Terreur blanche (Espagne)

Les noms de Terreur blanche (en espagnol, Terror Blanco[1]) ou de répression franquiste (Represión Franquista) désignent l'ensemble des exactions et répressions politiques exercées par le camp nationaliste puis par la dictature franquiste durant et après la guerre d'Espagne. Durant le conflit, elle se déroula en parallèle à la terreur rouge pratiquée en zone républicaine.

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Une des fosses communes découvertes à Estépar (province de Burgos), datant d'août-, au début de la Guerre d'Espagne.

La Terreur blanche proprement dite est considérée comme ayant duré environ jusqu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945[2] bien que le concept de « répression franquiste » puisse s'entendre comme englobant l'ensemble des politiques répressives menées jusqu'à la mort de Francisco Franco en 1975.

Il existe en Espagne entre 600 et 800 charniers de républicains et d'opposants à la dictature franquiste. Des charniers contenant des milliers de cadavres de républicains assassinés sont encore découverts au début du XXIe siècle[3].

Contexte

La terreur mise en place par les franquistes relève dès le début d'une volonté délibérée de détruire les fondements de la République espagnole. Dès avant le coup d'État des 17 et 18 juillet 1936, les officiers nationalistes prévoient de mettre en œuvre une purge politique radicale : dans son Instruction réservée n°1 datée du , le général Emilio Mola prévoit de « tenir compte de ce que l'action doit revêtir une violence extrême pour réduire le plus vite possible un ennemi qui est fort et bien organisé », prévoyant de soumettre à « des châtiments exemplaires » les dirigeants politiques et syndicaux et les notables qui ne soutiendraient pas le mouvement. Pour des raisons « relevant à la fois de la propagande et de l'autosuggestion », l'action est présentée comme préventive, afin d'empêcher une révolution communiste suscitée par les marxistes et les anarchistes : la politique d'extermination se présente d'emblée comme revêtue de la « légitimité » manichéenne d'un « combat du bien contre le mal »[4].

Purge de la population

Dès le début du conflit, les nationalistes mettent en œuvre une politique de répression violente pour réduire leurs adversaires, mais aussi pour soumettre une majorité hostile dans de nombreuses régions du pays. Entre et le début de 1937, les autorités nationalistes autorisent des tueries « discrétionnaires » mais la répression est bientôt planifiée et méthodiquement organisée[5]. L'armée est également visée : des militaires fidèles au gouvernement républicain ou simplement hésitants sont abattus par leurs collègues ou leurs subordonnés dès le début du soulèvement. Huit généraux, un amiral, et un nombre important d'officiers subalternes sont abattus entre 1936 et 1939[6]

La répression dans les territoires conquis par les nationalistes commence par l'exécution des dirigeants syndicaux et du gouvernement républicain, souvent abattus sur-le-champ. Les officiers restés fidèles au gouvernement sont également exécutés. Une fois les premières troupes nationalistes parties, la répression est poursuivie par la Phalange et par les requetés, qui se livrent à une purge de la population civile, visant dirigeants syndicaux, fonctionnaires du gouvernement républicain, politiciens de centre-gauche mais aussi intellectuels et enseignants supposés sympathisants de la République. A Huesca, une centaine de personnes soupçonnées d'appartenir à la franc-maçonnerie sont abattues, alors que la loge locale compte à peine une douzaine de membres[7]. Le fait que les troupes nationalistes aient ou non rencontré une opposition ouverte ne fait pas de différence : à Burgos et à Pampelune, où aucune résistance n'est opposée, les purges commencent immédiatement[8].

Les nationalistes instituent des comités locaux, composés généralement de notables locaux, chargés de juger libéraux, francs-maçons et sympathisants de gauche réels ou supposés. La répression est particulièrement intense dans les fiefs de l'UGT et de la CNT, et tout particulièrement dans les régions où le Front populaire avait remporté les élections. A Logroño, plus de 2 000 personnes sont exécutées et enterrées dans des fosses communes.

En Andalousie, en Castille, à Saragosse, à Majorque, la répression nationaliste est exercée, faisant preuve d'une « obsession du nettoyage idéologique et de l'épuration sociale ». 8 000 personnes sont exécutées à Séville, dont 3 028 dans la ville même avant [9], les survivants étant achevés au couteau ou à la baïonnette[10].

Au Pays basque, la répression vise notamment le clergé et les milieux catholiques, des listes de prêtres accusés de sympathies séparatistes ayant été dressées. Dès l'été 1936, des militants laïcs et des syndicalistes chrétiens sont exécutés en nombre, sans que le nombre des victimes dans les milieux catholiques ne soit exactement connu. On estime néanmoins qu'un tiers du clergé basque fut victime de cette épuration[11]. Les figures de l'intelligentsia catholique progressiste ou simplement libérale sont traitées en ennemies[12].

