Affaire Vandersmissen

L'affaire Vandersmissen est une affaire médiatico-judiciaire belge qui défraya la chronique en 1886. La nuit du au , l'avocat et député Gustave Vandersmissen assassine son ex-épouse volage, la soprano Alice Renaud[1],[2].

Affaire Vandersmissen

Attentat commis par Vandersmissen sur son épouse Alice Renaud (gravure anonyme qui circulait à l'époque)

Fait reproché Meurtre
Chefs d'accusation Assassinat
Pays Belgique
Ville Bruxelles
Nature de l'arme Arme de poing
Date
Nombre de victimes Une, Alice Renaud
Jugement
Statut Gustave Vandersmissen est condamné à 15 ans de réclusion ramenés à 10 en appel à la suite d'un vice de procédure.
Tribunal Cour d'assise du Brabant
Date du jugement du au

Les protagonistes

Alice Renaud

En 1872, alors qu'elle avait 17 ans, Alice Renaud rencontre Félicien Rops, de 22 ans son aîné. Ils deviennent amants. Il l'appelait sa jeune puberté et elle, mon professeur de débauche[1],[2]. Il finance ses études musicales et la fait engager au théâtre de la Monnaie. Ils se séparent en 1876. Alice Renaud rencontre Gustave Vandersmissen l'année suivante, en 1877. En 1879, entre leur mariage religieux et leur mariage civil, elle trompe son mari avec un libertin notoire qui fera également partie des XVI députés indépendants. En 1883, elle revoit Félicien Rops avec lequel elle entretient une correspondance enflammée. « Reviens. Je t'aime encore. Souviens-toi de mes beaux seins blancs. Ils sont plus beaux encore à présent. »[1].

Gustave Vandersmissen

Après des humanités chez les Jésuites, Gustave Vandersmissen étudie le droit à Saint-Louis puis à l'Université de Louvain. Le , lors d'une représentation au Théâtre de la Monnaie de l'opéra Carmen de Georges Bizet, il est subjugué par la comédienne qui tient le rôle de Micaela. Il fait fréquemment le trajet depuis Louvain pour assister à ses spectacles où il découvre la soprano dans différents rôles. Docteur en Droit, il s'installe d'abord à Gand et commence à exercer en tant qu'avocat et à s'investir en politique aux côtés des Catholiques. Il la rencontre encore à Gand lors d'une représentation et même à Alost, lors d'un gala de charité. Une relation tout d'abord platonique se noue alors entre eux.

Gustave Vandersmissen est issu d'une grande famille d'industriels alostoise. Cette dernière s'oppose à ce qu'elle considère être une mésalliance. Gustave Vandersmissen se rend alors aux Pays-Bas où il n'est pas nécessaire de disposer de l'assentiment des parents et épouse religieusement la comédienne Alice Renaud[Note 1] le . Un an plus tard, le , ils se marient civilement à Bruxelles non sans avoir connu une ultime tentative de la famille toujours désireuse de s'y opposer. Le couple ayant vécu un temps chez la mère d'Alice Renaud s'installe à Saint-Josse, au 26 chaussée de Louvain[1],[2].

En 1881 une fille naît de leur union, Madeleine. Cette même année il est élu conseiller communal et en 1882, conseiller provincial. Il se présente lors du scrutin du 10 juin 1884 et intègre l'équipe des seize députés indépendants rattachés au parti catholique (les XVI[Note 2]). Issu d'un milieu d'industriels à tendance libérale, ceci sera vécu dans le camp des libéraux comme une trahison[1].

Les prémices

Alice Renaud en costume de scène.

Avocat, Gustave Vandersmissen, propose un jour ses services au vicomte Edgard Dupleix de Cadignan. Il obtient son acquittement en seconde instance. Le , Dupleix de Cadignan dîne pour la première fois chez les Vandersmissen, il devient un intime du couple et davantage encore puisqu'une idylle ne tarde pas à se nouer entre lui et la peu conventionnelle Madame Vandersmissen, comédienne bien en vue dans la vie bruxelloise. Elle a notamment été la maîtresse de Félicien Rops et entretient toujours avec lui des échanges épistolaires.

