Artemisia Gentileschi

Artemisia Lomi Gentileschi, née le à Rome et morte à Naples vers 1656, est une artiste peintre italienne de l'école caravagesque.

Vivant dans la première moitié du XVIIe siècle, elle reprend de son père Orazio la rigueur du dessin en lui ajoutant une accentuation dramatique héritée de l'œuvre du Caravage et chargée d'effets théâtraux, ce qui contribua à la diffusion du caravagisme à Naples, ville dans laquelle elle s'installe en 1630.

À Venise, Rome, Naples et Bologne, les femmes artistes des XVIe et XVIIe siècles ont indéniablement un point commun qui leur fait occuper une place à part dans l’esthétique du baroque. Ces femmes avaient fait de la peinture leur métier, et de ce seul fait elles rivalisaient déjà avec les maîtres en place à l’époque et leurs ateliers.

Elle devient une peintre de cour à succès, sous le patronage des Médicis et de Charles Ier d'Angleterre.

Remarquablement douée et aujourd'hui considérée comme l'une des premières peintres baroques, l'une des plus accomplies de sa génération, elle s'impose par son art à une époque où les femmes peintres ne sont pas facilement acceptées. Elle est également l'une des premières femmes à peindre des sujets historiques et religieux. Elle nous a laissé d'elle un autoportrait d'une grande vigueur qui dénote une maîtrise consommée de son art.

Sa biographe néo-féministe Mary Garrard attribue à son viol supposé et au procès humiliant qui s'ensuivit certains traits de son œuvre, l'obscurité et la violence graphique qui s'y déploient, en particulier dans le tableau célèbre qui montre Judith décapitant Holopherne[1]. Ses peintures expriment souvent le point de vue féminin.

Biographie

Les débuts romains

Née à Rome le [2],[3], elle est la première enfant du peintre maniériste toscan Orazio Gentileschi (1563-1639)[3], représentant de tout premier plan du caravagisme romain. Artemisia fait son apprentissage artistique dans l'atelier paternel où elle apprend le dessin, la manière de mélanger les couleurs et de donner du brillant aux tableaux aux côtés de ses frères ; elle démontre, par rapport à eux, un talent bien plus élevé. Comme le style de son père, à cette époque, se réfère explicitement à l'art du Caravage (avec lequel Orazio entretient des rapports familiers), les débuts artistiques d'Artemisia se placent, à bien des égards, dans le sillage du peintre lombard[3],[4].

La première œuvre attribuée à Artemisia Gentileschi, qu'elle signe à l'âge de dix-sept ans, est sa Suzanne et les vieillards, réalisée en 1610, longtemps attribué à son père[3]. Ce tableau montre comment Artemisia Gentileschi a assimilé le réalisme du Caravage sans rester indifférente au langage de l'École de peinture de Bologne[5]

Elle reprend et modifie plusieurs fois les œuvres de son père, auxquelles elle donne une touche d'une âpreté réaliste que celui-ci n'avait pas. Elle leur confère une atmosphère dramatique, si prisée par les Napolitains, en accentuant le clair-obscur à la manière du Caravage, contribuant ainsi à l'évolution de ce style d'une façon déterminante[6].

L'accès à l'enseignement des Beaux-Arts, exclusivement masculin, lui étant interdit, son père lui donne un précepteur privé, le peintre Agostino Tassi. Un scandale marque alors sa vie. Artemisia est violée par Tassi, le 9 mai 1611. Celui-ci promet d'abord de l'épouser pour sauver sa réputation, mais il ne tient pas sa promesse. L'affaire est portée devant le tribunal papal, presque un an après le viol. L'instruction pour stupro violente (défloration par force), qui dure neuf mois (de mars 1612 à novembre 1612), permet de découvrir que Tassi (déjà marié) avait formé le projet d'assassiner l'amant de son épouse, avait aussi agressé sexuellement sa belle-sœur, et voulait voler certaines peintures d'Orazio Gentileschi. Pendant le procès, Artemisia est soumise à un humiliant examen gynécologique et soumise au supplice des "sibili" pour vérifier la véracité de ses accusations. Ce moyen de torture est le fait de faire passer une corde entre les doigts de la personne torturée, pour ensuite serrer très fort la corde au risque de briser les os. Tassi est condamné le 28 novembre 1612 à 5 ans d'exil des États pontificaux. Il semble toutefois que Tassi ne quitte pas Rome pour autant[7],[8].

