Intoxication aux organophosphorés

Beaucoup d’organophosphorés sont de puissants agents neurotoxiques qui agissent en inhibant l'action de l’acétylcholinestérase dans les cellules nerveuses. Ils représentent une des causes les plus fréquentes d'empoisonnement dans le monde entier et sont souvent utilisés intentionnellement à des fins de suicide dans les régions agricoles.

Intoxication aux organophosphorés

Spécialité Médecine d'urgence
CIM-10 T60.0
CIM-9 989.3
eMedicine 1009888
MeSH D062025

Mise en garde médicale

Quelques exemples de pesticides ou gaz lacrymogènes ou de combat organophosphorés

Effets

Effets environnementaux avérés ou potentiels

En tant que pesticides, ce sont des biocides puissants, qui peuvent localement et plus ou moins durablement polluer l'air, l'eau, le sol et affecter les écosystèmes qui en dépendent.
Dans certains cas, les produits intermédiaires de dégradation peuvent également être toxiques ou agir en synergie avec d'autres polluants.

Des organophosphorés sont utilisés dans d'autres domaines que l'agriculture, par exemple par l'aviation comme lubrifiant et fluide hydraulique et son impact sur la santé et la sécurité des vols est une question qui fait débat. Pour mettre en lumière leurs préoccupations, les employés des compagnies aériennes ont fondé en 2001 une association à but non lucratif connue sous le nom d’Aviation Organophosphate (AOPIS)[1].

Purdey (1998) suggère que les organophosphorés, en particulier le Phosmet, pourraient être responsables de l’épidémie d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB)[2]. Un comité scientifique de sécurité alimentaire diligenté par l’Union européenne a examiné les éléments de preuve et n'a pas trouvé de lien de cause à effet[3]. Les effets de l'intoxication par les organophosphorés sont faciles à mémoriser à l'aide du procédé mnémotechnique SLUDGEM (hyper Salivation, Larmoiement, émission d’Urines, diaphorèse (ou Défécation), hypermotricité Gastrique, Vomissements, Myosis)[4]

Effets sur la santé des enfants, des adultes

Leur absorption au-delà d'une certaine dose conduit à la mort.
À moindre dose une intoxication aiguë est possible. Et à faible dose, des troubles neurologiques, du développement, de l'attention ou du comportement peuvent être induits chez l'enfant exposé[5].
Les effets des faibles niveaux sur le développement du cerveau du fœtus, des nourrissons et des enfants ont été également documentés[6]. Les enfants, et plus encore les jeunes enfants[7], y sont plus sensibles et vulnérables[8] que les adultes, et (hors cas accidentels d'empoisonnement par ingestion ou contact direct), l'absorption se ferait en premier lieu par la consommation de fruits et légumes issus de l'agriculture industrielle[9]. Quand l'individu a été en contact avec du methyl parathion durant l'enfance, certains effets néfastes pour la santé semblent perdurer[10]. En âge préscolaire, des différences neurocomportementales significatives sont observées entre enfants d'agriculteurs ou d'ouvriers agricoles et enfants de non-agriculteurs (résultats et réflexes moins bons aux tests psychomoteurs[11].

La contamination de la population est importante dans les pays riches[12], et inconnue dans les pays pauvres (hormis quelques cas étudiés en zone tropicale). Les études confirment que les métiers agricoles et le fait d'être épouse ou enfant d'agriculteur augmente le risque de contamination des urines par des métabolites d'organophosphorés [13]. Les adolescents semblent moins vulnérables que les enfants, mais une exposition chronique semble conduire aussi à une baisse de performances aux tests avec les années[14] . Manipuler des pesticides est un facteur de risque de déficit de performance aux tests neurocomportementaux[14]. On a montré chez les enfants et adolescents qui épandent en Égypte des pesticides sur les champs de coton que l'exposition induit des déficits cognitifs, et que - en moyenne - plus longue est l'exposition, pire sont les effets[15].
Les doses minimales auxquelles les effets à court, moyen ou long terme peuvent se faire sentir ne font cependant pas encore l'objet de consensus.

Aux États-Unis le Food Quality Protection Act (FQPA), adopté en 1996, a chargé l’Agence de protection de l'environnement (EPA) de procéder dans les 10 ans à un bilan des effets de tous les pesticides sur la santé et l'environnement, en commençant par les organophosphorés. Le processus a pris plus de temps que prévu, mais a abouti récemment à la conclusion qu’il fallait éliminer ou modifier des milliers d'utilisations[16].
De nombreux groupes de recherche non-gouvernementaux, ainsi que le bureau de l'inspecteur général de l'EPA, ont fait part de leurs préoccupations sur le fait que l’étude n'a pas pris en compte les effets neurotoxiques sur le développement des fœtus et des enfants, qui font partie d’un axe de développement pour la recherche[17]. Un groupe d'éminents scientifiques de l'EPA a envoyé une lettre à l'administrateur en chef, Stephen Johnson, déplorant l'absence de données sur les recherches en neurotoxicité dans l’étude[18]. De nouvelles études ont montré une toxicité pour les organismes en développement au cours de certaines "périodes critiques" à des doses beaucoup plus faibles que celles qu’on soupçonnait précédemment de provoquer des dommages[19].

