Travailleur transfrontalier

Un travailleur transfrontalier (ou frontalier) est une personne (généralement salariée) frontalière qui habite dans un pays et travaille dans le pays voisin. La dénomination "travail frontalier" date du début du XXe siècle. Cette forme de travail est associée à des enjeux socioéconomiques, culturels, politiques, juridiques et environnementaux (cf. flux pendulaires) particuliers. le travailleur frontalier contribue à définir la notion d'espace transfrontalier et participe parfois à la coopération transfrontalière, une forme de coopération encouragée en Europe par les financements Interreg[1].

Éléments de définition

En Europe, pour les besoins des régimes de sécurité sociale, la notion de travailleur frontalier a été défini (en 1971) par la Communauté européenne comme « tout travailleur qui est occupé sur le territoire d’un autre État-membre en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine [2] ». » En 2019 la commission européenne précise néanmoins que la définition de "travailleur transfrontalier" peut néanmoins encore varier d'un domaine à l'autre (par exemple, selon qu'on parle de législation fiscale, de droit de résidence, droits à la protection sociale).

Histoire

Le statut du travailleur transfrontalier a beaucoup varié selon les époques. Les gisements d'emplois réguliers étaient autrefois surtout agricoles et alors saisonniers, puis lors de la révolution industrielle, les charbonnages et la métallurgie et le textile ont nécessité une importante main d'œuvre, dont internationale et frontalière (Ainsi à la fin du XIXe siècle le développement du bassin minier attire de nombreux travailleurs belges en France ; dans le département du nord les grandes villes abritent plus de 20% de belges et beaucoup plus dans certains quartiers[3]. À la fin du XXe siècle les flux se sont inversés, c'est la Belgique qui attire les travailleurs français[1]. Dans le Nord de la France et en Wallonie, les charbonnages concurrents exploitaient un même bassin minier. De même les mines de fer de Lorraine et du Luxembourg exploitaient un même gisement de fer ; Dans ces deux régions industrielles, les échanges transfrontaliers d'une main-d’œuvre souvent déjà formée au métier ont été courants durant deux siècles (Dumont, 2004 : p. 18 ).) Un autre gisement d'emplois frontalier (gisement bien moindre que pour l'industrie) est le secteur de la finance (ex : Luxembourg (3612 frontaliers français en 2015) et la Suisse en Europe). Au Luxembourg le nombre des travailleurs frontaliers belges (qui était le plus élevé) tend à diminuer, au profit du nombre de français[4].

Autrefois les travailleurs s'installaient pour plusieurs semaines ou mois dans le pays voisin. Puis avec l'apparition du train puis des bus (vers 1920) les déplacements se sont faits hebdomadaires et enfin quotidiens (« navettes » une notion intégrée dans un accord sur le travail frontalier signé entre la France et la Belgique le  ; on parle aussi de déplacements pendulaires), avec donc une empreinte écologique accrue des transports transfrontaliers.

Les frontières elles-mêmes ont beaucoup changé de même que les relations géopolitiques entre pays riverains.

Enjeux socioéconomiques, environnementaux, sanitaires et culturels

Il est probable que depuis que les frontières existent, il existe aussi des travailleurs transfrontaliers, qui ont largement contribué au développement économique, culturel et social des régions frontalières.

On parle aujourd'hui d'enjeux de mobilité géographique du travailleur frontalier (souvent dépendants de la voiture individuelle[5],[6]), enjeux qui prennent une importance environnementale avec les émissions de gaz à effet de serre et les consommations d'énergie et pollutions routières, sonores, lumineuses, etc. exacerbées par les déplacements pendulaires.

Le travail frontalier a souvent contribué à la naissance d'une gouvernance transfrontalière et parfois à des pratiques locales particulières de démocratie ou de citoyenneté [1].

Des enjeux sanitaires particuliers existent en période de risque pandémique, ou pour le suivi de la santé des travailleurs détachés ou frontaliers[7]

Des enjeux de prospective existe pour les aménageurs du territoire qui doivent dans la mesure du possible anticiper sur les besoins administratifs et en infrastructures de transport et d'accueil.

