'Allemand Werner Herzog, sorti en 1972 et avec Klaus Kinski dans le rôle-titre, a également une trame proche[13], mais la trame est fondée sur une histoire authentique, contrairement aux œuvres précitées qui sont des fictions. Cette œuvre est également proche d'un autre livre de Conrad, La Folie Almayer[réf. nécessaire]. Un autre film du même réalisateur, Fitzcarraldo, sorti en 1982 et toujours avec Klaus Kinski dans le rôle-titre, qui fait écho au thème de l'homme blanc qui se perd dans une quête impossible dans la jungle.

Le roman de Conrad est également cité à diverses reprises dans le film King Kong de Peter Jackson en 2005, en écho à la progression vers l'île perdue[14].

Dans L'Art (délicat) de la séduction, film de Richard Berry sorti en 2001, le personnage interprété par Cécile de France prête ce livre au personnage interprété par Patrick Timsit et déclare, à propos du capitaine Marlow, qu'on « pourrait le prendre pour un imbécile, mais il voit plus loin que les autres, parce qu'il sait attendre ».

Le roman sert de fil rouge au documentaire de Thierry Michel consacré au fleuve Congo, Congo River (2006). Le réalisateur remonte le fleuve jusqu'à sa source et entre petit à petit au cœur d'un pays en quête de reconstruction[15].

En 2008, le film L'Aube du monde du réalisateur franco-irakien Abbas Fahdel transpose le récit dans le contexte de la guerre du Golfe, avec les marais du sud de l'Irak pour décors.

En 1995 le film d'Arnaud des Pallières Drancy Avenir cite largement le texte de Conrad. Il développe Au cœur des ténèbres comme un récit parallèle à la trame principale qui voit une étudiante enquêter sur les traces encore présentes dans notre monde de l'extermination des juifs par les Nazis. Le voyage de Marlow jusqu'à Kurtz étant dans ce film la symbolique du travail difficile de l'historien qui cherche à appréhender l'horreur de ce que fut la Shoah.

En 2019 le réalisateur James Gray admet son dernier film Ad Astra comme largement inspiré d'Au cœur des ténèbres mais dans un univers de science-fiction, on y retrouve des éléments similaires ou les mêmes thèmes.

En 2021 Raoul Peck tire le titre de son documentaire en 4 parties qui rappelle le génocide des Premières Nations, l'esclavage et le nazisme, Exterminate all the brutes, de paroles prononcées par Kurtz dans Au cœur des ténèbres.

Littérature (romans et essais)

Cette section ne cite pas suffisamment ses sources (décembre 2016). 
Pour l'améliorer, ajoutez des références vérifiables [comment faire ?] ou le modèle {{Référence nécessaire}} sur les passages nécessitant une source.

Dans Les Origines du totalitarisme (1951), Hannah Arendt utilise Au cœur des ténèbres pour analyser un des facteurs explicatifs du totalitarisme ; ses vues sont loin d'être actuellement partagées par les historiens[16].

En 1970, dans son roman Les Profondeurs de la Terre, l'écrivain Robert Silverberg s'en inspire et lui rend hommage en le transposant dans le domaine de la science-fiction.

Dans La Femme léopard, son dernier roman qu'il achève, en 1991, à la veille de sa mort, et dont l’action est située en Afrique équatoriale, Alberto Moravia s’inspire de la nouvelle de Conrad. D’après Enzo Siciliano, le mystère d'Au cœur des ténèbres hantait l'esprit de Moravia dans les derniers temps.

En 1992, Sven Lindqvist publie Exterminez toutes ces brutes !. Le narrateur, qui voyage en bus à travers le Sahara, étudie le contexte colonial dans lequel Conrad a rédigé son roman et, sur cette base, fait un lien entre l'impérialisme, en particulier britannique de la fin du XIXe siècle, et le génocide juif.

En 2013, Marie Darrieussecq dans son roman Il faut beaucoup aimer les hommes reprend le thème du cinéaste qui, comme Orson Welles, veut aller tourner en Afrique une adaptation de ce roman.

