Sophie Dawes

Sophie Dawes, baronne de Feuchères est une courtisane britannique, née à St Helens dans l'île de Wight le et morte à Londres le .

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Elle fut la maîtresse influente du dernier prince de Condé, Louis VI Henri de Bourbon-Condé (1756-1830), père du duc d'Enghien, qui fut jusqu'en 1830 le premier propriétaire foncier de France, et dont elle se fit attribuer une partie des biens.

Biographie

Bne de Feuchères, en deuil du prince de Condé. Portrait (120cm x 90cm) par Aimée Brune-Pagès (1830). Hérité de sa femme en 1840, ce portrait fut donné par le Gal de Feuchères à son aide-de-camp Emile Doumet, puis transmis jusqu'à nos jours dans la descendance de ce dernier. Collection privée

De la misère à la gloire

Fille de Richard Daw ou Dawes (1751-1828), pêcheur et contrebandier d'alcool, de tabac et de soie de l'île de Wight, Sophie, envoyée à Londres comme courtisane (ou comme servante dans une maison close[1]), y rencontra le duc de Bourbon. Prince du sang alors en exil, le duc était le fils unique du prince de Condé qui avait constitué une armée afin de lutter contre la Révolution Française. A quatorze ans, il avait épousé une cousine Bathilde d'Orléans dont le père, bien que membre de la famille royale, avait voté la mort de Louis XVI. Le couple vivait séparément depuis 1781. Son fils unique, le duc d'Enghien, enlevé par des agents au service du premier consul français, Napoléon Bonaparte, avait été exécuté sommairement en 1804. Sophie Dawes, âgé de 19 ans, devint en 1810 la maîtresse du prince quinquagénaire. Une légende voudrait qu'elle eut été l'objet d'une partie de whist entre le duc et le duc de Kent, fils cadet du roi Georges III du Royaume-Uni - et futur père de la reine Victoria - qui fréquentait la même maison.

Le duc de Bourbon, qui avait cinquante-cinq ans, tomba sous sa coupe, l'installa en 1811 dans une maison de Gloucester Street et lui fit donner des cours de bonnes manières, de langues anciennes et modernes et de musique; elle apprit ainsi à parler un français sans faute mais garda son accent.

Le duc rentra en France sous la Restauration, rejoint après les Cent-Jours par Sophie Dawes[2]. Son père mourut le et le duc de Bourbon hérita de ses titres et de ses biens. Devenu prince de Condé, toujours attaché à sa maîtresse et voulant lui permettre de paraître sans scandale à la Cour, le prince lui fit épouser dès le suivant son aide de camp Adrien Victor Feuchères (1785-1857) fils d'un bourgeois de Paris originaire de Nîmes qui ignorait la nature des relations entre le duc et Sophie Dawes et la prenait pour sa fille naturelle. Il fit titrer baron () le mari de sa maîtresse qui lui dut innocemment le début de sa carrière. Il fut successivement lieutenant-colonel, colonel d'infanterie (1823) maréchal de camp (1830), lieutenant général (1843), et député du Gard de 1846 à 1848.

Jolie, intelligente et ambitieuse, la baronne de Feuchères ne tarda pas à se faire remarquer à la cour de Louis XVIII et au Palais-Royal chez le duc d'Orléans, chef de la branche cadette de la Maison de France et neveu du prince de Condé.

La disgrâce

En 1822, Feuchères finit par découvrir la nature des relations qu'entretenait son épouse avec le prince de Condé ; humilié d'avoir été à peu près le seul dans l'ignorance de ce « secret de Polichinelle » qui faisait jaser le Tout-Paris, il quitta sa femme, lui restitua sa dot et lui imposa en mars 1824 une séparation officielle, qui fit scandale et priva la baronne de Feuchères de son statut mondain. Elle se vit interdire de paraître à la Cour et, par voie de conséquence, cessa également d'être reçue au Palais-Royal et dans les salons à la mode.

Si cette situation convenait parfaitement au prince de Condé dont la préoccupation principale à près de 70 ans était la chasse et qui se contentait parfaitement de cette vie solitaire, l'intrigante - et toujours jeune - baronne ne l'entendait pas ainsi; pour rétablir sa position perdue, elle manœuvra habilement.

Préparer l'avenir

En , par l'entremise de l'intendant du prince, elle invita à dîner au Palais-Bourbon le chevalier de Broval, homme de confiance du duc d'Orléans, chef de la branche cadette de la Maison de France mais fort mal en cour en tant que fils d'un régicide et d'opinions libérales. Elle lui proposa de servir d'intermédiaire entre le duc et la duchesse d'Orléans, parents du jeune Henri, duc d'Aumale, leur fils cadet âgé de 5 ans, petit-neveu et filleul du prince de Condé, âgé de 71 ans, pour négocier un testament par lequel le dernier prince de Condé léguerait à cet enfant la majeure partie de sa fortune et de son patrimoine à l'exclusion des biens dont la baronne de Feuchères s'assurait la propriété, comme le château de Saint-Leu (Val-d'Oise) négociation qui aboutira en 1830, année de la révolution qui chassa Charles X du pouvoir.