Cas particuliers

Parmi les cas particuliers on peut citer les cas suivants :

  • nombreux étudiants (qui peuvent aussi lors de stages ou de contrats d'apprentissage ou d'un travail temporaire travailler dans le pays voisin où ils effectuent éventuellement aussi leur scolarité).

En France

Taux de salariés travailleurs transfrontaliers en France métropolitaine (par région, en 2015[8])

Dans ce pays des données sur le sujet sont par exemple et notamment collectées et analysées par l'INSEE, L’Observatoire interrégional du marché de l'emploi...

Dans le nord du pays des travailleurs transfrontaliers concernent la Belgique (Flandre, Région Bruxelles-Capitale et Wallonie), le Luxembourg et l'Allemagne..
Selon les données disponibles à l'INSEE en 2019, les flux de travailleurs transfrontaliers sont moindres dans le Nord de la France que dans d'autres régions. Il y avait fin 2017 environ 24 200 salariés des Hauts-de-France qui travaillaient à l'étranger (en grande majorité en Belgique : 23 700 personnes environ)).
1,6 % des salariés de la région étaient frontaliers seulement (contre 8,1% de ceux de la région Grand Est)[8]. 75% des salariés français travaillant fin 2017 en Belgique venaient des Hauts-de-France. La Belgique a été fiscalement autrefois plus attractive pour des travailleurs français ce qui avait conduit à des déplacements pendulaires inégaux, principalement orientés de la France vers la Belgique[1]. Elle l'est moins faisant que en 4 ans (de 2013 à 2017) le nombre de travailleurs des Hauts-de-France travaillant en Belgique a significativement diminué (-10,5 %) ; et inversement le nombre de belges venant travailler en Hauts-de-France a lui augmenté de 14,2 % dans le même temps (environ 10 500 salariés résident en Belgique venaient fin 2017 travailler dans les Hauts-de-France, à 97% dans le département du Nord.
Sans surprise (pour des raisons linguistiques) les arrondissements wallons et francophones de Mouscron, Tournai et Mons accueillent presque tous les frontaliers des Hauts-de-France. C'est en France la zone d'emploi de Maubeuge qui envoie le plus de salariés frontaliers en Belgique (7,7 % des salariés)[8].
En termes de genre, fin 2017, 71% travailleurs frontaliers des hauts de France étaient des hommes (alors que ces derniers sont 53 % des actifs dans cette région). En termes de type d'emploi, plus de 50% de ces travailleurs sont des ouvriers (ouvriers qualifié de l'industrie manufacturière notamment). Les profils ouvriers sont les plus nombreux au nord de la région hauts-de-France, près des zones et sites et industriels flamands (zones non francophone) alors qu'au sud de la Wallonie, les jeunes cadres travaillent dans le domaine de la santé publique dominent[8]. Depuis les années 2000 émergent dans cette région deux pôles de gouvernance transfrontalière ; sur le secteur Dunkerquois d'une part, et sur le secteur LIKOTO (Lille-Courtrai,Tournai)[9].

Droit du travail transfrontalier

Il a beaucoup varié selon les époques et les contextes.

Il porte notamment sur les contrats de travail, la retraite, les remboursements d'allocations chômage[10] la fiscalité (parfois très complexe pour les frontaliers[11]), la sécurité sociale et l'assurance maladie, avec une harmonisation progressive entre pays en Europe[12] (où comme ailleurs des cas de régimes discriminatoires pouvaient ou peuvent encore concerner des travailleurs transfrontaliers dont le revenu peut être soumis à plusieurs législations fiscales …)[13].

Il a toujours été modifié ou perturbé lors des périodes de guerre ou de révolution et plus ou moins facilité dans les contexte de manque de main d'œuvre ou lorsqu'une frontière sépare deux pays à niveau de richesse très différents (Mexique/États-Unis par exemple).

Ces travailleurs sont souvent parmi les plus vulnérables aux aléas de la conjoncture économique.
Il existe une ONG, l'association CDTF (Comité de défense des travailleurs frontaliers) dédiée aux droits de ces travailleurs[14].