Le , à Pampelune, des Phalangistes et des Requetés font cinquante ou soixante prisonniers, dont des prêtres soupçonnés de séparatisme basque : les otages sont tous fusillés, les phalangistes refusant de laisser aux prêtres le temps de les confesser. 2 789 victimes seront plus tard identifiées dans la province[8]. À l'arrière du front, dans les zones nationalistes, la Phalange organise des escadrons mobiles pour mener à bien des opérations de nettoyage, afin de réaliser l'amputation des « membres gangrénés de la nation »[13]

Exactions des troupes nationalistes

Lors de la prise de Cordoue, tombée sans grande résistance, le commandant de la Guardia civil, Bruno Ibañez, est explicitement chargé de mettre en place la répression là où les troupes nationalistes ont été jugées trop clémentes : plus d'une centaine de personnes sont arrêtées et exécutées dans les premiers jours. Environ 10 000 personnes sont tuées à Cordoue durant la guerre, soit près de 10 % de la population. Le massacre de Badajoz, commis par les troupes de Juan Yagüe, cause entre 6 000 et 12 000 morts dans toute la province. Les colonnes de soldats nationalistes avançant sur Madrid rasent des villages entiers. Les Regulares, troupes musulmanes du Maroc espagnol, qualifiés de « chrétiens honoraires » par les nationalistes, se distinguent par les atrocités commises, soulevant contre eux une haine particulière dans le camp républicain[14].

En de nombreux endroits, les tueries commises par les troupes nationalistes, durant et après le conflit, excèdent de beaucoup celles commises par le camp républicain : selon les chiffres obtenus par le consul du Royaume-Uni à Malaga, environ 16 952 personnes ont été exécutées dans la ville entre et . Les « rouges » ayant précédemment tenu Málaga avaient exécuté ou assassiné environ 1005 personnes entre et ; les victimes faites par les nationalistes lors de leur première semaine de présence, du 8 au , se montent à 3 500[15].

Exécutions après la fin de la guerre

Durant les années de la seconde guerre mondiale, vu comme l'ennemi intérieur, « plusieurs dizaines de milliers de républicains furent encore passés par les armes[16]. »

Les procès sont particulièrement arbitraires. Des groupes de prisonniers, qui ne se connaissent pas entre eux et qui sont accusés de délits différents, sont jugés d’un bloc. Ils n’ont pas accès au dossier à charge, qui consiste en accusations lues à haute voix, sans qu'aucune preuve ne soit avancée. Le juge, le procureur et l’avocat de la défense sont tous des membres de l'armée franquiste. Il n’est jamais permis de faire appel[17].

Ainsi, lors du procès d'une vingtaine d'anciens soldats républicains, le procureur déclare : « Peu m’importe que vous soyez ou non innocent de ce dont on vous accuse, je ne veux même pas le savoir. Et je ne prendrai pas connaissance des excuses, alibis ou circonstances atténuantes que vous pourriez invoquer. Comme dans les précédentes cours martiales, je dois fonder mes accusations sur les dossiers préparés par les enquêteurs d’après les dénonciations. Pour les accusés, je représente la justice. Ce n’est pas moi qui les condamne, mais leur propre ville, leurs ennemis, leurs voisins. Je ne fais que prêter ma voix aux accusations que d’autres ont formulées discrètement. Mon attitude est cruelle et impitoyable, et on pourrait croire que mon travail consiste simplement à alimenter les pelotons d’exécution pour que leur travail de purification sociale puisse se poursuivre. Mais non, nous tous ici qui avons gagné la guerre, nous y participons et notre vœu est d’éliminer toute opposition afin d’imposer notre ordre. Considérant qu’il y a des crimes de sang dans toutes les accusations, j’en suis arrivé à la conclusion que je dois exiger la peine de mort ; j’exige le peloton pour les dix-huit premiers de la liste et le garrot pour les deux autres. Rien de plus. » L’avocat de la défense représente les vingt accusés en même temps, sans avoir le temps ou la possibilité de préparer la moindre argumentation. Il se lève et dit : « Après avoir entendu les graves accusations qui ont été prononcées contre ceux que je suis ici pour défendre, je ne peux que plaider la pitié. Rien de plus[17]. »

Bilan

Les tueries assimilées à la « Terreur blanche » durent encore plusieurs années après la fin de la guerre. Le bilan officiel, qui ne concerne qu'un peu plus de la moitié du territoire espagnol, s'élève à environ 80 000 personnes tuées par les nationalistes. Selon l'historien britannique Antony Beevor, le nombre total des victimes de la répression franquiste pourrait approcher les 200 000, compte tenu du fait que le bilan de la guerre civile dans plusieurs provinces espagnoles n'a pas encore été réalisé[18]. Toutefois selon l'étude réalisée par le docteur Larrazabal dans le cadre de la consultation des statistiques de l'INE (Instititi Nacional de Estadistica) et des registres de l'état civil, le nombre des exécutés judiciairement du au est de 22 716[réf. nécessaire].

