Valérie Charolles

Valérie Charolles est une haute fonctionnaire et philosophe française née le à Dijon[1].

Pour les articles homonymes, voir Charolles (homonymie).

Elle est chercheure à l'Institut Mines-Télécom Business School, membre de la Chaire Valeurs et politiques des informations personnelles et chercheure associée au Laboratoire d’anthropologie critique interdisciplinaire] (ancien Centre Edgar-Morin) au sein de l'Institut interdisciplinaire d'anthropologie du contemporain (CNRS/EHESS)[2].

Biographie

Elle passe son enfance en Franche-Comté et entre à l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud en 1989 (option philosophie). Elle soutient en 1991 sa maîtrise sous la direction de Jacques Bouveresse. Elle s’inscrit à Sciences-Po (section service public) dont elle est diplômée (mention lauréate) en et intègre l'École nationale d’administration (concours externe, majeure économie) au sein de la promotion René Char (1993-1995). À sa sortie, elle rejoint la direction du Trésor en tant qu'administratrice civile.

Elle est ensuite chargée de cours à Sciences-Po où elle enseigne les grands enjeux du débat politique, économique et social, et les enjeux politiques[3]. Durant ces années, elle s’est également engagée sur le plan politique au sein du parti socialiste[4]. Elle a travaillé au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie[5], à Radio France[6] et a rejoint la Cour des comptes en 2005, où elle a été conseillère référendaire jusqu'en 2019[7]. Elle est docteure en philosophie[8].

Elle a publié quatre ouvrages :

  • Le libéralisme contre le capitalisme (Fayard, 2006, réédité chez Folio Essais en 2021) ;
  • Et si les chiffres ne disaient pas toute la vérité ? (Fayard, 2008) ;
  • Philosophie de l’écran (Fayard, 2013) ;
  • Les qualités de l’homme (Fayard, 2016).

Elle écrit régulièrement dans les revues Esprit et le Débat et intervient dans le monde universitaire (Université Paris Descartes, Cevipof, ENS-LSH, ENPC…) ou dans le débat public. Elle anime depuis 2017 à l'EHESS le séminaire de recherche « Socio-philosophie du temps présent. Enjeux épistémologiques, méthodologiques et critiques»[9] avec Pierre-Antoine Chardel et Gabriel Rockhill.

Aperçu de l’œuvre

Les livres de Valérie Charolles portent sur la manière dont l’économie, la quantification et la technique construisent le sujet et le monde contemporains. Elle estime que l’interrogation philosophique principale ne porte plus tant sur « les mots et les choses » que sur « les faits et les chiffres ». Elle réfléchit « sur la conversion intellectuelle (...) que nous impose l’avènement d’un monde désormais façonné par les échos et miroitements (Roger-Pol Droit[10].

Le libéralisme contre le capitalisme

Ce livre, débattu dans la presse et les médias[11], examine les contradictions entre le libéralisme tel qu’il est défini par Adam Smith et le système économique contemporain. Il remet en cause la confusion entretenue entre libéralisme et capitalisme : « Nous sommes [...] largement persuadés de vivre dans un monde libéral, alors que le capitalisme qui nous gouverne n'a que peu à voir avec la théorie libérale»[12]. Mettant en avant la manière dont est traité le travail («travail sans valeur»), les logiques d'accumulation et de concentration à l'œuvre sur le marché du capital («capital antilibéral») et le rôle joué par les États depuis les années 1980 («État capitaliste»), l'ouvrage « montre en quoi notre modèle économique n’a que peu à voir avec la théorie libérale des origines »[13]. « Par-delà la question du libéralisme et du capitalisme, c’est le statut que nous donnons à l’économie, un statut que l’ouvrage qualifie de « totalitarisme mou » et auquel il consacre ses deux parties centrales («La domination idéologique de l’économie », « Penser l’économie »), que l’auteure entend radicalement contester»[14]. Prenant notamment appui sur Karl Popper et John Rawls, la différenciation qu'elle opère entre pratiques, normes, théories et discours en économie vise à également désigner des prises pour ce faire, en premier lieu desqels la définition des acteurs économiques pertinents (entreprise, État) et la manière dont leurs performances sont établies, en particulier au travers des normes comptables.

Une nouvelle édition du livre, revue et augmentée paraît en aux éditions Folio Essais (Gallimard)[15].

Et si les chiffres ne disaient pas toute la vérité ?

