Setsuko Thurlow

Setsuko Thurlow (サーロー 節子 Sārō Setsuko, née le 3 janvier 1932 à Hiroshima), née Setsuko Nakamura (中村 節子 Nakamura Setsuko), est une militante du désarmement nucléaire nippo-canadienne et Hibakusha survivante du bombardement atomique de Hiroshima le 6 août 1945. Elle est surtout connue à travers le monde pour son engagement auprès de la Campagne Internationale pour l'Abolition des armes Nucléaires ICAN et pour avoir délivré le discours de réception du Prix Nobel de la Paix de cette ONG en 2017.

Enfance et études

Setsuko Thurlow est née à Hiroshima Kojin-machi (aujourd'hui quartier Minami) en 1932, benjamine d'une fratrie de 8 enfants. Elle est issue d'un milieu plutôt aisé. Ses frères et sœurs plus âgés ayant quitté le domaine familial, elle était la dernière à rester habiter avec ses parents[1].

En 1944, période de guerre, elle entra au collège de filles Hiroshima Jogakuin. Trois semaines avant la bombe, elle fut sélectionnée pour participer aux programmes de mobilisation étudiante de décryptage de communications militaires américaines en tant qu'assistante junior[1],[2],[3]

Expérience de la bombe nucléaire atomique

Le 6 août 1945, elle travaillait comme membre du programme de mobilisation étudiante dans les bureaux de l'armée (aujourd'hui quartier de Higashi), situés à environ 1,8 kilomètre de l'hypocentre de l'explosion[1]. C'était son premier jour de mission.

Vers 8h15, elle se situait au deuxième étage de ce bâtiment en bois. Après avoir vu le flash d'une lumière blanc-bleu par la fenêtre, elle se souvient avoir flotté dans les airs (le bâtiment s'effondrant) avant de perdre connaissance. Après avoir repris ses esprits, elle entendit ses camarades de classe murmurer "Mère, aide moi!", "Dieu, aide moi!". Un soldat l'aida à sortir des décombres avant que le bâtiment ne prenne feu avec le reste de ses camarades à l'exception de deux autres.

"Même si nous étions le matin, il faisait nuit noire. Et tandis que nos yeux s'accoutumaient à reconnaître les choses, les objets sombres bougeant se révélèrent être des humains. C'était comme une procession de fantômes. Je dis "fantômes" car ils ne ressemblaient tout simplement pas à des humains. Leurs cheveux étaient hérissés, ils étaient couverts de sang et de saleté, ils étaient brûlés, noircis et enflés. Leur peau et chair pendaient, et certaines parties de leur corps manquaient. Certains tenaient leurs propres globes oculaires. Et ils s'effondraient au sol. Leur ventre éclatait et leurs intestins tombaient. [...], nous avons appris à enjamber les cadavres et nous enfuir. Au bas de la colline, il y avait un camp d'entrainement militaire de la taille de deux terrains de football, [...]. L'endroit était rempli de cadavres et de mourants, de personnes blessées. Et les gens imploraient en murmurant. Personne ne criait, juste un murmure: "De l'eau s'il-vous-plaît. De l'eau s'il-vous-plaît". C'était leur seule force psychologique et physique restante. Nous voulions les aider, mais nous n'avions ni seau ni gobelet pour porter l'eau. [...] Donc nous sommes allées au ruisseau le plus proche, avons nettoyé notre saleté et sang, arraché nos blouses, les avons trempés dans l'eau et avons couru de retour pour les personnes mourantes. Nous avons posé nos vêtements humide sur leurs bouches, et ils suçaient désespéramment le tout.[...] C'est ainsi que la plupart des gens sont morts[4]" (traduit de l'anglais)

Vue aérienne d'Hiroshima après "Little Boy"
Scène de rue de près de l'usine d'acier de Mitsubishi de Hiroshima, à environ 1,1 km de l'hypocentre, quelques mois après "Little Boy".

Huit membres de sa famille (dont son jeune neveu de quatre ans Eiji auquel elle fait souvent référence et qui traversait le pont avec sa sœur, tous deux brûlés jusqu'à l'impossibilité de les reconnaître sans une broche que portait la mère) ainsi que 351 de ses camarades de classe et enseignants sont morts pendant ou peu après l'explosion[5],[6],[7],[1].