Edgard Dupleix de Cadignan, personnage trouble, condamné à de multiples reprises à la suite de malversations financières, annonce dans la presse qu'il a bien des révélations à faire sur l'épouse du député Vandersmissen et la relation qu'il a entretenue avec elle. Vandersmissen répudie sa femme et entame une procédure de divorce en . Elle proteste, clame son innocence dans des lettres enflammées. Gustave Vandersmissen ne sait plus que penser, mais accepte de revoir sa femme en secret. Si cela devait se savoir, cela le déshonorerait et la presse se déchaînerait contre lui.

Le procès de Cadignan débute le , Vandersmissen est l'un des plaignants. Cadignan est condamné pour escroquerie à 18 mois de prison mais introduit une plainte contre Vandersmissen pour violation du secret professionnel. Vandersmissen doit s'en expliquer devant le Conseil de l'Ordre des avocats de Bruxelles. Il est blanchi mais l'affaire est déjà bien médiatisée. Vandersmissen souhaite que la procédure de divorce soit maintenue pour que son épouse puisse faire état de sa bonne foi et par conséquent rendrait caduque la demande de divorce. De cette manière, l'honneur de sa femme retrouvé, rien ne s'opposerait donc à ce qu'il la reprenne sous son toit. Le , en appel, Edgard Dupleix de Cadignan, voit sa peine alourdie et passée à trente mois de réclusion.

Alice loue une petite chambre à l'angle de la rue Verte et de la rue de la Fraternité. Gustave lui rend visite tous les jours. Cadignan, emprisonné continue à harceler Vandersmissen par presse interposée expliquant à qui voulait l'entendre combien complaisant il avait été à l'égard de la relation que sa femme entretenait avec lui. De son côté, Alice Renaud souhaite vivement que son mari mette un terme à la procédure de divorce. Elle menace de divulguer dans la presse leur liaison secrète. À cette époque, il passe également devant le conseil de l'Ordre. Il est interrogé sur ce qui allait devenir l'affaire Vandersmissen. Lorsqu'on le questionne sur les rumeurs de réconciliation avec son épouse, il nie tout en bloc. Alice accepte de le couvrir dans ce parjure mais revoit ensuite sa position et envisage de plaider la réconciliation : lors de la première comparution fixée au dans le cadre de la procédure de divorce, les mensonges et le parjure de Gustave Vandersmissen seraient alors connus de tous. Il est impératif d'obtenir de son épouse qu'elle change sa ligne de défense. Le , Gustave se rend chez ses frères pour y trouver un peu d'appui mais ceux-ci l'éconduisent en le traitant de lâche et de menteur et en le reniant. Rentré à Bruxelles, il achète l'édition du soir du journal La Nation où il découvre, exposé dans un entrefilet, son déshonneur rendu public. Il fouille le secrétaire de son épouse, chose qu'il s'était toujours refuser de faire, et découvre la correspondance de sa femme et de Félicien Rops. Tout s'effondre, elle lui ment depuis le début[1],[2].

Le meurtre

Le lieu du drame, la maison à l'angle de la rue Verte et de la rue de la Fraternité
la maison blanche en haut à droite
british Bulldog (arme de poing à cinq coups) (1870)

Peu après minuit, le il arrive chez sa femme : elle est en robe de nuit, tenant un bougeoir à la main. Il l'interpelle tout de suite en lui montrant l'exemplaire de La Nation. Le ton monte, il menace de la tuer, elle lui rétorque qu'il en serait incapable, il insiste et lui propose si elle le souhaite de laisser un mot. Il sort son revolver British Bull Dog. Sentant qu'il allait tirer, elle souffle la bougie, il tire à bout portant. Sous l'impact, la robe de nuit prend feu, Alice Renaud s'enfuit vers la cave, il la suit et tire encore à quatre reprises. Quatre balles l'atteindront. Elle remonte en courant de la cave et s'enfuit dans la rue ou elle se jette dans les bras d'un policier qui éteint sa chemise en feu. Le policier la dépose sur le trottoir pour désarmer son poursuivant tandis qu'elle clame "ce n'est pas mon mari qui m'a tuée, c'est un inconnu". Lui explique, c'est moi, le représentant Vandersmissen[Note 3], j'ai tué ma femme. Elle est emmenée à l’hôpital où elle mourra des suites de ses blessures treize jours plus tard[1],[2].

