Plan de Saint-Gall

Le plan de Saint-Gall est un célèbre dessin architectural médiéval conservé à l'abbaye de Saint-Gall, en Suisse, et datant du début du IXe siècle, c'est-à-dire de l'époque de construction du complexe (vers 820). L'original est préservé à la bibliothèque de l'abbaye (Stiftsbibliothek Sankt Gallen, Ms. 1092). Il s'agit d'une pièce unique, seul croquis architectural subsistant d'une période de sept siècles allant de la chute de l'Empire romain jusqu'au XIIIe siècle. Ce plan est donc considéré comme un trésor national en Suisse, et demeure l'objet d'un fort intérêt de la part des historiens, architectes, et artistes pour son caractère unique, ses qualités esthétiques et sa signification culturelle.

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Plan de Saint Gall (St Gallen, Stifts-Bibliothek, Ms. 1092)

Présentation

Le plan décrit un complexe monastique bénédictin dans son ensemble, avec ses églises, ses maisons, ses écuries, ses cuisines, ses ateliers, sa brasserie, son infirmerie et même une salle pour la saignée. Conservé à l'abbaye de Saint-Gall jusqu'à aujourd'hui, il fut – en réalité – dessiné dans un scriptorium de Reichenau, dans les années 820, et dédié à l'abbé Gozbert de Saint-Gall (816-836).

Le plan est composé de cinq parchemins différents cousus ensemble, et mesurant 113 centimètres sur 78. Le dessin des bâtiments est tracé à l'encre rouge, et les inscriptions le sont à l'encre marron. L'échelle est originale (1/192[1]). Le verso du plan a été réutilisé au XIIe siècle, plié en différents folios, pour une copie de la Vie de saint Martin de Sulpice Sévère. Environ 350 annotations, partiellement rimées, et de la plume de deux scribes différents, décrivent les fonctions des bâtiments. La dédicace à Gozbert est écrite dans la marge.

En raison du manque de correspondance entre le plan et la disposition réelle de l'abbaye de Saint-Gall[2], ou avec toute autre abbaye de l'époque, la signification du document reste disputée, ainsi que l'ensemble de ses caractéristiques (système de mesure, échelle, copie ou original, plan idéalisé de Saint-Gall ou image abstraite d'une abbaye idéale).

Si l'on peut admettre que ce plan puisse correspondre à l'abbaye de Saint-Gall, ce n'est en tout cas pas une représentation géométrique de cet espace, mais plutôt un plan idéalisé de l'abbaye-type, où chaque élément se trouve là où il devrait être. L'analyse ci-dessous reste valable, mais sans possibilité de transposition littérale : la stricte réalité du terrain pouvait être toute autre, à la fois par la disposition des bâtiments, voire par leur existence même.

Malgré ces incertitudes, le plan de Saint-Gall reste un document exceptionnel sur la vie médiévale.

La conception du plan

Le plan a été conçu par Heiton, évêque de Bâle entre 802 et 823 et abbé du couvent de Reichenau sur le lac Constance de 806 à 823, à la demande de l'abbé Gozbert de Saint-Gall de 815 et 837. Heito lui dédicace le plan dans une marge du parchemin :

« Pour toi, mon cher fils Gozbert, j'ai tracé cette copie brièvement annotée des bâtiments monastiques, grâce à laquelle tu pourras exercer ton intelligence et reconnaître ma dévotion, et je veux croire que tu ne me trouveras pas paresseux lorsqu'il s'agit de satisfaire ta bonne volonté. Ne me soupçonne pas d'avoir pris cette tâche à la légère, mais sache plutôt que j'ai dessiné ceci par amour de Dieu et pour ton regard seul[3]. »

Le plan

Plan de Saint-Gall

L'apparence générale du couvent est celle d'un bourg de maisons indépendantes séparées par des rues. Il est très clairement construit en respectant la règle bénédictine qui préconisait que le monastère englobe l'ensemble des activités économiques, religieuses et sociales indispensables à la vie quotidienne. Il devait comprendre un moulin, une boulangerie et des écuries, le tout réuni à l'intérieur de l'enceinte afin que les moines aient le moins souvent possible le besoin d'en sortir.