Olivier Mongin résume ainsi le propos de ce livre : « Après avoir rappelé que le XXe siècle fut celui des « mots et des choses » (allusion est faite à Foucault), c’est-à-dire celui du langage et de la communication (référence pourrait être faite au rôle de la linguistique et du structuralisme), l’auteure affirme que le XXIe siècle, le nôtre, sera celui des «faits et des chiffres » et que l’on ne doit pas se satisfaire d’un positivisme qui nous en rendrait esclaves. »[16] L'ouvrage soutient que « dans un tel monde, la vision kantienne nous interdit de trouver les prises adéquates pour modifier le réel. Ces prises, on peut les trouver dans le cadre de référence que nous utilisons et que nous pouvons faire évoluer. »[17] C’est pourquoi, pour l’auteure, « il faut attaquer les marchés sur la question de leurs vérités –étant entendu que toute vérité est quelque chose de construit et qu’il ne faut pas en avoir une conception fixiste. C’est affaire de grammaire, comme le voulait Wittgenstein dans ses analyses des règles du jeu de langage. Car l’économie est bien un langage, celui d’une activité humaine qui a comme particularité de beaucoup s’incarner dans le chiffre. »[18]

Philosophie de l’écran. Dans le monde de la caverne

Le livre porte sur les conséquences à tirer de la nouvelle forme du monde en jeu dans le développement des écrans (cinéma, ordinateur, réseaux) : le passage de l’univers infini de la science classique à "un système réfléchi" [19]. L'auteure dresse le constat que la plupart des concepts que nous continuons à utiliser, marqués par la recherche de formes fixes, notamment le déterminisme, ne conduisent à décrire ce qui se produit que sous la forme de la crise et « soutient que l’héritage de Platon, y compris dans son immense postérité logico-scientifique jusqu’à nos jours, n’a plus prise sur cette prolifération nouvelle de réel-virtuel, devenue, au quotidien, notre horizon pratique et notre univers mental »[20]. La fin de l'ouvrage explore les nouvelles catégories, politiques ou logiques, qui permettraient d’en rendre compte autrement et d’y trouver des points d’accroche[21].

Les qualités de l’homme. Manifeste

Ce livre, « bref et dépouillé »[22], se présente comme une relecture de Passions de l’âme de Descartes à l’époque contemporaine (passions libérées ; passions récemment apparues ; …). Il remet en cause la séparation étanche entre le corps et l’esprit prêtée à Descartes par Antonio Damasio et les positions tenues notamment par Michael Gazzaniga sur l’illusion du libre arbitre[23]. Se fondant sur la place de l’aléa et de la diversité chez Darwin et sur les propriétés émergentes du cerveau, l'auteure soutient que l’explication scientifique de son fonctionnement ne réglera pas la question de l’être et que « la connaissance des bases neuronales de la subjectivité ne saurait régler la question de la démocratie »[24]. Ce manifeste s’achève par cinq règles pour la direction de la vie qui « ouvrent des interrogations plus qu’elles ne définissent un mode d’emploi de nos existence »[25].

Normes comptables, indicateurs économiques et modèles statistiques

Au-delà du champ philosophique, Valérie Charolles propose depuis Le libéralisme contre le capitalisme des changements pratiques dans les indicateurs économiques, les formes des modèles statistiques utilisés et les normes comptables, reposant sur une définition de l'entreprise et de la sphère économiquee en lien avec une perspective d'équilibre et de long terme telle qu'on la trouve dans le libéralisme des origines. Elle a en particulier développé une méthode de comptabilisation de la valeur du travail dans le bilan des entreprises, présentée notamment lors du colloque conclusif des travaux du Collège des Bernardins sur l'entreprise[26].

Ouvrages

  • Le libéralisme contre le capitalisme, Paris, Fayard, 273 p., 2006, (ISBN 978-2213630748).
  • Et si les chiffres ne disaient pas toute la vérité ?, Paris, Fayard, 334 p., 2008, (ISBN 978-2213634548).
  • Philosophe de l’écran, Paris, Fayard, 322 p., 2013, (ISBN 978-2213662855).
  • Les qualités de l’homme, Paris, Fayard, 157 p., 2016 (ISBN 978-2213699240).
  • Le libéralisme contre le capitalisme, Paris, Folio Essais, Gallimard, 384p., édition mise à jour, Postface inédite, 2021, (ISBN 978-2072886607).

Articles (sélection)

Dans la revue Esprit : « Choix démocratique et vérité des marchés », p. 133-149,  ; « Quand faut-il s'arrêter de compter ? », p. 84-97,  ; « D'un automne à l'autre : les chantiers de la comptabilité », p. 63-75, [27].

Dans la revue Le Débat: « Illusions et vérités du big data », p.132-140, novembre- ; « Les faits et les chiffres : sur la mesure de la performance », p. 94-106, novembre- ; « Neuf thèses pour sortir de l'enfer économique », p. 101-113, janvier- ; « Le capitalisme est-il libéral ? », p. 88-103, septembre-[28].

