Affaire Marie-Louise Giraud

Marie-Louise Giraud, née Lempérière le à Barneville, est une femme guillotinée au matin du dans la cour de la prison de la Roquette à Paris par le bourreau Jules-Henri Desfourneaux pour avoir pratiqué 27 avortements illégaux dans la région de Cherbourg. Elle fut la seule « faiseuse d'anges » à être exécutée pour ce motif. Un homme (Désiré Pioge)[1] fut également guillotiné le pour trois avortements. Issue d'une famille pauvre, Marie-Louise Giraud fut mariée à un marin, dont elle eut deux enfants. Elle a été successivement domestique, femme de ménage, puis blanchisseuse. À partir du début de la Seconde Guerre mondiale, elle loua également des chambres à des prostituées de Cherbourg. Elle commença à pratiquer des avortements, d'abord de manière bénévole puis contre rémunération.

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Contexte politique

L'avortement en France a été interdit et sanctionné depuis des siècles, notamment sous le pouvoir de l'Église depuis le Moyen Âge, via des lois rendant passible de peine de mort toute femme ayant avorté ainsi que tout individu l'ayant aidée. Les idées évoluent peu les siècles suivants : le Code pénal de 1791 condamne l'avortement, tout comme le Code pénal de 1810[2]. La loi de 1920, toujours imprégnée d’une morale chrétienne, vient aggraver cette répression historique de l'avortement avec pour justification :

  • de combler le trou démographique dû à l’hécatombe de la guerre de 1914-1918 (hommes morts au combat, nombreuses veuves et femmes célibataires qui n'auront pas d'enfants) ;
  • de relancer la natalité, alors chroniquement plus faible en France que dans les pays voisins (notamment l'Allemagne), et ce depuis plus d'un siècle (la France, qui n'a pas connu l'explosion démographique allemande ou anglaise des années 1830 à 1880, était de loin le pays le plus peuplé d'Europe en 1800, mais plus en 1900).

La loi du ne définit ensuite plus l'avortement comme un crime mais comme un délit : quiconque a provoqué l’avortement d’une femme sera puni d’un à cinq ans de prison et d’une amende de 500 à 10 000 F. La femme avortée est quant à elle passible de six mois à deux ans de prison. Mais, s'agissant d'un délit et non d'un crime, l'avortement est jugé, non par un jury populaire (qui ne siège que pour les cours d'assises, donc les crimes), mais par un jury de magistrats.

En 1935, à la suite d'un mouvement né aux États-Unis, le docteur Jean Dalsace ouvre à Suresnes le premier dispensaire de contrôle des naissances.

Cependant, le 29 juillet 1939, le Code de la famille aggrave de nouveau les peines sanctionnant l'avortement. Aux privations économiques et surtout alimentaires imposées par la guerre s’ajoutent, dès juin 1940, les séparations d’un grand nombre de couples mariés (sur 1,9 million de prisonniers de guerre français internés en Allemagne). Pour ces raisons entre autres, les grossesses – adultérines ou non – sont de moins en moins désirées et les avortements clandestins plus nombreux. La loi du exclut du droit au sursis les personnes accusées d'avortement[3],[4]. Sous le traditionaliste et dictatorial régime de Vichy, où la devise officielle de « l'État français » est Travail, Famille, Patrie, la loi du aggrave une nouvelle fois les peines et l'avortement devient un crime contre la sûreté de l'État, passible de la peine de mort.

Cette dernière loi est abrogée à la Libération. À partir de la fin des années 1950, les mouvements de revendication des femmes pour légaliser l'avortement se multiplient. Il faut attendre 1974 pour que soit votée la loi Veil dépénalisant sous condition l’avortement, loi promulguée le 17 janvier 1975.

Procès

C’est sous la France de l'Occupation en 1943 et sous le gouvernement du maréchal Pétain qu'un tribunal d'exception va juger Marie-Louise Giraud les 7 et [5], les jurys d'assises, estimés trop indulgents, étant dessaisis de ce genre d'affaires dès la loi de 1923.

À partir de septembre 1941, le régime de Vichy affiche des valeurs encore plus conservatrices et associe l’avortement à une attaque contre l'unité du pays, l'État et le peuple français.

Vingt-sept femmes ont eu recours aux services de l'accusée. À l'époque des faits, les nombreuses séparations dues à la guerre et les conditions de vie difficiles font augmenter la demande d'avortements. Marie-Louise Giraud, qui accueille de nombreuses prostituées chez elle, et qui a effectué son premier avortement pour rendre service, voit les demandes affluer à partir de 1942. En , l'un de ses avortements se passe mal, et une « cliente » meurt de septicémie après 15 jours de lutte contre l'infection[6].

Lors du procès, le président souligne l'immoralité de l'accusée. Le réquisitoire de l'avocat général reprend les thèmes diffusés par la nouvelle propagande et la réglementation de Vichy. La peine de mort est nécessaire dans ce cas-là, selon lui. La cour, après délibération, suit le réquisitoire. Marie-Louise Giraud est condamnée à avoir la tête tranchée.

Seule une grâce peut sauver la vie de l’accusée, mais le maréchal Pétain la rejette. Marie-Louise Giraud est exécutée le .

Postérité

Le fait divers passe inaperçu durant la Seconde Guerre mondiale, mais sera rendu célèbre en 1988 par Claude Chabrol dans son film Une affaire de femmes, adapté du livre de Francis Szpiner. Isabelle Huppert y interprète le rôle principal[7].

Notes et références

  1. « Liste des condamnés à mort », sur laveuveguillotine.pagesperso-orange.fr
  2. Cf. article 317 : « Quiconque provoque l'avortement d'une femme enceinte avec ou sans son consentement au moyens d'aliments, de drogues, de médicaments, par violence ou d'autres remèdes, est puni de prison »
  3. Olivier Wieviorka (dir.), Julie Le Gac, Anne-Laure Ollivier et Raphaël Spina, La France en chiffres de 1870 à nos jours, Paris, Perrin, (ISBN 978-2-262-02741-4), p. 476-478
  4. Bien que le nombre d'adhérentes puisse paraître élevé, l'auteur précise que ces chiffres déclarés ont été confirmés par Philippe Buton à partir d'archives soviétiques dans Les Lendemains qui déchantent - Le PCF à la LibérationFNSP, 1993, p. 29.
  5. La libéralisation de l’avortement : un long combat sur womanns-world.org, 29 janvier 2012
  6. En 1942, une Cherbourgeoise sous la guillotine, Ouest-France, 27 septembre 2013
  7. Sarah Sissmann et Christophe Barbier, « L'effet Soleilland : Une affaire de femmes », L'Express, (lire en ligne).

Bibliographie

Articles connexes

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