Alexandre Parvus

Israel Lazarevich Gelfand dit Alexandre Parvus (russe : Александр Парвус), né à Berazino (Bierézan), Russie impériale (maintenant Biélorussie) le – mort à Berlin le , est un révolutionnaire et homme politique russe et un social-démocrate allemand.

Biographie

Origines et enfance

Israël Lazarevich Gelfand (en russe : Израиль Лазаревич Гельфанд)[1], surtout connu sous son pseudonyme, Alexandre Parvus, est né de parents juifs le [ ] 1867 dans le shtetl de Berezino, une ville de l'actuelle Biélorussie. Il grandit à Odessa, où il s'associa aux cercles révolutionnaires juifs (le Bund)[2].

Révolutionnaire

En 1886, Parvus, alors âgé de 19 ans, quitta pour la première fois la Russie et se rendit à Bâle, en Suisse[3]. Il y prit connaissance des travaux d'Alexandre Herzen ainsi que de la littérature révolutionnaire de l'époque[4]. Il retourna brièvement en Russie l'année suivante, mais il fut l'objet de la surveillance de la police secrète tsariste et dut quitter à nouveau le pays pour sa sécurité[5]. Il retourna à Bâle où il s'inscrivit à l'université. Au bout de trois ans, il devint docteur en économie en 1891, sa thèse portant sur les problèmes de la division du travail. À cette époque, il était ouvertement marxiste. Il s'installa en Allemagne, adhéra au Parti social-démocrate et se lia d'amitié avec la révolutionnaire allemande Rosa Luxemburg. En 1900, il rencontra Lénine pour la première fois, à Munich, chacun admirant chez l'autre ses travaux théoriques. Parvus encouragea Lénine à publier son journal révolutionnaire Iskra[6].

Les tentatives de Parvus pour devenir un citoyen allemand n'aboutirent pas. Dans une lettre à son ami allemand Wilhelm Liebknecht, il écrivit : « Je suis à la recherche d'un gouvernement où l'on peut à peu de frais acquérir une patrie. »[7]. Il tenta à plusieurs reprises d'émigrer aux États-Unis[citation nécessaire]. Ses compatriotes socialistes révolutionnaires s'employaient déjà à établir un réseau avec la plupart des révolutionnaires juifs aux États-Unis[réf. nécessaire], y compris Léon Trotsky, qui habita brièvement à New York.

Cependant le contre-espionnage allemand avait pénétré une partie du réseau socialiste révolutionnaire. À la lecture des écrits de Parvus publiés dans la presse socialiste pendant la guerre russo-japonaise, il conclut que Parvus prédisait que la Russie perdrait la guerre, ce qui entraînerait des troubles et la révolution. Lorsque ces prédictions se réalisèrent, le prestige de Parvus parmi les socialistes et d'autres camarades allemands s'accrut. Les services de renseignement allemands estimèrent aussitôt que Parvus serait utile dans les efforts contre l'Empire russe.

Pendant ce temps, il développa le concept de l'aide d'une guerre étrangère pour provoquer une révolte interne au sein d'un pays. C'était à ce moment que Parvus raviva la stratégie marxiste de « révolution permanente ». Il communiqua cette philosophie à Trotsky, qui l'étendit et la développa par la suite. Grâce à Trotsky, le concept fut finalement adopté par Lénine et les bolcheviks dans les thèses d'avril de Lénine en 1917[6].

Révolution russe de 1905

En 1905, Parvus arriva à Saint-Pétersbourg avec de faux papiers austro-hongrois. Il était considéré par les marxistes européens de l'époque comme une autorité sur les questions politiques et financières[8]. Aussi, lorsqu'il écrivit en décembre un article provocateur intitulé « Le Manifeste des finances », qui décrit l'économie russe comme étant sur le point de s'effondrer, il reçut une large audience dans la presse. Parallèlement à cette propagande, Parvus coordonna une agitation des habitants feignant une ruée sur les banques. L'hystérie qui suivit réussit à bouleverser l'économie et à enrager le premier ministre Sergei Witte, mais elle ne provoqua pas de crise financière.

À la suite de cette agitation et de l'implication de Parvus dans l'organisation des actions anti-gouvernementales pendant la révolution de 1905, Parvus  et d'autres révolutionnaires, comme Léon Trotsky  fut arrêté par la police russe. En prison, il entra en étroite relation avec d'autres révolutionnaires ; Rosa Luxemburg lui rendit visite[citation nécessaire]. Condamné à trois ans d'exil en Sibérie, Parvus réussit à s'enfuir et émigra en Allemagne, où il publia La Bastille russe pendant la Révolution un livre sur ses expériences.