La disposition générale de l'abbaye bénédictine peut être décrite ainsi : l'église et son cloître au sud occupent le centre d'une aire quadrangulaire d'environ 130 m de côté. Les bâtiments sont disposés en groupes, comme dans tous les grands monastères. L'église, en tant que centre de la vie religieuse de la communauté, en forme le noyau. À côté de l'église, sont disposés les bâtiments dédiés à la vie monastique et à la vie quotidienne des moines (le réfectoire pour se restaurer, le dortoir pour se reposer, la salle commune pour les relations sociales, le chapitre pour lire un chapitre de la règle monastique, ou pour discuter en assemblée).

Ces éléments essentiels de la vie monastique sont organisés autour d'une cour et d'un cloître, lesquels sont entourés d'une galerie couverte permettant de se déplacer entre les bâtiments tout en restant à l'abri des intempéries ou du soleil.

L'infirmerie pour les moines malades, la maison du médecin et le jardin médicinal se trouvent à l'est. Dans le même groupe de bâtiments que l'infirmerie, on trouve l'école des novices.

L'école se trouve hors de l'enceinte du couvent, à proximité de la maison de l'abbé, qui peut ainsi exercer un contrôle permanent.

Les bâtiments destinés à l'hospitalité sont divisés en trois groupes : un pour la réception de personnalités importantes, un pour les moines visitant le monastère, et un dernier pour les voyageurs et pèlerins. Le premier et le troisième sont placés de chaque côté de l'entrée commune du monastère, l'hôtellerie pour les visiteurs importants étant quant à elle située contre la face nord de l'église, non loin de la maison de l'abbé. L'hospice destiné aux pauvres est appuyé à la face sud, près des bâtiments de la ferme. Les moines en visite sont logés dans une maison construite contre le mur nord de l'église.

Les locaux destinés aux nécessités matérielles sont séparés des bâtiments monastiques. On accède aux cuisines et aux salles de travail par un passage situé à l'extrémité ouest du réfectoire. Ces pièces sont reliées à la boulangerie et à la brasserie, placées encore plus loin. Les ailes sud et ouest sont dévolues aux ateliers, aux écuries et aux différents bâtiments agricoles.

Hormis l'église, les bâtiments étaient en bois. L'ensemble comprenait 33 blocs séparés.

L'église est en forme de croix, comprend un vaste chœur se terminant en abside, un transept et une nef de neuf travées où prennent place de nombreuses chapelles.

Une abside semi-circulaire occupe également l'extrémité ouest, entourée d'une colonnade semi-circulaire formant un parvis (E) ouvert. Le grand autel (A) est situé immédiatement à l'est du transept, l'autel consacré à Saint-Paul à l'est, celui de Saint-Pierre dans l'abside ouest. Un campanile cylindrique se dresse de part et d'autre de l'abside ouest.

La cour du cloître, du côté sud de l'église, possède sur sa face est le « pisalis » ou « chauffoir », la salle où viennent s'asseoir les frères, chauffée par des conduites situées dans le sol.

Sur ce côté, dans les monastères, on trouve invariablement la maison du chapitre, dont l'absence sur ce plan est curieuse. Il apparaît cependant à partir des inscriptions du plan que la promenade nord des cloîtres était destinée à la maison du chapitre, et était équipée de bancs sur ses côtés.

Au-dessus du chauffoir se trouvait le dortoir, s'ouvrant sur le transept sud de l'église pour permettre aux moines d'être présents aux offices nocturnes.

Un passage situé à l'autre extrémité mène aux latrines (« necessarium »), une partie du monastère toujours construite avec grand soin.

À l'extrémité ouest, la face sud est occupée par le réfectoire, à partir duquel on peut accéder à la cuisine par un vestibule. Celle-ci est séparée des bâtiments principaux du monastère et est reliée à un long passage menant au bâtiment contenant la boulangerie et la brasserie (M) ainsi que les chambres des serviteurs. La partie supérieure du réfectoire est le vestiaire, où les vêtements habituels des frères sont entreposés. Contre la face ouest du cloître se trouve un autre bâtiment à deux étages : la cellule occupe le rez-de-chaussée, et le garde-manger et l'entrepôt se partagent l'étage.

Entre ce bâtiment et l'église, ouvrant par une porte vers le cloître et par une autre vers l'extérieur de l'enceinte monastique, se trouve le parloir pour les visites et les passages des personnes de l'extérieur. Sur la face est du transept nord se trouve le scriptorium, au-dessus duquel est placée la bibliothèque.

À l'est de l'église se tient un petit groupe d'autres bâtiments conventuels. Chacun possède un cloître couvert entouré par les bâtiments habituels (réfectoire, dortoir, etc.) ainsi qu'une église et une chapelle, sur le côté, placées dos à dos. Un bâtiment séparé commun contient les bains et la cuisine. L'un de ces deux couvents miniatures est destiné aux oblats ou novices, l'autre servant d'infirmerie aux moines malades.

