Mutineries de 1917
Les mutineries de 1917 désignent généralement la série de révoltes ayant eu lieu au sein de l'Armée française au cours de l'année 1917, pendant la Première Guerre mondiale. Des mutineries ont toutefois eu lieu la même année dans les forces armées d'autres pays.
De nombreux facteurs expliquent cette rébellion française, notamment l’échec humiliant de la bataille du Chemin des Dames au printemps 1917 — offensive dirigée par le général Nivelle qui entraîna environ 200 000 victimes (morts et blessés) côté français. Les conditions de vie effroyables auxquelles devaient faire face les soldats français : le froid, la boue et le déluge d’obus n'étant que quelques facteurs parmi tant d'autres, eurent également un impact sur l'état d'esprit des troupes. Cette accumulation provoqua une montée de la colère parmi une partie des hommes au front qui décidèrent de se révolter contre l'autorité de l'état-major.
Le contexte
L'échec de l'offensive Nivelle
En 1917, après trois années d'une guerre meurtrière et indécise, la lassitude touchait l'ensemble des armées européennes, dont le moral était au plus bas.
Parmi les troupes françaises, le coût humain élevé de l'offensive Nivelle sur le chemin des Dames au printemps 1917, dont les gains sont seulement tactiques, les conditions de vie effroyables dans le froid, la boue, les bombardements d'artillerie et la rareté des permissions, tous ces facteurs s'additionnent et provoquent une montée de la protestation parmi les hommes au front.
L'espoir suscité par l'offensive avait été énorme à la veille du : le général Nivelle promettait la fin de la guerre et donc, pour chaque soldat, le retour chez soi. L'offensive ayant été enrayée face aux fortifications allemandes, puis terminée sur ordre du gouvernement fin avril, la déception et la colère grondent : les soldats ont l'impression que la bataille a été mal préparée[1].
Or, début mai, l'ordre est donné de reprendre l'offensive dans les mêmes conditions sur un terrain toujours aussi désavantageux pour les Français. Face à l'entêtement de l'état-major qui souhaite poursuivre cette offensive à outrance, des mutineries éclatent et gagnent progressivement toutes les armées le long du front pendant huit semaines. À leur paroxysme, elles touchent 68 divisions sur les 110 qui composent l'Armée française[2].
Beaucoup de mutins ou de protestataires sont des soldats aguerris, qui ont prouvé leur valeur au combat. Ils demandent moins un arrêt de la guerre qu'un commandement plus soucieux de la vie des soldats et plus attentif aux conditions réelles du combat moderne.
Facteur aggravant, les combattants du front découvrent lors de leurs permissions les « embusqués », les personnes pourvues d'emplois les mettant à l'abri du service sur le front. L'augmentation des contacts et des transits par Paris leur montre une population parisienne se souciant peu de leur sort. Ils élargissent cette impression de dédain à l'ensemble de la classe politique ainsi qu'au Haut commandement[3]. Enfin, le fait que les unités soient massées sur un espace réduit afin d'exécuter l'offensive Nivelle favorise la propagation rapide entre régiments différents de ce sentiment d'exaspération[3].
Une influence russe ?
L'historiographie a pendant longtemps fait de ces mutineries une simple conséquence de la Révolution russe de 1917. Si celle-là, ainsi que la montée de l'Internationale, ont joué un rôle dans cette grande crise, notamment à travers des tracts et certains journaux révolutionnaires (parfois subventionnés par la propagande allemande), elles ne semblent pas être considérées comme d'importance primordiale car la raison principale se situe bien dans le refus de participer à des attaques répétées.
Peut-être les soldats français ont-ils été influencés par l'exemple des soldats russes qui combattaient à leurs côtés. En effet, les survivants des 20 000 soldats de deux brigades russes, venues sur le front français en , refusent de continuer le combat après l'offensive Nivelle et de nombreuses pertes. Mais c'est avant tout l'annonce tardive de la Révolution de février en Russie qui va motiver ces troupes pour réclamer leur rapatriement. Prudemment, l'état-major français les confine dans un camp à l'arrière où ils vont fêter le 1er mai. Puis, expédiés dans le camp de La Courtine dans la Creuse, les mutins russes décident de renvoyer leurs officiers et de s'autogérer notamment en élisant leurs représentants. Ceux-ci vont mener pendant trois mois les négociations avec les autorités russes du gouvernement provisoire qui refusent leur retour vers leur pays.
Finalement, l'assaut est donné le par des troupes françaises et le concours d'artilleurs russes. Les combats font près de 200 morts[réf. nécessaire] chez les insurgés. Les brigades seront dissoutes et leurs dirigeants arrêtés. Après la Révolution d'Octobre et la paix de Brest-Litovsk, il est encore moins question de les rapatrier. On leur ordonne d'intégrer des compagnies de travail. Ceux qui refusent seront envoyés dans des camps disciplinaires en Algérie. Les premiers soldats ne rentrent en Russie que fin 1919.
