Marcel Jacno

Marcel Jacno (-), dit Jacno, est un graphiste français, célèbre notamment pour avoir dessiné le paquet de cigarettes Gauloises, ainsi que le logo du TNP (1951)[1].

Pour les articles homonymes, voir Jacno.

Il est aussi le créateur de la typographie du journal France-Soir.

Biographie

Marcel Jacno est un autodidacte des arts graphiques.

Il commence sa carrière à la fin des années 1920 en dessinant des affiches de cinéma. Ses premiers travaux, en 1929, sont des affiches pour Gaumont et Paramount

Dans le même temps, il perfectionne sa pratique du dessin de caractères et la grande fonderie française Deberny et Peignot publie plusieurs de ses créations, dont le « Film » (1934) et le « Scribe » (1936) qui connaissent un large succès. En 1936, il dessine pour la Seita le célèbre paquet de Gauloises, revisitant le casque ailé inventé par Maurice Giot en 1929[2].

À la fin des années 1930, Jacno se rend aux États-Unis, il y travaille pour plusieurs agences et devient enseignant à la New York School of Fine and Applied Arts.

De retour en France, il est mobilisé et combat lors de l'offensive allemande de 1940. Fait prisonnier, il s'évade, puis il s'engage dans la Résistance. Arrêté par la Gestapo, il est torturé et déporté au camp de Buchenwald. De ces années tragiques, il gardera un profond sens de l'engagement et les valeurs républicaines au cœur. Dès 1945, il contribue au remaniement des imprimés administratifs de l'État. En 1946, il redessine le paquet de cigarettes Gauloises, qui connaît un tirage annuel mondial d'environ deux milliards d'exemplaires sur chacun desquels, fait sans précédent, sa signature est apposée. (Dans les années 1970, le chanteur Jacno, de son vrai nom Denis Quillard, grand fumeur, sera ainsi affublé de ce pseudonyme par ses camarades).

Il en signe une seconde version du paquet de Gauloises en 1947 qui sera un des logos les plus populaires pour les Français et est une sorte de record mondial dans la diffusion d'une création signée[3]

Marcel Jacno assure durablement le packaging des produits de la SEITA, ainsi que les annonces, conditionnements, coffrets ou flaconnages pour Révillon, Guerlain, Chanel, Bourgeois, ou les alcooliers Cinzano et Courvoiser. Il renouvelle les identités et les lignes graphiques des éditions René Julliard et Denoël. Il est chargé des mises en pages pour l'Union latine d'édition et le Club bibliophile de France. Il conçoit la formule de L'Observateur (1950) – dans les années 1960, ce sera celle de France Soir. Travaillant pour l'édition, la presse, le théâtre, la mode, l'industrie, concevant affiches, lignes d'ouvrages, formules de presse, logotypes, identités, conditionnements, etc., il est un des graphistes français les plus recherchés, s'attachant la plupart du temps à dessiner des caractères typographiques pour singulariser et enrichir ses interventions. 

Jacno rencontre Jean Vilar pour la création de l'affiche générique du Théâtre National Populaire (TNP), en 1951. Il conçoit par la suite l'ensemble de l'identité visuelle du TNP, de la ligne d'affiches à la collection du répertoire, en passant par le marquage des véhicules,  les oriflammes, etc., soit un des premiers systèmes d'identité globale réalisé en France. Il dessine un logotype qui représente un tampon similaire à ceux qui s'appliquent sur les caisses des troupes théâtrales en tournée.

Et il choisit de créer un caractère typographique s'inspirant des lettrages aux pochoirs. La fonderie Deberny et Peignot édite à partir de 1953 sous l'appellation de « Chaillot » ce caractère qui demeure un des plus demandés dans ce registre. Jacno associe de manière systématique « Chaillot » et Didot Bottin dans toutes les compositions pour le TNP. Il redonne ainsi une vigueur particulière au Didot, peu employé depuis les années 1920 : celle de l'épopée révolutionnaire et de la république des origines.