Bande-dessinée

En 2006, Sylvain Venayre adapte la nouvelle Au cœur des ténèbres en roman graphique avec l'aide du dessinateur-illustrateur Jean-Philippe Stassen sous le titre Cœur des Ténèbres (éditions Futuropolis)[17],[18].

En 2014, deux auteurs de bande dessinée, Stéphane Miquel et Loïc Godart adaptent le roman pour les éditions Soleil dans un album intitulé, sans surprise, Au cœur des ténèbres[19],[20].

En 2017, dans Le lendemain du monde (scénario de Olivier Cotte et dessin de Xavier Coste, éditions Casterman), l'action est transposée dans un univers post-apocalyptique[21]. La bande-dessinée mêle le roman de Conrad et Le Monde englouti de James G. Ballard.

En 2019, Jean-Pierre Pécau (scénario) et Benjamin Bachelier (dessin) adaptent dans un album intitulé également Cœur de ténèbres et édité par Delcourt, le récit et le transposent en 1794, en pleine Révolution française dans les marais du pays de Guérande en Bretagne[22]. Ici, le héros, le lieutenant Varenne, est chargé par le gouvernement de la Convention de retrouver un certain colonel Scherb, devenu incontrôlable.

Jeu vidéo

Spec Ops: The Line est un jeu vidéo sorti le 29 juin 2012 sur PS3, Xbox 360 et PC. Il s'agit d'une adaptation moderne de l’œuvre développée par Yager Development et éditée par 2K Games. L'histoire se déroule dans un Dubaï dévasté par une tempête de sable, où une escouade de la Delta Force part à la recherche du colonel John Konrad, porté disparu après sa tentative avortée d'une évacuation à grande échelle de la ville. L'équipe étant confrontée, tout le long du voyage, à l'horreur croissante de la situation sur place, les trois membres sombrent dans d'atroces épreuves psychologiques. Le joueur lui-même est mis à l'épreuve : à plusieurs moments dans le scénario, il lui est demandé de faire des choix, souvent difficiles, qui peuvent conduire à des conséquences dramatiques pour les protagonistes et ceux qu'ils rencontrent.

Far Cry 2, sorti en Octobre 2008 et produit et édité par Ubisoft a des similitudes, assumées, avec le livre de Joseph Conrad. On y incarne un mercenaire venu en Afrique, dans un pays fictif en pleine guerre civile pour y tuer un marchand d'arme, surnommé le Chacal, extrêmement doué qui arme les deux factions en guerre. Durant notre chasse à l'homme on croisera de nombreuses fois le Chacal et grâce à des cassettes dissimulées dans la carte du monde ouvert on pourra écouter des morceaux d'interviews du Chacal avec un journaliste de guerre et y dénoter le même cynisme envers le genre humain et ses propres actes que l'on peut retrouver chez Kurtz ou son interprétation libre dans "Apocalypse Now". On peut rajouter que la dernière zone du jeu s'appelle "le cœur des ténèbres".

Radio

Il existe une adaptation radiophonique de la nouvelle, adaptée par Stéphane Michaka, sur une musique originale de Didier Benetti et mise en onde avec la participation de l'Orchestre national de France par France Culture (service des Fictions) et la direction de la musique de Radio France[23]. Enregistré en public le 21 juin 2014 au studio 104 de la Maison de la radio. Rediffusé le 16 mai 2020 sur France Culture dans l'émission Fictions/Samedi Soir[24].

Apparitions

  • Dans l'épisode 13 de la saison 1 de l'anime Psycho-Pass, Kōgami Shinya lit le livre dans son lit d'hopital.
  • Dans le film Call me by your name, on aperçoit Elio lisant ce livre dans sa chambre.
  • Dans le film King Kong réalisé par Peter Jackson en 2005, un des personnages, prénommé Jimmy, parle de ce livre qu’on le voit lire.
  • La série Maroni, les fantômes du fleuve, enquête policière autour du fleuve Maroni en Guyane française, débute par une citation du livre.
  • Dans la série Gossip Girl, Chuck Bass fait une allusion au colonel Kurtz dans un épisode.
  • Il est étudié par Scott, Stiles, Allison et Lydia dans la saison 3A de Teen Wolf.
  • Le roman Ténèbre de Paul Kawczak s'en inspire.