L'affaire Maxime Gorki

En Allemagne, Parvus conclut un accord avec l'auteur russe Maxime Gorki pour monter sa pièce Les Bas-Fonds. Selon l'accord, la majorité des recettes de la pièce devait aller au Parti social-démocrate russe et environ 25 % à Gorki lui-même. Malgré 500 représentations de la pièce, Parvus ne paya pas et fut accusé d'avoir volé 130 000 marks-or allemands. Gorki menaça Parvus de poursuites, mais Rosa Luxemburg réussit à le convaincre de ne pas ébruiter la querelle à l'extérieur du parti. Parvus remboursa finalement Gorki, mais sa réputation dans les cercles du parti fut ternie.

Période d'Istanbul

Peu de temps après, Parvus s'établit à Istanbul, dans l'Empire ottoman, où il vécut cinq ans. Il y créa une société de commerce d'armes qui lui rapporta beaucoup d'argent pendant la guerre des Balkans. Il devint le conseiller financier et politique des Jeunes Turcs. En 1912, il devint rédacteur de Turk Yurdu, leur quotidien. Il travailla en étroite collaboration avec les triumvirs connus comme les « Trois pachas »  Enver, Talaat et Djemal  et le ministre des Finances Mehmet Djavid Bey. Son entreprise s'occupait de livraisons de denrées alimentaires à l'armée turque et il fut un partenaire d'affaires du Konzern Krupp, de Vickers Limited, et du célèbre trafiquant d'armes Basil Zaharoff[9]. Le trafic d'armes avec Vickers Limited pendant la guerre fournit la base à la théorie selon laquelle Alexandre Parvus était également un agent de renseignement britannique.

Révolution russe de 1917

Alors en Turquie, Parvus entra en relation étroite avec l'ambassadeur allemand, le baron Hans Freiherr von Wangenheim, connu pour être favorable à l'établissement de cinquièmes colonnes révolutionnaires chez les Alliés. C'est ainsi que Parvus proposa un plan à l'état-major allemand par l'intermédiaire du baron von Wangenheim : paralyser la Russie par la grève générale, financée par le gouvernement allemand[10] (qui, à l'époque, était en guerre avec la Russie et ses alliés). Von Wagenheim envoya Parvus à Berlin qui y arriva le et présenta un plan de 20 pages intitulé Préparation de grèves politiques massives en Russie au gouvernement allemand[11].

Dans ce plan détaillé, Parvus recommandait de diviser la Russie en soutenant la fraction bolchevique du Parti ouvrier social-démocrate de Russie, en encourageant le séparatisme ethnique dans diverses régions du pays et en soutenant les auteurs qui critiquaient le tsarisme pendant la guerre. À partir de ses expériences de 1905, Parvus avait conclu que la division de la Russie et sa défaite lors d'une guerre mondiale seraient les meilleurs moyens d'y provoquer une révolution.

L'opération de Copenhague

Certains accusent Parvus d'avoir financé Lénine, alors en Suisse. Une biographie de Parvus par Scharlau (de) et Zeman (en) conclut qu'il y avait une coopération absolue entre les deux hommes et que les services de renseignement autrichiens avaient fourni par l'intermédiaire de Parvus de l'argent aux journaux russes émigrés de Paris. Mais quand les sources de ce financement devinrent claires au début de 1915 et plus largement comprises, Lénine et les émigrés de Paris rejetèrent un tel soutien. Harold Shukman conclut : « Les fonds ne coulaient manifestement pas en masse vers Lénine »[12].

Parvus paria sur Lénine, qui non seulement était un radical, mais était prêt à accepter le parrainage de l'ennemi en temps de guerre entre le tsar et l'Allemagne. Ils se rencontrèrent à Berne en et scellèrent la collaboration entre leurs organisations, mais Lénine évita soigneusement de s'afficher en public aux côtés de Parvus. Il n'y a pas de preuve certaine qu'ils se soient jamais rencontrés face à face, même s'il existe des indications qu'une telle rencontre pourrait bien avoir eu lieu le , pendant l'escale de Lénine à Stockholm[13].