Le succès du TNP amène Jacno à beaucoup travailler pour le théâtre et le spectacle vivant. Des années 1950 aux années 1980, il apparaît comme le principal graphiste dans ce domaine. Ses affiches couvrent la majeure partie de l'activité lyrique et théâtrale parisienne, images de cet effort vers un théâtre plus ouvert et plus populaire qu'incarne le TNP. À l'époque, les spectacles à ne pas manquer ont lieu au TNP ou à l'Odéon, au Théâtre des Nations ou encore à l'Opéra. Il conçoit les lignes graphiques, affiches, programmes, collections du répertoire, pour le Théâtre des Nations (à partir de 1959), l'Opéra et l'Opéra comique (1960). En 1970, la Comédie française lui confie ses affiches, ses programmes, ainsi que la ligne graphique et mise en pages de la collection du répertoire. À cet effet, il dessine l'alphabet « Molière ». À partir de 1973, son intervention pour le Théâtre de l'Est parisien est soutenue par la création d'un nouveau caractère, le « Ménilmontant ». En 1974, il travaille pour le Théâtre des Bouffes du Nord, créant pour chaque spectacle une affiche et un livret édité par le Centre international de créations théâtrales.

Marcel Jacno a formulé quelques thèses toujours d'intérêt sur la typographie et le graphisme. Sa définition de sa pratique et de sa recherche demeure ainsi d'une grande actualité : « Lorsqu'un artiste se plie à un art appliqué, à des contingences commerciales, il n'est pas obligé d'imiter, d'abandonner l'innovation ; il peut œuvrer dans un esprit moderne, participer à la formation du goût contemporain. Il peut être l'art vivant. »

Marcel Jacno était membre de l'Alliance graphique internationale (AGI) et de l'Association typographique internationale (ATypI).

Citations de Marcel Jacno

  • «  Ainsi ma signature se trouva reproduite à une multitude d’exemplaires puisqu’elle figurait sur l’emballage le plus répandu de notre pays. […] J’étais le recordman des multiples, étant donné que ce paquet si banal était imprimé à un nombre d’exemplaires qui bat tous les records de signatures : un milliard et demi d’exemplaires chaque mois.  »

Marcel Jacno, cit. Graphismes et créations, années 30,40,50

  • «  Avec cet alphabet de forme inattendu, j’ai voulu que les titres prennent la vedette et fassent images dans les imprimés.  »

Marcel Jacno, Typographie et théâtre, 1977

  • « C’est avant-guerre que j’ai dessiné le caractère ‹ Scribe ›. Il y avait alors en France deux fondeurs qui comptaient : le plus important, et en même temps le plus hardi, c’était Charles Peignot. C’est lui qui a amené le public à s’intéresser à l’art typographique. Il a lancé la typographie comme on aurait lancé de la haute couture. À cette époque sentant le manque d’un caractère d’écriture pour composer des textes rédigés en style ‹ parlé ›, il m’a demandé d’en dessiner un. En effet pour typographier ce style ‹ parlé › on ne disposait alors en France que de caractère du genre de l’anglaise que l’on utilise pour faire imprimer les faire-part de mariage. Mais si l’on voulait composer une phrase disant très familièrement : ‹ pour vous faire inhumer profitez de nos prix de printemps › comme on pouvait lire à l’époque dans les annonces américaines de Pompes funèbres, un caractère calligraphique convenait assez mal. Il avait une allure trop apprêtée. Il existait bien en ce temps à l’étranger quelques caractères répondant à ces conditions, principalement le caractère allemand ‹ signal ›. Mais il était peu adapté au goût du lecteur français, à cause de ses formes anguleuses agressifs.Je me suis appliqué à dessiner une écriture de forme spécifiquement latine. Mon programme consistait à obtenir un caractère typographique conservant toute la spontanéité du tracé de l’écriture courante. Pour être sûr de rester dans le vrai j’ai utilisé ma propre écriture. J’ai écrit des centaines de phrases. Parmi tous les mots écrits au courant de la plume j’ai relevé, pour chacune des lettres de l’alphabet, les formes qui se retrouvaient le plus fréquemment. J’en ai fait des agrandissements, une fois que je me suis trouvé devant 26 minuscules, les 26 majuscules, tous les chiffres et tous les signes de ponctuation, il manquait encore quelque chose pour constituer un alphabet typographique. Il m’a fallu normaliser ces éléments, leur surajouter certains points communs : une uniformité d’inclinaison. Et cela en prenant soin de ne pas faire disparaître toutes les irrégularités du tracés manuel de façon à conserver la spontanéité des formes. Restait une dernière mise au point : dans une typographie ordinaire les caractères sont séparés les uns des autres; dans une écriture courante qui prétend lui ressembler les lettres sont liées. Il fallait donc que le ‹ a › par exemple, puisse se lier directement à l’une quelconque des 25 autres lettres de l’alphabet, c’est-à-dire qu’il fallait prévoir 26 fois, 26 possibilités de contact entre les lettres; tout cela étant vrai aussi bien pour le côté gauche de chaque lettre, que pour son côté droit. Le résultat cela a été du texte imprimé semblant avoir été écrit à la main d’une seule veine, quelque chose comme un instantané d’une écriture moderne.  »