La résidence du médecin est contiguë à l'infirmerie et au jardin médicinal (T), dans le coin nord-est du monastère. Près de ces pièces, on trouve une « pharmacie » ainsi qu'une chambre pour les malades contagieux. La maison pour les « saignées et les purges » y est adjointe à l'ouest.

L'école extérieure, au nord, abrite une large salle de classe divisée en son milieu et entourée de 14 petites pièces, les logements des étudiants. La maison du maître est à l'opposé, construite contre le mur de l'église.

Les deux « hospices » ou « hôtelleries » pour le repos des visiteurs comprennent une large chambre commune et un réfectoire en leur centre, entourés par les pièces aménagées pour dormir. Chaque hospice possède sa propre boulangerie et sa propre brasserie, avec en plus, pour les voyageurs de haut rang, une cuisine et un entrepôt ainsi que des chambres pour les serviteurs et des écuries pour les chevaux. Il y a également un hospice pour les moines étrangers au monastère contre le mur nord de l'église.

Au-delà du cloître, à l'extrémité sud de la zone du couvent se trouve la « fabrique » qui contient les ateliers du cordonnier, du sellier, du coutelier, du rémouleur, du tanneur, des laveuses, des forgerons et des orfèvres ainsi que leurs logements à l'arrière. On trouve également de ce côté les bâtiments de la ferme, un vaste grenier, la batterie (lieu où l'on bat les céréales), les moulins et la malterie. Face à l'ouest se trouvent les écuries, les étables, l'abri des chèvres, les porcheries ainsi que les bergeries et les quartiers des laboureurs et des serviteurs. Dans le coin sud-est on trouve le poulailler ainsi que l'abri des canards et de la volaille avec le logement de leur gardien. On voit également le jardin potager, les parcelles portant le nom des légumes qui y poussent : oignon, ail, céleri, laitue, pavot, carotte, chou, etc. Dix-huit variétés au total. De la même façon, le jardin médicinal ou herbularius de Saint-Gall présente le nom des herbes médicinales qui y sont cultivées et le cimetière celui des arbres (pommier, poirier, prunier, cognassier) qui y sont plantés.

Influence contemporaine

Études

Les premières études de ce plan sont les mémoires de Ferdinand Keller (1844) et du professeur Robert Willis (1848)[4].

L'ouvrage publié par Walter Horn et Ernest Born en 1979 (The Plan of St. Gall, 3 volumes) est depuis considéré comme la référence sur le sujet. Selon Horn, le plan serait une copie d'un exemplaire original décrivant le monastère idéal, tel que défini par les deux conciles réformateurs carolingiens d'Aix-la-Chapelle en 816 et 817. Parmi les objectifs des conciles figurait la création de monastères bénédictins dans tout l'Empire carolingien, afin de contrebalancer l'influence grandissante des monastères fondés par les missionnaires anglo-saxons et irlandais, et de l'art celtique sur le continent.

Selon cette étude, le plan n'aurait donc en tant que tel rien à voir avec la construction de l'abbaye de Saint-Gall elle-même.

Des études récentes sur ce plan ayant fait l'objet de publications de Norbert Stachura[5] ont montré que ce plan n'était pas une copie d'un plan étudié dans le cadre du concile d'Inden-Aix-la-Chapelle de 816/817, mais un plan original conçu à Reichenau à la fin des années 830. Ces conclusions sont reprises dans une étude de W. Jacobsen[6]. Les fouilles réalisées par E. Reisser[7] ont montré la parenté de ce plan avec le parti pris à l'église Sainte-Marie de Reichenau-Oberzell au temps de l'abbé Haito. Des études récentes faites par Dorothée Jakobs[8] à l'église Saint-Georges de Reichenau-Oberzell montrent que les principes de ce plan ont été appliqués à cette église. De ces études on peut en déduire que le plan de Saint-Gall, les églises de Sainte-Marie et de Saint-Georges de Reichenau-Oberzell se sont servis de la mesure du pied comme base de construction en adoptant des combinaisons symboliques de nombres (3, 4, 6 et 12) rappelant les données de l'Écriture (nombre des apôtres, des évangélistes, des jours de la Création, des dons de l'Esprit Saint, de la Trinité…)[9].

