Luce d'Eramo

Luce d’Eramo, nom de plume de Lucette Mangione (Reims, - Rome, ), est une écrivaine italienne.

Biographie

Née en 1925, à Reims (France), de parents italiens, Luce d’Eramo – nom marital de Lucette Mangione, qu’elle conserva même après son divorce avec son mari Pacifico d’Eramo – a vécu jusqu’à l’âge de quatorze ans à Paris. Son père Publio Mangione, illustrateur et peintre, a vécu à Paris entre 1912 et 1915 : puis il a combattu durant la Première Guerre mondiale, en 1918 est devenu pilote d’avions, ensuite il s’est établi de nouveau en France où il devient entrepreneur. La mère de Lucette, Maria Concetta Straccamore Mangione, avait la charge de secrétaire du parti fasciste à Paris et s’occupait d’assister les travailleurs italiens émigrés. En 1938, Luce retourne dans sa patrie avec sa famille et, précisément, en un premier temps, dans la maison de sa grand-mère maternelle à Alatri (Sud-Latium), où elle s’inscrit au lycée dans la section d’études classiques.

Le changement de milieu ne pouvait pas être plus net : à la réalité parisienne, si moderne et politiquement si contrastée (en 1936, sous  ses fenêtres  avaient défilé les cortèges ouvriers du Front Populaire), venait se substituer la réalité ciociara (de la région de Frosinone, au sud du Latium), où les processions de gens nu-pieds, chantant à gorge déployée, se rendaient en pèlerinage au Sanctuaire de Trisulti ; partout, ce n’étaient que prêtres et  capucins, dont le couvent s’élevait derrière le jardin de sa grand-mère.  Comme elle le raconte elle-même, dans Io sono un’aliena, après s’être entendu appeler "Petite macaroni" en France, elle se trouve surnommée, par ses camarades du lycée Conti Gentile, "Francesina" [Petite française]. Elle grandit ainsi sans pouvoir s’enraciner nulle part, ce qui contribue à lui donner une sensibilité particulière pour la situation des « différents ». 

Par la suite, son père est rappelé eu service actif comme pilote, puis passe au service de presse de l’Armée de l’Air. La famille se transfère à Rome où Lucette (c’est ainsi qu’on l’appelle en famille) fait sa dernière année de Secondaire au lycée Umberto (aujourd’hui Pilo Albertelli), puis s’inscrit à la faculté des Lettres de l’Université et aux GUF (Groupes Universitaires Fascistes) comme il était naturel pour une jeune fille qui avait grandi dans une famille fasciste telle que la sienne.

Au lendemain du , après la chute du régime de Mussolini, elle suit pour un temps sa famille à Bassano Del Grappa, où son père est nommé Sous-Secrétaire à l’aviation dans la République de Salò ; après quelques mois, étant informée de bruits, toujours plus insistants, sur les déportations et les sévices perpétrés dans les lagers nazis, gagnée par le doute, désorientée, mais encore réticente à abandonner  son idéalisme de jeune fasciste, le , elle décide d’aller vérifier par elle-même ; et elle se sauve de chez elle pour aller travailler comme ouvrière volontaire dans les camps de travail allemands.

Sur le terrain, Luce s’aperçoit vite de la réalité : de l’oppression, de l’exploitation ; elle se révolte, et se solidarisant avec les prisonniers russes, elle participe à l’organisation d’une grève décidée par la résistance française et elle est emprisonnée. Après une tentative de suicide, rapatriée par égard pour sa famille, se retrouvant à Vérone, au lieu de retourner chez elle, elle s’intègre délibérément à un convoi de déportés, et finit dans le camp de Dachau. De là, elle parvient à s’enfuir et mène une existence vagabonde de clandestine, exécutant les travaux les plus humbles, dans une Allemagne bouleversée par les bombardements, jusqu’à ce que, à Mayence, le , tandis qu’elle apporte son aide pour extraire des décombres des blessés, un mur s’écroule sur elle, la réduisant à l’état de mourante. Elle survivra, paralysée des jambes. Toutes ces vicissitudes, survenues en moins d’une année, sont racontées dans Deviazione, roman autobiographique et thriller de ses souvenirs, commencé peu d’années après son retour en Italie, mais terminé à plus de trente ans de distance, en 1979.

De retour en Italie à la fin de la guerre, Luce passe une période de soins à Bologne, chez l’Institut Rizzoli, où elle fait la connaissance et épouse Pacifico d’Eramo, de retour de l’expédition de Russie – où il a été blessé – et futur professeur de philosophie. Tous deux se transfèrent à Rome. De leur union, qui avec le temps se révèlera malheureuse, (après de fortes dissensions, ils finiront par se séparer), naît en 1947 leur fils Marco d’Eramo.

Ayant repris ses études universitaires, Luce passe une licence de lettres en 1951, avec une thèse sur la poétique de Giacomo Leopardi, puis en histoire et philosophie, en 1954, avec une thèse sur la Critique de la faculté de juger de Kant. Après avoir publié, auprès d’une petite maison d’édition, Idilli in coro, en 1951, elle fait la connaissance de Alberto Moravia, qui l’apprécie comme écrivain et fait publier, dans Nuovi argomenti, son récit Thomasbräu,  ensuite fondu dans Deviazione. Par la suite, elle écrira le premier de ses essais fortement anti-conventionnels : Raskolnikof et le marxisme (1960, republié en 1997), dans lequel elle discute les opinions de Moravia, sur l’URSS. Dans Finché la testa vive (1964), roman qui, lui aussi, se fondra dans Deviazione, elle affronte le traumatisme de se retrouver en fauteuil roulant à 19 ans, et de recommencer à vivre dans une Europe qui sort en cendres de la guerre.