Dans les années 2000 des études ont continué à suggérer un lien entre l'exposition chronique à de faibles niveaux d’organophosphorés et des effets neuro-psychiatriques et comportementaux.
Jamal a suggéré le terme de COPIND, ou "Chronic Organophosphate-Induced Neurologic Dysfunction"[20], Abou Donia le terme d’OPICN, ou Organophosphate-Induced Chronic Neuropathy pour décrire ces effets[21].

Une étude[22] américaine s'est fondée sur 1 139 enfants des États-Unis, âgés de 8 à 15 ans, suivis dans le cadre d'une étude épidémiologique nationale (National Health and Nutrition Examination Survey) et dont 119 répondaient aux critères de définition du syndrome). Elle a conclu que les enfants exposés à des concentrations importantes de pesticides organophosphorés via les fruits et légumes souffrent plus souvent de troubles de déficit de l'attention/hyperactivité (TDAH). Une relation dose-effet semble exister : les enfants ayant les taux urinaires les plus élevés du principal métabolite organophosphates (phosphates dialkylés et spécialement le dimethyl alkylphosphate dit DMAP). Pour le métabolite le plus souvent trouvé (dimethyl thiophosphate), les enfants dont l'urine en contenait plus que la médiane des concentrations détectables présentaient deux fois plus de risque de souffrir de TDAH que ceux qui en présentaient des doses indétectables. Les auteurs rappellent qu'environ 40 molécules différentes d'organophosphates sont homologués par l'EPA [23] et qu'environ 33 000 tonnes de pesticides ont été répandues en 2001 dans ce pays.

Ginger Jake

Un exemple frappant de polyneuropathie est survenu à l’époque de la prohibition des années 1930, dans le sud l'Amérique et le Middle Ouest avec l’apparition de faiblesse et de douleurs des bras et des jambes après consommation de substances "médicinales" comme substituts de l’alcool. La boisson, appelée "Ginger Jake", contenait un extrait frelaté de ginger ale jamaïcaine contenant du tri-ortho-crésyl phosphate (TOCP) qui a provoqué des dommages neurologiques partiellement réversibles. Les lésions entraînaient une boiterie, le "Jake Leg" ou le "Jake Walk" qui sont des termes fréquemment utilisés dans la musique blues de l’époque. L'Europe et le Maroc ont connu deux foyers d'empoisonnement par de l'huile alimentaire et des produits abortifs contaminés respectivement par le TOCP[24].

Traitement

L’atropine peut être utilisée comme antidote en association avec la pralidoxime, même s’il a été constaté que le recours à des oximes n’apportait aucun bénéfice, ou pouvait être néfaste, dans au moins deux méta-analyses[25],[26]. L’atropine bloque le système nerveux parasympathique, ainsi que l’action du nerf vague sur le cœur.

La littérature toxicologique sur les effets persistants de l'intoxication aiguë ou d’une exposition à long terme à de faibles niveaux est assez complète. Des symptômes de polyneuropathies induites par les organophosphorés, qui entraînent la dégénérescence des nerfs périphériques, ont été notés plusieurs semaines après l'exposition à certains organophosphorés[27].

