Aktion Reinhard

Aktion Reinhard (ou opération Reinhard ou encore action Reinhard en français) est un nom de code qui désigne l'extermination systématique des Juifs, des Roms, des Sintés et des Yéniches du « Gouvernement général de Pologne[alpha 1] » pendant la Seconde Guerre mondiale.

Pour les articles homonymes, voir Reinhard.

Aktion Reinhard
Type Shoah
Pays Pologne
Organisateur Troisième Reich
Date De mars 1942 à octobre 1943
Bilan
Morts 1 600 000 Juifs
50 000 Roms

C'est dans le cadre de l'action Reinhard qu'ont été exterminés environ 1 600 000 Juifs entre [alpha 2] et ainsi que près de 50 000 Roms des cinq districts du « Gouvernement général » (Varsovie, Lublin, Radom, Cracovie et en Galicie) dans trois centres d'extermination nazis : Bełżec, Sobibór et Treblinka.

Cette opération a été baptisée « Aktion Reinhard » peu après l'assassinat en à Prague de Reinhard Heydrich, vice-gouverneur du protectorat de Bohême-Moravie et directeur de l'Office central de la sécurité du Reich (le RSHA), également chargé de l'organisation de la mise en œuvre de la Solution finale[1],[alpha 3].

La place de l'Action Reinhard dans la Shoah

L'opération Reinhard est la première grande étape de la solution finale de la question juive en Pologne. Elle fait entrer le génocide juif dans une phase industrielle avec l'ouverture des centres d'extermination nazis à grande échelle. La construction des camps d'extermination a été décidée peu de temps après l'ordre de la déportation des Juifs allemands, c'est-à-dire mi-. L'action Reinhard pose aussi la question de la date du commencement de la solution finale[4].

La date à laquelle Odilo Globocnik, chef de l’Aktion Reinhard, a reçu de Heinrich Himmler, Reichsführer-SS, l'ordre d'extermination des Juifs ne peut être établie qu'indirectement[alpha 4].

« Rejoignez Globocnik. Le Reichsführer lui a donné des instructions explicites. Allez constater où il en est de sa démarche. »

Quartier général SS de l’Aktion Reinhard à Lublin.

À Lublin, Eichmann aurait été conduit à un camp où Christian Wirth lui aurait expliqué les dispositifs mis en place pour gazer les Juifs (Wirth était le premier commandant du camp de Belzec ; il sera plus tard l'inspecteur de tous les camps de l’Aktion Reinhard. Auparavant il était chargé du « programme d'euthanasie »). Ainsi Globocnik aurait été dès l'été 1941 chargé par Himmler de l'extermination des Juifs.

En faveur de cette thèse plaide aussi le fait que, dès la fin de l'été 1941, Wirth a été muté dans un institut d'euthanasie dans le district de Lublin. Quelques semaines après arrivent d'autres experts inemployés du programme d'euthanasie interrompu en août par Hitler. La construction du premier camp de Belzec a commencé le . Au début, ils n'ont pas su précisément comment mettre techniquement et organisationnellement en œuvre l'extermination des Juifs. Les expériences tirées du programme d'euthanasie n'ont pu être que partiellement utilisées car l'ampleur de l'action Reinhard était beaucoup plus grande.

C'est entre le , date de la conférence de Wannsee et , début des déportations vers Belzec que se situe le début de la mission de Globocnik. Le quartier général est installé à Lublin dans l'ancien collège Stefan Batory renommé « Caserne Julius Schreck » du nom du chauffeur de Hitler jusqu'en 1936[6].

On peut donc considérer que la solution finale de la question juive en Pologne s'est déroulée en trois temps : les débuts de la conquête à l'Est avec les massacres commis par les Einsatzgruppen, le camp de Belzec de mars à et enfin la mise en place des camps de Sobibor et Treblinka entre et .