Dans son parcours d’écrivain,  demeure fondamentale sa rencontre, en 1966, avec Ignazio Silone, auquel elle restera attachée sa vie durant par une amitié humaine et intellectuelle, qui l’amène à publier son essai le plus engagé : une étude critique et bibliographique pénétrante sur L’opera d’Ignazio Silone (1971). Dans cet ouvrage, publié par Arnoldo Mondadori, elle examine les résistances de la culture italienne à l’égard d’un écrivain  considéré dans le monde entier - mais pas encore en Italie - comme un tout grand du XXe siècle italien.

Au cours des années dites de la stratégie de la tension, son amitié avec Camilla Cederna la conduit à s’intéresser au cas Feltrinelli, soulevé par la journaliste milanaise, au sujet de la version officielle de la mort de l’éditeur, qui se serait involontairement fait exploser – selon la police – tandis qu’il posait des mines au pied d’une ligne à haute tension ; dans Cruciverba politico. Come funziona in Italia la strategia della diversione (1974), Luce d’Eramo livre une analyse acérée de la presse quotidienne sur ce sujet.

Même sa veine narrative aborde toujours des sujets brûlants et controversés, cherchant des parcours pour sortir des innombrables  conditionnements matériels et mentaux qui emprisonnent les êtres humains et ce, en vue d’une plus grande conscience de soi, et aussi d’une ouverture sur l’inconnu et sur la diversité, afin de franchir les barrières qui font obstacle à la participation et au partage entre tous ceux qui vivent sur cette planète perdue dans l’univers. Après le nazisme et la guerre, dans Deviazione déjà citée, et dans Racconti quasi di guerra (1999), Luce d’Eramo raconte la lutte armée communiste des « années de plomb » dans son roman Nucleo zero (1981); le drame des gens âgés dans Ultima luna (1993); l’autisme émotif des jeunes néo-nazis, dans Si prega di non disturbare (1995), la maladie mentale dans Una strana fortuna (1997) ; et enfin,  dans Un’ estate difficile, sorti posthume en 2001, la psychologie, dans l’Italie des années 1950, d’un mari-potentat et l’itinéraire d’une femme vers son autonomie, en dépit des conditionnements affectifs et sociaux d’un mariage invivable.

Durant toute son activité d’écrivain, Luce d’Eramo collabore en outre avec divers périodiques et revues : Nuovi argomenti, La Fiera letteraria, Studi Cattolici, Nuova Antologia, Tempo presente', et avec plusieurs journaux: notamment Il Manifesto, L'Unità, Avvenire.

Son ouvrage le plus connu, le roman Deviazione, devenu un best-seller, vendu à des centaines de milliers d’exemplaires, a paru en même temps, en traduction française, sous le titre Le détour par Denoël. Ce livre est republié en 2020 en France par Le Tripode[1],[2],[3]. Il fut aussi traduit en allemand et en japonais. Du roman Nucleo zero, traduit, lui aussi, en allemand et en espagnol, le metteur en scène Carlo Lizzani a tiré un film homonyme, en 1984. Mais le livre auquel la romancière tenait le plus est Partiranno (1986), historique passionné du séjour sur la Terre des Nnoberavezi, des extra-terrestres courtois et friands de connaissances, auxquels Luce d’Eramo s’est intéressée en sa qualité personnelle d’ « étrangère », comme elle l’a clairement expliqué dans son dernier livre-interview, Io sono un’aliena, publié en 1999, deux ans avant sa mort à Rome, le .

Elle est inhumée dans le cimetière anglais de Rome.

Œuvres

Romans et contes

  • Idilli in coro, 1951.
  • Finché la testa vive, Rizzoli, 1964.
  • Deviazione, Mondadori, 1979; Feltrinelli, 2012.
  • Nucleo zero, Mondadori, 1981.
  • Partiranno (anche Il sogno dei marziani), Mondadori, 1986.
  • Ultima luna, Mondadori, 1993.
  • Si prega di non disturbare, Rizzoli, 1995.
  • Una strana fortuna, Mondadori, 1997.
  • Racconti quasi di guerra, Mondadori, 1999.
  • Un'estate difficile, 2001, Mondadori, posthume.
  • Il 25 luglio, Elliot Edizioni, 2013.
  • Tutti i racconti (par les soins de Cecilia Bello Minciacchi), Elliot Edizioni, 2013.

Essais

  • Raskolnikov e il marxismo. Note a un libro di Moravia e altri scritti, 1960; Pellicanolibri, 1997.
  • L'opera di Ignazio Silone. Saggio critico e guida bibliografica, Mondadori, 1971.
  • Cruciverba politico, Guaraldi, 1974.
  • (avec Gabriella Sobrino), Europa in versi: la poesia femminile del '900, Il ventaglio, 1989
  • Ignazio Silone, Ed. Riminesi Associati, 1994.
  • Io sono un'aliena, Edizioni Lavoro, 1999.
  • Ignazio Silone, Castelvecchi, 2014 (par les soins de Yukari Saito) recueil dans un seul volume L'opera di Ignazio Silone, les autres essais sur Silone parus chez les Ed. Riminesi Associati en 1994, ainsi que la correspondance entre Luce d'Eramo et l'écrivain.

Notes et références

  1. « Le Détour | », sur le-tripode.net (consulté le )
  2. « Le détour - Luce d’Eramo (ed. Le Tripode) », sur www.franceinter.fr (consulté le )
  3. Bruno Corty, « Le Détour, de Luce d’Eramo: volontaire pour l’enfer », sur Le Figaro.fr, (consulté le )
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