Wallon unifié
Le rifondou walon (appellation en wallon), appelé en français wallon unifié ou orthographe wallonne commune, est une nouvelle norme orthographique de la langue wallonne. Elle s'oppose à l'ancienne norme, appelée système Feller.
Historique
Si la question de l'orthographe wallonne est un sujet de préoccupation durant tout le 19e siècle, où l'on voit naître plus d'une dizaine de projets structurés et cohérents, celle de la normalisation est quant à elle débattue depuis le début du 20e siècle, et ce n'est que vers la fin que des idées concrètes se mettent en place[1],[2].
En 1988, Jean Germain est invité à un congrès en Suisse sur la normalisation du romanche et où la question d'un wallon commun fut posée, à l'image de ce que fut la koinè. Pour l'occasion, il rédige un article intitulé Une koinè wallonne ?, dans lequel il ne peut que constater qu'aucune évolution similaire n'a jamais été entreprise à très large échelle pour le wallon[3].
En 1989, il publie dans la revue Toudi un article dans lequel il propose des idées pour unifier le wallon[4]. À partir de 15 mots étudiés dans l'Atlas linguistique de la Wallonie (volume 1), il montre comment un système d'écriture normalisé pourrait s'opérer. Mais la trop grande diversité de prononciation de certains mots (et donc d'écriture) montre les limites du système Feller dans cette tâche. Il rappelle alors l'existence du diasystème ea dans les écritures moyenâgeuses, et émet l'hypothèse qu'elle fonctionnait peut-être comme graphie commune pour les mots wallons basés sur le suffixe latin -ellus, mais n'encourage toutefois pas son utilisation le considérant dangereux, sans en donner les raisons.
En 1990, Laurent Hendschel (wa) (chanteur, écrivain et chercheur en langue wallonne) écrit un essai On walon po dmwin ? (« Un walon pour demain ? »), dans lequel il explique que la normalisation commence à fonctionner dans d'autres langues régionales européennes (basque, occitan, romanche), et propose les premiers développements techniques pour le wallon basés sur les idées de Jean Germain[5].
En 1992 est publié le premier lexique en wallon pré-unifié composé de la traduction des 3000 mots français les plus courants, le titre est quant à lui écrit en système Feller, composé de trois variantes du sous-titre « Mes trois mille premiers mots wallon » : Walo +, Mès twès mile preumîs mots walons, Mès trwès mile prumîs mots walons, Mès treûs meye prumîs mots walons. Un ouvrage collectif rédigé par Willy Bal et Jean Germain, réalisé avec l'aide d'une dizaine d'écrivains wallons, coordonné par Laurent Hendschel et publié par l'ASBL Union Culturelle Wallonne (U.C.W.).
En 1993, dans un article autobiographique publié dans la revue Singuliers (wa), l'autodidacte Lucien Mahin (vétérinaire, mais également écrivain et chercheur en wallon) témoigne du manque d'une forme commune du wallon qu'il a ressenti durant son apprentissage de la langue, semblable à l'ABN pour les Flamands et qu'il nomme « r'fondu walon ». Dans la même revue, Michel Francard fait part de son observation sur l'évolution des langues dans le village de Tintange (où on parle luxembourgeois, wallon, français et allemand). Il indique que, parmi les deux langues régionales, la survie du luxembourgeois est nettement favorisée par l'existence de la planification, contrairement au wallon qui est en voie de disparition. En octobre de la même année, à l'occasion de la sortie de sa trilogie Ène bauke su lès bwès d' l'Ârdene, Lucien Mahin organise un séminaire à Redu sur l'avenir de la langue wallonne. Il y rencontre Michel Francard et Laurent Hendschel (qui vient de compléter son travail technique d'une langue wallonne écrite commune) et propose pour la première fois l'utilisation du diasystème xh comme graphie commune de h [h] qu'on trouve dans pèhon [pɛ'hɔ̃] et de ch dans pèchon [pɛ'ʃɔ̃].