Judith décapitant Holopherne, musée Capodimonte, Naples, 1612-14.

Les actes du procès, dont l'exhaustivité des documents et témoignages a été conservée, frappent par la crudité de la relation des faits énoncés par Artemisia Gentileschi et par le caractère inquisitorial des méthodes du tribunal. Leur lecture à la lumière des thèses féministes de la seconde moitié du XXe siècle a eu une grande influence sur l'analyse de la personnalité d'Artemisia Gentileschi.

  • Témoignage d' Artemisia Gentileschi lors du procès :

« Il ferma la chambre à clef et après l'avoir fermée il me jeta sur le bord du lit en me frappant sur la poitrine avec une main, me mit un genou entre les cuisses pour que je ne puisse pas les serrer et me releva les vêtements, qu'il eut beaucoup de mal à m'enlever, me mit une main à la gorge et un mouchoir dans la bouche pour que je ne crie pas et il me lâcha les mains qu'il me tenait avant avec l'autre main, ayant d'abord mis les deux genoux entre mes jambes et appuyant son membre sur mon sexe il commença à pousser et le mit dedans, je lui griffai le visage et lui tirai les cheveux et avant qu'il le mette encore dedans je lui écrasai le membre en lui arrachant un morceau de chair. »

 Roland Barthes, Anne-Marie Sauzeau-Boetti, Eva Menzio, Artemisia Gentileschi, Lettres précédées par les Actes d'un procès de viol, Éditions des femmes, 1984.

La toile, conservée au musée Galerie des Offices (Galleria degli Uffizi), qui représente Judith décapitant Holopherne (ca.1612-1614[9]), impressionnante par la violence de la scène, a été interprétée comme un désir de revanche par rapport à la violence subie[8].

Un mois après la conclusion du procès, Orazio arrange pour Artemisia un mariage avec Pietro Antonio Stiattesi, modeste peintre florentin, qui permet à Artemisia, violentée, abusée et dénigrée, de retrouver un statut honorable[8].

La Vierge à l'Enfant de la Galerie Spada date des débuts romains[8].

Peu après, le couple s'installe à Florence[10], où ils ont quatre enfants, dont seule la fille, Prudenzia, vécut suffisamment longtemps pour suivre sa mère lors de son retour à Rome puis à Naples.

La période florentine (1614-1620)

Judith et sa servante, vers 1618-1619, palais Pitti (Florence).

À Florence, Artemisia connaît un succès flatteur. Première femme à jouir d'un tel privilège, elle est acceptée à l'Académie du dessin[10],[3],[8] et entretient de bons rapports avec les artistes les plus réputés de son temps, comme Cristofano Allori. Elle conquiert les faveurs et la protection de personnes influentes, à commencer par le grand-duc Cosme II[8] et plus particulièrement la grande-duchesse Christine de Lorraine. Elle entretient de bonnes relations avec Galilée, avec qui elle reste en contact épistolaire bien après sa période florentine[8],[5].

Elle travaille notamment à la Casa BuonarrotiMichel-Ange Buonarroti le Jeune, petit-neveu de Michel-Ange, occupe, parmi ses amateurs, une place d'une particulière importance : occupé à construire une demeure pour célébrer la mémoire de son illustre aïeul, il confie à Artemisia Gentileschi l'exécution d'une toile destinée à décorer le plafond de la salle des peintures[8]. La toile en question représente une Allégorie de l'Inclination (ou du Talent naturel), représentée sous forme d'une jeune femme nue tenant en main une boussole. Il est vraisemblable que l'avenant visage féminin a les traits d'Artemisia Gentileschi elle-même[8]. Souvent en effet dans les toiles d'Artemisia Gentileschi, les héroïnes ont le visage que l'on retrouve dans ses portraits ou auto-portraits : souvent le commanditaire de ses toiles désire avoir une image rappelant visuellement l'autrice dont la réputation va croissant[8].