Les étapes de l'opération

La première étape est la planification du meurtre de masse. Elle trouve son origine dans la conférence de Wannsee même si les préparatifs ont commencé au moins deux mois plus tôt. Les membres de l’Aktion T4 rejoignent l'opération Reinhard au cours du premier semestre 1942. L'objectif est de mener une opération rapide.

La deuxième étape consiste à convoyer et tuer les Juifs polonais. Cette extermination a lieu dans trois centres de mise à mort : Belzec, Sobibor et Treblinka. Les nazis augmentent rapidement les capacités de mise à mort des centres. Par exemple à Belzec on passe d'une capacité d’assassinat de 600 victimes à l'heure, à 2 300 puis 3 800[7]. C'est à Sobibor que commence la mise à mort industrielle. La direction des chemins de fer de l'Est assure sans interruption les mouvements des convois. Ils sont identifiés par des codes spécifiques suivant leur origine géographique.

L'opération Reinhard prend fin en sur ordre de Himmler. Les nazis décident alors d'effacer les traces de leurs crimes en brûlant les corps. En fait, les opérations avaient commencé avant. La date officielle de la fin de l'opération Reinhard est le [8].

Effectifs

Pour exterminer plus de deux millions de Juifs dans le Gouvernement général de Pologne, les nazis ont en réalité eu recours à un nombre d'hommes assez peu important.

Le personnel allemand

Pour le personnel allemand, l'historien Yitzhak Arad en établit le total à 450 hommes, dont[9] :

Les membres du programme T4, environ 92 personnes, furent chargés des postes clés ayant trait à la mise en place des camps et à la conduite des techniques d'extermination dont ils avaient acquis l'expérience auparavant. La participation à l’Aktion Reinhard était « volontaire »[réf. nécessaire]. Franz Stangl a expliqué qu'ayant eu le choix en au terme de l’action T4 entre une affectation à Lublin et le retour à son poste initial à Linz, il choisit Lublin mais qu'il ne découvrit de quoi il s'agissait réellement qu'une fois sur place au camp de Sobibor[10].

Incorporés dans la SS, ces hommes étaient placés localement sous les ordres de Globocnik et de son adjoint Hermann Höfle mais dépendaient toujours formellement du programme d'euthanasie et de leur supérieur direct Viktor Brack quant à leur carrière et en matière personnelle (prime de salaire, courrier)[11],[12],[alpha 5]. T4 livrait également[réf. nécessaire] des suppléments de nourriture et quelques extras (comme de grandes quantités d'eau-de-vie qui permettaient de mieux « endurer » le travail meurtrier).

Tous devaient signer dans le bureau de Höfle un engagement de respect du secret[13] par lequel chaque signataire reconnaissait notamment :

« n'avoir en aucun cas le droit de transmettre à qui que ce soit, hors du cercle du personnel de l'Einsatz [opération ou plutôt en terme militaire : engagement] Reinhard, le moindre renseignement, par oral ou par écrit, sur l'évolution, sur la procédure ou sur les incidents liés à l'évacuation des Juifs ; »

et

« que le processus d'évacuation des Juifs est un sujet classé sous la rubrique « Document secret du Reich », en vertu des règlements sur la censure […] »

Bien qu'il ait été explicitement interdit de prendre des photographies des opérations, plusieurs clichés pris à Treblinka ont été retrouvés dans les années 1950 dans l'album personnel de Kurt Franz[14]. Dans le même ordre d'idées, les consignes quant à la corruption furent fréquemment ignorées et une partie des biens et des valeurs pris aux victimes furent détournés lors des expulsions ou dans les camps[15].

Les auxiliaires

Il s'y ajoute environ un millier d'auxiliaires volontaires des pays baltes et de l’Union soviétique conquise, souvent des prisonniers de guerre soviétiques, les Hilfswillige ou « volontaires », qu’on appelle aussi les « noirs », car ils portent un uniforme de cette couleur, ou Trawnikis[16], qui ont constitué une force employée pour les déportations depuis les ghettos et les exécutions de masse, tel John Demjanjuk. Chaque camp de l'action Reinhard était doté d'une compagnie de 90 à 130 auxiliaires sous les ordres d'une trentaine d'officiers et sous-officiers SS[17].