Voir aussi

Notes et références

  1. « Aviation Organophoshate Information Site: Informing crews to the potential of organophosphate exposure due to the contamination of the aircraft air conditioning system. » (consulté le 30 juillet 2007)
  2. (en) Purdey M. High-dose exposure to systemic phosmet insecticide modifies the phosphatidylinositol anchor on the prion protein: the origins of new variant transmissible spongiform encephalopathies? Med Hypotheses 1998;50:91-111. PMID 9572563.
  3. « Health and Consumer Protection - Scientific Steering Committee - Outcome of discussions 18 » (consulté le 30 juillet 2007)
  4. « eMedicine - Toxicity, Organophosphate and Carbamate : Article by Daniel K Nishijima, MD » (consulté le 22 août 2007)
  5. (en) Rosas LG, Eskenazi B. Pesticides and child neurodevelopment. Curr Opin Pediatr. 2008;20(2):191–197 Web of ScienceMedline
  6. (en) Jurewicz J, Hanke W. Prenatal and childhood exposure to pesticides and neurobehavioral development: review of epidemiological studies. Int J Occup Med Environ Health. 2008;21(2):121–132 Web of ScienceMedline
  7. (en) Rauh VA, Garfinkel R, Perera FP, et al. Impact of prenatal chlorpyrifos exposure on neurodevelopment in the first 3 years of life among inner-city children. Pediatrics. 2006;118(6). Lien vers l'article, en anglais
  8. (en) Weiss B. Vulnerability of children and the developing brain to neurotoxic hazards. Environ Health Perspect. 2000;108(suppl 3):375–381 Medline
  9. (en) US National Research Council, Committee on Pesticides in the Diets of Infants and Children. Pesticides in the Diets of Infants and Children. Washington, DC: National Academy Press; 1993
  10. (en) Ruckart PZ, Kakolewski K, Bove FJ, Kaye WE. Long-term neurobehavioral health effects of methyl parathion exposure in children in Mississippi and Ohio. Environ Health Perspect. 2004;112(1):46–51 Web of ScienceMedline
  11. (en) Rohlman DS, Arcury TA, Quandt SA, et al. Neurobehavioral performance in preschool children from agricultural and non-agricultural communities in Oregon and North Carolina. Neurotoxicology. 2005;26(4):589–598[CrossRef][Web of Science]Medline
  12. (en) Barr DB, Bravo R, Weerasekera G, et al. Concentrations of dialkyl phosphate metabolites of organophosphorus pesticides in the US population. Environ Health Perspect. 2004;112(2):186–200 Web of Science Medline
  13. (en) Furlong CE, Holland N, Richter RJ, Bradman A, Ho A, Eskenazi B. PON1 status of farmworker mothers and children as a predictor of organophosphate sensitivity. Pharmacogenet Genomics. 2006;16(3):183–190Web of ScienceMedline
  14. (en) Rohlman DS, Lasarev M, Anger WK, Scherer J, Stupfel J, McCauley L. ; Neurotoxicology. 2007 Mar;28(2):374-80. Epub 2006 Dec 4. Neurobehavioral performance of adult and adolescent agricultural workers. Neurotoxicology. 2007 Mar;28(2):374-80. Epub 2006 Dec 4.
  15. (en) Abdel Rasoul GM, Abou Salem ME, Mechael AA, Hendy OM, Rohlman DS, Ismail AA. ; Effects of occupational pesticide exposure on children applying pesticides. ; Neurotoxicology. 2008 Sep;29(5):833-8. Epub 2008 Jul 9. Lien vers l'article (PubMed)
  16. (en) Janofsky, Michael. "E.P.A. Recommends Limits On Thousands of Pesticides", The New York Times , August 4, 2006, accessed April 1, 2008.
  17. OIG report
  18. EPA Letter EHP article
  19. (en) Slotkin TA, Levin ED, Seidler FJ. Comparative developmental neurotoxicity of organophosphate insecticides: effects on brain development are separable from systemic toxicity. Environ Health Perspect. 2006 May;114(5):746-51. PMID 16675431
  20. (en) Jamal GA. "Neurological syndromes of organophosphorus compounds." Adverse Drug React Toxicol Rev. 1997 Aug;16(3):133-70. PMID 9512762
  21. (en) Abou-Donia MB. "Organophosphorus ester-induced chronic neurotoxicity." Arch Environ Health. 2003 Aug;58(8):484-97. PMID 15259428
  22. (en) Maryse F. Bouchard, David C. Bellinger, Robert O. Wright & Marc G. Weisskopf ; Attention-Deficit/Hyperactivity Disorder and Urinary Metabolites of Organophosphate Pesticides : Revue Pediatrics (online 17 mai 2010) Vol. 125 No. 6 June 2010, pp. e1270-e1277 DOI:10.1542/peds.2009-3058
  23. US Environmental Protection Agency. Voir le registres des pesticides : Pesticide reregistration status for organophosphates., consulté 2010/01/15
  24. (en) Morgan JP, Tulloss TC. The Jake Walk Blues. A toxicologic tragedy mirrored in American popular music. Annals of Internal Medicine. 1976 Dec;85(6):804-8. PMID 793467.
  25. (en) Rahimi R, Nikfar S, Abdollahi M. Increased morbidity and mortality in acute human organophosphate-poisoned patients treated by oximes: a meta-analysis of clinical trials. Hum Exp Toxicol. 2006 Mar;25(3):157-62. PMID 16634335
  26. (en) Peter JV, Moran JL, Graham P. Oxime therapy and outcomes in human organophosphate poisoning: an evaluation using meta-analytic techniques. Crit Care Med. 2006 Feb;34(2):502-10. Review. PMID 16424734
  27. (en) Costa LG, « Current issues in organophosphate toxicology », Clin. Chim. Acta, vol. 366, nos 1-2, , p. 1–13 (PMID 16337171, DOI 10.1016/j.cca.2005.10.008)
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