Appartiennent à la période florentine la Conversion de Madeleine et Judith et sa servante conservées à la Galerie Palatine du palais Pitti, ainsi que son indéniable chef-d'œuvre, conservé à la Galerie des Offices, une seconde version, plus grande, de sa Judith décapitant Holopherne, où elle donne ses propres traits à sa Judith, et à Holopherne ceux de Tassi[11].

Malgré le succès, la période florentine est troublée par des problèmes avec les créanciers à cause de dépenses excessives des deux époux. On peut raisonnablement relier au désir de fuir la hantise des dettes et à la difficile cohabitation avec son époux, son retour à Rome qui se réalise finalement en 1621[12].

De nouveau à Rome (1621-1627), puis à Venise (1627-1630)

Portrait de gonfalonier, vers 1622, palais d'Accursio (Bologne).

L'année de l'arrivée d'Artemisia Gentileschi à Rome coïncide avec celle du départ de son père Orazio pour Gênes. On a supposé, sur la base de conjectures, qu'Artemisia Gentileschi avait suivi son père dans la capitale ligure (ce qui expliquerait la continuité d'une affinité de style qui, encore aujourd'hui, rend problématique l'attribution de tel ou tel tableau à l'un ou à l'autre). Il n'existe cependant pas de preuves suffisantes[12].

Séparée de son mari[10], Artemisia Gentileschi s'installe à Rome en femme désormais indépendante, en mesure de prendre une maison et d'élever ses enfants. Outre Prudenzia (née du mariage avec Pierantonio Stiattesi), elle a une fille naturelle, née probablement en 1627. Artemisia Gentileschi a cherché à intéresser ses deux filles à la peinture, mais sans grand succès[12].

Dans la Rome de ces années-là on voit encore beaucoup de peintres caravagesques (d'évidentes correspondances existent, par exemple, entre le style d'Artemisia Gentileschi et celui de Simon Vouet), mais, durant le pontificat d'Urbain VIII, le succès du classicisme de l'école bolonaise ou des audaces baroques de Pierre de Cortone va croissant. Artemisia Gentileschi montre qu'elle a la juste sensibilité pour accueillir les nouveautés artistiques et la juste détermination pour vivre en protagoniste cette extraordinaire période artistique de Rome, passage obligé des artistes de toute l'Europe. Elle entre à l'Académie des Desiosi et est, à cette occasion, célébrée par un portrait gravé dont la dédicace la qualifie de « Picturae miraculum invidendum facilius quam imitandum », soit « Miracle de la peinture, plus facile à envier qu'à imiter »[13]. De cette période date son amitié avec Cassiano dal Pozzo, humaniste, collectionneur et grand mécène, qui la protège[14].

Toutefois, malgré sa réputation artistique, sa forte personnalité et son réseau relationnel, son séjour à Rome n'est pas aussi riche de commandes qu'Artemisia Gentileschi l'aurait souhaité. L'appréciation de sa peinture est peut-être circonscrite à sa valeur de portraitiste et à son habileté à mettre en scène les héroïnes bibliques : elle est exclue des riches commandes des cycles de fresques et des grands retables. Il est difficile, du fait de l'absence de fonds documentaire, de suivre tous les déplacements d'Artemisia Gentileschi durant cette période. Il est certain, qu'entre 1626 ou 1627 et 1630, elle s'installe, sans doute à la recherche de meilleures commandes, à Venise[14],[8] : en font foi les hommages qu'elle reçoit des lettrés de la cité lagunaire qui célèbrent sa qualité de peintre.

Bien que la datation des œuvres d'Artemisia Gentileschi soit souvent sujette à controverse parmi les critiques d'art, il est possible d'attribuer à cette période le Portrait d'un gonfalonier aujourd'hui à Bologne (unique exemple connu à ce jour de cette habileté de portraitiste qui rendit Artemisia Gentileschi célèbre)[8] ; Judith et sa servante, aujourd'hui à l'Institute of Arts de Détroit (qui reflète la capacité de la peintre à maîtriser les effets de clair-obscur produits par la lumière des bougies[15]) ; la Vénus endormie[8], aujourd'hui Musée des Beaux-Arts de Virginie à Richmond ; Esther et Assuérus du Metropolitan Museum of Art de New York (qui témoigne de l'aptitude d'Artemisia Gentileschi à assimiler des leçons des luministes vénitiens)[8].

