Siegfried Sassoon

Siegfried Loraine Sassoon () est un poète et écrivain anglais qui influença des auteurs tels que Wilfred Owen ou Robert Graves. D'abord connu pour ses écrits pacifistes au cours de la Première Guerre mondiale, il acquit plus tard la célébrité avec ses mémoires et ses œuvres de fiction.

Jeunesse

Il naquit dans une maison appelée Weirleigh (qui existe encore) dans le village de Matfield (Kent), d'une mère protestante anglicane de rite anglo-catholique et d'un père juif, Alfred Sassoon, appartenant à une riche famille de commerçants juifs des Indes, les Sassoon, des Juifs Baghdadi ; il avait cependant été déshérité pour s'être marié avec une non juive. Sa mère, Theresa, appartenait à la famille Thornycroft, dont certains de ses membres sont des sculpteurs à qui l'on doit un grand nombre de statues de Londres, et son frère était Sir Hamo Thornycroft. On ne trouvait aucune ascendance allemande dans la famille et Siegfried devait son prénom peu commun au goût de sa mère pour les opéras de Wagner. Son deuxième prénom lui avait été donné en l'honneur d'un pasteur qui était de ses amis.

Sassoon fit ses études à la New Beacon Preparatory School dans le Kent, au Marlborough College dans le Wiltshire, et au Clare College (Cambridge), (dont il devint membre honoraire en 1953) où il étudia à la fois le droit et l'histoire de 1905 à 1907. Toutefois, il abandonna l'université sans diplôme et passa les années suivantes à chasser, à jouer au cricket et à publier à compte d'auteur quelques volumes de poésie qui n'eurent guère de succès. Ses revenus suffisaient juste pour qu'il n'eût pas besoin de chercher un emploi, mais pas assez pour une existence de dandy. Son premier succès véritable fut The Daffodil Murderer, une parodie de The Everlasting Mercy de John Masefield, publié en 1913 sous le pseudonyme de « Saul Kain ».

Son expérience de la guerre

L'engagement précoce

Poussé par son patriotisme, il rejoignit l'armée dès que la Première Guerre mondiale fut sur le point d'éclater et il servait au Sussex Yeomanry le jour où le Royaume-Uni déclara la guerre (). Il se cassa le bras dans un accident de cheval, ce qui l'empêcha de combattre avant même qu'il eût quitté l'Angleterre et il passa en convalescence le printemps 1915. C'est à ce moment-là que son jeune frère Hamo fut tué à Gallipoli ; Rupert Brooke, que Siegfried avait brièvement rencontré, mourut pendant le trajet. La mort de Hamo fut un très rude coup pour Siegfried.

En mai de cette même année, il rejoignit les Royal Welch Fusiliers comme officier et, en novembre, fut envoyé en France au premier bataillon pour participer à la Bataille de la Somme. Il se trouva alors en contact avec Robert Graves et tous deux devinrent grands amis. Ils étaient unis par leur vocation poétique, et chacun lisait souvent le travail de l'autre et le discutait. Même si cela n'eut guère d'influence sur la poésie de Graves, son point de vue sur ce qu'on peut appeler le réalisme rocailleux influença profondément l'idée que se faisait Sassoon sur ce qui constituait la poésie. Rapidement il se retrouva horrifié par les réalités de la guerre, et le ton de ses écrits changea complètement : alors que ses premiers poèmes manifestaient une douceur romantique de dilettante, sa poésie de guerre évolua vers une musique de plus en plus discordante, destinée à faire connaître dans toute son horreur la vérité des tranchées à un public jusqu'à présent bercé par la propagande patriotique. Les détails comme les cadavres en train de se décomposer, les membres déchiquetés, la crasse, la lâcheté et le suicide caractérisent son travail à ce moment-là, et cette philosophie du « no truth unfitting » eut une influence considérable sur le mouvement qui conduisait à la poésie moderniste.

Le combattant valeureux

Les périodes où Sassoon servit sur le front occidental furent marquées par des actions d'un courage exceptionnel, comme lorsqu'il s'empara à lui tout seul d'une tranchée allemande de la ligne Hindenburg. Il sortait souvent pour des raids de nuit et des patrouilles de bombardement, et il se montra d'une impitoyable efficacité à la tête de sa compagnie. Sa dépression, qui ne cessait de croître devant l'horreur et la misère que les soldats étaient obligés de supporter, faisait paradoxalement de lui un maniaque du courage, au point qu'il fut surnommé « Mad Jack » par ses hommes, pour ses exploits quasi suicidaires. Mais bien qu'il eût été décoré pour sa bravoure, il décida en 1917 de prendre position contre la façon dont la guerre était conduite. L'une des raisons de son opposition violente à la guerre fut le décès de son ami David Thomas Cuthbert (appelé « Dick Tiltwood » dans la Sherston trilogy). Il mit plusieurs années à essayer de surmonter son chagrin.