Les victimes

Les Juifs

Le nombre de Juifs tués s'élève au minimum à 1,6 million. Le Dictionnaire de la Shoah parle, lui, de 2,5 millions de morts sur la totalité de l'opération[18]. Odilo Globocnik a déclaré en , alors qu'il était en fuite sur le Wörthersee et qu'il se cachait chez une connaissance antérieure, que deux millions de Juifs avaient été liquidés.

Les aspects économiques

Depuis Trieste, le , Globocnik rend compte dans une lettre adressée à Himmler qu'il a terminé le l’Aktion Reinhard menée dans le Gouvernement général de Pologne et dissous tous les camps[19]. Il a également envoyé un rapport conclusif de synthèse.

Dans sa lettre de réponse Himmler a remercié Globocnik et lui a exprimé sa reconnaissance pour les services rendus au peuple allemand.

De fait l’Aktion Reinhard a rapporté d'énormes revenus au Troisième Reich[réf. nécessaire]. Dès l'été 1942 près de 50 000 000 Reichsmarks en billets, devises, pièces et bijoux et aussi environ 1 000 wagons de textiles, dont 300 000 vêtements neufs avaient été collectés.

Ces comptes sont à coup sûr sous-évalués. Ils ne comprennent pas en effet les biens, en particulier immobiliers, dont beaucoup de Juifs ont été spoliés depuis l'arrivée d'Hitler au pouvoir, en particulier les entreprises cédées de force et très en dessous de leur valeur. Ils ne comprennent pas non plus tous les biens meubles (mobilier, valeurs, vêtements) saisis par les différents services chargés de la déportation, pour leur propre équipement, ni tous ceux qui ont été subtilisés par les membres de ces services, à leur profit personnel[12].

Globocnik avait ordonné la constitution d'un fichier central pour recenser les biens juifs volés. Mais les gardes prenaient tout ce dont ils pouvaient avoir besoin.

Un décompte final du a donné les valeurs suivantes :

Synthèse
Type de biens Sommes (en RM)
Argent collecté73 852 080,74
Métaux précieux8 973 651,60
Devises4 521 224,13
Devises-or1 736 554,12
Bijoux et valeurs diverses43 662 450,00
Textiles46 000 000,00
Total178 745 960,59

Ces valeurs ont pu être placées sur les comptes de la Reichsbank sous le faux nom de Max Heiliger grâce au dispositif mis en place par son président Walther Funk et Heinrich Himmler. Odilo Globocnik est véritablement celui qui a conduit l’Aktion Reinhard. C'est lui qui a imposé aux intérêts économiques d'autres secteurs du Reich et aussi à la Wehrmacht l'assassinat de Juifs qui travaillaient dans des entreprises pourtant indispensables à l'effort de guerre[réf. nécessaire].

L'action Erntefest

À l’Aktion Reinhard est également rattachée l’Aktion Erntefest qui n'a cependant pas été menée par les mêmes personnes. Début , dans le district de Lublin, presque tous les Juifs encore vivants ont été tués dans les camps en l'espace de deux jours.

Notes et références

Notes

  1. Partie de la Pologne occupée par l'Allemagne, qui n'a pas été formellement annexée au Troisième Reich.
  2. La déportation des Juifs de Lublin le vers Belzec marque le début de l'opération Reinhard.
  3. Selon É. Husson il fait peu de doute que c'est en hommage à Reinhard Heydrich et non à Fritz Reinhardt, secrétaire d'État du ministère des Finances[2] ; le camp d'extermination de Belzec, intégré plus tard à l’Aktion Reinhard, a été conçu initialement par Odilo Globocnik dans le cadre de la colonisation allemande dans la région de Lublin[3].
  4. Certains historiens émettent l'hypothèse que Himmler a donné à Odilo Globocnik un ordre écrit mais que celui-ci aurait été détruit par Himmler en 1943[5].
  5. Hilberg note cependant que leur promotion dans la SS se heurta à des réticences de la part du RSHA.