Naples et la parenthèse anglaise (1630-1656)

Marie Madeleine, peinture 1610.
Marie Madeleine, 1621-1622.
Marie Madeleine, 1631.

En 1630 Artemisia Gentileschi se rend à Naples, estimant qu'il pourrait y avoir, dans cette ville florissante de chantiers et de passionnés de beaux-arts, de nouvelles et plus enrichissantes possibilités de travail[8].

L'Annonciation du Musée de Capodimonte est sans doute représentative des débuts artistiques d'Artemisia Gentileschi à Naples[8].

Un peu plus tard, son emménagement à Naples est définitif. Naples (malgré quelques regrets pour Rome) est pour Artemisia Gentileschi une sorte de seconde patrie dans laquelle elle s'occupe de sa famille, et où elle marie, avec la dot nécessaire, ses deux filles. Elle reçoit des témoignages de grande estime, entretient de bonnes relations avec le duc d'Alacala, vice-roi, a des rapports d'égal à égal avec les peintres importants exerçant dans la ville, avec Massimo Stanzione[8], pour qui on doit parler d'une intense collaboration artistique, fondée sur une vive amitié et sur d'évidentes correspondances stylistiques.

À Naples, pour la première fois, Artemisia Gentileschi peint des toiles pour une cathédrale, celles dédiées à la vie de saint Janvier de Bénévent (san Gennaro) à Pouzzoles. La Naissance de saint Jean Baptiste, du Prado, Corisca et le satyre, en collection privée, sont des œuvres de cette première période napolitaine. Artemisia Gentileschi y démontre encore une fois sa faculté d'adaptation aux goûts artistiques de l'époque et sa capacité d'aborder d'autres sujets avec les différentes Judith, Suzanne, Bethsabée, Madeleine pénitente, grâce auxquelles elle accroît sa célébrité.

En 1638, Artemisia Gentileschi rejoint son père à Londres où Orazio, devenu peintre de la cour de Charles Ier, a reçu la charge de décorer un plafond (Allégorie du Triomphe de la Paix et des Arts) dans la Casa delle Delizie de la reine Henriette Marie à Greenwich[16] . Après tout ce temps, père et fille collaborent à nouveau, mais rien ne laisse penser que le motif du voyage londonien soit uniquement de venir affectueusement porter secours à son vieux père. Charles Ier est un grand amateur d'art, capable de compromettre les finances publiques pour satisfaire ses désirs artistiques. C'est ainsi qu'il achète la fabuleuse collection de Charles Ier de Gonzague de Mantoue. La réputation d'Artemisia Gentileschi l'a sans doute séduit, il l'aurait réclamée à sa cour. Dans sa collection se trouve une de ses toiles, l'autoportrait en Allégorie de la peinture, aujourd'hui conservé dans la Collection Royale au château de Windsor: portrait de l'artiste, montrant sa passion créative, en pleine action, mèches de cheveux détachés. Orazio meurt, de manière inattendue, dans les bras de sa fille, en 1639. L'activité d'Artemisia Gentileschi à Londres se poursuit encore quelque temps après la mort de son père, bien qu'aucune œuvre connue ne puisse être attribuée avec certitude à cette période. Nous savons qu'en 1642, dès les premiers signes de la guerre civile, Artemisia Gentileschi a déjà quitté l'Angleterre[12]. On ne connaît rien ou presque de ses déplacements suivants. De fait, en 1649, nous la trouvons de nouveau à Naples, d'où elle correspond avec le collectionneur Don Antonio Ruffo de Sicile qui est son mentor et un bon commanditaire dans cette seconde période napolitaine. La dernière lettre à son mécène, que nous connaissons, date de 1650, et témoigne de la pleine activité de l'artiste.

Jusqu'en 2005, on croyait qu'Artemisia Gentileschi était décédée entre 1652 et 1653, mais des preuves récentes montrent qu'elle acceptait toujours les commandes en 1654, bien qu'elle fût alors très dépendante de l'aide de son assistant Onofrio Palumbo[17]. On suppose aujourd'hui qu'elle est morte dans la peste dévastatrice qui a frappé Naples en 1656, anéantissant toute une génération de grands artistes.