Marcel Jacno, revue l’immédiate, n°6, hiver 1975-1976

  • «  Considérons d’abord une idée parallèle et plus simple : les yeux des lecteurs sont habitués depuis deux siècles aux caractères à fort contraste (les plus typiques étant le Didot et le Bodoni). Poussons à son extrême l’idée que l’œil ne voit que les pleins et supprimons les déliés. On obtient (…) un caractère disons extrémiste au premier degré. Or, l’extrémiste du Bifur est plus subtil et plus avancé. Les éléments maintenus ne sont pas seulement les temps forts de l’écriture, ce sont les parties irréductibles des signes eux-mêmes. Expérience doublement instructive : elle pousse le dépouillement moderniste vers sa limite.  »

Marcel Jacno dans A.M. Cassandre, l’architecture, l’art que je préfère à tous les autres

Citations relatives à Marcel Jacno

  • «  Le titre de la pièce placé sous le nom de l’auteur, inscrit en rouge sur la couverture blanche, reprend les caractères Didot retenus par Marcel Jacno pour le sigle TNP et ses affiches. L’homogénéité des formes, une pureté de ligne, rejoignent le principe cher à Jacno, selon lequel ‹  pour mieux parler la lettre doit respirer ›. La sobriété du programme favorise la lisibilité. Sa simplicité écarte tout effet d’imposition. L’intégralité du texte facilite le respect, tant de l’auteur que du public, les deux piliers du théâtre de Vilar.  »

Roberta Shapiro, La question de la critique

  • «  Marcel Jacno l’avait conçu (le Chaillot) spécialement pour le Théâtre national populaire: le caractère Chaillot porte le nom du palais parisien qui abrita l’institution à partir de 1937. Tout au long de sa collaboration avec Jean Vilar, fondateur du Festival d’Avignon et directeur du TNP de 1951 à 1972, Jacno a marqué d’une brutale simplicité l’identité de ces deux institutions de la culture populaire. Inspiré des inscriptions aux pochoirs sur les caisses de matériel, en souvenir du théâtre itinérant, le Chaillot prenait le parti de dépeindre une culture, décentralisée, débarrassée de la tutelle de la classe bourgeoise et s’appuyait sur le concept cher à Jacno : L’homogénéité des formes est beaucoup plus importante que la pureté du contour des lettres.

Comme dans tout graphisme efficace, défendait-il, il y a, dans les affiches d’une entreprise théâtrale, deux éléments qui, répétés en toute occasion, doivent être aisément perçus par les yeux et saisis par l’intelligence. D’abord la couleur, ensuite la typographie des titres principaux, qui, tout en demeurant très lisible, doit être violemment caractéristique, En bleu, blanc, rouge, les affiches du TNP et du Festival d’Avignon portaient, avec ce flambeau, la marque de fabrique d’une culture appartenant au peuple, dans « le style Révolution française. Le Didot, qui avait donné ses formes au Chaillot et l’accompagnait dans la communication du TNP comme caractère de texte, se faisait l’emblème des affiches de 1789. Une troisième donnée permettant d’expliquer le travail du graphiste-typographe réside dans la valeur informative qu’il attribuait à la mission de l’affiche théâtrale, par opposition à l’affiche publicitaire. Ce rôle défendait la primauté du texte dans le support et l’importance du choix et de la singularité des caractères.  » Caroline Bouige, « Révolutions d’un caractère » in Étapes n°60