Le jugement

Le procès se déroula du au . Ses défenseurs sont Jules Le Jeune et Georges de Ro. Le président est M. De le Court, l'avocat général est Auguste van Maldeghem. Gustave Vandersmissen est condamné à 15 années de réclusion en première instance. En appel, devant la cour d'assise de Mons, la peine est réduite à dix années. Cette réduction de peine s'explique par le fait que son avocat en appel, maître Adolphe Englebienne, utilisa un argument que son premier avocat, Jules Le Jeune s'était refusé à employer : faire état de l'absence de moralité de Madame Renaud. Sa correspondance avec Félicien Rops est ainsi remise aux jurés lors du procès en appel. Il la présenta donc sous les traits d'une « gourgandine » et salit au passage la réputation de Félicien Rops qui avait été l'amant de l'épouse infidèle, Alice Renaud tandis qu'elle n'avait que 17 ans. Dans la presse, il parle même de l'infâme Fély.

Félicien Rops use d'un droit de réponse et veut en découdre avec Alphonse Englebienne en duel. À cette fin, Félicien Rops quitte Paris et se rend à Bruxelles. Le duel n'aura cependant finalement pas lieu, l'offensé ayant préféré s'en retourner à Paris[4],[1]. Finalement, Jules Le Jeune, son premier avocat, étant devenu ministre de la Justice, il fait passer la Loi Lejeune en permettant à certains détenus de bénéficier d'une libération conditionnelle. Vandersmissen bénéficie de la mesure et est libéré après deux années de détention[1],[2].

Le procès fut très largement couvert par la presse internationale.

Après l'Affaire

Gustave Vandersmissen part s'installer en France où il exerce à nouveau comme avocat. Il se remarie avec Jeanne Prié qui décèdera en 1919. Le , il épouse à Paris en troisièmes noces Marie Emma Joséphine Gounand. Il meurt le [2].

Le rôle de la presse

Félicien Rops, La Dame au pantin, 1877.
Droit de réponse exercé par Félicien Rops in La Réforme du 24 octobre 1886 faisant suite aux attaques de maître Englebienne devant les assises de Mons.

La presse a joué un rôle déterminant qui ira bien au-delà d'un simple écho rendu à cette affaire. En effet, dès le mois de , la presse libérale se déchaîne à l'encontre de Gustave Vandersmissen. Le journal La Réforme met littéralement Vandersmissen sous pression, quelques heures avant le meurtre, le journal La Nation publie un entrefilet incendiaire qui déclenchera la funeste colère de Gustave Vandersmissen. Le journal est d'ailleurs retrouvé froissé sur le lieu du crime[2].

L'affaire Peltzer avait défrayé la chronique en 1882 et poussé la presse catholique à prendre position de manière virulente à l'encontre de la famille Peltzer. Avec l'affaire Vandersmissen, l'époque de la vengeance a sonné et déclenche la riposte de la presse libérale à l'encontre de Gustave Vandersmissen qui dira « C'est un meurtre que la presse aura sur la conscience »[2].

Tous les ingrédients dans cette affaire médiatico-judiciaire sont réunis et expliquent la déferlante médiatique qui conduira finalement au drame: les clivages politiques, l'opinion publique, la justice de classe et la personnalité même des protagonistes, personnages notoires dans la sphère politique pour l'un et artistique pour l'autre[2].

Notes

  1. De son vrai nom, Rufine Renaud[3]
  2. MM. Bilaut, de Borchgrave, Delebecque, de Merode, De Smedt, d'Oultremont (comte A.), Henrard, Merjay, Parmentier, Renson, Simons, Slingeneyer, Somzé, Stroobant, Systermans, et Vandersmissen.
  3. Au sens de membre de la Chambre des représentants

Références

  1. Liliane Schraûwen, Les grandes affaires criminelles de Belgique, éditions de Borée, 2014, p. 384.
  2. Paul Aron, l’affaire Vandersmissen, Du fait divers médiatique à la littérature judiciaire, FNRS-Université libre de Bruxelles, Centre Philixte.
  3. Le Guide musical, Éditeur Lombaerts, 1886
  4. Marcel Englebienne, Adolphe Englebienne (1844-1906), Hainaut Culture et Démocratie, 2012, p. 156.

Annexes

Bibliographie


Articles connexes

Liens externes

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