Physique (Aristote)

La Physique est une sorte d'introduction épistémologique à l'ensemble des ouvrages d'Aristote de science naturelle (un des trois domaines des sciences théorétiques, avec les mathématiques et la philosophie première). Elle est ainsi une réflexion sur la connaissance des réalités naturelles et sur la nature en général.

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Manuscrit médiéval en latin de la Physique d'Aristote.

La nature se caractérise pour Aristote principalement par le changement, par exemple le lourd tombe pour rejoindre son lieu naturel. Ainsi, l'ouvrage suit ce fil directeur et Aristote y aborde de nombreux concepts.

Heidegger considérait ce traité comme le livre fondamental de la philosophie occidentale[1],[2]. Son influence est considérable ; Aristote y développe les enjeux principaux de sa philosophie, notamment le rapport entre la forme et la matière, ce qui le conduit à critiquer la théorie mécaniste.

Physique : Livre II

Nécessité de traiter des causes

Pour Aristote, nous croyons ne rien connaître avant d’en avoir saisi le pourquoi, c’est-à-dire d’en avoir saisi la première cause. C’est le cas pour la génération et la corruption et tout le changement physique. Les réponses à cette question « pourquoi ? » sont appelées « causes ». La spécificité d’Aristote réside dans sa conception d’une multiplicité de causes. De plus, s’il admet le hasard, il ne lui attribue pas un rôle causal dans l’absolu.

Causes matérielle, motrice, formelle et finale

Il y a quatre sens du mot « causes », qui peuvent répondre à la question « pourquoi ? ».

  • Ce dont une chose est faite : c’est la cause matérielle, qui deviendra la substance dans la scolastique. La « matière première » d'Aristote est pure puissance, non connaissable car elle n’a pas par elle-même de forme. L'équivalent moderne de cette matière première est, selon Leibniz, la masse au sens des physiciens[3].
  • La forme ou le modèle : on la désigne sous le nom de quiddité ou essence formelle ou cause formelle. Tout ce que nous connaissons est pour Aristote un mélange de matière et de forme. La forme est pour Aristote un concept ambivalent, qui désigne à la fois la forme géométrique et l’idée, le concept d’une chose.
  • Le premier commencement du mouvement et du repos est la cause motrice ou efficiente. La cause efficiente de la physique moderne est en discontinuité avec son effet, ce qui n’est pas le cas chez Aristote.
  • La fin ou principe téléologique est la cause finale, qui pour nous est plutôt la conséquence.

Trois corollaires

Une même chose peut avoir une pluralité de causes mais non au même sens. Il peut y avoir « rétroaction » de la cause finale sur l’événement. La même chose peut être cause des contraires, selon qu’elle est présente ou absente.

Modalités des causes

Parmi les causes d’une même espèce, il existe différentes modalités :

  • Par soi ou par accident,
  • Simple ou combinée,
  • Particulier ou genre (Individuel ou universel).

Et chacune d’entre elles est aussi divisée en causes « en puissance » ou « en acte », selon l’ontologie aristotélicienne. Ces causes sont, selon Aristote, des principes explicatifs, d’où l’appel explicite à sa métaphysique. S’il n’y avait pas de changement, mais seulement de l’être, il n’y aurait pas besoin de métaphysique.

Ces divisions permettent de donner les règles suivantes :

  • Les causes en actes et particulières sont simultanées avec leur effet.
  • Il faut chaque fois chercher la cause la plus élevée : antériorité, généralité, par soi.
  • Les genres sont causes des genres, les choses particulières des choses particulières.

La chance et le hasard

Réfutation de la théorie de l’inexistence du hasard

Aristote part de la sagesse populaire qui dit que la chance (τύχη / tukhé) et le hasard (αὐτόματον / automaton) sont des causes, mais le fait que les anciens sages n’en parlent pas met en question leur existence même. Il souligne que pour certains événements qu’on attribue à la chance, on peut saisir quelque part leur cause, qui n’est pas la chance. Mais c’est un fait que beaucoup de choses existent et sont engendrées par la chance et le hasard. Pour lui, l’exceptionnel dans la nature justifie l’existence de la chance et du hasard. Il faut donc examiner hasard et chance et voir comment ils tombent dans notre classification.