Dans le journal Le Monde : « Il nous faut bon gré mal gré nous désintoxiquer de la voiture », tribune, p.22,  ; « Face au peuple et aux pouvoirs intermédiaires, le roi est nu », tribune, p.24,  ; « Le front national, fruit des institutions de la cinquième République », tribune, , p.18 ; « Un déclin très masculin », tribune, p.1 et 17, 22-[29].

Dans le magazine Philosophie magazine : « En finir avec la monarchie électorale qui caractérise la France », p.22,  ; « Capitalisme contre libéralisme », interview, p. 58-59,  ; « Le jeu avec la réalité », p.29-30,  ; « La finance a-t-elle un plan de vol ? », interview, p.52-53,  ; « Les machines ont-elles pris le pouvoir ? » interview, p.42-43, [30].

Liens externes

Notes et références

  1. « Valérie Charolles - Who's Who », sur whoswho.fr (consulté le ).
  2. « Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain - Charolles, Valérie », sur www.iiac.cnrs.fr (consulté le )
  3. « Valérie Charolles - Who's Who ».
  4. http://miroirs.ironie.org/socialisme/www.psinfo.net/documents/congres/grenoble/service.html
  5. où elle était notamment chargée des hautes technologies et de la société de l’information :https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/le-commando-de-la-matignon-valley_1329818.html
  6. « Valérie Charolles, directrice des affaires économiques et financières de Radio France », Stratégies, (lire en ligne, consulté le ).
  7. https://www.lesechos.fr/23/12/2004/LesEchos/19313-070-ECH_valerie-charolles.htm ; décret du 4 août 2010
  8. Charolles, Valérie, « Le libéralisme contre le capitalisme » [livre], sur http://www.theses.fr/, Paris 10, (consulté le ).
  9. Socio-philosophie du temps présent. Enjeux épistémologiques, méthodologiques et critiques ( consulté le 21 janvier 2019)
  10. Roger-Pol Droit, figures libres, le monde des livres, 24 mai 2013
  11. Le Point, Hors-série n°12, « les textes fondamentaux du libéralisme », p. 93, 2007 ; France Culture Les nouveaux chemins de la connaissance intitulés « Libéralisme et capitalisme » (18 septembre 2008)  Ce soir ou jamais », France 3 (14 avril 2010) ; Philosophie magazine, février 2017 (p.4,45, 58-59).
  12. Le libéralisme contre le capitalisme, p.13.
  13. Revue Commentaire n° 118, été 2007, p. 579
  14. Revue Commentaire, n°118, été 2007, p.581
  15. « Le libéralisme contre le capitalisme - Valérie Charolles - Folio essais - Site Folio », sur www.folio-lesite.fr (consulté le )
  16. Olivier Mongin, « Mesurer ? Prévoir ? Compter ? À quelle hiérarchie des valeurs les chiffres renvoient-ils ? À propos d’un livre de Valérie Charolles », Esprit, p.76-85, juin 2009, p. 78
  17. Interview, Philosophie magazine, février 2013, p.52-53
  18. Interview, Philosophie magazine février 2012, p. 42-43
  19. cf. l'analyse de Marcel Gauchet sur cette proposition « L’écran nouveau maître du monde », Marianne, 29 juin au 5 juillet 2013, p.95 https://www.marianne.net/societe/lecran-nouveau-maitre-du-monde
  20. Roger-Pol Droit, Le Monde, supplément livres, « l’allégorie de l’e-caverne », 24 mai 2013, p.10
  21. Philosophie Magazine, sélection livre, Philippe Nassif, mai 2013, p.88
  22. Le monde, supplément livres, « Précis d’humanisme », Roger-Pol Droit, 14 avril 2016
  23. Valérie Charolles, Les qualités de l’homme, Fayard, 2016, p.55-117
  24. « Passions et libertés », sur les qualités de l’homme, Esprit, par Lucile Schmid, mai 2016, p.152
  25. Ibid.
  26. Le libéralisme contre le capitalisme (2006), p. 185-195 ; colloque conclusif des travaux des Bernardins sur l'entreprise 16 mars 2018 ; Entretiens du nouveau monde industriel, 18 décembre 2019 https://www.youtube.com/watch?v=U55hTDm3TAU
  27. « Revue Esprit | Revue Esprit », sur Esprit Presse (consulté le )
  28. « Le débat » Auteurs » Valérie Charolles » (consulté le )
  29. « Articles pour “Valérie Charolles” », sur Le Monde.fr (consulté le )
  30. philomag, « Global search », sur Philosophie magazine (consulté le )
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