Occupation bulgare de la Serbie pendant la Première Guerre mondiale
Pendant la Première Guerre mondiale, le royaume de Serbie est envahi en octobre 1915 par les puissances centrales. Une fois la conquête achevée en novembre, le territoire serbe est partagé entre l'Autriche-Hongrie et la Bulgarie, chacun des deux alliés poursuivant ses objectifs propres en Serbie, tandis que le Reich, principal soutien de la Triple alliance, espère contrôler les ressources naturelles du pays dans le cadre de ses projets de constitution d'un vaste espace économique centreuropéen. Dans ce cadre, la partition de la Serbie en deux zones d'occupation est pensée comme provisoire par les puissances centrales.
Contexte
La Macédoine, objectif serbe et bulgare
Depuis 1878, les dirigeants bulgares aspirent à la reconstitution de la Grande Bulgarie.
Tenu en échec en 1913, lors de la seconde guerre balkanique, le royaume a dû limiter ses prétentions en Macédoine. Ainsi, alors que la Serbie devait obtenir un accès à a mer en Albanie, la diplomatie austro-hongroise s'active, afin de garantir une frontière terrestre entre l'Albanie et le Monténégro; au terme de la deuxième guerre balkanique, les Bulgares renoncent à l'annexion de la Macédoine serbe, définitivement annexée à la Serbie après la conclusion du protocole de Florence, en [1].
Ainsi, en 1915, les Alliés promettent au royaume de Sofia l'annexion de la Macédoine serbe[N 1],[2]. Au cours de l'été 1915, les négociations autour des compensations serbes en échange de la Macédoine entraînent un important blocage, tandis que le gouvernement bulgare se rapproche, puis s'allie aux puissances centrales par la convention du 6 septembre 1915[3]. Ces revirements ont pour origine le contrôle des voies stratégiques de la péninsule, dont le croisement se situe en Macédoine[1].
L'intervention bulgare
L'alliance entre la Bulgarie et les puissances centrales conclue, l'armée bulgare se lance à l'attaque du territoire serbe à partir du 11 octobre 1915, alors que les troupes de couverture serbes, positionnées le long de la frontière bulgare, ont été affaiblies par les ponctions rendues nécessaires par les succès austro-allemands[4].
Le plan mis au point par les puissances centrales vise une attaque sur trois fronts, la Bulgarie n'intervenant qu'après la rupture du front austro-serbe, le [N 2],[5]. À l'issue d'une rapide offensive, les unités bulgares occupent le centre du pays, effectuant leur jonction avec les unités austro-allemandes durant les derniers jours du mois d'octobre 1915[6].
La partage des dépouilles
Le Reich ne manifestant aucun intérêt pour une occupation par des unités allemandes des territoires conquis, ceux-ci sont partagés entre les Austro-Hongrois et les Bulgares[7].
Ainsi, conformément aux accords du 6 septembre 1915, la Morava borne le territoire serbe placé sous administration austro-hongroise et celui placé sous administration bulgare : le nord, le centre et l'ouest du pays est placé sous tutelle austro-hongroise, la Macédoine serbe et la région de Niš, ancienne capitale de guerre étant placées sous tutelle bulgare[8].
Politique bulgare en Serbie
À l'image de la politique austro-hongroise dans les régions contrôlées par la double monarchie, les Bulgares mettent en place une stricte politique d'occupation, permise par les directives imposées par le président du conseil, Vasil Radoslavov, ce dernier souhaitant qu'« il n'y ait plus de Serbes en Serbie »[9].
Un régime d'occupation sévère
Les territoires serbes promis à la Bulgarie occupés, l'administration militaires bulgare divise les anciens territoires serbes en deux circonscriptions, la Morava et la Macédoine, afin de contrôle efficacement la région[10].
Une politique d'épuration ethnique
Souhaitant intégrer des territoires serbes au royaume de Sofia, les troupes d'occupation mettent en place une politique de dénationalisation menée systématiquement.
Ainsi, les unités bulgares occupant les territoires serbes s'illustrent par leur brutalité, expulsant de façon systématique les populations non bulgares des régions qu'elles occupent, internant les populations et incendiant les villages supposés rebelles[11].
Multipliant les exactions et les viols, les Bulgares encouragent les mariages mixtes et forcés entre femmes serbes et hommes bulgares, les enfants issus de ces unions devant être élevés dans la culture bulgare[12]. De même, les paramilitaires et les soldats bulgares violent systématiquement les femmes serbes[13].
Dans le même temps, les élites serbes sont visées : les enseignants, le clergé, les fonctionnaires et les intellectuels sont rapidement exécutés, les soldats obéissant à de strictes consignes de traiter indifféremment civils et militaires[14].
À ces exactions s'ajoutent le bombardement régulier des territoires serbes libérés à partir de la fin de l'année 1916 par l'artillerie et l'aviation bulgares, déployées sur le front des Balkans[15].
Cette politique de destruction physique de la population se double d'une interdiction de la culture serbe; ainsi, les Bulgares pillent systématiquement les monastères serbes, tandis que villes et villages sont débaptisés de leur nom serbe pour se voir imposer un nom bulgare[15].