Parvus travailla assidûment à maintenir la confiance de Lénine. Mais ce dernier le tint à cause des liens de Parvus avec les services de renseignements allemands et de ses relations passées avec cet ancien allié qui n'était plus respecté par les socialistes après ses années passées en Turquie et être devenu un entrepreneur millionnaire[14]. Les renseignements allemands mirent en place les réseaux financiers de Parvus via des opérations offshore, à Copenhague, pour que l'argent allemand puisse être transféré en Russie via de fausses transactions financières entre des organisations de façade. Une grande partie des transactions de ces sociétés étaient authentiques, mais celles-ci servirent à cacher le transfert d'argent pour les bolcheviks, stratégie rendue possible par les bureaux fiscaux et douaniers faibles et surchargés des pays scandinaves, inadéquats pour lutter contre le marché noir en plein essor de ces pays pendant la guerre.

On débat encore à l'heure actuelle pour savoir si l'argent de ce réseau financier était en fait d'origine allemande. Les données publiées par le gouvernement de Kerensky en vue d'un procès prévu pour octobre (novembre) 1917 ont été récemment réexaminées et jugées soit non concluantes soit carrément fausses[15] (voir aussi Documents Sisson).

Cependant, des revers survinrent, comme les activités suspectes de contrebande d'armes de Ganetsky, qui attirèrent l'attention indésirable du Secret Intelligence Service britannique qui put alors relier Ganetsky à Parvus et au baron von Wangenheim. Le baron avait longtemps été sous surveillance du fait de son soutien aux actions révolutionnaires des Jeunes Turcs contre les Britanniques. En conséquence Ganetsky fut chassé du Danemark, tandis que les Britanniques et les Russes s'efforcèrent d'éradiquer le réseau financier bolchevik en Turquie. En outre, comme Lénine devenait de plus en plus conscient des relations de Parvus avec les renseignements allemands, leurs relations se tendirent. Perdant la confiance et / ou le contrôle de ses agents, Parvus commença à chercher d'autres moyens de fonctionnement.

La réputation de Parvus auprès du ministère allemand des Affaires étrangères fut remise en question quand à l'hiver 1916, une catastrophe financière prévue par Parvus à Saint-Pétersbourg (apparentée à la provocation contre les banques russes en 1905) ne parvint pas à produire une révolte de masse. En conséquence, le financement des opérations de Parvus fut gelé. Parvus soutint la marine allemande, pour laquelle il travailla brièvement comme conseiller. Il contribua à l'échec de l'offensive navale de l'amiral russe Koltchak contre la flotte turco-allemande dans le Bosphore et les Dardanelles, grâce au sabotage d'un gros navire de guerre russe. Ce succès lui donna encore plus de crédibilité auprès des Allemands.

En , dans un plan élaboré en collaboration avec Parvus, les renseignements allemands transportèrent Lénine et un groupe de trente de ses associés révolutionnaires depuis la Suisse à travers l'Allemagne dans un wagon de train sous la supervision du socialiste suisse Fritz Platten[16]. Léon Trotsky répondit à ces allégations dans le volume 2 du chapitre 4 de son Histoire de la Révolution russe.

Insurrection spartakiste de 1919

L'intensité des liens de Parvus avec les Allemands étant désormais connue, cela ruina également ses relations avec le reste du réseau révolutionnaire, y compris avec Rosa Luxemburg et d'autres socialistes allemands, qui étaient engagés dans la révolution en Allemagne. En dépit des preuves montrant que Parvus n'avait jamais vendu les socialistes allemands aux autorités, sa crédibilité au sein de l'élite révolutionnaire tourna au vinaigre.

Son activité politique déclinant, la fin de la guerre arrivant, il refusa d'aider les nouvelles autorités allemandes à écraser l'insurrection spartakiste et il se retira sur une île allemande, près de Berlin. Malgré son refus d'aider le nouveau régime de la république de Weimar, il ne fut pas inquiété dans son manoir bien aménagé de 32 chambres dans l'île au Paon de Berlin. Plus tard, il publia ses mémoires depuis cette résidence.

Mort et héritage

Parvus mourut à Berlin le . Son corps fut incinéré et enterré dans un cimetière de Berlin. Après sa mort, Konrad Haenisch écrivit dans ses mémoires : « Cet homme possédait le plus habile des cerveaux de la Deuxième Internationale »[17].