Le travail se poursuit en 1994 avec l'apparition de 3 syllabus, considérés par les planificateurs (rfondeus en wallon) comme fondateurs : une Présentation du Dictionnaire Général Wallon par Johan Viroux (wa) (fils de Roger Viroux (wa)), dictionnaire qui sera appelé par la suite Diccionaire di tot l’ walon (« Dictionnaire de tout le wallon », ou « DTW ») ; une série de textes nommés WALDIM (pour walon did dimwin, « walon de demain ») par Lucien Mahin, traitant principalement de la néologie ; un article Å raploû-tot des walons (« À la salle de réunion des wallons ») par Laurent Hendschel, dans lequel il résume le travail réalisé et rappelle les techniques de normalisation.
En 1996, l'U.C.W. organise un important colloque à Charleroi sur la planification, dirigé par Laurent Hendschel : Quéne planificåcion po nosse lingädje walon ? (« Quelle planification linguistique pour le wallon ? »)[2]. La SLLW prend position et publie dans la revue Wallonnes (wa) un article dans lequel elle s'oppose à la normalisation et la création de néologismes, tout en considérant que « le wallon n’est pas mort, mais il est malade, moribond » et que « tout ce qui peut réveiller la braise qui couve sous la cendre mérite d’être encouragé ». La même année naît l'ASBL Li Ranteule promouvant le wallon unifié à travers la publication d'une revue du même nom.
Bien que de nombreux travaux ont été menés par la suite pour perfectionner et promouvoir le rfondou walon, notamment par l'introduction d'autres diasystèmes, l'aplanissement des diacritiques, ou encore la diffusion sur Internet d'un dictionnaire écrit entièrement en wallon normalisé, contenant 8 000 mots : l'Esplicant motî do walon (« Dictionnaire explicatif du wallon »)[6], en 2003 l'ouverture de Wikipédia en wallon, puis en 2009 celle du Wiktionnaire, écrits tous deux en wallon unifié, il apparaît que la normalisation du wallon ne fait pas l'unanimité et rares sont les œuvres publiées dans cette orthographe. En 2013, Michel Francard estime que « cette vision radicalement différente de l’orthographe wallonne ne s’est guère imposée au-delà du cercle de ses promoteurs, mais elle est largement diffusée dans les textes wallons publiés sur Internet »[7].
Philosophie
Si le Feller est une norme orthographique presque phonétique, elle présente le désavantage de varier d'une région à l'autre selon les différents dialectes et patois qui composent la Wallonie. L'orthographe wallonne commune a pris le parti inverse : un même mot s'écrit de la même façon sur tout le domaine wallon, même s'il se prononce différemment d'un endroit à l'autre.
Mais il ne s'agit pas d'une langue unifiée puisque chacun continue à parler le wallon selon les particularismes locaux[8].
Diasystèmes
Le rfondou walon est basé sur des diasystèmes, des lettres ou ensembles de lettres dont la prononciation peut varier d'une région à l'autre, voire d'un village à l'autre. Grâce à ces diasystèmes, un mot écrit de la même façon partout en Wallonie pourra toujours être prononcé à la manière de tel ou tel lieu.
Voici quelques diasystèmes (liste non exhaustive) avec des exemples de prononciation (bien d'autres prononciations, et donc orthographes sont possibles) :
Rifondou | Système Feller | |||
---|---|---|---|---|
— | Liège[D 1] (est-wallon) |
Bastogne[D 2] (sud-wallon) |
Namur[D 3] (centre-wallon) |
Charleroi[D 4] (ouest-wallon) |
xh pexhon |
h pèhon [pɛhɔ̃] |
ch pèchon [pɛʃɔ̃] | ||
jh prijhon |
h prîhon [pʀiːhɔ̃] |
j prîjon [pʀiːʒɔ̃] | ||
å åbe, måjhon(e) |
å, o[* 1] åbe, mohon(e) [ɔːp], [mɔhɔ̃] ([mɔhɔn]) |
â â(r)be, mâjon(e)[* 2] [aːp], [maːʒɔ̃] ([maːʒɔn]) |
â, ô[* 3] âbe, ôbe, môjone [aːp], [oːp], [moːʒɔn] |
â, ô[* 3]' â(r)be, môjo [aː(ʀ)p], [moːʒɔ] |
ea tchapea |
ê tchapê[* 4] [t͡ʃapɛː] |
ia tchapia [t͡ʃapja] | ||
ae djaene, bataedje |
è djène, batèdje[* 5] [d͡ʒɛn], [batɛt͡ʃ] |
a djane, batadje [d͡ʒan], [batat͡ʃ] |
a, â djane, batâdje [d͡ʒan], [bataːt͡ʃ] |
- Jean Haust, Dictionnaire liégeois,
- Michel Francard, Dictionnaire des parlers wallons du pays de Bastogne, De Boeck,
- Lucien Léonard, Lexique namurois : Dictionnaire idéologique, d'après le dialecte d'Annevoie (D3), Bioul (D2) et Warnant (D19),
- Arille Carlier, Dictionnaire de l'ouest-wallon, 1985 (t. 1), 1988 (t. 2), 1991 (t. 3)
- C'est un O ouvert (ò).