Umberto Eco

Selon Earl Anderson (Cleveland State University), il est probable que le plan de Saint-Gall ait figuré parmi les sources de préparation du célèbre roman de Umberto Eco, Le Nom de la rose[10].

Modélisation

Le plan est une source d'inspiration traditionnelle pour les modélistes. En 1965, Ernest Born, avec son équipe, crée une maquette correspondant à ce plan pour l'exposition Le Temps de Charlemagne à Aix-la-Chapelle. Elle figure parmi les sources d'inspiration de l'étude de Horn et Born en 1979, puis a été suivie de nombreuses modélisations, y compris informatiques.

Archéologie expérimentale

Campus Galli est un projet d'archéologie expérimentale visant à reproduire un monastère du IXe siècle suivant le plan de Saint-Gall, à Meßkirch, dans Baden-Württemberg en Allemagne.

Une reconstitution des élévations du plan de Saint-Gall, par Johann Rudolf Rahn (de) , d'après Lasius, en 1876

Notes

  1. L'échelle semble en réalité adaptée à la taille du parchemin, cf. Lorna Price, The Plan of St. Gall in brief
  2. La disposition de l'abbaye médiévale a été révélée par des fouilles entre 1964 et 1966, mais celle-ci ne correspond pas au plan. Voir Horn & Born, vol. 2, p. 256-359
  3. Charles McClendon, The Origins of Medieval Architecture, London, 2005, p.232, n°51Haec tibi dulcissime fili cozb(er)te de posicione officinarum paucis examplata direxi, quibus sollertiam exerceas tuam, meamq(ue) devotione(m) utcumq(ue) cognoscas, qua tuae bonae voluntari satisfacere me segnem non inveniri confido. Ne suspiceris autem me haic ideo elaborasse, quod vos putemus n(ost)ris indigere magisteriis, sed potius ob amore(m) dei tibi soli p(er) scrutinanda pinxisse amicabili fr(ater)nitatis intuitu crede. Vale in Chr(ist)o semp(er) memor n(ost)ri ame(n).
  4. Voir la bibliographie pour les détails
  5. Norbert Stachura, Der Plan von St. Gallen (II) : des Entstehen der Kirchenmaße, die Autorenfrage, die Abtei Reichenau und das Geheimnis des Schlafsaals, Saint-Sorlin, 2007
  6. W. Jacobsen, Nouvelles recherches sur le plan de Saint-Gall, dans C. Heitz, W. Vogler, Fr. Héber Suffrin (éd.), Le rayonnement spirituel et culturel de l'abbaye de Saint-Gall, Université Paris X-Nanterre, Centre de recherches sur l'Antiquité tardive et le haut Moyen Âge, Cahier IX, Nanterre-Pari, 2000, p. 11-35
  7. E. Reisser, Die frühe Baugeschichte des Münsters zu Reichenau, Berlin, 1960
  8. D. Jacobs, Sankt Georg in Reichenau-Oberzell. Der Bau und seine Ausstattung, Stuttgart, 1999
  9. Jean-Pierre Caillet, De Saint-Gall aux églises de la Reichenau, quelques jalons pour la symbolique de l'implantation au IXe siècle, p. 73, Bulletin monumental, Tome 169-1, Année 2011, Société française d'archéologie
  10. Umberto Eco's Name of the Rose, First Day: Terce

Sources

Bibliographie

  • (de) Ferdinand Keller, Bauriss des Klosters St. Gallen vom Jahr 820, im Facsimile herausgegeben und erlaeutert, Zürich, 1844.
  • (en) Robert Willis, "Descriptions of the Ancient Plan of the Monastery of St. Gall, in the Ninth Century", Archaeological Journal, 5, 1848, p. 86-117.
  • (en) Walter Horn et Ernest Born, The Plan of St. Gall, Berkeley, University of California Press, 1979.
  • (en) Edward A. Segal, "Monastery and Plan of St. Gall". Dictionary of the Middle Ages, Volume 10, 1989. (ISBN 0-684-18276-9)
  • (de) Werner Jacobsen, Der Klosterplan von St. Gallen und die Karolingische Architektur, Berlin: Deutscher Verlag für Kunstwissenschaft, 1992.
  • Olivier Reguin, « Quelques mesures du Plan de Saint-Gall et de la Chapelle palatine (Aachen) examinées dans leur contexte métrologique », Revue suisse d'art et d'archéologie, vol. 77, no 4, , p. 205-220 (ISSN 0044-3476).

Liens externes

Voir aussi

Articles connexes


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