Abri Fritsch

L'abri Fritsch, qui fait partie du site des Roches[1] avec l'abri Charbonnier, est un abri sous roche sur la commune de Pouligny-Saint-Pierre dans l'Indre, région Centre-Val de Loire, France.

Son industrie lithique a servi de base à Allain (1967) pour définir et faire l'analyse technologique, typologique et culturelle du Badegoulien.

L'abri Fritsch et l'abri Charbonnier sont deux sites fondamentaux et complémentaires pour l'étude de la deuxième partie du Paléolithique supérieur[2].

Situation

Le site des Roches se trouve sur la commune de Pouligny-Saint-Pierre à 2,7 km au sud-ouest du bourg, près du hameau des Roches, en rive droite (côté nord-est) de la rivière Creuse. Un long pan de falaise fait face au sud, avec à son pied la route D950 longeant la rivière[3]. Deux abris sous roche s'y trouvent : l'abri Fritsch et l'abri Charbonnier[2].

Description

En 1967 Allain dit de la grotte qu'il ressemble à un « hémicycle de 8 à 9 m de diamètre, orienté plein sud, dont le fond est percé de galeries communiquant avec la grotte contiguë »[4].

Historique

L'abri Charbonnier est connu comme site préhistorique depuis les fouilles de Charbonnier en 1903 et celles de Septier en 1904. Vers 1936, une couche apparemment remaniée de l'abri Fritsch livre à l'abbé Vigneau deux fragments d'une belle feuille de laurier R. Fritsch, raisonnant que d'autres sites préhistoriques doivent se trouver aux environs proches, commence des sondages en 1957. Le ses fils Claude et Raymond découvrent près du pilier ouest du porche de l'abri une couche en place, ocreuse, masquée par d'énormes éboulis sur pente. Malgré les pillards et la chute d'un grand bloc de voûte en 1961, Fritsch met en évidence une stratigraphie en 1961 et contacte Jacques Allain pour maîtriser la suite des travaux[5].

L'abri Fritsch est fouillé à partir de 1963 par le Dr Jacques Allain en compagnie de l'inventeur[5]. Ils trouvent des remplissages instables dans un réseau karstique altéré, en partie effondré.

En 1967 Arlette Leroi-Gourhan en fait l'analyse pollinique ; mais seulement sur la séquence Badegoulien - Solutréen, les autres niveaux étant encore inconnus à cette date[6].

Importance de l'abri dans l'histoire de la préhistoire

Son industrie lithique sert de base à Allain (1967)[7] pour définir le Badegoulien et en faire l'analyse technologique, typologique et culturelle. Notamment, l'abri lui permet d'établir des coupes mettant crucialement en évidence la séquence chronoculturelle différenciant le Badegoulien du Solutréen qui le précède, grâce à l'industrie lithique : approvisionnement différent en silex, burins transversaux, burins sur coche, absence de lamelles à dos et d'outils à retouche solutréenne, apparition de la raclette et son abondance dans les derniers niveaux badegouliens ; et la différence avec le Magdalénien grâce à l'industrie osseuse et plus précisément par le travail des bois de renne : au Badegoulien ce dernier est débité par percussion directe alors qu'au Magdalénien il est débité par double rainurage[8].

Datations

Plusieurs datations ont été effectuées. La première, faite par Georgette Delibrias et Jacques Évin sur un morceau d'os carbonisé (pièce no GRN 5499) de la couche 8d, donne 19 280 ± 230 ans AP, et a été reprise par plusieurs auteurs (dont Pérez & Jorda Cerda 1976[9]). Entre 1974 et 1980, Évin effectue d'autres datations sur le collagène d'os des niveaux supérieurs[10] ,[11].

Stratigraphie, occupation, climat

Le site des Roches est caractérisé par son épaisseur stratigraphique importante qui amène des strates multiples, et l'autonomie typologique flagrante du Badegoulien qui est clairement isolé du Magdalénien ultérieur autant que du Solutréen qui le précède.

