Opéra en France sous le règne de Louis XIV

Au début du règne de Louis XIV, la scène française était dominée par les opéras italiens. Toutefois, le besoin s’est rapidement fait sentir de créer un opéra national. Ainsi, les opéras italiens et les Italiens eux-mêmes sont rapidement tombés en disgrâce et en une petite vingtaine d’années, la domination de l’opéra en italien a été remplacée par des spectacles nationaux glorifiant la monarchie et la nation française[1]. Cette entreprise a été rendue possible grâce à la création d’une Académie royale de musique qui centralisait le pouvoir et donnait à un compositeur le privilèoe du genre de l’opéra. Grâce à son activité et son organisation (troupe établie toute l’année, machineries…), l’Académie était appelée à devenir le berceau de l’art lyrique en France et de par là rayonner à travers l’Europe. Ce nouveau genre de divertissement chanté en français s’inscrivait dans la politique culturelle de Jean-Baptiste Colbert qui promouvait tout ce qui pouvait consacrer la mémoire de Louis XIV[2]. En outre, l’essor de l’opéra en français a été rendu possible, paradoxalement, par deux Italiens : Jules Mazarin d’une part, qui a fait venir de son pays des chanteurs, compositeurs et librettistes réputés ainsi que des techniques et machineries incroyables[3] et qui a ainsi donné le goût du genre aux Français (même si au départ son but était de faire triompher l’opéra italien) et Jean-Baptiste Lully d’autre part, qui a réussi à composer des opéras nationaux.

Les débuts de l'opéra en France

Le rôle de Mazarin

En France, en retard sur certains autres pays d’Europe, il a fallu attendre les années 1645 pour assister aux premières représentations d’opéra en France sous l’instigation de Jules Mazarin, le cardinal italien chargé des affaires du royaume[4]. Jules Mazarin a été, dès son enfance, en contact avec la musique : il est passé par la Congrégation de l'Oratoire de Philippe de Néri, célèbre pour ses concerts et ses offices musicaux avant d’entrer chez les Jésuites qui, épris de magnificence, se sont fortement intéressés à l’opéra. Ils ont notamment fait jouer par des élèves un grand spectacle musical mettant en scène la vie d’Ignace de Loyola et Saint François-Xavier dans lequel Jules Mazarin, qui devait sans doute avoir des qualités de chanteur et de comédien, a joué le rôle de saint Ignace. Plus tard, Jules Mazarin est devenu l’intendant du cardinal Antonio Barberini[5]. Celui-ci était un homme féru de spectacles lyriques qui fera venir en France des librettistes et chanteurs italiens à l'automne 1645[6]. Il apparaît donc comme certain que Jules Mazarin assistait aux représentations d’opéras en Italie. Toutefois, sa passion musicale ne le faisait pas oublier ses ambitions de carrière : il a donc sollicité la naturalisation française pour s’installer à la cour de France en tant que cardinal. Avant de quitter son pays, il a fait représenter à l’Ambassade de France un opéra de son ami Ottaviano Castelli sur un livret dédié à Armand Jean du Plessis de Richelieu qui exaltait ses vertus ainsi que celles de Louis XIII. On voit donc qu’à travers la musique, il tentait d’atteindre des buts politiques. Il avait en effet compris le pouvoir de l’opéra. C’est donc grâce à la volonté d’un seul homme qui voulait impressionner par un art qu’il avait apprécié avec passion à Rome, que l’opéra a fait son entrée de l’autre côté des Alpes. L’opéra était donc, dès son introduction en France, un instrument de séduction et de domination[7]. Jules Mazarin tentera ainsi coûte que coûte de réunir une troupe de chanteurs et comédiens italiens, en particulier après la mort de Richelieu d’abord (1642) et après la mort de Louis XIII ensuite (), espérant monter en France des spectacles grandioses et arriver ainsi à un haut poste[8].

Les premiers opéras (1645-1653)

C’est dans ce contexte que l’opéra a vu le jour en France. La première trace d’un opéra remonte à . Il s’agit d’une fête privée durant laquelle une comédie italienne avec ballet a été donnée dans la grande salle du Palais-Royal. Cette première représentation dont il ne reste guère de trace aujourd’hui est sans doute la pastorale anonyme Poemetto dramatico per musica conservée à la Bibliothèque nationale de France. Il s’agit sans doute d’une pièce de Marco Marazzoli, célèbre compositeur d’opéras de l’époque[9]. À la suite du succès de la représentation, Jules Mazarin a continué de tenter de rassembler une troupe afin de donner une représentation plus importante et publique et en un genre national ? En réalité il n’en est rien car malgré ce que stipule le texte, la volonté de Jean-Baptiste Lully est bel et bien de parvenir à créer un opéra national en langue française.

Jean-Baptiste Lully prend donc la tête de l’institution royale et demande à Philippe Quinault d’être le librettiste de ses opéras, moyennant une pension de 4 000 livres en échange de quoi ce dernier se devait d’écrire un ouvrage nouveau chaque année. Il engage également la troupe des anciens musiciens de Robert Cambert[10]. Possédant grâce au privilège du roi un pouvoir considérable, Jean-Baptiste Lully était déterminé à faire de l’institution un lieu de prestige et de succès.