- À Bastogne même c'est mwêjon [mwɛːʒɔ̃], non couvert par le diasystème å. La forme présentée mâjon est de Arloncourt, Assenois, Bercheux, Bertogne, Bourcy, Chaumont, Cobreville, Compogne, Fauvillers, Hompré, Livarchamps, Longchamps, Lutrebois, Marvie, Menufontaine, Michamps, Morhet, Noville, Sainlez, Senonchamps, Sibret et Wardin. Les deux formes mâjon(e) est de Vaux-sur-Sûre.
- Ou au (O fermé), écriture alternative autorisée dans la version définitive du système Feller.
- On trouve aussi la forme tchapô [t͡ʃapoː] a Bastogne, non couvert par le diasystème ae.
- On trouve aussi des formes avec a : såvadje [sɔːvat͡ʃ] (Liège), sâvadje [saːvat͡ʃ] (Bastogne).
Le diasystème xh, proposé par Lucyin Mahin en 1994 pour le rfondou, se retrouve dans de nombreux lieux (Droixhe, Moxhe, Xhoffraix,…) et noms de famille (Albert Moxhet,…), et fut également employé, entre autres, dans le Dictionnaire wallon-françois d' Augustin-François Villers en 1793, dans lequel on retrouve, entre autres, la graphie pexhon identique à l'orthographe normalisée.
Critiques
En 1996, dans un article publié dans la revue Wallonnes (wa), signé par Jean Lechanteur (wa)[9] et ratifié par les autres membres de la SLLW, le wallon unifié fut qualifié de « néfaste » et d'« utopique »[10]. Dès lors, la SLLW s'est toujours opposée au wallon unifié.
En 2000, dans un article publié dans la même revue, Émile Gilliard fait part de son inquiétude face au mouvement entrepris par les promoteurs du rfondou walon et de leur « orthographe sophistiquée », cette « langue artificiellement élaborée » qui serait « nuisible au wallon et à la Wallonie » :
« Depuis quelques années, un groupe tente de créer de toutes pièces une koinè wallonne : le rfondu wallon, langue nationale officielle qu’ils rêvent d’imposer aux autorités et au peuple en lieu et place du français " impérialiste " et des formes locales du wallon. Ce groupe a même inventé une orthographe sophistiquée. Je respecte les personnes, leurs enthousiasme, leur travail, même si je ne partage absolument pas leur démarche. Mais je suis obligé de dénoncer cette utopie nationaliste, irréalisable car inutile, nuisible au wallon et à la Wallonie. On n’a pas le droit de décider à la place du peuple et de lui imposer une langue artificiellement élaborée. On n’a pas le droit de condamner à l’oubli les richesses particulières de nos langues de proximité et les œuvres qu’elles ont suscitées depuis quatre siècles car, in fine, c’est de cela qu’il s’agira en pratique. Ils critiquent le centralisme français qui, a, disent-ils, éliminé les parlers locaux et ils reproduisent le même processus en imposant un wallon officiel au détriment des diverses formes de nos dialectes. Une attitude pour le moins inconséquente et ambiguë. On ne modifie pas fondamentalement l’orthographe, le lexique et les phonèmes de nos langes régionales sans créer un hiatus, que dis-je, un abîme, entre le passé et les exercices de jonglerie de cette périlleuse aventure. A-t-on le droit de triturer nos langues au point d’en faire une pâtée passe-partout immangeable et insipide ?[11] »
Dans l'émission culturelle audiovisuelle Wallon, nous ! diffusée le sur la RTBF2, Bernard Louis (wa), alors président de la SLLW, disait « nous autres [à la SLLW] chacun écrit dans son langage, il faut conserver les différences du wallon […] puisque chacun écrit dans son langage, nous sommes naturellement pour le système Feller »[12].