Les formes de mutinerie
Dans l'armée française, de nombreux soldats s'infligèrent des mutilations volontaires pour quitter le front. Mais les médecins militaires décelaient ces blessures par les traces de poudre entourant le point d'entrée de la balle, et les intéressés étaient sanctionnés[4].
Les mutineries se manifestèrent essentiellement par des refus de certains soldats de plusieurs régiments de monter en ligne. Ces soldats acceptaient de conserver les positions, mais refusaient de participer à de nouvelles attaques ne permettant de gagner que quelques centaines de mètres de terrain sur l'adversaire et demandaient des permissions. Ces refus d'obéissance s'accompagnèrent de manifestations bruyantes, au cours desquelles les soldats exprimaient leurs doléances et criaient de multiples slogans dont le plus répandu est « À bas la guerre ».
Mettre fin aux mutineries de 1917
Le rôle de Pétain
Le remplacement du général Nivelle par Philippe Pétain comme général en chef des armées ne les calma que progressivement. Pétain parvient à calmer ces rébellions en adoptant une stratégie moins offensive que son prédécesseur afin de limiter les pertes en hommes. Il prend également plusieurs mesures visant à améliorer le sort des poilus, concernant entre autres les cantonnements, la nourriture, les tours de permissions… Toutefois, le pic d'intensité des mutineries se situe entre le et le , soit après la nomination du général Pétain (). Les mesures prises par celui-ci pour mettre fin aux mutineries mettent donc environ un mois à faire leur effet.
Le bilan des mutineries
Cette grande crise au sein de l'armée française amena son lot de sanctions contre les mutins. Environ 3 500 condamnations, en rapport avec ces mutineries, furent prononcées par les conseils de guerre avec une échelle de peines plus ou moins lourdes. Il y eut entre autres 1381 condamnations aux travaux forcés ou à de longues peines de prison et 554 condamnations à mort dont 49 furent effectives[5] parmi lesquelles 26 l'ont été pour actes de rébellion collective commise en juin ou juillet 1917[6].
Ce nombre a toujours, compte tenu des enjeux idéologiques, été un sujet de controverses du fait de l'impossibilité d'accéder librement aux archives avant 100 ans. Il varie également en fonction de la période retenue pour les mutineries et de la date des procès, certains mutins ne passent en jugement qu'en 1918 et quelques procès de 1917 se rattachent à des évènements des années antérieures. De plus, on estime que 10 à 15 % des archives militaires sont définitivement perdues. Quoi qu'il en soit, le nombre des exécutions de 1917, souvent mis en avant lorsque l'on parle des fusillés pour l'exemple reste relativement faible rapporté au nombre de fusillés des derniers mois de 1914 (près de 200) ou de l'année 1915 (environ 260). On peut l'expliquer par l’utilisation du droit de grâce par le président Poincaré : il gracie 90 % à 95 % des cas qui lui sont présentés.
Après sa création en 1920, le Parti communiste cherche à faire libérer les soldats mutins envoyés dans les camps de travaux forcés[7].
Le traitement des mutineries par la hiérarchie (soldats dégradés, fusillés, envoyés à une mort certaine dans des assauts impossibles…) a contribué aux séquelles psychologiques de cette guerre.
Les autres pays
Des mouvements similaires se développaient parmi les autres armées européennes impliquées dans le conflit, y compris à l'intérieur de l'armée allemande. C'est ainsi que 10% des soldats, destinés à être transférés sur le front Ouest après la révolution bolchévique d'octobre 1917, désertent ou fraternisent aves les russes ; sur ce même front Ouest l'échec des offensives allemandes du printemps 1918 conduit à une grève militaire larvée : perte d'équipements, mutilations volontaires, désobéissance[8].
Une mutinerie comptant jusqu'à 1 000 soldats a duré quelques jours dans le camp d'Étaples sur le littoral français du Pas-de-Calais, et a été vite réprimée en 1917. Ce camp a accueilli jusqu'à 80 000 soldats britanniques et du Commonwealth pour les préparer aux rigueurs du front. Un sous-officier a été fusillé pour son rôle dans la mutinerie, un des trois soldats britanniques fusillés pour cette infraction dans le front de l'Ouest pendant la guerre[9].
Au Texas, à la suite de violences policières commises sur une Afro-Américaine, le 24e régiment d'infanterie, composé d'Afro-Américains, se mutine, en août 1917, à Houston.
Notes et références
- Rejoignant en cela, sans le savoir, l'opinion de Lyautey, ministre de la Guerre.
