Ana Mendieta

Ana Mendieta, née le à La Havane et morte d'une chute le à Greenwich Village (New York), est une performeuse, sculptrice, peintre, photographe et artiste vidéo américano-cubaine dont l'œuvre se situe à la croisée du land art et du body art. Elle est surtout connue pour son travail « earth-body ».

Son œuvre, explorant la binarité du genre, s'inscrit dans une vision essentialiste du corps et des rapports entre les sexes[1].

Biographie

Ana Mendieta naît à Cuba, dans une famille éminente du pays[2]. À 12 ans, elle et sa sœur de 14 ans Raquelin sont envoyées par leurs parents dans le cadre du programme gouvernemental américain qui retire les enfants du régime cubain, deux ans après le coup d'état de Fidel Castro contre le gouvernement autoritaire du président Fulgencio Batista, et les transfère aux États-Unis. À travers l'opération Peter Pan, un programme collaboratif géré par le gouvernement américain et des associations caritatives catholiques, Ana et sa sœur passent leurs premières semaines dans un camp de réfugiés de l'Iowa, avant de passer par plusieurs institutions et familles d'accueil[3].

En 1966, elles sont rejointes par leur mère et leur petit frère ; leur père les rejoint en 1979 après avoir passé 18 ans en prison à Cuba à cause de son implication dans le débarquement de la baie des Cochons.

À la fin des années 1970, elle étudie à l'université d'Iowa où elle obtient une licence (BA) et un master (MA) en peinture ainsi qu'un master (MFA) en intermédia après avoir suivi les cours d'Hans Breder[4].

Au cours de sa carrière, elle voyage et expose dans de nombreux pays, notamment à Cuba, Mexico, en Italie et aux États-Unis.

Mort et controverse

Ana Mendieta meurt le à New York après une chute par la fenêtre de son appartement situé au 34e étage au 300 Mercer Street à Greenwich Village[5],[6] où elle vit avec son mari, le sculpteur minimaliste Carl Andre, avec qui elle est mariée depuis huit mois.

Juste avant sa mort, les voisins ont entendu le couple se disputer violemment[7]. Ils n'étaient pas témoins oculaires des événements qui entraînèrent la mort de Mendieta[8]. Dans un enregistrement de l'appel d'Andre aux secours on l'entend dire :

« Ma femme est une artiste, et je suis un artiste, et nous avons eu une dispute à propos du fait que je sois plus, euh, exposé au public qu'elle. Et elle est allée dans la chambre, et je l'ai suivie et elle est passée par la fenêtre[9]. »

En 1988, Andre est accusé de meurtre puis acquitté. Après trois ans de procédures judiciaires, son avocat décrit la mort de Mendieta comme un possible accident ou un suicide. Le juge déclare que « la culpabilité n'a pas été prouvée, au-delà d'un doute raisonnable[10],[8]. »

L'acquittement provoque un tollé parmi les féministes du milieu de l'art et reste toujours controversé. En 2010, un colloque intitulé « Where is Ana Mendieta » se tient à l'université de New York pour célébrer le 25e anniversaire de sa mort[11]. En , le groupe de protestation féministe No Wave Performance Task manifeste devant la rétrospective de Carl Andre à la Dia Art Foundation[12]. Il dépose des piles de sang animal et de boyaux devant l’établissement, tout en distribuant des survêtements transparent où il était écrit « J'aimerais qu'Ana Mendieta soit toujours en vie. » En , le No Wave Performance Task et un groupe de poètes féministes originaires de New York se rendent à Beacon pour protester contre la rétrospective d'Andre à la DIA:Beacon. Dans la galerie principale, elles hurlent, fabriquent des « siluetas » sur le sol du musée avec de la neige, teintée avec du paprika, des sprinkles et du faux sang[13].

Prix et distinctions

Œuvre

Le travail d'Ana Mendieta, généralement autobiographique, s'inscrit essentiellement dans le champ de la performance et aborde les thèmes du féminisme, de la violence, de la mort et de l'appartenance.