Littérature
Il existe de nombreuses revues et livres en wallon unifié. Voici une liste[13] non exhaustive :
- Li Rantoele (« La Toile d’araignée », ou « Le Réseau »), revue de prose non narrative, éditée par l'ASBL du même nom.
- Li batreye des cwate vints (« La bataille des quatre vents », roman de Lucien Mahin)
- So l’anuti (« Au crépuscule », roman de Laurent Hendschel)
- Eviè Nonne (« Vers le Sud », nouvelles de Lucien Mahin)
- Gaston Libiestreye no 10 (« Gaston Lagaffe » traduit par Yannick Bauthière)
- Vera (« Véra », roman de Lucien Mahin)
- On Sånî a pårt (« Un Sart-Mélinois particulier », roman de Jacques Desmet)
Ouvrages de référence
Il existe actuellement un seul dictionnaire en orthographe wallonne commune. Il est l'œuvre d'un collectif dirigé par Yannick Bauthière (wa) et est édité chez Yoran Embanner (wa). C'est un dictionnaire de poche wallon-français / français-wallon[14].
Références
- « La normalisation, une bien vieille histoire », El Bourdon, U.C.W., no 381,
- [PDF] Henriette Walter, Nicolas Bach, Liliane Jagueneau, Bernard Cathomas, Alain Viaut, Michel Francard, Lorint Hendschel, Quelle planification linguistique pour le wallon ? : Actes du colloque international de Charleroi, 23 mars 1996, Commission « Langue » de l' U.C.W., (lire en ligne)
- Jean Germain, « Une koinè wallonne ? », dans Dominique DESTRAZ, Pierre KNECHT, Zygmund MARZYS, Écriture, langues communes et normes. Formation spontanée de Koinès et standardisation dans la Galloromania et son voisinage : Actes du colloque, Neuchâtel, septembre 1988, Genève, Neuchâtel, Faculté des Lettres, lib. Droz, , 161-170 p. (OCLC 875378181, présentation en ligne)
- « Quel avenir pour nos dialectes ? L'exemple du « Rumantsch Grischun » », Toudi, no 3, , p. 211-219.
- Laurent Hendschel, On walon po dmwin ?, 1900, sur Li Rantoele (ASBL)
- Nommé également Li "Ptit Larousse" do walon
- Michel Francard, Wallon, picard, gaumais, champenois : Les langues régionales de Wallonie, Bruxelles, De Boeck, , 212 p. (ISBN 978-2-8011-1736-1, lire en ligne), p. 84
- Introduction de "So l'anuti", de Laurent Hendschel, Éditions Weyrich, Neufchâteau (Belgique), 2006, (ISBN 2-930347-79-1)
- « Jean Lechanteur », présentation sur le site de la SLLW
- Jean Lechanteur, « Les planificateurs linguistiques au chevet du wallon », Wallonnes, SLLW, (lire en ligne)
- Émile Gilliard, « Balises pour un wallon du troisième millénaire », Wallonnes, SLLW, vol. 4, , p. 9-14 (lire en ligne)
- [vidéo] « Le wallon et la richesse de ses formes d'expression », sur Rtbf.be, Wallon, nous !
- Liste reprise dans On Sånî a pårt, Éditions Li Rantoele, 2013, (ISBN 978-2-9601383-0-6)
- Motî d' potche walon francès / francès walon, Ed. Yoran Embanner, Fouesnant, 2009, (ISBN 978-2-914855-60-0)
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