Résistance et répression
Ces velléités de contrôle se heurtent à une forte résistance, militaire et culturelle, de la part des populations serbes.
Ainsi, dès le milieu de l'année 1916, des mouvements de résistance se mettent place en Vieille Serbie et dans la vallée de la Morava; en 1917, en dépit de l'opposition des officiers de liaison dépêchés sur place par le gouvernement en exil, une insurrection massive est déclenchée par les partisans serbes le 28 février[13]. Culbutant les unités bulgares, les forces insurrectionnelles parviennent à conquérir un vaste territoire en Serbie centrale, parvenant à quelques kilomètres de Nič; cependant, dès le 8 mars, les austro-bulgares se ressaisissent et repassent à l'attaque ; le soulèvement échoue rapidement à partir du déploiement de vastes moyens en hommes et en artillerie[16], tandis que la répression entraîne la mort de 30 000 civils, habitant la région[13].
Enfin, à partir de 1917, les Bulgares mettent en place des unités de contre-guérilla particulièrement efficaces, parvenant à décapiter, à la fin de l'année, les mouvements de résistance serbes[17].
En dépit de cet échec, les foyers d'insurrection restent vivaces, les populations locales, opposées à la politique d'assimilation forcée pratiquée par les militaires bulgares, soutiennent les partisans serbes[17].
Rivalités austro-hungaro-bulgares
La conquête achevée, la dévolution du territoire serbe crée les conditions de l'expression d'une sourde rivalité entre la Bulgarie et la double monarchie[18].
Libération du territoire serbe occupé par la Bulgarie
Opérations militaires
Dès la fin de l'année 1916, des unités serbes parviennent à libérer la ville de Monastir, mais les Bulgares, tenant les hauteurs surplombant la cité, la bombardent quotidiennement[14].
Jusqu'à l'automne 1918, les opérations sont constituées de mouvements limités dans le cadre d'une guerre position en Macédoine serbe; le 14 septembre 1918, les Alliés déclenchent une vaste offensive de rupture sur l'ensemble du front, fonçant rapidement vers la ville de Gradsko, important centre logistique des puissances centrales au centre de la Macédoine serbe[19].
Devant cet échec de première importance, les Bulgares demandent aux Alliés leurs conditions en vue d'une cessation des hostilités, le [20].
Évacuation
Une fois signé, l'armistice de Thessalonique oblige les Bulgares à évacuer dans les délais les plus brefs les territoires serbes qu'ils occupent[20].
Notes et références
Notes
- La Serbie recevrait en échange des territoires en Albanie et en Autriche-Hongrie.
- Les unités austro-allemandes ont déclenché l'attaque par le nord le 6 octobre par un bombardement massif des positions serbes
Références
- Batakovic 2005, p. 31.
- Le Moal 2008, p. 83.
- Le Moal 2008, p. 84.
- Schiavon 2014, p. 135.
- Le Moal 2008, p. 88.
- Le Moal 2008, p. 89.
- Bled 2014, p. 195.
- Le Moal 2008, p. 115.
- Le Moal 2008, p. 117.
- Bled et Deschodt 2017, p. 224.
- Batakovic 2005, p. 32.
- Le Moal 2008, p. 118.
- Bled et Deschodt 2017, p. 225.
- Le Moal 2008, p. 119.
- Le Moal 2008, p. 121.
- Le Moal 2008, p. 127.
- Le Moal 2008, p. 128.
- Le Moal 2008, p. 141.
- Schiavon 2014, p. 336.
- Schiavon 2014, p. 343.
Voir aussi
Bibliographie
- Dusan T. Batakovic, « Les frontières balkaniques au XXe siècle », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 1, no 217, , p. 29-45 (DOI DOI 10.3917/gmcc.217.0029, lire en ligne ).
- Jean-Paul Bled, L'agonie d'une monarchie : Autriche-Hongrie 1914-1920, Paris, Taillandier, , 464 p. (ISBN 979-10-210-0440-5).
- Jean-Paul Bled et Jean-Pierre Deschodt, De Tannenberg à Verdun : La guerre totale, Paris, SPM, coll. « Intarissable », , 363 p. (ISBN 978-2-917232-64-4).
- Frédéric Le Moal, La Serbie du martyre à la victoire. 1914-1918, Paris, Éditions SOTECA, 14-18 Éditions, coll. « Les Nations dans la Grande Guerre », , 257 p. (ISBN 978-2-916385-18-1).
- Bernard Lory, « Une Guerre invisible? La mémoire de la première guerre mondiale en Bulgarie », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 4, no 228, , p. 37-49 (DOI 10.3917/gmcc.228.0037, lire en ligne ).
- Martin Motte, « La seconde Iliade : blocus et contre-blocus au Moyen-Orient, 1914-1918 », Guerres mondiales et conflits contemporains, vol. 2, no 214, , p. 39-53 (DOI 10.3917/gmcc.214.0039, lire en ligne ).
- Max Schiavon, Le front d'Orient : Du désastre des Dardanelles à la victoire finale 1915-1918, Paris, Taillandier, , 378 p. (ISBN 979-10-210-0672-0).
Articles connexes
Liens externes
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