Références

  1. Husson 2012, p. 561.
  2. Husson 2012, p. 685.
  3. Husson 2012, p. 548.
  4. Dictionnaire de la Shoah, p. 377.
  5. Kogon, Langbein et Ruckerl 2000, p. 134.
  6. Poprzeczny 2004, p. 200.
  7. Dictionnaire de la Shoah, p. 381.
  8. Dictionnaire de la Shoah, p. 382.
  9. Arad 1999, p. 17, 191-198.
  10. Sereny 2013, p. 84, 108-118.
  11. Sereny 2013, p. 18.
  12. Hilberg 1991, p. à préciser.
  13. Formulaire du cité dans Breitman 2009, p. 286.
  14. Dick de Mildt, Martinus Nijhoff, In the Name of the People: Perpetrators of Genocide in the Reflection of their Post-war Prosecution in West Germany, 1996, p. 256.
  15. Arad 1999, p. 161-164.
  16. Dictionnaire de la Shoah, p. 333.
  17. Arad 1999, p. 19-22.
  18. Dictionnaire de la Shoah, p. 383.
  19. Document original au United States Document center, Berlin.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie

  • Uwe Dietrich Adam, « Les chambres à gaz », dans L'Allemagne nazie et le Génocide juif, Paris, Gallimard, Le Seuil, , 600 p. (ISBN 978-2-020-08985-2).
  • (en) Yitzhak Arad, Belzec, Sobibor, Treblinka the Operation Reinhard death camps, Bloomington, Indiana University Press, (1re éd. 1987), 437 p. (ISBN 978-0-253-34293-5, OCLC 906479054).
  • Georges Bensoussan (dir.), Jean-Marc Dreyfus (dir.), Édouard Husson (dir.) et al., Dictionnaire de la Shoah, Paris, Larousse, coll. « À présent », , 638 p. (ISBN 978-2-035-83781-3), p. 377.
  • Richard Breitman (trad. Claire Darmon), Himmler et la Solution finale : l'architecte du génocide, Paris, Calmann-Lévy, coll. « Mémorial de la Shoah », , 384 p. (ISBN 978-2-702-14020-8, OCLC 352679750).
  • Christopher Browning Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale en Pologne, traduit de l'anglais par Élie Barnavi, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Les Belles Lettres, Collection Histoire, 1994, 284 pages.
  • Raul Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, Paris, Gallimard (en deux volumes), coll. « Folio Histoire », , 2e éd. (1re éd. 1988, Fayard), 1098 p. (ISBN 978-2-070-32710-2, OCLC 919742901) 3e édition en trois volumes chez Gallimard, coll. « Folio Histoire », 2006.
  • Édouard Husson (préf. Ian Kershaw, postface Jean-Paul Bled), Heydrich et la Solution finale, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 422), , 751 p. (ISBN 978-2-262-02719-3, OCLC 880822191).
  • Eugen Kogon, Hermann Langbein et Adalbert Ruckerl (trad. Henry Rollet), Les Chambres à gaz, secret d’état, Paris, Le Seuil, coll. « Actuels », (1re éd. 1987, coll. « Histoire »), 313 p. (ISBN 978-2-020-40960-5, OCLC 493276683) — voir notamment le chap. VI, en ligne.
  • (en) Joseph Poprzeczny, Odilo Globocnik, Hitler's man in the East, Jefferson, N.C., McFarland, , 439 p. (ISBN 978-0-786-41625-7, OCLC 238565399, lire en ligne).
  • Gitta Sereny (trad. Colette Audry), Au fond des ténèbres : un bourreau parle, Franz Stangl, commandant de Treblinka [« Into that darkness »], Paris, Tallandier, coll. « Texto : le goût de l'histoire », , 559 p. (ISBN 979-1-021-00064-3, OCLC 843365805).
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