Thurlow a décrit le syndrome d'irradiation aiguë dont elle et beaucoup d'autres ont été victimes les mois et années suivant la bombe. Elle a plusieurs fois décrit que durant des mois après la bombe, elle vérifiait comme les autres chaque matin de ne pas développer des tâches violettes sur le corps (sarcome de Kaposi?), symptômes d'une mort proche[1]. Elle a notamment décrit la mort de son oncle et sa tante à la suite de ces symptômes[8]. Comme de nombreux Hibakushas, Thurlow décrit avoir perdu ses cheveux, eu des nausées et des saignements de gencives durant des mois après l'explosion[2]. Elle a également décrit que beaucoup de ses camarades de classe ayant survécu portaient des casques en cours afin de cacher leur calvitie[9].

Setsuko a plusieurs fois dit être chanceuse qu'elle ainsi que ses deux parents aient survécu, et qu'ils aient pu être hébergés par de la famille, contrairement à une majorité étant forcés à vivre dans la rue et prendre de plein fouet les retombées radioactives[4]. Comme beaucoup d'hibakushas, elle a décrit son incapacité à ressentir quelconque émotion par rapport à l'écrasante expérience qu'elle avait vécu et fut seulement capable de pleurer après le typhon Makurazaki qui frappa Hiroshima plus d'un mois après "Little Boy". Décrivant avoir ressenti de la culpabilité face à son engourdissement émotionnel, elle a déclaré qu'elle ne l'a seulement compris des années plus tard en étudiant le traumatisme à l'Université[9].

Thurlow a régulièrement dénoncé les grandes difficulté des hibakushas, incluant la presque famine, l'absence de soins médicaux, le sans-abrisme, la discrimination sociale et les souffrances causées par la commission des victimes de la bombe atomique (ABCC) dont le seul but était d'étudier les effets techniques des radiations sur les corps et non d'apporter quelconque support ou traitement[10]. Elle a dénoncé les 7 ans d'occupation de l'armée Américaine et leur censure, suppression et confiscations de traces (visuelles, filmiques, journaux, carnets, poèmes) des bombes nucléaires afin de limiter la compréhension du public sur les bombes nucléaires et les conséquences sur les hibakushas[9].

Au moment des faits, elle avait 13 ans.

Son père décéda dû à l'irradiation en 1954, durant sa première année d'études à l'étranger et l'année du bombardement atomique de Bikini[9].

Études

Setsuko étudia la littérature anglaise et les sciences de l'éducation à l'Université Jogakuin d'Hiroshima avant d'obtenir une bourse pour étudier aux États-Unis en 1954, où elle entreprit des études en sociologie à l'université Lynchburg en Virginie[1].

Elle obtient par la suite un master en travail social à l'Université de Toronto[11],[10].

Engagement anti-nucléaire

L'engagement anti-nucléaire de Setsuko Thurlow débuta après le 1er mars 1954, à la suite de l’explosion de la bombe à Hydrogène au nom de code "Castle Bravo" dans l'Atoll de Bikini dans les îles Marshall, qui a dispersé des retombées radioactives jusqu'au Japon[12],[9]. Cette arme américaine était environ mille fois plus puissante que celle dont elle avait été victime moins de dix ans auparavant. Ces événements eurent lieu une semaine après l'arrivée de Thurlow aux États-Unis, sur lesquels elle s'exprima. Durant ses années d'études aux États-Unis, elle décrit avoir été victime de menaces et d'agressions liées à sa critique de l'utilisation de la bombe nucléaire par l'armée américaine, au point d'attirer l'attention du président de son Université, de recevoir une protection et ne plus pouvoir se rendre en cours[2],[10],[9],[13].

Elle est membre de Nihon Hidankyo, la confédération japonaise des souffrants des Bombes A et H, formée en 1956, qui s'est battue pour l'obtention de droits médicaux et de reconnaissance sociale des hibakushas[14].

Le Peace Boat à New-York

En 1974, profondément inquiète du fait que le public tendait à oublier l'impact dévastateur des bombardements nucléaires, elle fonda la fondation activiste Hiroshima Nagasaki Relived[12]. L'organisation mobilisa universitaires, artistes, avocats et enseignants pour informer et sensibiliser le public aux conséquences de l'armement nucléaire.

Elle a depuis voyagé dans une douzaine de pays pour partager son témoignage de Hibakusha et alerter la population de la menace existentielle des armes nucléaires, et éventuellement orienter à s'engager. Elle a plusieurs fois fait partie de l'équipage du Peace Boat, une ONG japonaise promouvant le désarmement nucléaire[15].

