Mulâtre
Un mulâtre (féminin mulâtresse) est une personne métisse née d'un parent noir et d'un parent blanc[1].
Pour l’article homonyme, voir Mulâtre (homonymie).
Étymologie et usage
Le terme mulâtre, emprunté au portugais mulato (mulet)[2], est apparu en 1544 en français dans l'ouvrage de Jean Fonteneau La Cosmographie avec l’espère et régime du soleil du nord dans le sens général de métis. Ce n'est qu'en 1604 chez François Martin de Vitré[3] que le substantif prend son acception actuelle : « Il y a quelques mulastres ou mestis c'est-à-dire personnes issus d'hommes blancs et de femmes noires »[4].
Le terme mulato ou mulata est utilisé en portugais pour désigner des métis. Au Brésil, la mulata est encensée durant le carnaval, notamment dans des chansons spécifiques (marchinhas)[5].
Muladi est une des origines possibles du terme espagnol et portugais mulato. Selon le dictionnaire de l'Académie royale espagnole, muladi signifie « l'Espagnol chrétien qui, pendant la domination islamique en Espagne, a embrassé l'Islam et a vécu parmi les musulmans »[6], tandis que Bernards et Nawas disent que la forme plurielle du mot semble être restreinte à Al-Andalus, presque exclusivement aux régions de Mérida, Grenade, Séville et Jaén.
Les mots espagnols, portugais et catalans sont dérivés eux-mêmes du terme arabe muwallad dont le sens fondamental est « personne d'ascendance mixte », en particulier un descendant de père arabe et de mère non-arabe, qui a grandi sous l'influence d'une société arabe et a été instruit dans la culture islamique, ou bien des hommes musulmans et des femmes étrangères non musulmanes. Muladi est la forme espagnole du terme muwalladun, désignant les musulmans de langue arabe d'origine hispanique qui se sont rebellés pour l'égalité des Hispaniques et contre la domination arabe. Selon Dozy, Muwallad signifie « quiconque, sans être d'origine musulmane, naît parmi les musulmans et a été élevé comme un Arabe »[7]. Le mot, selon lui, n'implique pas nécessairement d'ascendance arabe, qu'elle soit paternelle ou maternelle.
Muwallad dérive de la racine WalaD (ولد). Walad signifie « descendant, fils, garçon, jeune animal (mâle), jeune homme ». Muwallad renvoie à la progéniture. Le terme muwalladin est parfois utilisé en arabe encore aujourd'hui pour décrire les enfants de pères musulmans et de mères étrangères[8],[9],[10].
Les dictionnaires français Hachette et Larousse indiquent le terme comme « vieilli »[11]. L’étymologie faisant référence au mulet peut être considérée comme peu honorable, mais l'usage du terme a été adopté, avec fierté, par ceux qui se réclament de cette communauté. Elle a d'ailleurs pu avoir le caractère d'une caste. Selon Alain Rey, le terme « mulâtresse » est, lui, considéré comme dépréciatif[2].
Contexte historique du terme
Aux Antilles et dans les Mascareignes, la désignation des personnes selon leur couleur a une importance historique. Elle est due à une représentation de la hiérarchie sociale. Plus les personnes étaient d'ascendance européenne, plus elles étaient supposées riches et puissantes. Initialement les colons étaient des nobles, et le roi de France, Louis XIV, ne permettait pas la transmission du titre au travers du mariage avec des Africains d'origine. Il faut rappeler que ce titre conférait une fonction d'autorité sur des Français[12], et souvent un territoire associé en métropole.
Par ailleurs, il faut rappeler que les premiers mulâtres sont apparus avant l'économie de plantation et la traite des esclaves. Ils étaient les enfants d'européens et d'esclaves africaines des débuts de la traite occidentale qui débuta en 1441 par la déportation de captifs africains vers la péninsule ibérique[13] ainsi que de flibustiers et boucaniers.