De quelles natures sont le hasard et la chance comme causes ?

Les effets de la chance ne sont ni constants ni fréquents, mais il existe des faits rares et des faits par accident, c’est-à-dire qui s’ajoutent à l’essence sans lui être nécessaires. La chance n’est donc pas cause par soi, elle n’est pas nécessaire, et n’est donc pas une cause. Le hasard a plus d’extension que la chance : il y a chance dans l’activité pratique. Quant au hasard, il appartient aux animaux et aux êtres inanimés, quand des choses ont lieu en vue d’une fin sans avoir en vue le résultat.

La conception aristotélicienne du hasard est compatible avec une conception causale de la nature, le hasard tient donc une place relativement anecdotique, ce qui remet en question une vision commune d’Aristote comme philosophe de la contingence. C’est la cause finale qui toujours chez lui commande les autres causes. Il est en effet très attentif à la diversité dans la nature, et ne réduit pas comme Platon la réalité à l’essence intellectuelle. Pourtant, comme on le voit dans sa conception du hasard, la contingence n’est que locale. La réduction au premier moteur le montre suffisamment, l’infini et la contingence ne sont pas explicatifs pour lui.

La chance : cause par accident relative au choix, à effet inattendu

Elle résulte de la rencontre de chaînes causales indépendantes, une finalité extérieure intervenant dans la chaîne, alors qu’elle n’est pas la finalité (le choix) initiale. La chance ne peut pas être de ce fait une cause première, c’est une cause par accident qui n’est cause de rien par soi.

Le hasard : cause par accident à effet vain et inattendu

Alors que la chance concerne les êtres rationnels capables de choix, le hasard ne demande pas de choix préalable.

Réfutation de Démocrite : le hasard n’est pas pour Aristote une cause première

Pour les atomistes (Démocrite, Leucippe, Épicure…), les atomes tombant verticalement, il faut l’intervention du hasard (le clinamen) pour qu’ils dévient de leurs trajectoires et se composent pour former des corps. Mais pour Aristote, hasard et chance sont des causes par accident, ils ne peuvent produire la nature et l’intelligence. Pour d’autres, notre ciel et tous les mondes auraient pour cause le hasard. Selon Aristote, cette conception est particulièrement surprenante car pour eux la nature terrestre (animaux, plantes) n’est pas produite au hasard tandis que les êtres les plus divins du ciel le sont. Ceci est contraire à la raison, d’autant plus que le ciel présente une grande régularité. Rien d’accidentel n’est antérieur au par soi, les causes hasardeuses pourraient être remplacées par l’intelligence et la nature, auxquelles elles sont postérieures. Le ciel ne peut donc être par hasard car il en serait alors de même pour l’intelligence et la nature qui y sont contenues.

Finalisme contre mécanisme

La réduction à la finalité

Il y a dans la nature trois ordres de recherche : l’immobile (le premier moteur qui doit être immobile sinon il serait mu), le mu incorruptible (le ciel) et le mu corruptible (le monde sublunaire).

Le physicien doit y chercher les quatre sortes de causes, il ne doit pas négliger la cause finale, en effet la nature est en vue de quelque fin. De plus, la cause formelle peut souvent être ramenée à la cause finale, dans la mesure où la finalité est toujours pour un être d’atteindre son essence véritable. Quant à la cause efficiente, ou motrice, comme elle ne change pas le genre des choses, elle n’est que le mouvement d’aller vers cette essence véritable. Seule la cause matérielle se révèle irréductible à la finalité.

Le conflit avec le mécanisme

Il y a une régularité dans la nature et très peu de hasard. La nature se comporte comme si elle était en vue d’une fin : dans les êtres vivants, la finalité est omniprésente. De plus, l’art imite souvent la nature.