Même à Laugerie-Haute et à Badegoule, entre le Solutréen supérieur et les premières raclettes, les sédiments accumulés n'excèdent guère le mètre. Partout ailleurs, à notre connaissance, les couches en grotte ont une faible puissance, quarante cm en moyenne. La stratigraphie en est plus simple, souvent indissociable.

« le Solutréen s'est vraiment fait attendre » [12].

Le développement des couches badegouliennes les plus riches, les plus habitées s'est fait pendant une période relativement tempérée[13].

En 1978 les principaux éléments stratigraphiques sont :

Niveau 1

Couche récente pratiquement stérile, limoneuse[4], subdivisée en plusieurs strates par de petits lits graveleux[14].

Niveau 2

Peut-être magdalénien (opinion réservée en 1967). Couche partiellement calcitée à gros blocs liés par une terre argilo-calcaire[14].

Niveau 3
  • Niveau 3a
Badegoulien à raclettes très abondantes[10], avec apparition de la première raclette lors des fouilles Allain[15]. Couche grise à cailloutis calcaire enrobant quelques blocs plus volumineux. [14]. Collagène sur pièce Ly 1121 daté à 17 130 ± 550 ans AP (15 180 BC)[10].
  • Niveau 3b
Couche jaune de structure analogue à la précédente[14], ainsi que la quantité de raclettes[15].
Niveau 4

Badegoulien à raclettes[10] bien que cet outil soit moins abondant que dans le niveau 3[15]. Couche pierreuse, lâche, presque dépourvue d'éléments fins, rouge ocreuse[14]. Collagène sur pièce Ly 1122 daté à 16 530 ± 350 ans AP (14 580 BC)[10],[11].

Niveau 5
  • Niveau 5a
Couche brunâtre avec assez forte proportion d'argile emballant une grosse blocaille anguleuse[14]. Les premières raclettes apparaissent (3 spécimens recueillis jusqu'en 1967) mais elles sont plus grandes que celles des niveaux sus-jacents et un peu atypiques par les dimensions de leur retouche[16].
  • Niveau 5b
Badegoulien à raclettes rares et atypiques[10]. Sol en place piétiné, très compact (difficile à fouiller), argileux, d'un rouge franc facilement dissociable des couches sus et sous-jacentes[14]. Pièce Ly 1123 datée à 17 280 ± 350 ans AP (15 330 BC)[10].
  • 5c
Couche argileuse jaunâtre contenant quelques pierrailles, pratiquement stérile[14].
  • 5 d
Couche brunâtre, mince, plus lâche que la précédente, rappelant la couche 5a comme aspect et comme consistance[14].
Niveau 6

Badegoulien ancien sans raclettes[10]. Constituée au seuil de l'abri par un éboulis pierreux et lâche, cette couche d'un rouge intense, devient, dans la coupe, plus argileuse et plus compacte[14]. Elle a livré 41 outils lithiques jusqu'en 1967[16], une énorme base de sagaie en lancette non striée, et une jolie baguette aplatie aux deux extrémités et qui évoque une petite spatule[12]. Collagène sur pièce Ly 1124 BP daté à 17 960 ± 350 ans AP (16 030 BC)[10].

Cette période débute en même temps que le climat s'adoucit : chênes, le pin maritime, lierre en sous-bois, ont recolonisé les coteaux des Roches[13].

Niveau 7

Sa surface se présente comme un voile ocreux parsemé de petits fragments charbonneux. Ces deux dernières couches ont une structure sédimentaire identique très différente des couches sus-jacentes. Les dimensions moyennes de la blocaille sont nettement plus grandes. Les arêtes ne sont plus vives mais nettement émoussées. La menue pierraille de 1 à 2 cm, jusque-là très abondante, disparaît presque complètement[14].

  • Niveau 7a
Solutréen[10] (mais est pratiquement stérile)[14]. Il inclut la phase la plus froide de toute la séquence Badegoulien - Solutréen, qui apparaît à 1,65 m de profondeur, dans un paysage de steppe sèche avec seulement % d'arbres, principalement des pins et quelques aulnes et bouleaux, sans saules ni cypéracées (donc non humide). 72 % des herbacées sont des composées-liguliflores[n 1],[17].
  • Niveau 7b
Solutréen[10].