Selon l'historien britannique Hugh Thomas, le bilan de la répression nationaliste s'élève à 75 000 morts pendant la guerre dont les deux tiers sont tués lors des six premiers mois du conflit, « y compris les exécutions dans les camps d'internement, sur le front ou ordonnées par les tribunaux après 1936 »[19].

Différentes estimations globales présentent des chiffres se montant à environ 150 000 victimes[20], certaines allant jusqu'à 400 000 morts[21],[22], en fonction de la période considérée et de l'inclusion ou non des victimes des camps. Guy Hermet ne tranche pas entre les diverses estimations, mais souligne que les massacres « se sont prolongés plus longtemps dans l'État national pourtant moins menacé que son homologue républicain ». Parmi les centaines de milliers de prisonniers des camps franquistes, 192 000 auraient été fusillés, parfois plusieurs années après la guerre civile, avec des pics de plusieurs centaines d'exécutions par jour durant certaines périodes de 1939 et 1940[23].

Notes et références

  1. Terror blanco y terror rojo (España)
  2. Helen Graham, The Spanish Civil War. A Very Short Introduction, Oxford University Press, 2005 p.136
  3. Pierre Beuchot et Jean-Noël Jeanneney, « Contre l’oubli, la trace des dictatures », documentaire, France, 2009.
  4. Guy Hermet, La Guerre d'Espagne, Seuil, 1989, page 176-177
  5. Antony Beevor, La Guerre d'Espagne, Calmann-Lévy, 2006, pp. 169-170
  6. Guy Hermet, La Guerre d'Espagne, Seuil, 1989, page 178
  7. Antony Beevor, La Guerre d'Espagne, Calmann-Lévy, 2006, pp. 170-171
  8. Antony Beevor, La Guerre d'Espagne, Calmann-Lévy, 2006, pp. 172-173
  9. Bartolomé Bennassar (dit « B20, ou Booba »), La Guerre d'Espagne et ses lendemains, Perrin, 2004, page 113
  10. Antony Beevor, La Guerre d'Espagne, Calmann-Lévy, 2006, pp. 173-174
  11. Barroso (Anabella), Sacerdotes bajo la atenta mirada del régimen franquista, Bilbao, Desclée De Brouwer, 1995, p. 46
  12. Guy Hermet, La Guerre d'Espagne, Seuil, 1989, page 178-179
  13. Antony Beevor, La Guerre d'Espagne, Calmann-Lévy, 2006, pp. 179-180
  14. Antony Beevor, La Guerre d'Espagne, Calmann-Lévy, 2006, pp. 175-176
  15. Antony Beevor, La Guerre d'Espagne, Calmann-Lévy, 2006, p. 178
  16. 1937-1947 : la guerre-monde. Collectifs sous la direction d'Alya Aglan et Robert Frank, Éditions Gallimard, Collection Folio histoire (n° 244), Paris, 2015
  17. Paul Preston, « Les républicains, des bêtes au sabot fendu », sur Le Monde diplomatique,
  18. Antony Beevor, La Guerre d'Espagne, Calmann-Lévy, 2006, pp. 180-181
  19. Hugh Thomas, La guerre d'Espagne, Robert Laffont, édition de 2009, p.209 et p.711.
  20. CASANOVA, Julían; ESPINOSA, Francisco; MIR, Conxita; Moreno Gómez, Francisco. Morir, matar, sobrevivir. La violencia en la dictadura de Franco. Editorial Crítica. Barcelona. 2002. p.8.
  21. Richards, Michael. A Time of Silence: Civil War and the Culture of Repression in Franco's Spain, 1936-1945. Cambridge University Press. 1998. p.11.
  22. Jackson, Gabriel. La república española y la guerra civil. RBA. 2005. Barcelona. p.466.
  23. Guy Hermet, La Guerre d'Espagne, Seuil, 1989, page 180

Voir aussi

Bibliographie

  • Bartolomé Bennassar, La Guerre d'Espagne et ses lendemains, Perrin, 2004
  • Antony Beevor, La Guerre d’Espagne, Calmann-Lévy, Paris 2006
  • Guy Hermet, La Guerre d'Espagne, Seuil, 1989
  • Hugh Thomas, La Guerre d'Espagne, Robert Laffont, réed 2009
  • Helen Graham, The Spanish Civil War. A Very Short Introduction, Oxford University Press, 2005 (en)

Articles connexes

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