Enfin, la nature est doublement matière et forme (hylémorphisme) et cette dernière porte toujours une fin, les choses qui semblent ne pas avoir de finalité (monstres) ne sont que les erreurs de la finalité. En refusant la finalité, les mécanistes suppriment donc la nature elle-même.

Nécessité absolue et nécessité hypothétique

Les causes efficientes ne sont que des conditions nécessaires en vue d’une fin : il s’agit d’une causalité hypothétique. La seule nécessité absolue (par soi) est d’atteindre son essence comme finalité.

Notes et références

  1. «La "Physique" d'Aristote, qui est « en retrait », et pour cette raison jamais suffisamment traversé par la pensée, est le livre de fond de la philosophie occidentale. » (M. Heidegger, "Ce qu'est et comment se détermine la φύσις", dans Questions I et II, trad. François Fédier, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1968, 1998, p. 489) ; « La Physique d'Aristote demeure le livre fondamental de ce qu'on appellera plus tard la métaphysique. Celle-ci a déterminé la structure de la pensée occidentale tout entière [...]. » (M. Heidegger, Le principe de raison, trad. André Préau, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1962, 2003, p. 151).
  2. Heidegger, Martin (1998), On the Essence and Concept of φὐσις in Aristotle's Physics Β, 1. Cambridge, Cambridge University Press, p. 183-230, 185. «Aristotle's Physics is the hidden, and therefore never adequately studied, foundational book of Western philosophy.»
  3. Sept occurrences du mot masse dans son De ispsa natura (De la nature en elle-même), qui renvoient à la fois à la « matière première » d'Aristote et à notre sens contemporain : « la notion même de matière première ou de masse, qui est partout la même dans le corps et proportionnelle à sa grandeur... » (p. 217 de la traduction du latin par P. Schrecker, in Opuscules philosophiques choisis, Paris, Vrin, 2001 ; aperçu en ligne).

Bibliographie

Articles
  • Michel Bastit, « Aristote et la séparation », Revue philosophique de Louvain, t. 90, no 87, , p. 297-316 (lire en ligne, consulté le ).
  • Maxime Vachon, « Les apories sur l'existence du temps et du maintenant (Aristote, Physique Δ, 10) », Laval théologique et philosophique, vol. 71, no 1, , p. 133-149 (lire en ligne)
  • Antoine Côté, « Aristote admet-il un infini en acte et en puissance en Physique III, 4 ? », Revue philosophique de Louvain, t. 88, no 80, , p. 487-503 (lire en ligne)
  • Gérard Verbeke, « La structure logique de la preuve du Premier Moteur chez Aristote », Revue philosophique de Louvain, vol. 46, no 10, , p. 137-160 (lire en ligne)
Ouvrages
  • Pierre Pellegrin (dir.) (trad. du grec ancien), Aristote : Œuvres complètes, Paris, Éditions Flammarion, , 2923 p. (ISBN 978-2-08-127316-0), « Physique »
  • Michel Blay, Dictionnaire des concepts philosophiques, Paris, Larousse, , 880 p. (ISBN 978-2-03-585007-2).
  • Pierre Aubenque, Le problème de l'être chez Aristote, Paris, PUF, coll. « Bibliothèque de philosophie contemporaine », , 551 p. (ISBN 2-13-038340-8).
  • Lambros Couloubaritsis, La Physique d'Aristote, Bruxelles, Ousia, 1998, (ISBN 2870600623)
  • Martin Heidegger, « Ce qu'est et comment se détermine la φύσις », dans Questions I et II, trad. François Fédier, Paris, Gallimard, coll. Tel, 1968 (1998), p. 471-582.
  • Augustin Mansion, Introduction à la physique aristotélicienne, Éd. de l'Institut supérieur de philosophie, Louvain, 1987 (2e éd. revue et augmentée, 2e réimpr. anastatique)
  • Thomas d'Aquin, Commentaire des huit livres des Physiques d'Aristote Traduction française Éd. de L'Harmattan Paris, 2008 2 vol.

Voir aussi

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