La fin du Solutréen est à environ 1,80 m de profondeur[18]. Flore associée : 19 % d'arbres dont 11,5 % de pins sylvestres[17].

Niveau 8

Couche à gros éléments calcaires emballés dans un sédiment argilo-calcaire rappelant les couches 7 a et 7 b. Amorce de foyer[14].

  • Niveau 8d
Solutréen à pointes à cran[10]. Collagène sur pièce GRN 5499 BP daté à 19 280 ± 230 ans AP (17 230 BC)[10].
Niveau 9

Solutréen également[10]. Couche de texture analogue mais nettement ocreuse[14]. Jusqu'en 1978 il n'a pas fourni de pointes à cran[10]. Apparition d'un morceau de feuille de laurier lors des fouilles Allain, similaire à celle trouvée par l'abbé Vigneau, évoquant le Solutréen supérieur mais non final selon Allain (1967)[15].

Niveau 10

Blocaille assez lâche avec argile d'épaisseur inconnue[14].

Les aiguilles à chas en os se trouvent à tous les niveaux (pour ceux connus en 1967)[12].

Le premier outil aurignacien trouvé lors des fouilles Allain, sans plus de précision que dans un « fatras de gros outils massifs et souvent multiples » de l'un des 6 niveaux supérieurs, est un grattoir « aux bords largement écaillés d'une belle retouche aurignacienne »[15]. Quelques pièces sont nettement moustéroïdes, distinguables d'une pierre naturelle seulement par un pan de frappe. Ces pièces et d'autres sont parfois façonnées sur calcaire dur, qui ne provient pas de la roche dans laquelle est creusé l'abri[15]. C'est un calcaire dur à grain très fin ; on en retrouve des nodules dont la taille va du volume du poing à la tête d'un enfant, présents occasionnellement dans les couches[16].

Faune

Le cheval et le renne sont présents à tous les niveaux, mais les bois de renne ont été assez peu utilisés : les niveaux 3 a, 3 b ont donné quelques sagaies à base arrondie ou baguettes. Selon Allain (1967), le bouquetin n'est présent que jusqu'à la couche 7b[16].

Art et objets inusités

Une pointe de sagaie en bois de renne du niveau 3 a ou 3 b est ornée latéralement de parenthèses accolées. Une autre a un décor punctiforme[16].

Le site a fourni de nombreuses dents et coquilles perforées. L'ocre abonde dans presque tous les niveaux en place et leur confère une coloration parfois très vive[12].

Le matériel le plus original est quatre boutons à perforation basale conique en os ou en ivoire, présents dans trois niveaux différents - ce qui indique une continuité notable de sa fabrication[12].

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • [Allain & Fritsch 1967] « Le Badegoulien de l'Abri Fritsch aux Roches de Pouligny-St-Pierre (Indre) », Bulletin de la Société Préhistorique Française, t. 64, no 1 « Études & Travaux », , p. 83-94 (lire en ligne [sur persee]).
  • [Allain 1978] Jacques Allain, « À propos de la datation С 14 de l'Abri Fritsch aux Roches de Pouligny-Saint-Pierre, Indre », Bulletin de la Société Préhistorique Française, t. 75, no 6, , p. 168 (lire en ligne [sur persee]).
  • [Aubry 1993] Thierry Aubry, « Une géode de calcédoine façonnée provenant de la couche solutréenne 9 de l'Abri Fritsch des Roches à Pouligny-Saint-Pierre (Indre) », Revue archéologique du Centre de la France, no 32, , p. 153-157 (lire en ligne [sur persee]).
  • [Leroi-Gourhan (Arl.) 1967] Arlette Leroi-Gourhan, « Le Badegoulien de l'abri Fritsch : climat et chronologie », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 64, no 1, , p. 95-99 (lire en ligne [sur persee]).
  • [Leroi-Gourhan (Arl.) 1967] Arlette Leroi-Gourhan, « Analyse pollinique des niveaux paléolithiques de l'abri Fritsch », Review of Palaeobotany and Palynology, vol. 4, nos 1-4, , p. 81-86 (DOI 10.1016/0034-6667(67)90174-1, résumé).
  • [Pradel 1965] L. Pradel, « L'atelier Aurignacien et Périgordien des Roches, commune de Pouligny Saint-Pierre (Indre) », L'Anthropologie, vol. 69, nos 3-4, , p. 219-236.
  • [Rigaud 2001] André Rigaud, « Morphology and technology of burins from the Fritsch shelter (Pouligny-Saint-Pierre, Indre) », Préhistoire du Sud-Ouest, no 8, , p. 47-54 (Association Préhistoire quercinoise et du sud-ouest).
  • et Thérèse Poulain et Arlette Leroi-Gourhan