Ses œuvres politiques sont généralement associées aux quatre éléments de la nature et empreintes d'une forte dimension spirituelle[15].

Le travail d'Ana Mendieta est également marqué par la religion et les rites. L'artiste s'intéresse notamment à la Santeria, une religion dont la relation à la femme, la nature ou la sexualité diffère du patriarcat qui marque la doctrine catholique.

Elle se tourne vers la performance en 1972 et réalise la plupart de ses interventions, œuvres, performances et films entre 1972 et 1978. Ses performances comptent encore aujourd'hui parmi les plus radicales de ce mouvement artistique. La représentation des abus sexuels et l'utilisation de sang animal imprègnent un grand nombre de ses œuvres.

Quelques œuvres

En 1972, ses premières performances, Feathers on a Woman et Death of a Chicken, mettent en scène un corps de femme recouvert de plumes blanches ou de sang d'un poulet, fraîchement égorgé entre les mains de la performeuse.

Ces actions reflètent le lien entre le sacrifice animal et le sacrifice des femmes et met au centre la question de l'animalité, la virginité et la création. L'animalité et la virginité sont des thèmes récurrents dans son œuvre et reflètent une volonté de s'approprier et déconstruire la mythologie, notamment le mythe de Leda violée par un cygne[16] ou Europe enlevée par un taureau et soulève la question du rapport érotique entre hommes et femmes, l'humiliation et la réification des femmes.

Dans la série « Facial Variation Cosmetic » (1972), Ana Mendieta colle son visage à une vitre et témoigne d'une volonté de le traverser, le verre symbolisant le mur invisible sur lequel les espérances féminines se heurtent.

Autoportrait en sang

1973 : Untitled (Self Portrait with Blood - Autoportrait en sang) est une photographie en couleur montrant une vue rapprochée du visage d'une jeune femme ruisselant de sang. Elle fait partie d'un groupe d'images qui documentent une performance dans laquelle l'artiste a posé pour l’appareil photo avec du sang coulant sur son visage, son cou et ses vêtements de coton blanc. Sur cette photo la tête est inclinée vers l'arrière mettant en avant ses narines ensanglantées. Ses yeux entrouverts regardent directement le spectateur. Le sang recouvre son front et coule le long de son nez, dans ses lèvres et sur les côtés de son visage, coagulant dans ses longs cheveux noirs. Mendieta a photographié ses performances et ses happenings à l'aide de diapositives 35 mm. Cette image est présente dans la collection de la Tate Modern de Londres. Cette œuvre est dans la lignée des œuvres que Mendieta a créé les années précédentes comme Untitled (Variations esthétiques du visage) où elle pose face à l’objectif, déformant son visage par le maquillage, les perruques et des collants déchirés enfilés sur sa tête.

Siluetas

La série « Siluetas », réalisée entre 1973 et 1980, met en scène des empreintes de son corps, visibles en creux dans la terre et le sable ou réalisées par assemblage de divers éléments naturels. Ces empreintes sont destinées à être éphémères, la nature pouvant reprendre son droit, et sont parfois asexuées. Cette série est imprégnée d'un double mouvement : celui du marquage du corps dans la nature, grâce aux empreintes laissées, mais aussi l'effacement de ce même corps, par leur caractère temporaire.

Performances : 1972-1980 (liste non exhaustive)

  • Feathers on a Woman, 1972
  • Death of a Chicken, 1972
  • Facial Variation Cosmetic, 1972
  • Transplantation de poils faciaux, 1972
  • First Silueta ou Flowers on Body, 1973
  • Rape Scene, 1973
  • Blood and feathers, 1974
  • Sans Titre - Trajectoire de corps, 1974
  • Old Man's Creek, 1976
  • Tree of Life, 1976-1977
  • Siluetas, 1973-1980

Expositions et collections (sélections)