En Europe

En Europe chaque citoyen européen peut librement se déplacer d'un État membre de l'UE à des fins de travail sans subir de discrimination en matière d'emploi, de rémunération ou d'autres conditions de travail[15]. Le travailleur frontalier a des droits prévus par des règles communautaires spéciales qui sont notamment :

  • la sécurité sociale : des règles communautaires définissent dans ce cadre une notion de travailleur frontalier (salarié ou indépendant) permettant de déterminer dans quel État membre le travailleur a droit aux prestations sociales[15].
  • la fiscalité : Elle relève subsidiairement des États. Il n'y a pas de règles communautaires particulières dédiées aux travailleurs frontaliers ni de définition propre du travailleur transfrontalier. Les droits d'imposition sont donc répartis entre les États membres concernés, au vu des règles fiscales qui y existent. Des États membres riverains se mettent souvent d'accord sur des règles spéciales pour les travailleurs transfrontaliers (conventions bilatérales de double imposition ; les règles peuvent fortement varier selon les états, allant d'une convention de double imposition à d'autres règles[15]. Ceci concerne tant la définition des taxes/impôts que la répartition des droits d'imposition entre les États membres concernés. Théoriquement les règles spéciales dédiées aux travailleurs frontaliers sont limitées aux personnes qui vivent et travaillent à proximité de la frontière et qui sont employées. Parfois elles ne concernent que les employés du secteur privé. Parfois le travailleur peut choisir d'être imposés dans l'un des États membres ou dans les deux et dans ce dernier cas, l'impôt payé dans l'État membre où les travaux sont exécutés sont habituellement aussi prise en compte pour le calcul de la charge fiscale dans l'État membre de résidence, pour qu'il n'y ait pas de double imposition, mais la jurisprudence européenne[16].
  • non-discrimination dans l'État de résidence ; elle est garantie par le traité CE (un travailleur transfrontalier ne peut être discriminé en raison de ce statut dans son État de résidence ; il a le même droit à la déduction des coûts liés au travail ou aux coûts de la personne (ex : frais de déplacement aller-retour au travail, cotisations de sécurité sociale payées dans l'État membre d'emploi ou d'activité indépendante, frais de garde d'enfants, les cotisations de pension, etc. En Europe, dans l'État où il exerce son emploi, le travailleur transfrontalier est inclus dans la catégorie des travailleurs non-résidents (ce qui signifie que sa résidence fiscale est ailleurs, mais que conformément aux articles 39 CE et 7 du règlement 1612/68, il a les mêmes avantages fiscaux que les travailleurs nationaux. Concernant sa situation personnelle et familiale, cette même règle s'applique tant que la situation d'un travailleur non-résident est comparable à celle d'un travailleur résident. La Cour européenne de justice considère que les résidents et non-résidents ne sont généralement pas dans la même situation et que donc des différences de taxation entre résidents et non-résidents ne constituent pas nécessairement une discrimination.
    Les règles interdisant dans un pays européen la déduction des frais et dépenses d'un revenu imposable ne sont pas autorisées si les frais et dépenses sont directement liés à l'activité économique qui a généré le revenu imposable[15].

Recommandation européenne : Le , la Commission a publié une recommandation (94/079 / CE) sur l’imposition de certains éléments de revenus perçus par des non-résidents dans un État membre autre que celui dans lequel ils résident.la commission invite les États membres à mettre en place un système communautaire d'imposition des revenus des travailleurs non-résidents[15]. Les non-résidents devraient avoir droit au même traitement fiscal que les résidents s'ils perçoivent la majeure partie de leurs revenus totaux dans un État membre. L'État membre de résidence serait alors autorisé à réduire les avantages fiscaux personnels en conséquence, pour éviter que les indemnités personnelles ne puissent être utilisées deux fois. la jurisprudence européenne a confirmé ces principes le [17] et dans des arrêts ultérieurs[18],[15].