- Bibliothèque de Documentation Internationale Contemporaine - Les mutineries de 1917
- Entretien avec André Bach, « Il y a cent ans, la crise des mutineries », La Nouvelle Revue d'histoire, no 90, mai-juin 2017, p. 23-26
- Journal de marche et des opérations de l'hôpital d'évacuation no 15, Bibliothèque du Val-de-Grâce
- Chiffres officiels donnés par le gouvernement fin juin 1917, voir H. Castex, op. cit. Guy Pedroncini évalue ces condamnations à mort entre 60 et 70. Ces chiffres ont récemment fait l'objet d'une réévaluation à la baisse : selon l'historien D. Rolland il y aurait eu environ 30 exécutions.
- Offenstadt 2009, p. 209.
- Bruno Fuligni, La France rouge. Un siècle d’histoire dans les archives du PCF, Les Arènes,
- Christian Baechler, L'Allemagne de Weimar (1919-1933) Fayard 2007 pp. 59-60
- Why the British Army did not Mutiny En Masse on the Western Front in the Great War)
Voir aussi
Bibliographie
- Joseph Jolinon, Les mutineries de mai-juin 1917., "Patrie humaine", coll. « Pax », , 30 p. (OCLC 82865828).
- Nicolas Beaupré (dir.), Heather Jones (dir.) et Anne Rasmussen (dir.), Dans la guerre 1914-1918 : accepter, endurer, refuser, Paris, Les Belles Lettres, , 383 p. (ISBN 978-2-251-44549-6, OCLC 935296045).
- Haddad Galit, "Le refus du refus en 1917. Les non-mutins du 129e Régiment d'infanterie face aux soldats mutinés", Histoire@Politique, no 6, sept.-déc. 2008.
- Rémi Adam, 1917, la révolte des soldats russes en France, Pantin, Bons caractères, coll. « Histoire », , 283 p. (ISBN 978-2-915727-14-2, OCLC 190797006).
- André Loez, 14-18, les refus de la guerre une histoire des mutins, Paris, Gallimard, coll. « Folio / Histoire », , 690 p. (ISBN 978-2-07-035523-5, OCLC 848722980).
- André Loez (dir.) et Nicolas Mariot (dir.), Obéir, désobéir : les mutineries de 1917 en perspective, Paris, Éd. la Découverte, coll. « Recherches », , 446 p. (ISBN 978-2-7071-5619-8, OCLC 804690101).
- Emmanuelle Picard, « Les mutineries dans les manuels scolaires français de l'Entre-deux-guerres aux années 1980 », in André Loez (dir.) et Nicolas Mariot (dir.), Obéir, désobéir : les mutineries de 1917 en perspective, Paris, Éd. la Découverte, coll. « Recherches », , 446 p. (ISBN 978-2-7071-5619-8, OCLC 804690101), [lire en ligne] sur le site HAL-SHS (Hyper Article en ligne - Sciences de l'Homme et de la Société).
- Nicolas Offenstadt, Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective : 1914-2009, Paris, éditions Odile Jacob, , 309 p. (ISBN 978-2-7381-2352-7, lire en ligne)
- Nicolas Offenstadt (dir.), Le Chemin des Dames : de l'événement à la mémoire, Paris, Perrin, coll. « Tempus » (no 473), , 785 p. (ISBN 978-2-262-03700-0, OCLC 820668261).
- Guy Pedroncini, Les Mutineries de 1917, Paris, Presses universitaires de France (PUF), 1967 (réédité en 1999).
- Denis Rolland (postface Nicolas Offenstadt), La grève des tranchées : les mutineries de 1917, Paris, Imago, , 447 p. (ISBN 978-2-84952-020-8, OCLC 803271049).
- (en) Leonard Smith, Between mutiny and obedience : the case of the French Fifth Infantry Division during World War I, Princeton, N.J, Princeton University Press, , 274 p. (ISBN 978-0-691-03304-4, OCLC 1023073638).
- Émile Ducharlet, Caporal Joseph Dauphin, mutin de 1917, Les Amis de La Lucarne Ovale, 2015. (ISBN 978-2-914648-02-8). Voir :
Articles connexes
Liens externes
- André Loez, « Improviser l’indiscipline : stratégies, contraintes et craintes des mutins de 1917 », communication présentée lors d'un colloque de l'ASFP en .
- Compte-rendu du colloque sur les mutineries organisé en par le CRID 14-18, association de chercheurs qui met en ligne des textes scientifiques et des ressources pédagogiques sur la Grande Guerre
- Les écrits sur les journaux des unités concernant les mutineries Une recherche personnelle sur les journaux de marches des unités d'écrits officiels concernant les mutineries.
- Fusillés de la Première Guerre mondiale sur le site Mémoire des Hommes.
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