Tableaux de mission

Les taolennou ou tableaux de mission sont des instruments de reconquête spirituelle constitués d'illustrations destinées à l’enseignement de la religion et à l’évangélisation. Créées en Bretagne au XVIe siècle, répandues dans le monde entier et utilisées jusqu'au milieu du XXe siècle, les représentations, pour la plupart non signées, symbolisent le mal et les péchés capitaux.

Description

Aux XVIe siècle et XVIIe siècle, dans le contexte de la Reconquête catholique, dite Réforme catholique ou parfois Contre-Réforme, elle-même consécutive à la Réforme protestante, une partie du clergé catholique a le souci de mieux s'adapter aux fidèles, par exemple en employant leur langue vernaculaire pendant une partie des cérémonies et lors des prêches, mais aussi en développant une culture de l'image plus aisément accessible que les textes écrits pour des fidèles souvent analphabètes, d'où l'essor des vitraux, des retables, des images pieuses, des statues, mais aussi par exemple en Bretagne, des calvaires aux nombreuses sculptures ou encore des tableaux de mission utilisés par les prédicateurs lors des Missions paroissiales.

Taolenn utilisé par Michel Le Nobletz : la carte du miroir du monde
Taolenn du probablement au chanoine Paul Peyron (vers 1900)

Vincent Huby, jésuite né à Hennebont, fut le premier à utiliser des tableaux sacrés dans la salle commune d'une maison de retraites religieuses (donc hors d'une église) à Vannes pour occuper des temps libres des retraitants. Le choix d'un lieu non sacré pour présenter ces images lui permettait une plus grande liberté dans leur composition. "La prédication, en effet, se donne à partir d’une série de douze “ images morales ”, quatre représentant les fins dernières (mort du pécheur, enfer, mort du juste, paradis) et huit cœurs allégoriques. Bien que le succès de ces tableaux ait largement dépassé la Bretagne, c’est pourtant dans la région, et surtout auprès des fidèles bretonnants, qu’il a été important et durable[1].

Ces tableaux utilisent fréquemment des représentations d'animaux pour mieux faire passer le message religieux à destination d'un public populaire peu instruit, souvent même analphabète. Par exemple, François Kerneau, curé de Plougonven, écrit en 1783: " L’usage de représenter des choses invisibles par l’intermédiaire de certaines images est très ancien et conforme à la volonté de Dieu (…). Dieu ordonna (…) à Moïse dans le désert de fabriquer un beau serpent qui restituait la santé à ceux que les serpents avaient mordus, quand ils le regardaient. La guérison qu’ils recevaient ne venait pas, dit l’Esprit Saint, de ce qu’ils voyaient, mais de celui qui était représenté par l’intermédiaire du serpent. Non per hoc quod videbat, sanabatur, sed per te omnium salvatorem (Sap : 16). Dans l’évangile, il est représenté sous la forme d’un agneau aimable (Jean : 1), sous la forme d’une poule qui s’empresse de rassembler ses poussins (Math : 23) ”[2].

Michel Le Nobletz, né en 1577 à Plouguerneau, invente un nouveau mode de prédication proche de la bande dessinée, illustrant ses propos de tableaux représentant des « cartes » qui illustrent les voies ou chemins à suivre pour les fidèles pour progresser dans la vie spirituelle. « La "carte de la Croix" ou certaines images de la carte dite "des Cœurs" peuvent en effet se lire comme une traduction en langage populaire des Exercices » de saint Ignace de Loyola[3]. Mais pour capter l’attention du public, dans son commentaire de la carte dite "des Cœurs", le prêtre plougonvelinois choisit lui aussi d’illustrer les péchés capitaux par des animaux : ainsi, le chien pour représenter l’envie, le loup pour la colère, ou la tortue pour la paresse[1]. On évalue à au moins 70 le nombre de cartes différentes qui auraient été peintes et à une centaine le nombre des copies réalisées. Le seul évêché de Quimper a conservé 14 cartes, représentant 12 sujets différents (deux étant en double)[4]. Les cartes conservées sont toutes sur des peaux de moutons, mais à l'origine elles semblent, au moins certaines, avoir été peintes sur du bois. Les cartes originelles auraient été peintes entre 1613 et 1639[5].

Ces tableaux sont dessinés à la façon des Cartes de Tendre décrivant l'imaginaire spirituel selon des voyages imaginaires du chrétien. Dessinés et peints, pour les plus anciens sur parchemin, de façon à la fois réaliste et naïve, ils constituent de savoureux documents sur les sociétés locales et la vie quotidienne. Ces tableaux étaient parfois confiés par les prédicateurs à des femmes dévotes qui allaient de famille en famille (elles pouvaient pénétrer dans les domiciles plus aisément que les prédicateurs eux-mêmes). Elles pouvaient ainsi, selon une méthode reprise par les évangélistes désormais, suppléer à l'illettrisme qui limitait la diffusion des livres de dévotion et d'atteindre même la partie de la population qui ne fréquentait pas les églises[6]. Les plus célèbres prédicateurs ayant utilisé des tableaux de mission furent Dom Michel Le Nobletz au XVIIe siècle et le Père Julien Maunoir, ce dernier ne les ayant apparemment utilisés que de manière sporadique.