On attribue à cette deuxième période napolitaine une Suzanne et les vieillards, aujourd'hui à Brno et une Madone au rosaire, conservée à l'Escurial.

Onofrio Palumbo compte parmi ses disciples.

Profil artistique

Judith décapitant Holopherne, Galerie des Offices, Florence, 1620.

Un essai de 1916 de Roberto Longhi, intitulé Gentileschi père et fille, a le mérite de ramener l'attention de la critique sur la stature artistique d'Artemisia Gentileschi dans le cercle des caravagesques de la première moitié du XVIIe siècle.

Dans son commentaire de la peinture la plus célèbre d'Artemisia Gentileschi, la Judith décapitant Holopherne des Offices, Longhi écrit :

« Qui pourrait penser que sous un drap étudié de candeurs et d'ombres glacées dignes d'un Vermeer grandeur nature, pouvait se dérouler une boucherie aussi brutale et atroce (…) ? Mais –avons-nous envie de dire– mais cette femme est terrible ! Une femme a peint tout ça ? »

et il ajoute :

« qu'il n'y a ici rien de sadique, qu'au contraire, ce qui surprend, c'est l'impassibilité féroce de qui a peint tout cela et a même réussi à vérifier que le sang giclant avec violence peut orner le jet central d'un vol de gouttes sur les deux bords ! Incroyable, vous dis-je ! Et puis s'il vous plaît laissez à la Signora Schiattesi – c'est le nom d'épouse d'Artemisia Gentileschi – le temps de choisir la garde de l'épée qui doit servir à la besogne ! Enfin ne vous semble-t-il pas que l'unique mouvement de Judith est de s'écarter le plus possible pour que le sang ne lui salisse pas son tout nouveau vêtement de soie jaune ? N'oublions pas qu'il s'agit d'un habit de la maison Gentileschi, la plus fine garde-robe de soie du XVIIe européen, après Van Dyck »

 Roberto Longhi, Gentileschi père et fille, 1916

La Conversion de Madeleine, vers 1615-1616, palais Pitti, Florence.

Cette lecture du tableau souligne de façon exemplaire ce que signifie tout savoir en matière « de peinture, et de couleur, et de mélange » : elle évoque les couleurs vives de la palette d'Artemisia Gentileschi, les luminescences soyeuses des robes (avec ce jaune incomparable), l'attention perfectionniste pour le réalisme des bijoux et des armes.

L'intérêt pour le personnage artistique d'Artemisia Gentileschi connaît une forte impulsion grâce aux thèses féministes qui soulignent la force expressive que son langage pictural traduit quand les sujets représentés, les fameuses héroïnes bibliques, semblent toujours vouloir manifester leur rébellion face à la domination masculine.

Dans un essai publié dans le catalogue de l'exposition Orazio et Artemisia Gentileschi organisée à Rome en 2001 (puis à New York), Judith W. Mann prend ses distances, en montrant les limites, avec une lecture strictement féministe :

« [Une lecture de ce type] avance l'hypothèse que la pleine puissance créative d'Artemisia s'est manifestée seulement dans la représentation de femmes fortes et capables de se faire valoir, au point que l'on n'arrive pas à l'imaginer occupée à la réalisation d'images religieuses conventionnelles, comme une Vierge à l'Enfant ou une Vierge accueillant, soumise, l'Annonciation ; et elle soutient en outre que l'artiste aurait refusé de modifier son interprétation personnelle de certains sujets pour s'adapter aux goûts d'une clientèle présumée masculine. Le stéréotype a eu un double effet restrictif : il a conduit les chercheurs soit à mettre en doute l'attribution des tableaux qui ne correspondent pas au modèle décrit, soit à attribuer une valeur inférieure à ceux qui ne correspondaient pas au cliché. »

La critique plus récente, à partir de la difficile reconstitution du catalogue complet d'Artemisia Gentileschi, a voulu donner une lecture moins réductrice de sa carrière, la replaçant plus classiquement dans le contexte des différents milieux artistiques que la peintre a pu fréquenter. Une pareille lecture nous restitue la figure d'une artiste qui lutta avec détermination, utilisant les armes de sa personnalité et de ses qualités artistiques, contre les préjugés qui s'exprimaient à l'égard des femmes peintres, réussissant à s'intégrer productivement dans le cercle des peintres les plus réputés de son temps, affrontant une gamme de genres picturaux certainement beaucoup plus ample et variée que ce que peuvent nous en dire aujourd'hui les toiles qui lui sont attribuées.