Expositions personnelles et collectives

  • 1980 : Museo de Arte Contemporaneo, Sao Paolo
  • 1987 : The New Museum, New York
  • 1993 : Centre d'art contemporain, île de Vassivière
  • 1996 : Centro Galego de Arte Contemporanea, Compostella
  • 1998 : Museum of Contemporary Art, Los Angeles, California
  • 1999 : MARCO, Monterrey
  • 2001 : Galerie Lelong, Zurich
  • 2004 : Whitney Museum, New York
  • 2005 : The Hirshhorn Museum, Washington
  • 2011 : Galerie Lelong, Paris
  • 2012 : Phoenix Art Museum, Arizona
  • 2013 :
    • Hayward Gallery, Southbank Center, Londres
    • Galerie Lelong, New York
    • Herbert F. Johnson Museum of Art, New York
    • Castello di Rivoli, Turin
    • Tate Modern, Londres
    • Museum of Contemporary Art, Sydney
  • 2014:
    • Prison Sainte Anne,Collection Lambert, Avignon
    • Museum of Contemporary Art Chicago
    • Palais des Beaux-Arts, Bruxelles
    • Museum der Moderne, Salzburg
  • 2015 :
    • Katherine E. Nash Gallery Regis Center for Art, Minnesota
    • Sammlung Verbund, Vienne
  • 2016 :
    • Centre Pompidou, Metz
    • Contemporary Art Center, Bruxelles
    • NSU Art Museum Fort Lauderdale
    • Galerie Lelong, New-York
    • Saint Louis Art Museum, St. Louis, Missouri
  • 2017 :
    • Centre Photographique d'Île-de-France, Pontault-Combault
    • University of California, Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive
  • 2018 :
    • Martin-Gropius-Bau, Berlin
    • Give A Damn, The Frances Young Tang Teaching Museum, Saratoga Springs, New York
    • Ana Mendieta, Carollee Schneemann, Francesca Woodman... Laid Bare in the Landscape Nevada Museum of Art, Reno, Nevada
    • Covered in Time and History: The Films of Ana Mendieta, Jeu de paume, Paris[17]
    • Wilderness, Schirn Kunsthalle, Francfort
    • Cuba & Miami 1981-83, Galerie Lelong & Co, Paris

Rétrospective

En 2017, 23 films sont restaurés et présentés au Berkeley Art Museum and Pacific Film Archive en Californie[18] et en 2018 à Berlin, au Martin-Gropius-Bau[19].

En 2018, une rétrospective de l’œuvre filmée d'Ana Mendieta est présentée au Jeu de Paume à Paris[20].

Collections

  • San Francisco Museum of Modern Art, San Francisco
  • Musée National d'Art Moderne, Paris
  • Kunstmuseum Luzern, Lucerne
  • Museu d'Art Contemporani de Barcelona, Barcelone
  • Cisneros Fontanals Art Foundation, Miami
  • 21st Century Museum of Contemporary Art, Kanazawa

Notes et références

Sources

Notes

  1. Anne Creissels, Prêter son corps au mythe, Editions du Féin, (lire en ligne), p56
  2. Leslie Camhi (June 20, 2004), « Her Body, Herself » New York Times.
  3. (en) « Ana Mendieta », sur le site du Solomon R. Guggenheim Museum, New York, (consulté le ).
  4. (en) Olga Viso, Ana Mendieta : Earth Body, Ostfildern-Ruit, Hatje Cantz Publishers, .
  5. Carl Swanson (April 1, 2012), Maximum Outrage Over Minimalist Sculptor New York Magazine.
  6. Sean O'Hagan (September 21, 2013), « Ana Mendieta: death of an artist foretold in blood » The Guardian.
  7. William Wilson (February 18, 1998), « Haunting Works From Cuban Exile Mendieta », Los Angeles Times.
  8. Vincent Patrick (June 10, 1990), « A Death In The Art World », New York Times.
  9. (en) Ron Sullivan, « Greenwich Village Sculptor Acquitted of Pushing Wife to Her Death », The New York Times, (lire en ligne, consulté le ).
  10. (en) Ronald Sullivan, « Greenwich Village Sculptor Acquitted of Pushing Wife to Her Death », New York Times, (lire en ligne, consulté le )
  11. (en) Gillian Sneed, « The Case of Ana Mendieta », Art In America, (lire en ligne, consulté le )
  12. (en) Jill Steinhauer, « Artists Protest Carl Andre Retrospective With Blood Outside Dia: Chelsea », Hyperallergic, (lire en ligne, consulté le ).
  13. (en) Marisa Crawford, « Crying for Ana Mendieta at the Carl Andre Retrospective », Hyperallergic.com, (lire en ligne).
  14. « Ana Mendieta ».
  15. (en) John Perreault, « Earth and Fire, Mendieta Body of Work », Ana Mendieta: A Retrospective, , p. 10
    Through my earth/body sculptures I become one with the earth… I become an extension of nature and nature becomes an extension of my body. This obsessive act of reasserting my ties with the earth is really the reactivation of primeval beliefs… [in] an omnipresent female force, the after image of being encompasses within the womb, is a manifestation of my thirst for being.

