Petites expériences de pensée

Très prisées d'Einstein, les expériences de pensée (en allemand : Gedankenexperiment) n'ont d'autre but que de bien illustrer quelques phénomènes relativistes contre-intuitifs.

Les paradoxes ci-dessous sont essentiellement théoriques et ne servent qu'à fixer les idées en montrant la cohérence interne de l'édifice relativiste.

Faux paradoxe 1 : Deux horloges qui s'éloignent

« Deux horloges s'éloignent l'une de l'autre en ligne droite. D'après la théorie de la Relativité, c'est chacune d'elles qui est censée retarder par rapport à l'autre, ce qui paraît contradictoire selon le sens commun ».

Tel qu'énoncé, le paradoxe n'en est pas un : tant que les horloges n'ont pas été de nouveau réunies, cela n'a pas de sens de dire laquelle retarde par rapport à l'autre. Le concept de « simultanéité », significatif dans la conception classique de l'espace et du temps, perd en effet son sens en relativité restreinte : dès lors que les horloges sont éloignées, il n'y a pas de bonne façon de décider quel instant de la vie de la première doit être comparé à quel instant de la vie de la seconde pour déterminer laquelle avance et laquelle retarde.
Dans une version plus évoluée, les deux horloges effectuent des trajectoires différentes (l'une reste sur terre, l'autre voyage dans une fusée) pour revenir ultérieurement au même point de l'espace-temps. Dans ce scénario effectivement, l'horloge sédentaire aura plus vieilli que sa jumelle aventureuse. Certains commentateurs ont cru voir là un paradoxe : puisque les horloges jouent des rôles symétriques, aucune ne peut l'emporter sur l'autre en fin de course. C'est là mal comprendre le « principe de relativité » qui ne prétend pas que tous les repères se valent (le concept de « repère galiléen » a un sens en relativité restreinte), ni que toutes les courbes tracées dans l'espace-temps se valent. En fait (en assimilant abusivement un repère lié à la terre à un repère galiléen), l'horloge sédentaire aura suivi une géodésique de l'espace-temps (on pourrait même écrire une droite), alors que l'horloge aventureuse aura suivi une trajectoire bien plus complexe. Faisons ici une petite analogie : dans la conception classique de l'univers, il est bien connu et intuitif que si un mobile va de Paris à Marseille en ligne droite, il parcourt une distance plus courte qu'un autre mobile qui utiliserait un parcours sinueux. En relativité restreinte, où le temps et l'espace sont indissolublement liés, un phénomène analogue se produit pour le temps propre vécu. Si on mène le calcul précis en géométrie de Minkowski, variante relativiste de la géométrie euclidienne, on s'apercevra même que la géodésique est la façon la plus courte en distance (en espace) pour se rendre d'un point de l'espace-temps à un autre, comme la ligne droite est en géométrie euclidienne classique le plus court chemin entre deux points de l'espace. Mais ce n'est pas la plus rapide en temps (temps propre).

Faux paradoxe 2 : Deux photons qui se suivent

« La vitesse de la lumière est censée rester la même dans tous les repères. En ce cas quid d'un photon qui suit un autre photon ? Le premier va-t-il vraiment à la vitesse de la lumière par rapport au photon qui le suit ? En ce cas, pourquoi restent-ils à la même distance ? »