La rébellion

Portrait de Siegfried Sassoon par Glyn Philpot (19̟17), Fitzwilliam Museum.

À la fin d'un congé de convalescence en 1917, Sassoon refusa de reprendre son service ; au contraire, encouragé par des amis pacifistes comme Bertrand Russell et Lady Ottoline Morrell, il envoya à son commandant une lettre intitulée « Déclaration d'un soldat », qui fut communiquée à la presse et dont un député qui lui était favorable donna lecture au Parlement[1]. Plutôt que de traduire Sassoon en cour martiale, les autorités militaires le déclarèrent inapte au service et l'envoyèrent à l'hôpital militaire de Craiglockhart, près d'Édimbourg, où il fut soigné, officiellement pour neurasthénie (« shell shock »). Avant de refuser de revenir au front il jeta le ruban de sa Military Cross dans la Mersey, mais en , la médaille elle-même fut retrouvée à Mull, dans un grenier de la maison où son fils avait habité. La médaille a été achetée par la Royal Welch Fusiliers, pour être exposée dans son musée de Caernarfon.

Le roman Regeneration, de Pat Barker, raconte cette période de la vie de Sassoon, et on en a tourné un film avec Jonathan Pryce dans le rôle de W. H. R. Rivers, le psychiatre chargé de le soigner. Rivers devint pour ce jeune homme profondément choqué une sorte de père de substitution, et sa mort subite en 1922 fut un grand coup pour lui.

L'influence sur Wilfred Owen

À Craiglockhart, Sassoon rencontra Wilfred Owen, autre poète qui finit par le dépasser en renommée. C'est grâce à Sassoon qu'Owen persévéra dans ses ambitions poétiques. Une copie manuscrite de l'hymne que Wilfred Owen dédia à la jeunesse sacrifiée (Anthem for doomed Youth) et contenant des corrections de la main de Sassoon subsiste pour témoigner de l'étendue de son influence. Quoi qu'il en soit, Sassoon devint pour Owen « Keats, le Christ et Élie » ; certains documents montrent clairement la profondeur de l'affection et de l'admiration qu'Owen lui portait. Les deux hommes ont combattu en France, mais Owen fut tué en 1918. Sassoon, après avoir passé un certain temps à l'abri du danger en Palestine, retourna finalement au front et presque immédiatement fut à nouveau blessé - par un tir ami, mais cette fois à la tête - et il passa en Grande-Bretagne le reste de la guerre. Après l'armistice, Sassoon s'appliqua à donner aux travaux d'Owen une plus large audience. Leur amitié est le sujet de la pièce de Stephen MacDonald, Not About Heroes.

L'après-guerre

Journaliste au Daily Herald

La guerre l'avait mis en contact avec des hommes appartenant à des milieux moins favorisés, ce qui avait éveillé en lui des sympathies pour le socialisme. Ayant vécu pendant une période à Oxford, où il avait passé plus de temps dans des visites à des amis friands de littérature que dans les études, il fit brièvement de la politique dans le mouvement ouvrier et, en 1919, prit un poste de rédacteur en chef littéraire au journal socialiste The Daily Herald. À ce poste, il avait la charge de demander à des auteurs connus comme E. M. Forster et Charlotte Mew d'écrire des critiques, et il commandait des textes originaux à des gens qui pouvaient s'appeler Arnold Bennett ou Osbert Sitwell. Son intérêt artistique s'étendait à la musique. Pendant son séjour à Oxford, il était entré en relations avec le jeune William Walton, dont il était devenu l'ami et le mécène. Walton par la suite lui dédia l'ouverture de son Portsmouth Point, en reconnaissance de son aide financière et de son appui moral.

La vie en liberté

Par la suite, il fit une tournée de conférences aux États-Unis, ainsi que des voyages en Europe et dans toute la Grande-Bretagne. Son éditeur Frankie Schuster lui fit cadeau d'une automobile, bien qu'il ne sût pas conduire au début, ce qui ne manquait pas d'effrayer ses amis ; cela ne l'empêcha pas de jouir pleinement de cette nouvelle liberté. C'est à cette époque qu'il commença à pratiquer de plus en plus ouvertement son homosexualité, entamant une liaison avec l'artiste Gabriel Atkin, qui lui avait été présenté par des amis communs. Au cours de sa tournée en Amérique, il rencontra un jeune acteur qui le rembarra durement. Il n'en était pas moins adoré par le public féminin, y compris à Vassar College[2].

