Sentiment océanique

Le sentiment océanique est une notion psychologique ou spirituelle formulée par Romain Rolland qui se rapporte à l'impression ou à la volonté de se ressentir en unité avec l'univers (ou avec ce qui est « plus grand que soi »), parfois hors de toute croyance religieuse. Ce sentiment peut être lié à la sensation d'éternité[1].

Romain Rolland en 1921.

Notion

Romain Rolland

L'expression paraît dans un courrier daté du et dans lequel Romain Rolland décrit à Sigmund Freud ce qui sera connu sous le nom de « sentiment océanique » : la sensation de ne faire qu'un avec l'univers, sub specie æternitatis, sensation à laquelle Romain Rolland attribue une connotation religieuse :

« Mais j'aurais aimé à vous voir faire l'analyse du sentiment religieux spontané ou, plus exactement, de la sensation religieuse qui est [...] le fait simple et direct de la sensation de l'éternel (qui peut très bien n'être pas éternel, mais simplement sans bornes perceptibles, et comme océanique)[2]. »

En effet, à compter de 1923, et jusqu’en 1936, Romain Rolland entretient une discussion avec le fondateur de la psychanalyse sur le concept de sentiment océanique, puisé dans la tradition indienne, qu’il étudie alors avec ferveur[3].

La référence à l'éternel est une allusion à Spinoza, qui recommande de voir les choses « sous l'aspect de l'éternité » (sub specie aeternitatis)[4]  :

« Nous connaissons clairement par là en quoi notre salut, c'est-à-dire notre Béatitude ou notre Liberté, consiste ; je veux dire dans un Amour constant et éternel envers Dieu, ou dans l'Amour de Dieu envers les hommes. Cet Amour, ou cette Béatitude, est appelé dans les livres sacrés Gloire, non sans raison. »

(Éthique, V, proposition 36, scholie).

Sigmund Freud

Sigmund Freud répond à l'écrivain le par ces mots[5] :

«  Votre lettre du et ses remarques sur le sentiment que vous nommez océanique ne m’ont laissé aucun repos. »

Selon le fondateur de la psychanalyse, qui débat de cette notion dans son ouvrage Malaise dans la civilisation (1929) qu'il dédiera à Romain Rolland, le sentiment océanique n'est pas à l'origine du besoin religieux parce que celui-ci provient plutôt des sentiments de détresse infantile et de désir pour le père, remplacés plus tard par l'angoisse devant la puissance du destin[6].

André Comte-Sponville

Pour André Comte-Sponville[7], ce sentiment correspond à un état de conscience qui ne relève pas nécessairement de la religion :

« Au fond, c'est ce que Freud décrit comme « un sentiment d'union indissoluble avec le grand Tout, et d'appartenance à l'universel ». Ainsi la vague ou la goutte d'eau, dans l'océan... Le plus souvent, ce n'est qu'un sentiment, en effet. Mais il arrive que ce soit une expérience, et bouleversante, ce que les psychologues américains appellent aujourd'hui un altered state of consciousness, un état modifié de conscience. Expérience de quoi ? Expérience de l'unité, comme dit Swami Prajnanpad : c'est s'éprouver un avec tout. Ce « sentiment océanique » n'a rien, en lui-même, de proprement religieux. J'ai même, pour ce que j'en ai vécu, l'impression inverse : celui qui se sent « un avec le Tout » n'a pas besoin d'autre chose. Un Dieu ? Pour quoi faire ? L'univers suffit. Une Église ? Inutile. Le monde suffit. Une foi ? À quoi bon ? L'expérience suffit. »

Évocations

Dans les philosophies ou religions tendant à l'éveil spirituel (Zen, Vedanta), on trouve fréquemment la comparaison entre l'océan (l'univers) et la vague (l'individu), le sentiment océanique correspondant à une prise de conscience non-duelle de la nature de l'Être :

« Au-dessous du monde des perceptions sensorielles et de l'activité mentale, il y a l'immensité de l'être. Il y a une vaste étendue, une vaste immobilité, et une petite activité frémissante à la surface, qui n'est pas séparée, tout comme les vagues ne sont pas séparées de l'océan. »

 Eckhart Tolle, Le Pouvoir du moment présent, Ariane, 2000.

Le site de la revue Psychologies définit ce terme selon deux variantes : d'abord dans le sens psychanalytique d'une « reviviscence d'affects liés à des souvenirs de la petite enfance », et ensuite, dans le sens d'une manipulation où l'individu cède aux directives d'un gourou et à son groupe[8].

S. Freud et R. Rolland

Autres auteurs

  • Régis Airault, Fous de l'Inde - Délires d'Occidentaux et sentiment océanique, Paris, Payot, 2002, (ISBN 2-228-89585-7).
  • Fiona Capp, Ce sentiment océanique-Mon retour au surf, éditeur : Actes sud, 2005 (ISBN 978-2-7427-5526-4).
— Il s'agit d'un livre écrit par une journaliste australienne adepte de surf qui, au-delà de cette pratique sportive évoque la mer, l'horizon et de son bonheur d'être dans l'eau, se référant directement à l'expression de Romain Rolland[9].
  • André Comte-Sponville, L'Esprit de l'athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, 2006.
  • Sylvie Dallet et Émile Noël, Les territoires du sentiment océanique, Paris, éditeur L'Harmattan, 2012 (ISBN 978-2-296-99152-1).
  • Michel Hulin, La Mystique sauvage. Aux antipodes de l'esprit, Paris, éditeur : PUF, 2014.
  • Yves Vaillancourt, Sur le sentiment océanique, éditeurs : Presses de l'Université Laval (Canada), 2018, Herman (France), 2019 (ISBN 978-2705696504)
— Ouvrage philosophique d'un professeur québécois sur ce sentiment qu'il qualifie d’« expérience rare, fulgurante et généralement brève d’être Un avec le Tout »[10].

Article de presse

  • Martine Laronche, « Ces syndromes qui frappent les touristes étrangers », Le Monde.fr, (ISSN 1950-6244, lire en ligne).

Notes et références

  1. Google livre, Ouvrage collectif "Affectivité et pensée", page 187, consulté le 1er juin 2019
  2. Romain Rolland, lettre à Sigmund Freud, 5 décembre 1927, in, Un beau visage à tous sens. Choix de lettres de Romain Rolland (1866-1944), Paris, Albin Michel, 1967, p. 264-266.
  3. Michel Hulin, La Mystique sauvage, Paris, PUF [1993], coll. « Quadrige », 2008, chap. 1 : « Freud, Romain Rolland et le sentiment océanique », p. 29-44.
  4. « spinoza.fr › Lecture des propositions XXI à XXIII du De Libertate », sur spinoza.fr (consulté le ).
  5. Marlène Belilos, « Sentiment océanique et malaise dans la civilisation », sur blogs.mediapart.fr, (consulté le )
  6. Sigmund Freud : Malaise dans la civilisation, 2010, Éditeur : Points-Essais, (ISBN 2757802151).
  7. André Comte-Sponville, L'Esprit de l'athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, 2006.
  8. « Sentiment océanique (vécu océanique) », sur psychologies.com (consulté le )
  9. « Ce sentiment océanique », sur actes-sud.fr (consulté le )
  10. « Sur le sentiment océanique : informations », sur pulaval.com (consulté le )

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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