Émile Benveniste

Émile Benveniste (prononciation : /bɛ̃venist/) est un linguiste français né à Alep (Syrie) le , et mort à Versailles le . Né Ezra Benveniste, il a été naturalisé français en 1924. Il s'est illustré par ses travaux tant dans le domaine de la grammaire comparée des langues indo-européennes que dans celui de la linguistique générale.

Pour les articles homonymes, voir Benveniste.

Biographie

Ses deux parents sont instituteurs de l'Alliance israélite universelle dans l'Empire ottoman, en Tunisie, puis en Bulgarie. Titulaire d'une bourse de l'Alliance israélite universelle, il fait ses études à Paris au Petit séminaire israélite à partir de 1913. Après le baccalauréat, il abandonne les études religieuses. Il est licencié ès lettres en 1920, à 18 ans, et agrégé de grammaire en 1922. Il fait son service militaire au Maroc pendant la guerre du Rif.

Élève d'Antoine Meillet à l'École pratique des hautes études, il enseigne lui-même dans cet établissement de 1927 à 1969[1], et au Collège de France, où il occupe la chaire de grammaire comparée de 1937 à 1969[2].

Fait prisonnier en 1940, il parvient à s'évader en et se réfugie en Suisse, où il restera jusqu'en 1945, alors qu'il avait été exclu du Collège de France par le régime de Vichy.

Il exerce les fonctions de secrétaire adjoint de la Société de linguistique de Paris de 1945 à 1959, puis celle de secrétaire de 1959 à 1970. En 1960, il est élu membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres et, en 1965, membre de l'Accademia dei Lincei.

En 1961, il fonde, avec Claude Lévi-Strauss et Pierre Gourou, L'Homme, revue française d'anthropologie. De 1964 à 1975, il dirige la Revue des études arméniennes (REA).

En , il est victime d'une attaque cérébrale qui le laisse aphasique. Il meurt sept ans plus tard, en 1976, à l'âge de 74 ans.

Apport scientifique

Sa production scientifique s'est étalée sur une cinquantaine d'années, à partir de 1922. Les dix premières années sont principalement consacrées à sa discipline d'origine, l'iranien, avec quatre ouvrages et de très nombreux articles.

À partir de 1932, il se tourne véritablement vers la linguistique comparée des langues indo-européennes ; c'est dans cette période qu'il acquiert une dimension internationale, notamment avec la publication de sa thèse principale, Les Origines de la formation des noms en indo-européen (1935), où il propose une théorie de la racine indo-européenne qui a fortement marqué l'évolution ultérieure de la linguistique indo-européenne[3]. Après la période difficile de la guerre, il fait paraître en 1948 Noms d'agent et noms d'action en indo-européen, qui est, selon Calvert Watkins (en), « le plus beau livre de grammaire comparée qu'on ait écrit au vingtième siècle... le chef-d'œuvre, la cime du structuralisme classique européen[4] ». Watkins cite comme « l'apport le plus durable de Benveniste à la grammaire comparée » l'idée résumée dans cette phrase (extraite de la conclusion de son article sur « Actif et moyen dans le verbe[5] ») : « Il est dans la nature des faits linguistiques, puisqu'ils sont des signes, de se réaliser en oppositions et de ne signifier que par là. »

Dans la dernière période, l'intérêt pour la linguistique générale, aussi bien d'un point de vue formel que dans ses rapports avec l'organisation sociale, passe au premier plan mais toujours en lien direct avec la linguistique indo-européenne. Cet intérêt s'exprime pleinement dans ses Problèmes de linguistique générale (parus en 1966 et 1974), qui introduisent en France la linguistique de l'énonciation[6] et dans sa dernière œuvre, le Vocabulaire des institutions indo-européennes (parue en 1969, quelques semaines avant que la maladie ne le frappe), fruit d'une démarche très novatrice par laquelle il cherche des significations sociales profondes, des « structures enfouies » sous les systèmes de distinctions sémantiques. Il s'intéresse ainsi au problème fondamental de la signification du vocabulaire qu'il traite en plusieurs thèmes : économie, parenté, statuts sociaux dans le premier volume, royauté, droit, religion dans le second[7]. L'originalité de l'ouvrage est d'aboutir à des résultats intéressant l'histoire et l'anthropologie à partir de faits purement linguistiques[3].

Principaux ouvrages

  • Essai de grammaire sogdienne, t. II : Morphologie, syntaxe et glossaire, Paris, P. Geuthner, 1929.
  • Les infinitifs avestiques, Paris, Adrien Maisonneuve, 1935.
  • Origines de la formation des noms en indo-européen, Paris, Adrien Maisonneuve, 1936.
  • Noms d'agent et noms d'action en indo-européen, Paris, Adrien Maisonneuve, 1948.
  • « Inscriptions de Bactriane », Journal asiatique, 1961, p. 113-152.
  • « Nouvelles inscriptions de Bactriane », Comptes-rendus des séances de l'année 1961 avril-juin, 1961, 105e année, n° 2.
  • Hittite et indo-européen : études comparatives, Paris, Adrien Maisonneuve, 1962.
  • Problèmes de linguistique générale, t. 1, Paris, Gallimard, 1966.
  • Problèmes de linguistique générale, t. 2, Paris, Gallimard, 1974.
  • Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, 2 tomes, Paris, Minuit, 1969.
  • The Persian religion, according with the chief Greek texts, Paris, Geuthner, 1974.
  • Baudelaire, présentation et transcription de Chloé Laplantine, Limoges, Lambert-Lucas, 2011.
  • Dernières Leçons : Collège de France 1968 et 1969, présentées et éditées par Jean-Claude Coquet et Irène Fenoglio, Paris, Gallimard/Seuil/EHESS, 2012.