Elle a participé à plusieurs présentations scolaires en tant que membre du projet Histoires d'Hibakusha basé à New-York, témoignant en tout devant plusieurs milliers d'élèves[7].

Setsuko Thurlow est également militante contre l'utilisation de l'énergie nucléaire à des fins pacifiques, considérant ses risques. Comme d'autres Hibakushas, elle a été particulièrement active en tant que critique après la catastrophe de Fukushima[7],[16].

Elle a notamment témoigné devant plusieurs hautes personnalités politiques, dont le pape Jean Paul II[17].

ONU

Setsuko Thurlow a plusieurs fois témoigné et plaidé aux Nations-Unies, et entre autres participé à la conférence internationale de Vienne à l' agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur l'impact humanitaire des armes nucléaires le 8 décembre 2014, en faveur du traité de non-prolifération nucléaire[12],[1],[18].

Setsuko Thurlow a été un membre actif sur le raccord de l'ONU concernant le traité sur l'interdiction des armes nucléaires, mandaté en décembre 2016, et a délivré le discours de clôture du vote du traité. Elle a aussi été active jusqu'à son raccord le 7 juillet 2017.

« J'ai attendu ce moment pendant sept décennies, et je suis comblée de joie qu'il arrive enfin. C'est le début de la fin des armes nucléaires »[19] (traduit de l'anglais)

ICAN et prix Nobel de la Paix

Logo de ICAN

Mme Thurlow était membre fondateur et délivra le discours d'ouverture au lancement de la campagne internationale d'ICAN au Canada en 2007[20]. Elle est membre éminent et ambassadrice de la Campagne Internationale pour l'Abolition des Armes Nucléaires, qui a reçu le Prix Nobel de la Paix en 2017 « pour son travail à attirer l'attention sur les conséquences humanitaires catastrophiques de quelque usage d'arme nucléaire qu'il soit et ses efforts révolutionnaires afin d'arriver à un traité pour la prohibition de telles armes »[21]. Thurlow a accepté le prix au nom de ICAN à Oslo le 10 décembre 2017 avec Beatrice Fihn, directrice exécutive de ICAN[22],[23],[24].

Durant son discours de réception, Setsuko déclara, faisant référence au moment où elle s'est retrouvée enterrée sous les décombres et son secours par le soldat[25]:

« Je me savais condamnée. [...] quand soudain quelqu'un secoua mon épaule gauche par derrière, l'homme disant: "Ne lâche rien! Continue à pousser! Continue à taper! Tu vois, le soleil pourrait passer par cette ouverture! Rampe vers lui aussi vite que tu le peux". [...]

Notre lumière maintenant est le traité de prohibition. A tous ceux dans ce hall et écoutant à travers le monde, je répète ces mots que j'ai entendus à mon adresse dans les ruines d'Hiroshima: « Ne lâche rien! Continue à pousser! Tu vois la lumière? Rampe vers elle. »

Qu'importe les obstacles auxquels nous ferons face, nous continueront à bouger et à pousser et partager cette lumière avec les autres. C'est notre passion et engagement pour notre unique et précieux monde pour survivre. » (traduit de l'anglais)[11]

Vie privée

Setsuko épousa en 1950 un historien et enseignant d'Histoire Canadien, Jim Thurlow, qu'elle avait rencontré au Japon[3]. Elle s'installe avec lui en 1955 au Canada à une époque où l'immigration des asiatiques y était interdite sauf pour la famille. En 1957, la famille part vivre au Japon pour un projet social à Hokkaïdo, pour revenir à Toronto en 1962. Setsuko y servit en tant que travailleuse sociale dans les secteurs de l'éducation et de la santé[26].

Jusqu'à sa mort en 2011, son époux a pris part à ses activités anti-nucléaires et l'a notamment aidé à organiser des groupes et conférences pour la cause. Ils ont eu deux enfants ainsi que deux petits-enfants[1].