Physiquement, la question peut paraître insoluble concernant le photon, mais on a le droit d'imaginer ce qui se passe concernant l'espace associé en considérant des « particules » hypothétiques se déplaçant par exemple à , , . On s'aperçoit qu'asymptotiquement le temps se ralentit dans le repère associé à ces particules. Par passage à la limite (il s'agit d'une simple expérience de pensée !), le temps de trajet tend vers zéro à mesure que la vitesse se rapproche de . Rien d'étonnant donc à ce que l'« éloignement » de ces « particules » au cours du « trajet » tende vers zéro aussi sans que la vitesse de l'une par rapport à l'autre soit le moins du monde en cause.
Remarquons que dans le repère lié à ces particules, la vision de la chose est bien plus simple : c'est l'univers entier qui se contracte de plus en plus à mesure qu'on imagine la vitesse se rapprochant de . Si l'on avait le droit de passer à la limite (on a toujours le droit de le faire mathématiquement, même si physiquement ce n'est pas réalisable), on dirait que les photons ont simplement, de leur point de vue, « franchi une distance nulle » !
En termes plus savants : « La courbe d'univers d'un rayon lumineux dans l'espace-temps de Minkowski est une géodésique de longueur nulle » : ().
On remarquera aussi que la limitation de vitesse à ne vaut que pour un observateur extérieur. À cause de ce ralentissement de son temps propre, le passager d'un corps mobile à vitesse relativiste aurait bien l'impression en regardant sa montre d'aller aussi vite qu'il le veut entre deux points. Hélas, cette impression ne vaut que pour lui.

Variante

La variante suivante est d'Einstein lui-même : imaginons chevaucher un instant un rayon lumineux : un miroir placé devant nous reflèterait-il notre visage ?

  • Non, puisque la lumière reflétée par ce visage ne va pas plus vite que lui. Là encore, le temps se révèle figé.
  • Oui, le miroir va refléter notre visage car le rayon lumineux quitte mon visage et va vers le miroir à la vitesse de la lumière dans mon référentiel[1]... ce qui ne m'avance à rien, puisque le temps est figé pour moi.

Faux paradoxe 3 : Le contenant et le contenu

« Un coureur très rapide court à 0,999c (!!) en portant sur son épaule une échelle de 10 mètres. Il doit traverser une grange de 10 mètres dont on peut fermer les deux portes opposées simultanément (par exemple par des faisceaux laser).

Du point de vue de l'observateur lié à la grange, l'échelle est très rétrécie dans le sens du parcours, et il sera facile de fermer les « portes » sans dommage un très bref instant quand l'échelle ainsi rétrécie sera dans la grange. Mais dans le système lié au coureur, c'est la grange elle-même qui est rétrécie dans le sens du parcours, et l'opération est impossible ! N'y a-t-il pas là une contradiction, puisqu'en relativité les phénomènes sont censés justement ne pas dépendre du repère depuis lequel on les observe ? »

Il y a effectivement une contradiction, mais c'est dans l'énoncé qu'elle se trouve : il s'agit de l'emploi du mot « simultanément » : ce qui est simultané dans un repère ne l'est pas dans un autre. Le coureur verra apparemment la porte 1 s'ouvrir, puis les deux portes rester ouvertes simultanément pour lui, et la seconde se fermer sans encombre derrière son passage.

Faux paradoxe 4 : Les chapelets d'électrons

« Soient deux rangées parallèles d'électrons disposées en chapelet rectiligne. Vus depuis un observateur immobile, il s'agit de charges électrostatiques de même signe, qui se repoussent. Vus depuis un observateur en mouvement rapide, il s'agit de deux rayons cathodiques parallèles et de même sens, et qui doivent donc s'attirer, ce qui est incompatible sur le plan des observations. Comment expliquer le paradoxe alors même que les lois de la physique sont censées rester les mêmes dans chaque repère galiléen ? »