Pour une femme du début du XVIIe siècle, se consacrer à la peinture, comme le fait Artemisia Gentileschi, représente un choix difficile et hors du commun, mais pas exceptionnel. Avant elle, entre la fin du XVIe et le début du XVIIe siècle, d'autres femmes peintres exercent, avec succès, leur activité. On peut mentionner Sofonisba Anguissola (Crémone ca. 1530 – Palerme ca. 1625), qui est appelée en Espagne par Philippe II ; Lavinia Fontana (Bologne 1552 – Rome 1614), qui se rend à Rome à l'invitation du pape Clément VIII ; Fede Galizia (Milan ou Trente, 1578 – Milan 1630), qui peint entre autres de magnifiques natures mortes et une belle Judith avec la tête d'Holopherne. D'autre femmes peintres, plus ou moins connues, entreprennent une carrière artistique du vivant d'Artemisia Gentileschi.

Œuvres principales

Autoportrait en martyre, localisation inconnue.
Yaël et Sisra, 1620, musée des beaux-arts de Budapest.
À Florence
À Rome
À Naples
  • Annonciation, musée et galeries nationaux de Capodimonte, Naples, 1630
  • Lucrèce, deux tableaux entre 1630 et 1645, collections privées
  • Corisca et le Satyre, collection privée, 1630-1635
  • Clio, collection privée (anciennement New York, coll. Wildenstein), 1632
  • Aurore, collection privée, Rome
  • Naissance de saint Jean-Baptiste, musée du Prado, Madrid, vers 1633-1635
  • Cléopatre, collection privée, Rome, vers 1633-35
  • Loth et ses filles, The Toledo Museum of Art, Toledo (Ohio) vers 1635-1638
  • David et Bethsabée, Neues Palais, Potsdam, vers 1635
  • David et Bethsabée, Palazzo Pitti, (réserves), Florence, vers 1635
  • San Gennaro dans l'amphithéâtre de Pouzzoles, musée et galeries nationaux de Capodimonte, Naples, 1636-1637
  • Saints Procle et Nicée, musée et galeries nationaux di Capodimonte, Naples, 1636-37
  • Adoration des mages, Chartreuse San Martino, Naples, 1636-37
  • David et Bethsabée, The Columbus Museum of Art, Columbus, vers 1636-38
  • Autoportrait en allégorie de la peinture, collection de sa majesté la reine Élisabeth II, château de Windsor, 1638-1639
  • Vénus embrassant Cupidon, collection privée, 1640-1650
  • Une allégorie de la paix et des arts sous la couronne anglaise, Marlborough House, Londres, 1638-1639 (en collaboration avec Orazio Gentileschi)
  • Le Viol de Lucrèce, Nouveau Palais, Potsdam, 1645-1650
  • Suzanne et les Vieillards, Moravska Galerie, Brno, 1649
  • Vierge à l'Enfant et au rosaire, palais de l'Escurial, Maison du Prince, 1651.

Les œuvres récemment découvertes ou réapparues sur le marché de l'art

Artemisia Gentileschi - Lucretia, circa 1627

Un tableau représentant Lucrèce se donnant la mort est réapparu sur le marché de l'art et a été vendu chez Artcurial le 13 novembre 2019 pour la somme record de 4 777 000 Euros, établissant ainsi le record mondial des prix atteints en vente publique pour Artémisia Gentileschi[19],[20]. Cette œuvre majeure d'Artémisia, acquise par un marchand londonien[21], a été ensuite acquise en 2021 par le Getty Museum[22],[23],[24], où elle est maintenant exposée[25].

Le précédent record[26],[27]était également pour un tableau également récemment réapparu, un rare autoportrait où Artémisia se représente en Sainte Catherine (voir photo ci-dessus). Ce tableau a été vendu le 19 décembre 2017 pour la somme de 2 360 600€[28] à l'hôtel Drouot par l'étude de commissaires-priseurs Jorom-Derem[29],[30],[31],[32].