     Anna Mendieta, unpublished statement, quoted by John Perreault

    « Mes sculptures terre/corps constituent un moyen pour ne faire qu'un avec la terre… Ainsi, je deviens une extension de la nature et la nature devient une extension de mon corps. Cet acte obsessionnel de réaffirmer mes liens avec la terre est réellement la réactivation des croyances primordiales. […] une force féminine omniprésente, l'image […] d'être englobée dans l'utérus, est une manifestation de ma soif d'être. »
  16. Anne Creissels, Prêter son corps au mythe. Le féminin et l'art contemporain, Paris, Le Félin, , 112 p. (ISBN 978-2-86645-691-7, lire en ligne), "De Léda à Daphné: Ana Mendieta entre sacrifice et virginité", p. 55-70
  17. Voir sur connaissancedesarts.com.
  18. (en-US) « Bodily Rites: The films of Ana Mendieta », sur artforum.com (consulté le ).
  19. (en-US) « Exhibition // ‘Covered in Time and History: The Films of Ana Mendieta’ at Gropius-Bau », Berlin Art Link, (lire en ligne, consulté le ).
  20. « Ana Mendieta - Le temps et l'histoire me recouvrent - du 16 octobre 2018 au 27 janvier 2019 », sur Le Jeu de Paume, (consulté le )

Annexes

Bibliographie

  • Jane Blocker, Where is Ana Mendieta? Identity, Performativity, and Exile, Duke University Press, 1999
  • Bonnie Clearwater, Ana Mendieta, Ana Mendieta, A Book of Works, Grassfield Press, 1993
  • Anne Creissels, Prêter son corps au mythe, Collection Les marches du temps, Éditions du Félin, 2009
  • Anne Creissels, « Ana Mendieta, ‘déesse mère’ de la performance », Hippocampe, n° 13, printemps 2016, p. 38-47
  • Lynn Lukkas, Raquel Cecilia Mendeta, John Perreault, Howard Oransky, Michael Rush, Rachel Weiss, Wertheim Joseph, Covered in Time and History : The Films of Ana Mendieta, , 2015
  • Christine Redfern, Caro Caron, Who is Ana Mendieta?, Feminist Press, 2011
  • Olga Viso, Unseen Mendieta : The Unpublished Works of Ana Mendieta, Prestel, 2008
  • Cat. expo. Ana Mendieta (texte de Mary Jane Jacob), Galerie Lelong, New York, 1991    
  • Cat. expo. Ana Mendieta (textes de Gloria Moure, Donald Kuspit, Charles Merewether, Mary Sabbatino, Ana Mendieta, Raquelín Mendieta), Centro Galego de Arte Contemporánea, Saint-Jacques-de-Compostelle, -    
  • Cat. expo. Ana Mendieta : Earth Body, Sculpture and Performance 1972-1985 (textes de Olga m. Viso, Guy Brett, Julia P. Hertzberg, Chrissie Iles), Whitney Museum of American Art, New York, 1er juin-    

Liens externes

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