Précisons d'abord une erreur dans cet énoncé.
Deux rayons cathodiques ne s'attirent pas ! Cela est vrai de deux courants de même sens dans un conducteur, en vertu des lois de l'électromagnétisme : un courant produit un champ magnétique et celui-ci exerce une force sur les électrons en mouvement de l'autre conducteur.
Mais un conducteur est globalement neutre (la charge électrique des électrons est neutralisée par celle des noyaux). Tandis qu'un rayon cathodique est chargé : on a seulement des électrons, et ceux-ci se repoussent. Cet effet est bien connu dans les tubes cathodiques. Les électrons issus du canon à électrons se repoussent, élargissant la tache lumineuse sur l'écran cathodique. De tels tubes disposent donc d'un dispositif (wehnelt) qui sert à focaliser le faisceau afin de corriger cet effet indésirable.
Cette erreur suffit à faire disparaître le paradoxe mais il est utile d'en dire un peu plus.
Dans le cas des rayons cathodiques (ou de l'observateur en mouvement) on a donc deux effets : la répulsion électrostatique des électrons et une attraction magnétique due aux courants des électrons. Les lois de l'électromagnétisme montrent que la répulsion domine toujours mais pour un observateur en mouvement la force de répulsion est donc plus faible. Il n'y a pas de paradoxe car en relativité ce sont les composantes des forces perpendiculaires (au mouvement) qui sont modifiées par les transformations de Lorentz (voir calculs relativistes).
Un effet analogue existe avec deux conducteurs parcourus par un courant. Pour un observateur en mouvement, relativement aux conducteurs, il constate l'apparition d'une densité de charge linéaire non nulle le long des conducteurs. C'est un effet relativiste dû au fait que les électrons sont en mouvement et les charges positives immobiles (par rapport au conducteur) et dû au fait que les transformations de Lorentz ne sont pas linéaires par rapport à la vitesse.
Cette charge est à l'origine d'une répulsion électrostatique, toujours inférieure à la force magnétique entre les deux courants. Ce que montrent également les transformations de Lorentz appliquées au champ magnétique dans le repère des conducteurs. Pour l'observateur en mouvement, la force d'attraction (ou de répulsion) des conducteurs est donc altérée.
Si l'on prend en compte les transformations de Lorentz appliquées au champ électromagnétique, aux charges et courants et, enfin, aux forces, tout est consistant et le paradoxe disparaît.

Point intéressant de discussion : Simultanéité

La disparition de la notion de simultanéité absolue est souvent associée dans la littérature avec la Relativité.

On peut toujours, dans un référentiel d'inertie donné, conserver une notion de simultanéité. Le problème est de la mettre en pratique. Que veut-dire, dans ce référentiel, la phrase suivante : « deux événements, et , ont eu lieu au même instant t du référentiel en des endroits différents (aussi éloignés que l'on veut) A et B de ce référentiel. » ? Indépendamment de la relativité restreinte, la vitesse finie de la lumière dans toutes les directions permet de synchroniser des horloges sans difficulté pour ce référentiel.

Il ne s'ensuit pas qu'elles le seront pour un autre.

Il importe de comprendre qu'il ne s'agit pas d'une illusion de non-simultanéité comme celles causées par le décalage entre la vitesse du son (tonnerre) et celle de la lumière (éclair) (qui peut s'éliminer par application de formules). Il existe bien une impossibilité physique de définir objectivement cette simultanéité.

Bien que sans validité universelle, le concept de simultanéité reste utile, car il garde un sens lorsque les événements en question ont eu lieu à peu près au même endroit. Dans ce cas particulier, la simultanéité est conservée d'un référentiel à l'autre.

La question poétique : « Que se passe-t-il en ce moment précis à l'autre bout de la galaxie (ou sur une autre) ? » ne possède pas de sens opérationnel réel. L'antériorité est facile à définir (si nous voyons une supernova, il est clair que l'étoile observée est morte), ce qui préserve la causalité dans ce cas précis ; si ce qui est dans le futur reste bien distinct de ce qui est dans le passé, il existe entre eux un no man's land d'autant plus vaste que l'on considère des objets éloignés : le passé et l'avenir ne sont plus à cette échelle des demi-espaces séparés par un (hyper)plan du présent, mais deux morceaux opposés d'un (hyper)cône de lumière[2] dont l'observateur occupe le sommet.

Notes et références

Voir aussi

Bibliographie

On peut trouver un chapitre entier consacré aux expériences de pensée sur la Relativité dans Understanding Relativity, (ISBN 978-0-520-20029-6), 1996, pages 166 à 200.

Articles connexes

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