Une "caste" de mulâtres a émergé et s'est développée économiquement, une aisance leur ouvrant un accès à l'éducation ; c'est-à-dire aux professions intellectuelles. La défense de leur couleur était implicitement associée à leurs privilèges, et leur patrimoine. Ce qui les a conduit, à l’imitation des békés, à restreindre les mariages avec des personnes d'ascendance africaine, dont la couleur est implicitement associée à la pauvreté héritée de leur condition d'esclave, puisque ces personnes n'ont plus de patrimoine, initialement saisi par les noblesses africaines qui ont vendu leurs ancêtres[14] pour participer au commerce triangulaire lancé par les colons[15].
En opposition avec ces comportements discriminatoires et ces inégalités, le mariage d'une personne d'ascendance africaine avec un béké ou un mulâtre était à la fois une ascension sociale et une remise en cause de l'ordre établi. Il s'est ajouté, notamment aux Mascareignes l'arrivée d'une immigration asiatique. Une partie d'entre elle a été intégrée aux mulâtres. Contrairement aux États-Unis, les métissages n'ont jamais été interdits dans les colonies des pays (catholiques) d'Europe continentale[réf. nécessaire],[16].
Les nuances de métissage
D'après le Dictionnaire universel, Panthéon historique, littéraire et encyclopédie illustrée (1852) :
« On désigne sous ce nom, dans l'espèce humaine, les individus engendrés par un sujet de variété blanche ou européenne avec un sujet de la variété nègre. On dit aussi aux colonies mulate et mulatesse, mots plus rapprochés de l'étymotogie espagnole mulato. On appelle métis le fruit de l'union d'un blanc avec une Indienne. De la conjonction d'un mulâtre ou d'une mulâtresse avec un noir ou une noire, il naît un câpre, et au degré suivant, dans l'un comme dans l'autre cas, le fruit est un griffe. De la conjonction d'un blanc et d'une mulâtresse ou d'un mulâtre et d'une blanche, il naît le mestif; au deuxième degré, c'est le quarteron; au troisième, le mamelouk. Les degrés supérieurs ne sont plus caractérisés que par l'appellation vaguement stigmatisante de sang-mélé. Ce dernier mot exprime comme une limite fatale entre deux races. Heureusement que le préjugé est destiné à s'effacer et qu'un jour viendra où la signification de ce nom sera ce qu'elle doit être, plutôt favorable que déprimante. Car il est reconnu que les croisements perfectionnent les espèces[17]. »
« Eh ! lieutenant, qui peut compter les différentes races qui se multiplient dans cet Eldorado du Mexique ! Voyez plutôt tous ces croisements que j’ai soigneusement étudiés, avec l’intention de contracter un jour quelque mariage avantageux ! On y trouve le mestisa, né d’un Espagnol et d’une Indienne ; le castisa, né d’une femme métis et d’un Espagnol ; le mulâtre, né d’une Espagnole et d’un nègre ; le monisque, né d’une mulâtresse et d’un Espagnol ; l’albino, né d’une monisque et d’un Espagnol, le tornatras, né d’un albino et d’une Espagnole ; le tintinclaire, né d’un tornatras et d’une Espagnole ; le lovo, né d’une Indienne et d’un nègre ; le caribujo, né d’une Indienne et d’un lovo ; le barsino, né d’un coyote et d’une mulâtresse ; le grifo, né d’une négresse et d’un lovo ; l’albarazado, né d’un coyote et d’une Indienne ; le chanisa, né d’une métis et d’un Indien ; le mechino, né d’une lova et d’un coyote ! »
— Jules Verne, Un drame au Mexique, chapitre IV.
La population métisse, comme la population blanche, s'est appropriée ces classifications par nuance de couleur et il en reste des traces dans le langage, notamment aux Antilles françaises. D'autres termes antillais existent, et sont plus ou moins usités. Certains sont péjoratifs comme chapé coolie qui désigne les métis indiens, d'autres restent plus affectifs comme chabin (féminin: chabine) et désignent les métis à la peau claire (ou avec des yeux ou cheveux clairs). L'hybride issu du mouton et de la chèvre est aussi nommé chabin, chabine.