À Talleyrand elle offrit son appui pour le laver des soupçons qu'avait le prince de Condé à son sujet, à savoir sa participation à l'exécution de son fils unique, le duc d'Enghien. Talleyrand se rendit donc au Palais-Royal le et fit part à l'un des aides de camp, Chabot, des propositions de la baronne : l'une de ses nièces, Matilda ou Mathilde Dawes (1811-1854), épouserait Hugues Jean Jacques Frédéric, marquis de Chabannes-La Palice, neveu de Talleyrand, avec la bénédiction (et une "dot" d'un million de francs) du prince de Condé, ce mariage devant sceller la réconciliation des deux familles, à charge pour les parties d'intervenir auprès du roi afin de lever l'interdit qui frappait la baronne. Ce qui fut dit fut fait. La nouvelle marquise aurait reçu un million de livres du prince de Condé à cette occasion[3].

Le , le duc d'Orléans, accompagné de son fils aîné, le duc de Chartres, alla dîner à Saint-Leu. Le , Talleyrand vint au Palais-Royal et conseilla au duc d'Orléans de faire préparer un acte d'adoption du duc d'Aumale qu'il suffirait de faire signer au prince de Condé. Me Tripier, avocat de Louis-Philippe, objectant que l'adoption d'un mineur dont les parents étaient vivants était légalement impossible, préconisa une donation entre vifs avec "réserve d'usufruit".

Le , Talleyrand revint dîner au Palais-Royal. Le duc d'Orléans l'informa des derniers arrangements en le chargeant d'en faire part à la baronne de Feuchères. Le au soir, Talleyrand revint porteur d'une lettre de la baronne assurant le duc d'Orléans qu'elle « mettr[ait] toute [sa] sollicitude » pour obtenir l'acte souhaité et l'informant du prochain mariage de sa nièce avec le marquis de Chabannes-La Palice.

Entretemps, le , un de ses neveux, James Dawes (1799-1831), "écuyer ordinaire du duc de Bourbon, directeur de ses chasses et équipages" dont il aurait reçu 200 000 francs, huit chevaux, cinq voitures, une calèche de voyage, une diligence de ville et un tilbury, fut fait baron de Flassans avec institution de majorat. Gendre de l'amiral anglais Thomas Manby, il mourut brutalement à Calais en accompagnant sa tante selon l'article de L'Indicateur de Calais du (site Diesbach-Belleroche); son frère George (1802-1831), fut lui-même un autre écuyer du duc, dont il aurait hérité pour sa part d'un cabriolet.

En définitive, après deux années d'efforts, Mme de Feuchères parvint à obtenir du prince de Condé qu'il rédige le un testament : La majeure partie de l'énorme fortune du Prince du sang – plus de 66 millions de francs en capital, produisant 2 millions de revenu annuel – allait au duc d'Aumale. Le prince léguait à la baronne de Feuchères le pavillon qu'elle occupait au Palais-Bourbon, le château d'Écouen à la condition d'en faire un orphelinat pour les enfants des soldats des armées de Condé et de Vendée, le château de Saint-Leu et son parc, le château et domaine de Boissy à Taverny, près d'Enghien, le domaine de Mortefontaine, la forêt de Montmorency ainsi que la somme de 2 millions de francs.

Satisfaite, la famille d'Orléans multiplia les démarches pour obtenir le retour en grâce de l'ex-baronne, ce qui fut fait en janvier 1830, Charles X l'autorisant à paraître de nouveau à la Cour. À cette occasion, la dauphine aurait soupiré : « Après tout, nous recevons tant de canailles... ».

La chute

Le prince de Condé, inquiet de la situation politique instable de l'été 1830, envisageait de quitter sa maîtresse et la France lorsqu'il fut trouvé pendu   ou étranglé puisque parait-il les pieds touchant le sol  à l'espagnolette de la fenêtre de sa chambre au château de Saint-Leu le . L'ex-baronne fut soupçonnée mais l'enquête n'ayant pu prouver que le décès avait une origine criminelle, elle ne fut pas inquiétée ; certains historiens ont présumé qu'il ne se serait agi ni d'un suicide ni d'un assassinat, mais d'un inavouable accident résultant d'un jeu érotique. De plus, le duc d'Orléans, ayant été proclamé "Roi des Français" en lieu et place de la dynastie légitime, n'avait aucun intérêt à ce que son avènement, contesté par l'ensemble des cours européennes, ne soit associé à une affaire crapuleuse.

Sophie Dawes se retira dans sa propriété de Mortefontaine (Oise) mais définitivement compromise par le scandale, elle vendit ses propriétés françaises et retourna à Londres où elle mourut le .

En sa nièce, devenue grâce à elle marquise de Chabanes-La Palice, hérita de la somme de 166 666,66 francs dans le cadre du partage successoral de son patrimoine[3].

Notes et références

  1. Pierre Cornut-Gentille, « l'énigme de Saint-Leu », émission Au cœur de l'histoire, 27 mars 2012
  2. Entre-temps, il aurait eu une liaison avec une autre anglaise, Miss Harris
  3. Page « Daw, Dawes, Daws, Dawes de Flassans » sur le site de Benoît de Diesbach Belleroche, généalogiste. Page consultée le .

Annexes

Liens externes

Bibliographie

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