Jean-Baptiste Lully et Philippe Quinault

Création d’un art national

C’est en 1646 que Giovanni Battista Lulli arrive en France pour servir Anne-Marie-Louise d'Orléans, duchesse de Montpensier, dite la Grande Mademoiselle, qui recherchait un Italien pour la conversation. Il restera auprès d’elle jusqu’en 1652[11].

Sa carrière décolle dès le décès de Jules Mazarin (1661). Il devient le plus grand représentant de la musique française et coupe d’ailleurs tous les liens qui l’unissaient encore à l’Italie. En , il obtient donc la naturalisation française. Le il épouse la fille du plus célèbre et populaire musicien de l’époque, Michel Lambert, resserrant ainsi ses liens avec la musique française[12]. Il est en outre certain qu’il voulait devenir le maître de la musique française et qu’il a tout fait pour que la troupe italienne qui restait à Paris ne soit jamais entendue du roi et finisse par être licenciée. C’est ce qui arriva en 1666 alors que cela faisait quatre ans que la troupe n’avait pas été reçue par le roi, empêchée par Jean-Baptiste Lully qui s’arrangeait pour les discréditer auprès du roi [13]. À la suite de cet exil forcé, Jean-Baptiste Lully régnait désormais seul sur le spectacle lyrique[14].

Jean-Baptiste Lully était donc le compositeur le plus influent et il décida de s’attaquer au genre de l’opéra, changeant d’avis sur le statut de la langue française et adaptant la musique à la langue : il créa ainsi une nouvelle forme de chant adaptée à la langue française[15]. En effet, il utilisait plusieurs types de musique : le récitatif sec, les récits chantés et les airs. Le récitatif sec, utilisé principalement dans les dialogues, ne présentait pas de réelle mélodie : il s’agissait (sous sa forme la plus simple) de notes répétées aboutissant à une cadence (un repos) en fin de phrase. Pour des moments où Jean-Baptiste Lully jugeait qu’il était nécessaire d’introduire une phrase mélodique plus sophistiquée (notamment pour les discussions animés et les exclamations), il recourait alors aux récits chantés qui présentaient une mélodie plus élaborée (sauts mélodiques et rythmes variés) afin de souligner des moments importants. Enfin, les airs étaient destinés aux personnages secondaires ou aux scènes comiques. Ces airs présentaient des mélodies et des rythmes caractéristiques qui reprenaient souvent la musique d’une danse entendue auparavant, devenant ainsi aisément mémorisables. Outre ces différents types de musique aidant à suivre l’intrigue, la musique de Jean-Baptiste Lully colle toujours aux mots et c’est par la compréhension des mots que l’effet émotionnel pouvait être atteint. Ceux-ci étaient donc primordiaux et n’entravaient en aucun cas la musique. En français, adapter la musique aux mots implique de constantes élévations de la voix presque jusqu’à la fin de la phrase et des valeurs de notes un peu plus longues sur certaines syllabes dans des phrases accentuées. En plus de ces quelques caractéristiques propres à la langue française, on peut également ajouter les intonations mélodiques d’une phrase interrogative ou exclamative.

Son projet aboutit le , année où fut présenté son premier opéra Les Fêtes de l’amour et de Bacchus. Toutefois, son premier véritable succès est assuré par Cadmus et Hermione, donné pour la première fois le . Le sujet avait pour origine Ovide mais Philippe Quinault et Jean-Baptiste Lully en retinrent seulement la partie centrale, ajoutèrent une intrigue amoureuse et arrangèrent le texte de manière à insérer des ballets et des scènes spectaculaires, conformément au goût français. Jean-Baptiste Lully s’était arrangé pour que l’harmonie et le rythme correspondent au texte afin que celui-ci soit parfaitement compréhensible[16].

Par la suite, Jean-Baptiste Lully écrit des opéras « à la chaîne ». Rien ne sert de tous les énumérer mais voici quelques noms d’opéras qu’il a composés[17] : Alceste ou le Triomphe d'Alcide (1674), Thésée (1675), Atys (1676), Bellérophon (1679), Persée (1682), Amadis (1684) et Armide (1686). Tous ces opéras sont écrits en français. Ainsi, en 1681, Claude-François Ménestrier nous dit que « Grâce à Quinault et à Lully nous n’avons plus rien à envier à l’Italie, et nous pouvons lui fournir des modèles[18]».

Le succès de Jean-Baptiste Lully fut donc total : il affirma la centralisation de la musique par le pouvoir en créant un art national au service du roi et de la nation en transportant une image de grandeur et de pouvoir[19]. Il meurt en 1687 et un dénommé Francini prend la tête de l’Académie royale de musique[20].