Une des dernières redécouvertes majeures est un tableau représentant David et Goliath[33] (voir photo ci-dessus), qui appartient maintenant à une collection privée. Le tableau a été acheté en 2018 lors d'une vente aux enchères organisée par Hampel[34] pour la somme de 104.000€[35]. Il était précédemment attribuée à Giovanni Francesco Guerrieri, un des élèves de son père, Orazio. L'expert de la vente a changé au dernier moment l'attribution pour la donner à Artemisia sur la foi d'un article publié par Gianni Papi en 1996[35], où il faisait une analyse stylistique sur la foi d'une photographie en noir et blanc. La découverte est due à ce chercheur italien et spécialiste de Gentileschi [36], mais aussi au restaurateur privé Simon Gillespie[37], tous deux cités aussi par The Art Newspaper[38]. La signature «Artemisia» est en effet apparue en cours de restauration le long de la lame de l'épée de David[37], avec les chiffres «16-», probablement le début de la date du tableau.

Représentation dans les arts

Dans la littérature

La biographie d'Artemisia Gentileschi a suscité l'intérêt de plusieurs écrivains à son égard. La première femme de lettres qui décide de construire un roman autour du personnage d'Artemisia est Anna Banti. La première rédaction manuscrite du texte date de 1944, mais disparaît en raison des vicissitudes et des bombardements de la guerre. Elle décide trois ans plus tard de reprendre l'ouvrage, intitulé Artemisia, en le rédigeant sous une forme tout à fait différente. Anna Banti se présente dans son nouveau roman dans un dialogue avec la peintre, sous forme de journal ouvert, dans lequel elle cherche, en parallèle au récit de l'adolescence et de la maturité d'Artemisia, à s'expliquer à elle-même la fascination qu'elle subit et le besoin qui l'empêche d'aller au-delà des considérations artistiques dont elle aura tant de fois discuté avec son mari, l'historien de l'art Roberto Longhi[39],[40].

En 1999, l'écrivaine française Alexandra Lapierre affronte, là encore avec un roman, le charme énigmatique de la vie d'Artemisia, à partir d'une étude extrêmement scrupuleuse de la biographie et de son contexte historique. L'enquête psychologique qui vise à comprendre le rapport entre Artemisia femme et Artemisia peintre, fait appel, comme un leitmotiv, à la relation entre le père et la fille, relation faite d'une affection qui a du mal à s'exprimer et crée une rivalité professionnelle latente.

Un autre roman, publié en 2002, celui de Susan Vreeland, The Passion of Artemisia, se situe dans le sillage de la popularité atteinte par Artemisia Gentileschi dans le cercle féministe. C'est « Artemisia à Hollywood » commente la journaliste du Guardian, Anna Shapiro[41]. Dans le roman de 2017, Splendente armonia de l'écrivain italien Sabrina Gatti, le personnage de la peintre Mathilde Zani est identifié à Artemisia et le sujet le plus représentatif de ses peintures est Judith et Holopherne.

En art contemporain

Artemisia Gentileschi est une des 39 convives attablées dans l'œuvre d’art contemporain The Dinner Party (1974-1979) de Judy Chicago[42].

Au cinéma

Le résultat auquel arrive la réalisatrice française Agnès Merlet avec son film Artemisia (1997) est également discutable pour des raisons qui tiennent à la dispersion entre plusieurs propos mal fédérés[43]. Le rôle-titre y est tenu par Valentina Cervi[44]. Il existe aussi un téléfilm, lui aussi intitulé Artemisia et diffusé la même année que le film d'Agnès Merlet. Dans ce téléfilm, réalisé par Adrienne Clarkson, le rôle principal est jouée par Jocelyne Saint-Denis.

Artemisia Gentileschi apparait dans la deuxième enquête de la série policière française L'Art du crime. Son tableau Judith décapitant Holopherne a inspiré une mise en scène sur laquelle investiguent Antoine Verlay et Florence Chassagne, historienne de l'art. Cette dernière imagine une discussion avec Artemisia Gentileschi (jouée par Blandine Bury). Son tableau Yaël et Siséra sera aussi un élément éclairant pour le dénouement.

Dans la bande dessinée

En 2013 parait au Japon le manga Arte de Kei Ôkubo, librement inspiré de la vie de l'artiste. La série est parue en France aux éditions Komikku, et adaptée en anime.