Chaque teinte entre le noir et le blanc a eu son qualificatif. Dans les Antilles françaises, en Espagne, au Portugal, au Brésil et dans le sud des États-Unis comme dans plusieurs autres pays, l'importance de l'origine raciale ne s'arrêtait pas à la première génération. Une classification raciste selon la part de « sang noir » s'est mise en place, ainsi traditionnellement :
- Un enfant issu d'une union noir-blanc est un mulâtre (mulâtresse)
- Un enfant issu d'une union mulâtre-blanc est un quarteron (quarteronne)
- Un enfant issu d'une union quarteron-blanc est un octavon (octavonne)
- Un enfant issu d'une union mulâtre-noir est un câpre (câpresse) ou un griffe (griffonne)
Le terme quarteron signifie que l'individu a un quart de sang noir et octavon qu'il en a un huitième (les qualificatifs ont par exemple été utilisés concernant Alexandre Dumas père et fils).
En langue anglaise, la division ne s'arrêtait pas à octoroon (l'équivalent d'octavon), on avait donc ensuite le quintroon (c’est-à-dire la cinquième génération à partir de l'ancêtre noir), nettement plus fréquent que son synonyme hexadecaroon (qui signifie que l'individu a un seizième de sang noir). Ces derniers qualificatifs ont probablement été très peu utilisés car à ce niveau les individus n'ont plus aucune caractéristique les différenciant des blancs.
Antilles françaises
Dans les Antilles françaises, à Saint-Domingue (aujourd'hui Haïti), en Guadeloupe et en Martinique, la systématisation et la radicalisation de l’emploi des nuances de métissage dans les registres paroissiaux arrivent après la Guerre de Sept Ans (1756-1763). Le terme mulâtre désigne alors précisément une personne ayant un parent blanc et un parent noir. Les termes suivants étaient utilisés dans les registres paroissiaux puis dans les actes d'état civil[18],[19],[20]:
Proportion d'ancêtres noirs | Saint-Domingue | Guadeloupe/Martinique |
7/8 | Sacatra | - |
3/4 | Griffe | Capre |
5/8 | Marabou | - |
1/2 | Mulâtre | Mulâtre |
1/4 | Quarteron | Métis |
1/8 | Métis | Quarteron |
1/16 | Mamelouk | Mamelouk |
1/32 | Quarteronné | - |
1/64 | Sang-mêlé | - |
À noter qu'en Martinique et en Guadeloupe, le terme de Quarteron ne désigne pas une personne ayant 1/4 de « sang noir » comme dans la partie française de Saint-Domingue, mais l’individu provenant d’un Blanc et d’une métisse et qui a donc 1/8 de « sang noir ». Ainsi, les différences fondamentales entre la partie française de Saint-Domingue et la Martinique et la Guadeloupe viennent principalement des termes métis et quarteron dont la signification est inversée.
Statut social du mulâtre
Le mulâtre jouissait jusqu’au milieu du XXe siècle dans les Antilles et en Amérique latine (également dans le sud des États-Unis) du prestige du sang blanc et de la force noire (chaque nuance de couleur correspondait dans l'imaginaire collectif à une valeur et à un statut social). En même temps le mulâtre suscitait, à cause de sa position, un sentiment de haine et d’agacement aussi bien chez les blancs que chez les noirs, certains préférant être employés par un blanc raciste que par un mulâtre.
Chaque famille (noire) avait pour ambition "d'éclaircir son sang", génération après génération, car cela signifiait à terme échapper à la condition pauvre et à l'esclavage (s'affranchir par une couleur libre). Sous certaines conditions, l'enfant mulâtre pouvait être affranchi, mais dans d'autres cas et dans des colonies autres que françaises même les octavons pouvaient rester esclaves.
C'est pourquoi certains mulâtres furent adeptes de l’éclaircissement du lignage familial et évitaient au maximum le contact avec les noirs, en se mêlant si possible aux blancs (ou supposés blancs). Ceci a été longtemps le cas au Brésil même après l’abolition de l’esclavage, c’est ce qu'on a appelé le branqueamento. Les noirs, les métis ou les indiens recherchant systématiquement une femme plus claire.
Du point de vue légal, le statut des mulâtres était variable : selon la disposition IX de 1685 du code noir ceux issus d'un père blanc naissaient libres : « L’homme qui n’était point marié à une autre personne durant son concubinage avec son esclave, épousera dans les formes observées par l’Église ladite Esclave, qui sera affranchie par ce moyen, & les enfants rendus libres & légitimes ». De ce fait ils étaient inscrits à l'état civil, avec toutes les conséquences sur la capacité à agir et disposer de propriétés. Mais paradoxalement, l'article 13 de ce même code précise que « si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement » (et inversement « si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants tant mâles que filles suivent la condition de leur mère »).