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Bibliographie


Références

  1. Tilly Pierre (2012). Les frontaliers du nord autour de la métropole lilloise: une longue histoire commune. In: Belkacem Rachid et Pigeron-Piroth Isabelle, le travail frontalier au sein de la Grande Région Saar-Lor-Lux. Pratiques, enjeux et perspectives, PUN-Editions Universitaires de Lorraine : Nançy 2012, p. 502 .
  2. Règlement (CEE) n°1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté.
  3. Voir carte de la page 6/19, in Tilly Pierre (2012) Les frontaliers du nord autour de la métropole lilloise: une longue histoire commune. In: Belkacem Rachid et Pigeron-Piroth Isabelle, le travail frontalier au sein de la Grande Région Saar-Lor-Lux. Pratiques, enjeux et perspectives, PUN-Editions Universitaires de Lorraine : Nançy 2012, p. 502
  4. FROMENTIN, V. Cluster financier et travailleurs frontaliers dans le territoire de la Grande Région. URL=https://www.researchgate.net/profile/Vincent_Fromentin/publication/323779733_Cluster_financier_et_travailleurs_frontaliers_dans_le_territoire_de_la_Grande_Region/links/5aaa6b05a6fdccd3b9bbd8f3/Cluster-financier-et-travailleurs-frontaliers-dans-le-territoire-de-la-Grande-Region.pdf
  5. Lambotte, J. M., Rouchet, H., & Halleux, J. M. (2007). Maîtriser la dépendance automobile par l’aménagement du territoire en contexte transfrontalier. Le cas de la Wallonie. Mosella, 32(1-4), 139-153.
  6. Lambotte J.M (2012) Dépendance à la voiture et déplacements domicile/travail transfrontaliers depuis et vers la Wallonie. Le travail frontalier au sein de la Grande Région Saar-Lor-Lux. Pratiques, enjeux et Perspectives, 89-106 | URL=https://orbi.uliege.be/bitstream/2268/164541/1/89-106_Lambotte.pdf |
  7. Hamzaoui, H., Gonzalez, M., Fonmartin, K., Broessel, N., Donnay, C., Mercatoris, L., & Cantineau, A. (2006). Difficultés du suivi médical et de la prévention des risques professionnels chez les travailleurs transfrontaliers: exemple d’un cas d’intoxication au cyanure. Archives des Maladies Professionnelles et de l'Environnement, 67(2), 169-170.
  8. Edwige Crocquey, Fabrice Mille & Adeline Roszak (2019) L’emploi frontalier des Hauts-de-France vers la Belgique : une attractivité modérée et contrastée ; Insee Hauts-de-France|Etude de l'INSEE associant le conseil régional des Hauts-de-France, le conseil départemental du Nord, la Métropole européenne de Lille (MEL) et le Secrétariat général pour les affaires régionales (Sgar), au service de la connaissance du marché du travail transfrontalier |URL = https://www.insee.fr/fr/statistiques/3899294
  9. Durand F (2013) Émergence d'une gouvernance métropolitaine transfrontalière au sein de l'Eurométropole Lille-Kortrijk-Tournai. Analyse des relations entre les organisations dans le domaine du transport public transfrontalier. In Annales de géographie (No. 3, pp. 290-311). Armand Colin.
  10. Germain, S. (2016). Transfrontaliers chômeurs: le gros raté franco-suisse. Alternatives économiques, (5), 30-30.
  11. Bianchin A (2017) La complexité de la fiscalité pour les travailleurs transfrontaliers-Cas des Belges au Luxembourg.
  12. Lacoste O & Vaguet A (1994) Frontière et santé. Hommes et Terres du Nord, 2(2), 82-88|URL:https://www.persee.fr/doc/htn_0018-439x_1994_num_2_1_2460
  13. Gobalraja, N., & Benessy, A. (2008). ″L′ Harmonisation Fiscale ″. Revue de OFCE, 03.
  14. « Jean-Luc Johaneck, Président du C.D.T.F ; La grande armée des frontaliers Magazine Le Point, consulté le 4 février 2012»
  15. Cross-border workers , commission européenne, consulté le 05 avril 2019.
  16. affaire Gilly, par. 46. C-336/96.
  17. Jurisprudence européenne, affaire Schumacker (C-279/93).
  18. Gschwind C-391/97, Zurstrassen C-87/99, Gerritse C-234/01, Wallentin C-169/03 et Meindl C-329/05. L'affaire Gschwind pose que les non-résidents gagnant 90% ou plus de leur revenu total dans l'état d'emploi devraient normalement avoir droit au même traitement fiscal que les résidents.
  • Portail du droit
  • Portail de l’Europe
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.