Procès des Médecins

Le procès des Médecins (« medical case » ou « doctors' trial ») a été le premier d'une série de douze procès pour crimes de guerre, tenus devant le Tribunal militaire américain (TMA) agissant dans le cadre de dispositions internationales, à Nuremberg, dans la zone d'occupation américaine en Allemagne à l'issue de la Seconde Guerre mondiale. Le procès des Médecins s'ouvre le , quelques semaines après la fin du procès de Nuremberg qui avait jugé, devant le Tribunal militaire international (TMI), les principaux dignitaires du régime nazi.

La dévolution du procès au Tribunal militaire américain obéit à un accord international, l'Accord de Londres, signé, le 8 août 1945, par les gouvernements américain, français, britannique et soviétique, « agissant dans l’intérêt de toutes les Nations unies », et qui établit la légalité des tribunaux d’occupation jugeant les criminels nazis sur leur zone d’occupation, seuls les crimes « non localisables » — ceux des dirigeants nazis, par excellence — étant renvoyés au Tribunal militaire international. La référence juridique du procès des Médecins est ainsi United States of America v. Karl Brandt, et al., bien que le jugement qui en est issu soit considéré comme une décision pénale de droit international[1]. Le tribunal statua selon la procédure américaine[2].

Au procès des Médecins, vingt des vingt-trois accusés sont médecins, les trois autres étant des fonctionnaires de l'État nazi. Ils sont poursuivis pour quatre chefs d’accusation : 1° conspiration ; 2° crimes de guerre ; 3° crimes contre l'humanité ; 4° appartenance à une organisation criminelle (en l'espèce, la SS). Les chefs d'accusation de crimes de guerre et crimes contre l'humanité visaient des faits identiques selon qu'ils avaient été commis contre des civils ou des combattants ; en pratique, dans les débats et dans le jugement, ils furent réunis en un seul (« crimes de guerre et contre l'humanité »). Tous les accusés le sont au moins pour leur participation à l'organisation ou à la réalisation d'expérimentations médicales sur des êtres humains, notamment dans les camps de concentration. Tous plaident non coupable.

Le procès s'achève le ; le jugement est rendu les et . Il inclut une liste de dix critères utilisés par les juges pour apprécier le caractère licite ou non des pratiques d'expérimentation médicale en cause. Cette liste est connue sous le nom de code de Nuremberg, référence majeure des textes ultérieurs — éthiques et juridiques — en matière d'expérimentation médicale, comme la déclaration d'Helsinki, notamment[alpha 1].

Contexte

Le premier procès de Nuremberg,qui s'est déroulé du au , concernait 24 des principaux responsables du Troisième Reich. Les États-Unis lancent à sa suite douze procès touchant des professions ou corps particuliers. D'abord le procès des Médecins (dit aussi « second procès de Nuremberg »), puis celui des Juges. Les médecins étaient en effet la profession la plus « nazifiée » d'Allemagne (plus de 50 % des médecins sont alors membres du parti nazi, dans la SA ou dans la SS)[3]. Les autres procès concerneront des hommes politiques, des militaires, des industriels et des diplomates.

Instruction

L'organisation du procès des médecins débute avant la fin du procès des dignitaires nazis. Dès la libération des camps de concentration, des équipes de médecins, juristes et agents de renseignement recherchent documents et témoignages sur l'expérimentation médicale nazie réalisée dans ces camps. Ce travail d'instruction est coordonné par le colonel Clio Straight, établissant une liste de 140 médecins et scientifiques impliqués dans ces expériences[4].

Les autorités alliées se lancent à leur recherche, et plusieurs responsables se suicident, soit avant leur capture, soit avant leur procès ; d'autres ont pris la fuite comme Josef Mengele, ou étaient morts ou avaient été tué comme Sigmund Rascher. Quelques médecins sont interpellés à leur domicile ou sur leur lieu d'exercice comme Siegfried Ruff arrêté en octobre 1945, alors qu'il travaillait pour le compte de l'armée de l'air américaine[4].

Accusés

Articles détaillés : Aktion T4 et « Euthanasie » des enfants sous le Troisième Reich.

Le procès concerne finalement 23 accusés, dont 20 médecins. Parmi les médecins, on compte 4 chirurgiens :

  • Karl Brandt, autorité médicale suprême du IIIe Reich, chargé notamment du programme Aktion T4, utilisé pour euthanasier les malades mentaux et les handicapés ; il est condamné à mort et exécuté le .
  • Karl Gebhardt, né le , son père était le médecin de Heinrich Himmler ; en 1933, il est médecin chef de la SS, en 1936 directeur médical des Olympiades. Il resta jusqu'au bout un compagnon et conseiller fidèle de Himmler. Quelques jours avant la capitulation, en , à la suite du suicide de Grawitz, il est nommé président de la Croix-Rouge allemande[5]. Jugé pour avoir pratiqué des expériences sur les prisonniers des camps, spécialement les femmes de Ravensbrück. Condamné à mort, il est exécuté le .
  • Fritz Fischer.
  • Paul Rostock.

4 bactériologistes :

  • Siegfried Handloser.
  • Joachim Mrugowsky, médecin et chef de l'institut d'hygiène de la SS. Jugé pour expérimentation sur les prisonniers des camps. Condamné à mort, il est exécuté le .
  • Gerhard Rose, médecin commettant des sévices sur ses patients, condamné à la prison à vie. Il bénéficie d'une réduction de peine en 1951 et d'une libération anticipée en [6].
  • Oskar Schröeder.