Notes et références
- Rubrique mulâtre, mulâtresse, CNRTL : « (Personne) dont les parents sont l'un de race blanche, l'autre de race noire et dont la peau présente une coloration assez sombre. Femme mulâtre ou (plus rarement) mulâtresse. ».
- Alain Rey, Dictionnaire historique la langue française, Le Robert, 2011, p. 1833.
- Description du premier voyage faict aux Indes Orientales par les François en l'an 1603, p. 10 et ibid, par François Martin, de Vitré.
- Etymologie de mulâtre, C.N.R.T.L..
- Carnaval de Rio, p. 182 de Walnice Nogueira Galvão.
- (es) « muladí », sur Académie royale espagnole.
- John Nawas, « A Client’s Client: The Process of Islamization in Early and Classical Islam », Journal of Abbasid Studies, vol. 1, no 2, , p. 143–158 (ISSN 2214-2363 et 2214-2371, DOI 10.1163/22142371-12340009, lire en ligne, consulté le ).
- Versteegh, Cornelis Henricus Maria., Encyclopedia of Arabic language and linguistics, Brill, 2006-2009 (OCLC 470221113, lire en ligne).
- Boxberger, Linda, 1951-, On the edge of empire : Hadhramawt, emigration, and the Indian Ocean, 1880s-1930s, State University of New York Press, (ISBN 0585476195, 9780585476193 et 0791452174, OCLC 53226033, lire en ligne).
- (en) Lyle Scott Nash, White Fears and Fantasies: Writing the Nation in Post-abolition Brazil and Cuba., ProQuest, retrieved 26 may 2013. (ISBN 978-0-549-89033-1), p. 96.
- Définition du dictionnaire Larousse.
- Le terme désigne étymologiquement Ceux qui ont été affranchis, c'est-à-dire rendus Francs ou libres de toutes charges. Ce n'est qu'au XIIIe siècle que l'esclavage et le servage disparaissent en Europe. C'est l'ordonnance de Louis X le Hutin qui en est le premier symbole. En 1315 il affranchit tous les serfs du domaine royal, et proclame selon le droit de nature, chacun doit naître franc. Cité par Adolphe Chéruel (1809-1891) dans le Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, Paris, 1899.
- Gomes Eanes De Zurara, Chronique de Guinée, éd. IFAN, Dakar, 1960.
- Lawoetey-Pierre Ajavon dans Traite et Esclavage des Noirs : Quelle responsabilité Africaine ?, Éditeur : Éditions Anibwe (1er juin 2010), (ISBN 978-2916121338).
- Olivier Pétré-Grenouilleau dans Les Traites négrières: Essai d'histoire globale, Éditeur : Folio (16 novembre 2006), (ISBN 978-2070339020) (résumé).
- Il y a l'exception de la seconde version du Code Noir en 1724, signée par le Roi Louis XV de France alors qu'il a 14 ans, et qu'il est sous l'influence du Duc de Bourbon. La validité juridique de ce texte destiné à la Louisiane est discutée.
- Maurice Lachâtre, Dictionnaire universel, Panthéon historique, littéraire et encyclopédie illustrée (1852), Administration de librairie, 1852, p. 625.
- Frédéric Regent, Esclavage, métissage et liberté, Grasset, 2004, p.14
- Gérard Etienne, François Soeler, La femme noire dans le discours littéraire haïtien: éléments d'anthroposémiologie, Balzac-Le Griot, 1998, p. 27.
- Regent Frédéric, « Structures familiales et stratégies matrimoniales des libres de couleur en Guadeloupe au XVIIIe siècle », Annales de démographie historique 2/2011 (n° 122) , p. 69-98.
Voir aussi
Articles connexes
Lien externe
- Carminella Biondi, « Le problème des gens de couleur aux colonies et en France dans la seconde moitié du XVIIIe siècle », Cromohs, 8 (2003), p. 1-12 [lire en ligne]
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