De son vivant, la réputation d'Alexandre Parvus parmi ses pairs révolutionnaires s'était ternie à la suite de l'affaire Maxime Gorki et parce qu'il s'était su qu'il était en fait un agent du gouvernement allemand. Toutefois ses compétences en affaires et ses idées révolutionnaires furent appréciées et invoquées par les révolutionnaires russes et allemands et par les Jeunes Turcs. Après la révolution d'Octobre en Russie, pour des raisons politiques évidentes, son rôle fut nié et il fut vilipendé. Cela continua pendant l'ère stalinienne, souvent avec des tonalités antisémites. En Allemagne cependant, il était considéré favorablement. Son nom est souvent utilisé dans les débats politiques modernes en Russie[9].

Curieusement, à sa mort, Parvus ne laissa aucun document et tout son patrimoine était disparu. Ses deux fils survivants devinrent des diplomates soviétiques de haut rang, l'un survécut au Goulag et l'autre disparut[citation nécessaire].

Alexandre Parvus dans la culture populaire

La série télévisée turque Payitaht: Abdülhamid, qui retrace les 13 dernière années du sultan ottoman Abdülhamid II, il est interprété par Kevork Malikyan.

Articles connexes

Notes et références

  1. Son nom est parfois rendu Gelfant, Helfand, Helfant ou Helphand.
  2. (de) Scharlau, Winfried and Zeman, Zbynek A. Freibeuter der Revolution. Parvus-Helphand. Eine politische Biographie (Gebundene Ausgabe), Cologne, 1964 ASIN B0000BN7WQ (The most important biography of the German-Russian-Turkish Social Democrat and Revolutionary Parvus) See also English edition Zbynek Zeman, W. B. Scharlau Merchant of Revolution: Alexander Helphand, 1867-1924 Oxford University Press 318 pages 1965 (ISBN 0192111620) (ISBN 978-0192111623)
  3. Zeman et Scharlau, The Merchant Revolution, pp. 11 et 16.
  4. Zeman et Scharlau, The Merchant Revolution, p. 12.
  5. Zeman et Scharlau, The Merchant Revolution, p. 14.
  6. « Александр Парвус (Израиль Гельфанд) »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?) (consulté le ), Khronos, Accessed September 27, 2009.
  7. L. Shub, « Kupets revoliutsii » (« Marchand de la Révolution »), Novy Zhurnal [New York], vol. 87 (1967), p. 296. Cité dans Александр Парвус (Израиль Гельфанд), Khronos, consulté le 27 septembre 2009.
  8. J.L.H. Keep, The Rise of Social Democracy in Russia, Londres, Oxford University Press, 1963, p. 191.
  9. (ru) (en) Дмитрий Галковский, « Березовский – между Азефом и Парвусом (Berezovsky - between Azef and Parvus) », Деловая газета «Взгляд», (consulté le )
  10. (en) Heinz Schurer, « Alexander Helphand-Parvus–Russian Revolutionary and German Patriot », Vol. 18, No. 4, pages 313-331, Russian Review, (consulté le )
  11. (ru) (en) Александр Парвус, « Подготовка массовой политической забастовки в России (Préparation de grèves politiques massives en Russie) », ХРОНОС, (consulté le )
  12. Harold Shukman, Lenin and the Russian Revolution, Putnam Pub Group, 1967.
  13. Hans Björkegren, Ryska posten: de ryska revolutionärerna i Norden 1906-1917 (en suédois), 1985, Stockholm, Bonnier Fakta ; Parvus envoya un certain nombre de messages à Lénine ce jour-là et essaya d'arranger une réunion, et certaines sources suggèrent que cette rencontre eut effectivement lieu avant le départ de Lénine pour la Russie.
  14. Michael Pearson, The Sealed Train, London, 1975, chap. 4.
  15. (en) Semion Lyandres The Bolsheviks' “German Gold” Revisited: An Inquiry into the 1917 Accusations
  16. (de) Pößneck, Ehrenfried Lenin als Kontrahent von Parvus im Jahr 1917. Schkeuditz : GNN-Verlag, 1997. (ISBN 3-932725-05-0); D. Stove, The question about Parvus (1991).
  17. (de)Haenisch, Konrad Parvus : ein Blatt der Erinnerung. Berlin Verl. für Sozialwissenschaft, 1925

Bibliographie

  • (de) Pößneck, Ehrenfried Lenin als Kontrahent von Parvus im Jahr 1917, GNN-Verlag, Schkeuditz, 1997 (ISBN 3-932725-05-0)
  • (de) Haenisch, Konrad Parvus : ein Blatt der Erinnerung, Verl. für Sozialwissenschaft, Berlin, 1925

Sources

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