A. J. , F. R. and R. A. Françoise Trotignon , Le débitage du bois de Renne dans les niveaux à raclettes du Badegoulien de l'abri Fritsch et sa signification, in H. Camps-Fabrer dir., Premier colloque international sur l'industrie de l'os dans la Préhistoire, pp.67-71, 1974.

  • [Trotignon, Poulain & Leroi-Gourhan 1984] Françoise Trotignon, Thérèse Poulain, Arlette Leroi-Gourhan et al., Études sur l'abri Fritsch (Indre), Paris, CNRS, coll. « Gallia préhistoire » (no 19, « Supplément »), , 122 p., sur persee (lire en ligne).

Liens externes


Notes et références

Notes

  1. Liguliflore : fleurs toutes ligulées, c'est-à-dire avec 5 pétales soudés, typique des Astéracées (ex. pissenlits) et de quelques autres familles. Les fleurons ligulés ou demi-fleurons sont unisexués femelles (pistillés) et portent une languette allongée, la ligule, qui simule un pétale de fleur simple. Voir les articles « « Capitule », section « Les éléments qui composent le capitule » », et « Ligule (graminoïdes) ».

Références

  1. Pradel 1965.
  2. [Aubry 2015] Thierry Aubry, « Retour aux sources : le silex au Paléolithique supérieur en région Centre », Bulletin de l'Archéologie du Val de Creuse en Berry, no 6 « Hommage au Docteur Jacques Allain, médecin et préhistorien 1913-1997 », (lire en ligne [sur academia.edu], consulté en ), p. 113.
  3. « Les Roches à Pouligny-Saint-Pierre, carte interactive » sur Géoportail.
  4. Allain & Fritsch 1967, p. 85.
  5. Allain & Fritsch 1967, p. 83.
  6. Leroi-Gourhan (Arl.) 1967.
  7. Allain & Fritsch 1967, p. 92-93.
  8. [Vialou 1997] Denis Vialou, « Le Docteur Jacques Allain (1914-1997) », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 94, no 4, , p. 422-426 (lire en ligne [sur persee]), p. 423.
  9. [Pérez & Cerda 1976] (es) Francisco Javier Fortea Pérez et Francisco Jordá Cerdá, « La cueva de los Mallaetes y los problemas del Paleotico superior del mediterraneo español », Zephyrus, nos 26-27, 1975-1976, p. 129-166 (ISSN 0514-7336, présentation en ligne, lire en ligne [sur revistas.usal.es], consulté en ), p. 152. Cité dans Allain 1978, p. 168.
  10. Allain 1978, p. 168.
  11. [Delibrias et Évin 1980] Georgette Delibrias et Jacques Évin, « Sommaire des datations ¹⁴C concernant la préhistoire en France. II - Dates parues de 1974 à 1978 », Bulletin de la Société préhistorique française, vol. 77, no 7, , p. 215-224 (lire en ligne [sur persee]), p. 216.
  12. Allain & Fritsch 1967, p. 91.
  13. Leroi-Gourhan (Arl.) 1967, p. 98.
  14. Allain & Fritsch 1967, p. 85, note 1.
  15. Allain & Fritsch 1967, p. 86.
  16. Allain & Fritsch 1967, p. 88.
  17. Leroi-Gourhan (Arl.) 1967, p. 95.
  18. Leroi-Gourhan (Arl.) 1967, p. 96, fig. 1.
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