Les taolennoù furent utilisés par des prédicateurs jusqu'au milieu du XXe siècle : au début du XXe siècle, le chanoine Paul Peyron en a peint, et d'autres encore comme le RP Cariou ; les commandes, faites en 1936 puis en 1945 par les missionnaires Montfortains de Guipavas à Xavier de Langlais, d’un ensemble de cinq taolennou, très largement inspirées des images de Vincent Huby, en sont la preuve. Ces tableaux[7], classés par les Monuments historiques, sont conservés à la maison des Missionnaires montfortains au Rody en Guipavas.

Quelques exemples

  • François Kerneau, né à Lézardrieux en 1743, prêtre en 1767, fut pourvu de la cure de Plougonven en 1780, et c’est là qu’il mourut en 1818. Il a écrit ou à tout le moins recopié, car il n'est pas certain qu'il en soit l'auteur, “ Notes pour l’explication des tableaux des missions et retraites ”, ouvrage daté de 1783, totalement rédigé en breton à l'exception de son titre, qui explique comment commenter les taolennoù[8].
  • Des taolennou (tableaux de mission en langue bretonne) retrouvés à Combrit[9] sont probablement l'œuvre du chanoine Paul Peyron, secrétaire, puis chancelier de l'Évêché de Quimper de 1866 à sa mort en 1920. Le compte-rendu de la Semaine religieuse de Quimper et de Léon, revue publiée en 1924, indique qu'ils ont été probablement utilisés à Combrit lors des Missions paroissiales de 1919 et 1924. Ils auraient aussi servi lors des Missions de 1938 et 1948.
  • François-Marie Balanant (1862-1930), abbé finistérien, prédicateur et « tableauteur », composa un recueil de 12 tableaux commentés, représentant les différents états de l’âme du chrétien (péché, mort, conversion, etc.) sous la forme d’un cœur surmonté d’une tête humaine, mais qui sont en fait des copies de ceux de Paul Peyron[10].
  • Le Révérend Père Cariou a aussi peint vers 1900 des taolennou, peints sur du bois Isorel et conservés à l'évêché de Quimper ; ils ont comme point commun d'illustrer les prédications de Michel Le Nobletz :
  • L’homme chrétien est un ensemble de 10 tableaux de mission peints par Marc Choisnard en 1930, classés Monuments historiques en 2005, conservés à l'évêché de Quimper[11].

Bibliographie

  • Roudaut (Fañch), Croix (Alain), Broudic (Fañch). - Les chemins du paradis (Taolennou ar baradoz) / Poltrejou gand Padrig Sicard. - Douarnenez : Le Chasse-Marée / ed. de l'Estran, 1988. -188 p., skeud. (ISBN 2-903708-15-0)
  • Anne Sauvy, Le miroir du cœur. Quatre siècles d'images savantes et populaires, Cerf, Paris, 1989.
  • An Taolennou. Le ciel et l'enfer. Des tableaux de mission à la bande dessinée 1630-1950, catalogue d'exposition du château de Kerjean, 1990.
  • Taolennoù. Michel Le Nobletz. Tableaux de mission, Yann Celton (dir), Hervé Queinnec, Yann-Kelig Cotto, Kristell Loussouarn, éditions Locus Solus, Châteaulin, , 72 p. (ISBN 978-2-36833-186-6)

Notes et références

  1. Fanch Roudaut et Ronan Calvez, "Les animaux dans les taolennou: une image globalement négative" in "Regards étonnés : de l'expression de l'altérité ... à la construction de l'identité. Mélanges offerts au Professeur Gaël Milin (2003) 27-40", consultable http://hal.univ-brest.fr/docs/00/44/18/25/PDF/Roudaut_Calvez_Regards_etonnes_.pdf
  2. Notes pour l’explication des tableaux des missions et retraites ”, ouvrage daté de 1783, cité fréquemment et analysé dans : Fanch Roudaut et Ronan Calvez, "Les animaux dans les taolennou: une image globalement négative" in "Regards étonnés : de l'expression de l'altérité ... à la construction de l'identité. Mélanges offerts au Professeur Gaël Milin (2003) 27-40", consultable http://hal.univ-brest.fr/docs/00/44/18/25/PDF/Roudaut_Calvez_Regards_etonnes_.pdf
  3. Hervé Queinnec, "Le catéchisme mystique de dom Michel Le Nobletz", Christus, no 261, janvier 2019, p. 95.
  4. Hervé Queinnec, "Les douze cartes peintes de dom Michel à l'évêché de Quimper", sur https://diocese-quimper.fr/fr/archives (lire en ligne).
  5. Alain Croix, Note explicative lors d'une exposition sur les taolennou réalisée à Combrit en mars 2012
  6. Lautman, Françoise, « Roudaut (Fanch) Croix (Alain) Broudic (Fanch) Les Chemins du Paradis. Taolennou ar Baradoz », Archives de Sciences Sociales des Religions, Persée - Portail des revues scientifiques en SHS, vol. 68, no 2, , p. 290–291 (lire en ligne , consulté le ).
  7. Notice no PM29002033, base Palissy, ministère français de la Culture
  8. http://hal.univ-brest.fr/docs/00/44/18/25/PDF/Roudaut_Calvez_Regards_etonnes_.pdf
  9. Hervé Queinnec, "Onze taolennou retrouvés à Combrit", Revue Ar Men n°149, novembre-décembre 2005
  10. Balanant, François-Marie (1862-1930), "Taolennou ar mission / displeget gand ann aotrou Balanant," Consultable sur la bibliothèque numérique de l'Université Rennes 2
  11. Notice no PM29002126, base Palissy, ministère français de la Culture
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