Notes et références

  1. Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, GF Flammarion (lire en ligne), p. 11-15
  2. En février (le numéro 1000), mars et avril 1899 de Magazine, revue dirigée à Édimbourg par William Blackwood. La seule longueur du texte, qu’il fallut donc publier en trois fascicules, explique la division de la nouvelle en trois sections.
  3. ...à un bout une grande carte brillante, marquée de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Il y avait une grande quantité de rouge – qui fait toujours plaisir à voir, parce qu'on sait qu'il se fait là un travail sérieux [l'Afrique anglaise]; un sacré tas de bleu [L'Afrique française], un peu de vert [l'Afrique italienne], des taches d'orange [l'Afrique espagnole], et sur la côte Est un morceau de violet pour montrer où les joyeux pionniers du progrès boivent la joyeuse bière blonde [l'Afrique allemande]. Mais je n'allais ni ici ni là. J'allais dans le jaune [l'Afrique belge]. En plein centre. Et le fleuve était là – fascinant, mortel – comme un serpent. [PDF] Lire.
  4. Jacques Darras, « Vie et Œuvre », dans Joseph Conrad, Nouvelles Completes, Gallimard, (ISBN 978-2-07-076840-0), p. 1451
  5. How Real are the Fictional Europeans in Joseph Conrad's Africa?
  6. Henry Morton Stanley, Dans les ténèbres de l'Afrique : Recherche, Délivrance et Retraite d'Amin Pacha, vol. II, Librairie Hachette, (lire en ligne)
  7. (en) Jeffrey Meyers, Joseph Conrad: A Biography, Cooper Square Press, (lire en ligne), p. 102
  8. Poursuite du travail forcé après Léopold II dans Toudi n° 42-43, décembre-janvier 2000-2001, consulté en ligne le 16 juin 2016.
  9. Botella César, « Joseph Conrad : le premier commandement d'André Green », Revue française de psychanalyse, , p. 183-190 (lire en ligne)
  10. Claude Maisonnat, « Le français dans l’écriture conradienne », Cahiers victoriens et édouardiens, no 78 Automne, (ISSN 0220-5610 et 2271-6149, DOI 10.4000/cve.959, lire en ligne, consulté le )
  11. Oxford Companion to Conrad.
  12. Cid Vicious, Critique de l'Adieu au roi, Bifrost n°33, janvier 2004.
  13. Aguirre, la colère de Dieu, un film de Werner Herzog., The waste land
  14. La belle Naomi Watts sauve "King Kong".
  15. Congo River, au-delà des ténèbres.
  16. Pierre Bouretz, philosophe, directeur d’études à l’EHESS, « SÉRIE"Les Origines du totalitarisme" d’Hannah Arendt (4 épisodes) Épisode 1 : Le totalitarisme, une tyrannie comme les autres ? », sur France Culture, (consulté le )
  17. « Jean-Philippe Stassen au cœur des ténèbres », sur Actua BD,
  18. Laurent Demoulin, « Du Rwanda au Cœur des ténèbres. Jean-Philippe Stassen illustre Conrad », Textyles, , p. 101-116
  19. Philippe Tomblaine, « « Au cœur des ténèbres » par Loïc Godart et Stéphane Miquel, d’après Joseph Conrad », sur BD Zoom,
  20. Sophie Torlotin, « Au cœur des ténèbres, ce n’est pas Indiana Jones », Radio France internationale,
  21. Aurélia Vertaldi, « La case BD: Le lendemain du monde ou la bonne âme de l'intelligence artificielle », sur Le Figaro, (consulté le ).
  22. D.T., « Cœur de Ténébres - Par Pécau & Bachelier - Delcourt », sur Actua BD,
  23. Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad sur France Culture, 21 juin 2014.
  24. Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad sur France Culture, 16 mai 2020.

Annexes

Liens externes

Textes

  • Portail de la littérature britannique
  • Portail du monde colonial
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.