Sassoon était un grand admirateur du poète gallois Henry Vaughan. Lors d'une visite au Pays de Galles en 1923, il n'oublia pas un pèlerinage sur sa tombe à Llansanffraid (Powys), et il y écrivit un de ses poèmes les plus connus du temps de paix, Sur la tombe de Henry Vaughan. La mort de trois de ses amis les plus proches, Edmund Gosse (La vie en liberté), Thomas Hardy et Frankie Schuster (l'éditeur), dans un court espace de temps, l'affligea personnellement.

L'autobiographe

Parallèlement, Sassoon s'engageait dans une nouvelle direction. Pendant son séjour en Amérique, il avait essayé de se mettre au roman. Il fit une nouvelle tentative en prose en 1928, avec Memoirs of a Fox-Hunting Man, premier volume d'une autobiographie romancée qui fut publié anonymement, et qui presque immédiatement fut accueilli comme un classique et conféra à son auteur une célébrité nouvelle en tant qu'écrivain humoristique. Le livre remporta à la fois le James Tait Black Memorial Prize pour la fiction et le Hawthornden Prize. Sassoon le fit suivre des Memoirs of an Infantry Officer (1930) et Sherston's Progress (1936). Par la suite, il revisita sa jeunesse et le début de son âge mûr avec trois volumes d'une autobiographie sincère qui furent eux aussi fort acclamés. Il s'agit de The Old Century, The Weald of Youth et Siegfried's Journey.

Une vie personnelle agitée

Sassoon, que la guerre avait notablement mûri, continua à rechercher un équilibre émotionnel, d'abord dans une succession d'amours masculines, notamment l'acteur Ivor Novello ; l'ancien amant de Novello, l'acteur Glen Byam Shaw ; un aristocrate allemand, le prince Philippe de Hesse-Cassel ; l'écrivain Beverley Nichols ; et un aristocrate décadent, l'Honorable Stephen Tennant, qui fut le seul à lui faire durablement impression, même si Shaw devait rester son ami intime tout au long de sa vie. En , il surprit bien des gens en épousant Hester Gatty, beaucoup plus jeune que lui, qui donna naissance à un enfant, une chose dont il avait longtemps rêvé. Cet enfant, leur seul enfant, George (1936-2006), se fit par la suite connaître comme scientifique, linguiste et auteur ; Siegfried, qui l'adorait, écrivit à son intention plusieurs poèmes. Toutefois, le mariage se brisa après la Seconde Guerre mondiale : il semble que Sassoon n'arrivait pas à trouver un compromis entre son goût pour la solitude et son besoin de compagnie.

Les dernières années et la conversion au catholicisme

Séparé de sa femme en 1945, Sassoon vécut isolé à Heytesbury dans le Wiltshire, restant en contact cependant avec un cercle qui comprenait E. M. Forster et J. R. Ackerley. Il comptait parmi ses amis proches le jeune joueur de cricket Dennis Silk. Il se lia étroitement d'amitié avec Vivien Hancock, directrice de la Greenways School à Ashton Gifford, où son fils George suivait des cours. La relation incita son épouse, Hester, à porter quelques accusations sérieuses contre Vivien Hancock, laquelle répondit en le menaçant d'une action en justice. Vers la fin de sa longue vie, il se convertit au catholicisme, raison pour laquelle il fut admis à l'abbaye bénédictine de Downside, proche de son domicile. Il rendait également régulièrement visite aux religieuses de l'abbaye de Stanbrook, dont la presse imprima des éditions commémoratives de quelques-uns de ses poèmes.

Il mourut sept jours avant son 81e anniversaire. Il est enterré à l'église Saint-André de Mells, dans le Somerset, près de Mgr Ronald Knox, prêtre catholique, traducteur de la Bible et auteur de romans policiers, qu'il admirait.

Son seul enfant, George Sassoon, mourut d'un cancer en 2006. George avait trois enfants, dont deux furent tués dans un accident de voiture en 1996.