En 2017 paraît Artemisia de Nathalie Ferlut (scénario) et Tamia Baudouin (dessin) (Delcourt), une biographie consacrée à la femme peintre, qui donne d'ailleurs son nom au Prix Artémisia, qui récompense chaque année une bande dessinée créée par une créatrice. L'ouvrage est traduit en anglais par Maëlle Doliveux (en) pour une édition prévue en juillet 2020[45] par Beehive Books.

Au théâtre

Artemisia Gentileschi est, avec Hildegard von Bingen, un des deux personnages de la pièce dialoguée Artemisia and Hildegard (2011) de la dramaturge américaine Carolyn Gage (en)[46]. Arrachées de leurs siècles respectifs dans un imaginaire hors temps, les deux génies se retrouvent sur un panel universitaire intitulé "Femmes artistes : Stratégies de survie" et leur débat tourne à la confrontation tant leurs positionnements incompatibles se nourrissent de leurs traumatismes personnels.

En 2016, le dramaturge français Jean Reinert publie chez L'Œil du Souffleur la tragédie Artemisia, centrée sur le viol d'Artemisia Gentileschi par Agostino Tassi[47].

Notes et références

  1. (en) Mary Garrard, Artemisia Gentileschi, , citée par (en) Patricia Berrahou Phillippy, Painting women: cosmetics, canvases, and early modern culture, JHU Press, (ISBN 978-0-8018-8225-8, lire en ligne), p. 75.
  2. (en) « Artemisia Gentileschi », extrait de la notice dans le dictionnaire Bénézit, sur Oxford Art Online, (ISBN 9780199773787)
  3. Anne-Sophie Molinié, « Gentileschi, Artemisia [Rome 1593 – Naples v. 1654 ] », dans Béatrice Didier, Antoinette Fouque et Mireille Calle-Gruber (dir.), Dictionnaire universel des créatrices, Éditions des femmes, , p. 1722-1723
  4. (it) Elisa Menichetti, Artemisia Gentileschi libera da ogni stereotipo. Un talento versatile nella Napoli del Seicento, Université de Sienne, (lire en ligne)
  5. (es) Natalia G. Barriuso}, « Artemisia Gentilleschi: la gran artista del barroco », sur Croma Cultura,
  6. Alexandra Lapierre, Artemisia, Paris, Robert Laffont,
  7. Marthe Coppel-Batsch, « Artemisia Gentileschi (1593-1653). Sexe, violence, peinture », Adolescence, , p. 365-387 (lire en ligne)
  8. (en) Keith Christiansen et Judith W. Mann, Orazio and Artemisia Gentileschi, The Metropolitan Museum of Art. Yale University Press (catalogue d'exposition), (ISBN 9781588390066)
  9. « Artemisia 1593-1654 », sur La Tribune de l'Art, (consulté le )
  10. (en) Elizabeth S. Cohen, « The Trials of Artemisia Gentileschi : A Rape as History », The Sixteenth Century Journal, vol. 31, no 1 (Special Edition: Gender in Early Modern Europe ), , p. 47-75 (ISSN 0361-0160, lire en ligne)
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Voir aussi

Bibliographie

  • Alexandra Lapierre, Artemisia, 1998, roman historique.
  • Artemisia Gentileschi, Carteggio / Correspondance, éd. bilingue, première édition intégrale critique de la Correspondance, texte établi et traduit par Adelin Charles Fiorato, Belles Lettres, 2016.
  • Anna Banti : Artemisia, Mondadori (1974).
  • Mary D. Garrard : Artemisia Gentileschi, Princeton University Press (1989).
  • Roxana Azimi, « Les femmes artistes sont désormais affranchies », Le Monde, (lire en ligne).
  • Béatrice Nodé-Langlois, Artemisia Gentileschi au Musée Maillol, La Critique parisienne, n°68, décembre 2012.
  • André Finck et Michel Sidoroff, Artemisia, claire, obscure, feuilleton radiophonique en dix épisodes, d'une durée d'environ quatre heures, diffusé du 18 au 29 novembre 2013 sur l'antenne de France Culture.

Articles connexes

Liens externes

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