Prix et distinctions

Références

  1. (ja) « From Asahi Shimbun - Memories of Hiroshima and Nagasaki - The Asahi Shimbun », sur www.asahi.com (consulté le )
  2. (en) « Stream top music, sports, news and talk radio on SiriusXM », sur SiriusXM Streaming Radio (consulté le )
  3. antikriegTV, « Hibakusha story - Hiroshima survivor Setsuko Thurlow visits Berlin school » (consulté le )
  4. (en) « “We Learned to Step over the Dead”: Hiroshima Survivor & Anti-Nuclear Activist Recalls U.S. Bombing », Democracy Now!, (lire en ligne, consulté le )
  5. Shimizu Qingshui Megumi, « Setsuko Thurlowサーロウ節子ノーベル平和賞(日本語字幕) », (consulté le )
  6. Democracy Now!, « Hiroshima Survivor Setsuko Thurlow Recalls U.S. Bombing », (consulté le )
  7. Hibakusha Stories, « Setsuko Thurlow: Calling For An End to the Atomic Bomb », (consulté le )
  8. (en) « “I Want the World to Wake Up”: Hiroshima Survivor Criticizes Obama for Pushing New Nuclear Weapons », Democracy Now!, (lire en ligne, consulté le )
  9. American University - Nuclear Studies Institute, « Setsuko Nakamura Thurlow - August 4, 2015 » (consulté le )
  10. Setsuko Thurlow, « The humanitarian impact of nuclear weapons: what happens if the bomb is used? », sur sgi-usa-washingtondc.org (consulté le )
  11. (en-US) « Meet Setsuko Thurlow | Hibakusha Stories », sur hibakushastories.org (consulté le )
  12. (en-US) « Setsuko Thurlow | ICAN », sur www.icanw.org (consulté le )
  13. SOAS University of London, « A Voice from Hiroshima - Setsuko Thurlow, CISD. SOAS University of London » (consulté le )
  14. (en-US) Bob Sink, « Who Are The Hibakusha? », sur Hibakusha Stories (consulté le )
  15. « Peace Boat - News & Press », sur peaceboat.org (consulté le )
  16. « Setsuko Thurlow », sur www.ippnw.org (consulté le )
  17. Zone Société- ICI.Radio-Canada.ca, « D’Hiroshima à Oslo : le combat d’une survivante de la bombe nucléaire », sur Radio-Canada.ca (consulté le )
  18. .
  19. Studio Sangharsh, « Setsuko Thurlow closing statement at the nuclear ban conference », (consulté le )
  20. (en) « Setsuko Thurlow », dans Wikipedia, (lire en ligne)
  21. (en-US) « The Nobel Peace Prize 2017 », sur NobelPrize.org (consulté le )
  22. (en-US) Gwladys Fouche, « Hiroshima survivor to jointly receive Nobel Peace Prize with ICAN », Reuters, (lire en ligne, consulté le )
  23. (en) « Nobel Peace Prize speech by ICAN campaigner, Hiroshima survivor Setsuko Thurlow », Mainichi Daily News, (lire en ligne, consulté le )
  24. « Le Nobel de la paix remis à l'ICAN sur fond de crise nord-coréenne », Europe 1, (lire en ligne, consulté le )
  25. (en) « Nobel Peace Prize speech by ICAN campaigner, Hiroshima survivor Setsuko Thurlow », Mainichi Daily News, (lire en ligne, consulté le )
  26. « Laurier presents lectures with Hiroshima survivor Setsuko Thurlow on confronting the nuclear age | Wilfrid Laurier University », sur www.wlu.ca (consulté le )
  27. Government of Canada, Office of the Secretary to the Governor General, Information and Media Services, « Order of Canada », sur archive.gg.ca (consulté le )
  28. (en) « From Hiroshima to the Nobel Peace Prize », The United Church of Canada, (lire en ligne, consulté le )
  29. (en-US) « Setsuko Thurlow Receives Distinguished Peace Leadership Award | Hibakusha Stories », sur hibakushastories.org (consulté le )
  30. (en-US) « Setsuko Thurlow named Peace Ambassador by city », Hiroshima Peace Media Center, (lire en ligne, consulté le )
  31. (en) « 2015 Arms Control Person of the Year Announced | Arms Control Association », sur www.armscontrol.org (consulté le )
  32. (en) « Laurier presents lectures with Hiroshima survivor Setsuko Thurlow on confronting the nuclear age | Wilfrid Laurier University », sur www.wlu.ca (consulté le )
  33. (en-US) « The Ahmadiyya Muslim Peace Prize | Peace symposium », sur peacesymposium.org.uk (consulté le )
  34. (it) Redazione, « ‘Be agents of change’: Hiroshima survivor and anti-nuclear activist Setsuko Thurlow receives U of T honorary degree », sur Agenparl, (consulté le )
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