Distinctions

Œuvres

Poésie

  • The Daffodil Murderer (John Richmond: 1913)
  • The Old Huntsman (Heinemann: 1917)
  • They (1917)
  • Glory of Women (1917)
  • Counter-Attack (Heinemann: 1918)
  • Suicide in the Trenches
  • The Hero [Henry Holt, 1918]
  • Picture-Show (Heinemann: 1919)
  • War Poems (Heinemann: 1919)
    Poèmes de guerre, traduit par Bernard Le Floch, Paris, Éd. Caractères, 1987 ; réédition, Paris, Éd. Caractères, coll. « Caractères » no 689, 1998 (ISBN 2-85446-253-X)
  • Aftermath (Heinemann: 1920)
  • Recreations (1923)
  • Lingual Exercises for Advanced Vocabularians (1925)
  • Selected Poems (Heinemann: 1925)
  • Satirical Poems (Heinemann: 1926)
  • The Heart's Journey (Heinemann: 1928)
  • Poems by Pinchbeck Lyre (Gerald Duckworth: 1931)
  • The Road to Ruin (Faber and Faber: 1933)
  • Vigils (Heinemann: 1935)
  • Rhymed Ruminations (Faber and Faber: 1940)
  • Poems Newly Selected (Faber and Faber: 1940)
  • Collected Poems (Faber and Faber: 1947)
  • Common Chords (1950-1951)
  • Emblems of Experience (1951)
  • The Tasking (1954)
  • Sequences (Faber and Faber: 1956)
  • Lenten Illuminations (Downside Abbey: 1959)
  • The Path to Peace (Stanbrook Abbey Press: 1960)
  • Collected Poems 1908-1956 (Faber and Faber: 1961)
  • The War Poems, éd. Rupert Hart-Davis (Faber and Faber: 1983)

Prose

  • Memoirs of a Fox-Hunting Man (Faber & Gwyer: 1928)
    Mémoires d'un chasseur de renards, traduit par Antoinette Sémeziès et Jacques Elsey, Paris, Gallimard, 1936 ; réédition, Paris, Phébus, coll. « D'aujourd'hui. Étranger », 1995 (ISBN 2-85940-390-6) ; réédition, Bordeaux, L'Éveilleur, 2017 (ISBN 979-10-96011-09-4)
  • Memoirs of an Infantry Officer (Faber and Faber: 1930)
  • Sherston's Progress (Faber and Faber: 1936)
  • Complete Memoirs of George Sherston (Faber and Faber: 1937)
  • The Old Century (Faber and Faber: 1938)
  • On Poetry (University of Bristol Press: 1939)
  • The Weald of Youth (Faber and Faber: 1942)
  • Siegfried's Journey (Faber and Faber: 1945)
  • Meredith (Constable: 1948)

Bibliographie

  • Felicitas Corrigan, Siegfried Sassoon: Poet's Pilgrimage (1973)
  • Jean Moorcroft Wilson, Siegfried Sassoon: The Making of a War Poet (1998)
  • Jean Moorcroft Wilson, Siegfried Sassoon: The Journey from the Trenches (2003)
  • John Stuart Roberts, Siegfried Sassoon (1999)
  • John Max Henry Scawen Wyndham, Siegfried Sassoon (2005)
  • Siegfried's Journal: The Journal of the Siegfried Sassoon Fellowship

Traductions françaises

  • Qu'est-ce que ça peut faire ? : poèmes 1914-1918 / trad. Emmanuel Malherbet.
    • Aizy-Jouy : Éditions de l'Arbre, 2005. (ISBN 2-85278-159-X)
  • Mémoires d'un chasseur de renards (Memoirs of a Fox-Hunting Man) / trad. Antoinette Séméziès et Jacques Elsey.
    • Paris : Gallimard, [1936], 262 p.
    • Paris : Phébus, coll. "D'aujourd'hui. Étranger", , 272 p. (ISBN 2-85940-390-6).
    • Rééd. dans une trad. revue et complétée ; préface de François Rivière. Bordeaux : L'Éveilleur, , 322 p. (ISBN 979-10-96011-09-4)
  • Poèmes de guerre / trad. Bernard Le Floch.
    • Paris : Caractères, coll. "Caractères" n° 689, 1987, 37 p.
    • Paris : Caractères, coll. "Caractères" n° 689, , 37 p. (ISBN 2-85446-253-X)

Références populaires

  • Le chapitre XI du roman de l'auteur américain de science-fiction Fritz Leiber intitulé The Big Time (La Guerre des modifications), 1958, porte en exergue un extrait du poème « Attack », tiré du recueil Counter-Attack.
  • Dans La liste de Janus, dernier épisode de la troisième saison de Numb3rs, Allan Eppes cite un extrait de The Death Bed, extrait du recueil The Old Huntsman and Other Poems.

Notes et références

  1. Gary Sheffield, La première Guerre mondiale en 100 objets : Ces objets qui ont écrit l'histoire de la grande guerre, Paris, Elcy éditions, , 256 p. (ISBN 978 2 753 20832 2), p. 182-183
  2. Où l'on n'acceptait pas encore les jeunes gens.

Source

Articles connexes

Liens externes

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