4 chercheurs en médecine aéronautique :

  • Hermann Becker-Freyseng.
  • Hans-Wolfgang Romberg.
  • Siegfried Ruff.
  • Konrad Schaefer.

3 dermatologues :

  • Kurt Blome, scientifique ayant testé des vaccins sur des prisonniers de camp de concentration. Jugé pour extermination de prisonniers malades et expériences conduites sur des êtres humains, il est acquitté.
  • Adolf Pokorny, dermatologue, accusé d'avoir coopéré avec les programmes de stérilisation, acquitté « pas à cause de mais malgré sa défense » qui consistait à rappeler le fait que la méthode de castration qu'il proposa dans une lettre n'était pas efficace.
  • Herta Oberheuser, médecin qui participe à l'injection de sulfamide. Seule femme à être jugée, elle est condamnée à vingt ans de prison.

2 médecins généralistes :

  • Waldemar Hoven, médecin du camp de Buchenwald. Jugé pour avoir euthanasié massivement les déportés. Condamné à mort, il est exécuté le .
  • Karl Genzken.

On trouve également :

  • Wilhelm Beiglböck, spécialiste de médecine interne.
  • Georg August Weltz, radiologue.
  • Helmut Poppendick, généticien, nommé en 1935 médecin-chef du RuSHA (Office central pour la race et la colonisation), chargé de la sélection des SS et de leurs fiancées, pour le contrôle de leur descendance (sélection positive). Son rôle dans les crimes commis (sélection négative) en Pologne est mal défini. Condamné à dix ans de prison[5].

Les 3 non-médecins sont :

  • Wolfram Sievers, dirigeant de l'Ahnenerbe. Jugé pour ses expériences mortelles sur des humains. Condamné à mort, il est exécuté le .
  • Viktor Brack, codirige le programme « Aktion T4 » et s'implique directement dans la Shoah par l'aide à la création d'installation de gazage, reconnu coupable de crimes contre l'humanité, il est condamné à mort et pendu le dans la prison de Landsberg.
  • Rudolf Brandt, juriste conseiller de Himler.

Il n'y a qu'une seule femme, Herta Oberheuser. Ils sont âgés de 35 à 62 ans. Tous ont adhéré au parti nazi sauf quatre (Schröder, Schaefer, Ruff, et Pokorny), une douzaine en étaient déjà membres en 1933. Dix sont membres des SS, et sur les vingt médecins, seize sont des militaires et quatre des civils. Tous plaident « non coupable »[7].

Le tribunal

Le président est le brigadier-général[alpha 2] Telford Taylor.

L'un des membres du tribunal, le médecin américain, écossais d'origine, Donald Ewen Cameron, fut plus tard le premier président de l'Association mondiale de psychiatrie, après avoir travaillé pour la CIA dans le projet d'expérimentations illégales MKULTRA.

Pour leur défense, les 23 accusés sont assistés par 27 avocats.

Trente-deux témoins sont présentés par l'accusation, cinquante-trois par la défense, 1 471 documents sont cités[8].

Le rapport Green (en) produit par le Pr Andrew Ivy devant le tribunal fut rédigé à la suite d'un débat prévu auprès d'une commission scientifique internationale mais signé hâtivement par l’Association médicale américaine pour la circonstance alors que cette commission n'avait pas été réunie, cette turpitude fut soulevée par la défense des médecins allemands.

Le jugement

Sept accusés sont acquittés en application de la « common law » selon laquelle la culpabilité doit être établie « au-delà d'un doute raisonnable ». Acquittés de crimes contre l'humanité, ils seront condamnés pour appartenance à une organisation criminelle.

Seize accusés sont reconnus coupables, sans appel possible : quatre à de longues peines de prison, cinq à la prison à perpétuité, sept à la peine de mort. Les exécutions ont eu lieu dans la prison de Landsberg, le [8].

Notes et références

Notes

  1. En anglais, le mot « code » indique une simple liste de critères ou de maximes ; il n'a que rarement le sens d'un code au sens où on l'entend en français dans « code civil » par exemple.
  2. Grade équivalent en France à général de brigade.

Références

  1. Michel Bélanger, Droit international de la santé, Paris, Economica, , p. 44.
  2. (en) Trials of War Criminals Before the Nuernberg [Nuremberg] Military Tribunals Under Control Council Law No. 10, vol. I, Washington, DC, U.S. Government Printing Office, (lire en ligne).
  3. Yves Ternon, « Les médecins nazis », Les Cahiers de la Shoah, no 9, , p. 15-60.
  4. Bruno Halouia 2017, p. 57-60.
  5. Yves Ternon et S. Helman, Histoire de la médecine SS, Casterman, .
  6. Marie-Bénédicte Vincent, De la dénazification à la réintégration des fonctionnaires, in Le Nazisme : régime criminel, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 578), (ISBN 978-2-262-04759-7, OCLC 910510927), p. 304.
  7. Bruno Halouia 2017, p. 60-64.
  8. B. Halioua, « Le procès des médecins de Nuremberg », La Revue du Praticien, , p. 734-737.

Voir aussi

Bibliographie

  • Bruno Halioua, Le Procès des médecins de Nuremberg : l'irruption de l'éthique médicale moderne, Vuibert, , 211 p. (ISBN 978-2-711-77246-9).
  • Bruno Halouia, Le procès des médecins de Nuremberg, l'irruption de l'éthique biomédicale, Eres, , 240 p. (ISBN 978-2-7492-5656-6)
    réédition en poche.

Articles connexes

Lien externe

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