  • «  En 1934 Charles Peignot publie le film de Marcel Jacno qui raconte, à ce sujet, dans un petit livre de souvenirs : ‹ … Dans le hall du nouveau Bœuf (le cabaret ‹ Le Bœuf sur le toit ›, rue de Penthièvre), j’aperçus accroché au mur, un alphabet moderne imprimé sur métal, joliment encadré. C’était le caractère Bifur dessiné par l’affichiste Cassandre. La modernité de ce graphisme m’enchanta. Et m’inspira l’envie de dessiner moi aussi un caractère d’imprimerie… un alphabet aux formes modernistes, dans le goût de l’époque… Lorsque j’eus terminé les six douzaines de dessins de mon premier caractère, je prétendis le proposer à l’éditeur du Bifur… Charles Peignot accepta les dessins. › Marcel Jacno récidiva avec le Scribe, en 1936, et le Jacno en 1950 ainsi que le Chaillot, la même année, avec le système « typophane  » précurseur des lettres-transfert.  »

Charles Peignot, cit. Les Peignot : Georges, Charles

  • «  Le caractère Film que présentent, dans cette plaquette, les Fonderies Deberny et Peignot, pour 1934 est une nouveauté typographique. Il a la propriété de s’harmoniser aussi bien avec les séries classiques auxquelles il peut servir de lettrines qu’avec les séries modernes et surtout avec l’Europe. Il est d’un emploi facile, les divers éléments permettant toutes justifications de lignes avec fonds pointillés comprennent, dans chaque corps, des cadratins et des pièces de 1,2,3 ou 6 lignes verticales de points. le Film est vendu au prix de la 5e catégorie des caractères de fantaisie.  »

Présentation dans le numéro 18 de la revue Arts et Métiers graphiques,

Vidéos

Bibliographie

Ouvrage de Jacno

  • Anatomie de la lettre, Collection caractère, École Estienne, 1978.
  • A. Benchetrif, Jacno au Musée de l'affiche et de la publicité, Henri Veyrier / Ed. UCAD / Musée de l'affiche et de la publicité, 1981 - (ISBN 2901422209)
  • Marcel Jacno, Un Bel Avenir, éditions Maurice Nadeau, collection Papyrus, 1981.

Ouvrage relatif à Jacno

  • « Dix milliards de signatures. Marcel Jacno », Caractère, première année, n° 2, .
  • « Marcel Jacno », Caractère Noël, 1951.
  • « Affiches françaises de théâtre de Marcel Jacno », Gebrausgraphik, n°1, 1955.
  • « Jacno. Lettres et images » par Robert Ranc, Cahiers d'Estienne, n°28, 1962.
  • « Dossier Jacno », Techniques graphiques, n° 44, juillet-.
  • Who’s Who in Graphic Art, Vol 1 (1962) et 2.

Articles

  • « Retour des USA. Les commentaires de Marcel Jacno », Vendre, .
  • « Des proclamations de l’an III aux affiches du TNP », Bref, « journal mensuel » du TNP, n° 16, .
  • « Domaine du spectacle », Techniques graphiques, n°4, juillet-.
  • « Fonctions de la lettre dans les arts utilitaires », Esthétique industrielle, n° 72-73, 2e trimestre 1965
  • ‘An artist's progress, from typographic design to painting’, Idea, .
  • « Typo-graphies », L'Immédiate, n°6, 1976.
  • « Typographie et Théâtre, une expérience », L'Espace et la Lettre, Cahiers Jussieu 3, Université Paris VII, Coll 10/18, 1977.
  • « Chiffres », L'Immédiate n°20, 1979.
  • « Typographies » par Marcel Jacno, Rencontres internationales de Lure, Lettres capitales, Rémy Magermans, 1982 (pp 126-131).

Notes et références

  1. Jacno, le « célèbre inconnu », s’invite au Centre d’Arts, Le Républicain lorrain, 15 août 2020
  2. Maurice Giot, en ligne.
  3. « François-Xavier et sa femme Claude Lalanne me firent remarquer que j’étais le recordman des multiples, étant donné que ce paquet si banal était imprimé à un nombre d’exemplaires qui bat tous les records des signatures : un milliard et demi d’exemplaires chaque mois. Aucune œuvre signée, pas même les innombrables éditions des textes de Lénine, n’approchent ce chiffre, même de très loin. Ce record est d’autant plus curieux qu’il est le fait d’un auteur dont la notoriété est limitée à quelques petits cercles professionnels. » Marcel Jacno, Un bel avenir, éditions Maurice Nadeau, coll. Papyrus, 1981.

Liens externes

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