Après Lully

La fin du siècle est marquée par une certaine perte de crédibilité de l’image de gloire de Louis XIV. En effet, à partir de 1685, des défaites militaires, des dettes nationales et des millions de morts dus à la famine entachent quelque peu la propagande royale[21]. De plus, Louis XIV est influencé par Madame de Maintenon qui considère que l’opéra est un genre honteux et le monarque semble se détourner des spectacles lyriques. Quelques spectacles furent donnés mais sans grand rayonnement. Cependant, un dernier engouement s’est vu pour l’opéra entre 1697 à 1704[22]. Bien que de moindre importance par rapport à la période allant de 1672 à 1685, elle est marquée par la création de certaines œuvres telles qu’Issé d'André Cardinal Destouches en 1697 ou qu’en 1699, la représentation du Carnaval de Venise d'André Campra sur un livret de Jean-François Regnard. Il s’agit d’un opéra-ballet écrit pour l’Académie de musique. Le livret est écrit principalement en français mais certaines parties telles que les improvisations sont en italien. L’action principale se déroulait en français et l’italien servait principalement pour les scènes de divertissement[23]. On voit donc que la fin de Jean-Baptiste Lully et la fin de l’engouement pour l’opéra relâchent la pression politique auparavant accrochée au genre et redonne une place à la langue italienne, quoique minime. Il est assez significatif que celle-ci serve lors des improvisations : cela démontre encore en effet l’image d’une langue française peu adaptée au chant lyrique et nécessitant une préparation avant d’être chantée, contrairement à la langue italienne.

Notes et références

  1. Robert M. Isherwood, « The Centralization of Music in the Reign of Louis XIV », French Historical Studies, vol. 6, 1969, p. 159.
  2. Jérôme de La Gorce, « L’opéra français à la cour de Louis XIV », Revue de la Société d’histoire du théâtre, vol. 35, 1983, p. 388, 398.
  3. Jérôme de La Gorce, L’opéra à Paris au temps de Louis XIV : histoire d’un théâtre, Paris, Desjonquères, 1992, p. 10.
  4. Jérôme de la Gorce, L’opéra à Paris au temps de Louis XIV : histoire d’un théâtre, Paris, Desjonquères, 1992, p. 9.
  5. Henry Prunières, L’opéra italien en France avant Lulli, Paris, Champion, 1913, p. 38-39.
  6. Marcelle Benoît, Les événements musicaux sous le règne de Louis XIV, Paris, Picard, 2004, p. 18.
  7. Henry Prunières, L’opéra italien en France avant Lulli, Paris, Champion, 1913, p. 43-44.
  8. Henry Prunières, L’opéra italien en France avant Lulli, Paris, Champion, 1913, p. 56.
  9. Henry Prunières, L’opéra italien en France avant Lulli, Paris, Champion, 1913, p. 63-64.
  10. Marcelle Benoît, Les événements musicaux sous le règne de Louis XIV, Paris, Picard, 2004, p. 125.
  11. Marcelle Benoît, Les événements musicaux sous le règne de Louis XIV, Paris, Picard, 2004, p. 20.
  12. Henry Prunières, L’opéra italien en France avant Lulli, Paris, Champion, 1913, p. 269, 306.
  13. Henry Prunières, L’opéra italien en France avant Lulli, Paris, Champion, 1913, p. 317-318.
  14. Robert M. Isherwood, « The Centralization of Music in the Reign of Louis XIV », French Historical Studies, vol. 6, 1969, p. 170.
  15. Henry Prunières, L’opéra italien en France avant Lulli, Paris, Champion, 1913, p. 369.
  16. Geneviève Duval Wirth, « Accueil et répercussions des livrets italiens à la Cour de France, de la minorité à la majorité de Louis XIV », in Borsellino Nino, Le théâtre italien et l’Europe : XVe-XVIIe siècles, Paris : Presses universitaires de France, 1983, p. 170.
  17. Les informations proviennent du libre de Marcelle Benoît, Les événements musicaux sous le règne de Louis XIV, Paris, Picard, 2004, respectivement p. 136, 141, 144, 161, 177, 188 et 199.
  18. Saint Evremond, Sur la morale d’Épicure à la moderne Leontium, cité dans Geneviève Duval Wirth, « Accueil et répercussions des livrets italiens à la Cour de France, de la minorité à la majorité de Louis XIV », in Borsellino Nino, Le théâtre italien et l’Europe : XVe-XVIIe siècles, Paris : Presses universitaires de France, 1983, p. 170.
  19. Robert M. Isherwood, « The Centralization of Music in the Reign of Louis XIV », French Historical Studies, vol. 6, 1969, p. 171.
  20. Marcelle Benoît, Les événements musicaux sous le règne de Louis XIV, Paris, Picard, 2004, p. 205 et 217.
  21. Georgia Cowart, « Carnival in Venice or Protest in Paris? Louis XIV and the Politics of Subversion at the Paris Opéra », Journal of the American Musicological Society, Vol. 54, 2001, p. 265.
  22. Jérôme de La Gorce, « L’opéra français à la cour de Louis XIV », Revue de la Société d’histoire du théâtre, vol. 35, 1983, p. 397.
  23. Georgia Cowart, « Carnival in Venice or Protest in Paris? Louis XIV and the Politics of Subversion at the Paris Opéra », Journal of the American Musicological Society, Vol. 54, 2001, p. 269, 271.
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