Notes et références

  1. « Émile Benveniste, biographie », sur Collège de France.
  2. « Émile Benveniste, principaux ouvrages », sur Collège de France.
  3. Charles Malamoud, L'œuvre d'Émile Benveniste : une analyse linguistique des institutions indo-européennes (note critique), Annales, Année 1971, 26-3-4, pp. 653-663
  4. In Émile Benveniste aujourd'hui, p. 7.
  5. Repris dans Problèmes de linguistique générale, I, p. 168-175.
  6. Michèle Perret, "Benveniste et la token-réflexivité", Le signe et la lettre, hommage à Michel Arrivé, Paris, L'Harmattan, p. 411-418, 2002.
  7. Maurice Leroy, Emile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes (compte-rendu), L'Antiquité Classique, Année 1970, 39-2, pp. 644-645

Voir aussi

Bibliographie

  • Emilie Brunet et Rudolf Mahrer, Relire Benveniste. Réceptions actuelles des problèmes de linguistique générale, Louvain la neuve, éd. Academia (coll. Sciences du langage. Carrefours et points de vue), 2011
  • Gérard Dessons, Émile Benveniste, l'invention du discours, éditions In Press, 2006 (réédition d'un essai paru en 1993 aux éditions Bertrand-Lacoste : le texte a été remanié, réactualisé et augmenté).
  • Irène Fenoglio, « Les notes de travail d'Émile Benveniste » in Langage & Société 127, Paris, MSH, 2009, p. 23-49.
  • Irène Fenoglio, « Conceptualisation et textualisation chez Émile Benveniste », in Modèles Linguistiques tome XXX-1, vol. 59, 2009, p. 71-99.
  • Irène Fenoglio, « Déplier l'écriture pensante pour re-lire l'article publié. les manuscrits de "l'appareil formel de l'énonciation" d'Emile Benveniste" in Relire Benveniste. Réceptions actuelles des problèmes de linguistique générale, Louvain la neuve, éd. Academia (coll. Sciences du langage. Carrefours et points de vue), 2011, p. 263-304.
  • Irène Fenoglio, Jean-Claude Coquet, Julia Kristeva, Charles Malamoud, Pascal Quignard, Autour d'Emile Benveniste, Seuil, 2016.
  • Eva Krásová, Z hlediska smyslu... Émile Benveniste a zrod strukturalismu. Prague: Univerzita Karlova, Filozofická fakulta, 2018. (Tchèque)
  • Chloé Laplantine, Émile Benveniste, l'inconscient et le poème (thèse de doctorat de Paris 8 - Saint-Denis), Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2011.
  • Serge Martin (dir.), Émile Benveniste pour vivre langage, éditions L'Atelier du grand tétras, 2009 (comprend des textes inédits manuscrits retranscrits de Benveniste).
  • Claudine Normand et Michel Arrivé (dir.), Émile Benveniste, vingt ans après, colloque de Cerisy, 12-, numéro spécial de Linx, 1997.
  • Guy Serbat (éd.), E. Benveniste aujourd'hui (Actes du colloque international du CNRS, Université François-Rabelais, Tours, ), Paris, Société pour l'information grammaticale, 1984.
  • Jean-Claude Milner, Le périple structural, Le Seuil, 2002.
  • Aya Ono, La Notion d'énonciation chez Émile Benveniste, préface de Michel Arrivé et postface de Claudine Normand, Limoges, Éditions Lambert-Lucas, 2007.
  • Daniel Delas, Saussure, Benveniste et la littérature In: Langages, 39e année, n°159. 2005. Linguistique et poétique du discours. À partir de Saussure. La composition de ce numéro a été confiée à Jean-Louis Chiss et Gérard Dessons. pp. 56–73.
  • Paul-Éric Langevin, « Émile Benveniste et les études indo-européennes », sur Interdisciplinarité, , mémoire dirigé par Bernard Colombat, Laboratoire d'Histoire des Théories Linguistiques.
  • Sous la coordination d'Irène Fenoglio : Julia Kristeva, Pascal Quignard, Charles Malamoud, Jean-Claude Coquet et Irène Fenoglio, Autour d'Émile Benveniste : Sur l'écriture, Éditions du Seuil, , 400 p. (ISBN 978-2-02-129795-9, lire en ligne)
  • Giuseppe D'Ottavi, Irène Fenoglio (dir.), Émile Benveniste. 50 ans après les Problèmes de linguistique générale, Paris, Éditions Rue d'Ulm, 2019.

Articles connexes

Liens externes

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