Les Trois Roues du Dharma

Les Trois Roues du Dharma renvoient, dans la tradition bouddhiste indo-tibétaine, au fait que le bouddha Siddhartha Gautama aurait donné son enseignement en « trois tours de Roue[1],[2]». On utilise aussi l’expression « la Roue de la Loi à trois tours »[3].

Première mise en mouvement

Bouddha enseignant, grottes d'Ellorâ construites sous les Chalukya et Rashtrakuta, statue de style post-Gupta vers 700.

La première mise en mouvement de la Roue du Dharma eut lieu à Sārnāth. Il y enseigna les quatre nobles vérités. Il développa cet enseignement durant toute sa vie, enseignement qui était adressé à tous. L'ensemble de cet enseignement se retrouve à quelques différences mineures dans les Canon pali, chinois et tibétain.

Deuxième mise en mouvement

La deuxième mise en mouvement de la Roue du Dharma eut lieu au Pic des Vautours près de Rajagrha (actuellement Rajgir). Il enseigna à ses disciples les plus intelligents les enseignements de la Prajnaparamita qui établissent la doctrine de la Vacuité. Ces enseignements, trop difficiles pour les gens de l’époque, devaient être révélés plus tard. Selon la tradition bouddhiste, ils auraient été conservés dans le monde des Nagas et transmis à Nāgārjuna au IIe - IIIe siècles. Tous les sūtras de la prajñāpāramitā, dont le Sūtra du Cœur et le Sūtra du Diamant ainsi que le Sūtra du Lotus et le Sutra de Vimalakirti, sont attachés à la deuxième roue. La notion de vacuité connaîtra un profond développement chez Nagarjuna, entre autres, dans Les stances-racine de la voie du milieu (Prajñānāma mūla madhyamaka kārikā).

Troisième mise en mouvement

Le Bouddha enseigna la troisième roue du Dharma sous « l'aspect lumineux de l'esprit » à Vaishali (dans le Bihar), à Sravasti et sur le mont Malaya. Il y enseigna l'Ālayavijñāna, les trois natures et le Tathagatagarbha c'est-à-dire la nature de bouddha. Il s'agit, entre autres, du Laṅkāvatāra Sūtra (Sūtra de l'Entrée à Lankâ), du Tathāgatagarbha Sūtra (Sūtra du Tathāgatagarbha), du Ratnakuta Sūtra (en) (Sūtra de l'Amas de joyaux), du Sandhinirmocana Sūtra (en) (Sūtra du Dévoilement du sens profond) ou du Avatamsaka Sūtra (Sūtra de l'Ornementation fleurie, ou de la guirlande de fleurs). Ces notions seront développées très profondément par Asanga, entre autres, dans les Cinq traités de Maitreya : l'Ornement des sūtras du Mahâyâna (Mahāyānasūtrālankāra), l'Ornementation de la claire compréhension (Abhisamayālankāra), la Claire distinction entre le milieu et les extrêmes (Madhyāntavibhanga), la Claire distinction entre les phénomènes et leur nature réelle (Dharmadharmatāvibhanga) et la Suprême continuité (Mahāyānottaratantra-śastra ou Uttaratantrasastra). Selon la tradition, Asanga fut amené par le bouddha Maitreya dans le séjour divin de Tushita (en). À son retour, Asanga coucha par écrit dans ces cinq traités l'enseignement que lui avait conféré le bouddha Maitreya.

Zhìshēng (en) (zh : 智昇, fr : Zhishang) fait autre analyse de la « Roue de la Loi à trois tours » dans le Catalogue des enseignements de Shakyamuni de l’époque du Grand Tang de l’époque Kaiyuan (en : Catalogue of Śākyamuṇi’s Teachings of the époque Kaiyuan (en) of the Great Tang Era ; zh : 大唐開元釋教錄; pinyin: Dà Táng Kāiyuán Shìjiào Lù) ou simplement le Kaiyuan Catalogue (complété en 730 CE) : 1er tour de roue : les enseignements exposés pour les bodhisattvas dans l’Avataṃsaka sūtra, le Sūtra de la Guirlande de fleurs ; 2e tour : les enseignements des trois véhicules des sūtras des périodes Agama, Vaipulya et de la Sagesse, destiné aux personnes de capacités inférieures, incapables de saisir l’enseignement du Sūtra de la Guirlande de fleurs ; 3e tour de roue : l’enseignement du Sūtra du Lotus qui réunit les trois véhicules dans le Véhicule Unique[4], catalogue considéré par Kyoko Tokuno comme une « synthèse parfaite des quatre cents ans de développement de la forme chinoise du Canon [bouddhique]. »[5].

Philippe Cornu précise :

« Les bouddhistes theravādins n'acceptent que les sutra de la première roue, les seuls qui apparaissent dans le Canon pali, tandis que les tenants du Mahâyâna et du Vajrayana les acceptent tous[6]. »

Mises en mouvement et écoles philosophiques

La deuxième roue du Dharma sert de base au Madhyamaka, école fondée par Nagarjuna, tandis que la troisième au Cittamātra qui a été fondé par les deux frères Asanga et Vasubandhu. En général, on peut dire que l'école Cittamātra et l'école Madhyamaka Shentong considèrent que la troisième roue est de sens définitif et que la deuxième roue est de sens provisoire et doit être interprétée. Pour l'école Madhyamaka rangtong et, en particulier pour Tsongkhapa (1357-1419) le fondateur de l'école Gelugpa, c'est l'inverse. C'est l'école Madhyamaka rangtong qui a très largement dominé au Tibet à partir de la deuxième diffusion des enseignements aux XIe-XIIe siècles et surtout avec l'arrivée au pouvoir des Gelugpa au XVIIe. Les maîtres Nyingmapa Dzogchen Longchenpa[7] (1308-1364) et Mipham Rinpoché (1846–1912) sont probablement les seuls à considérer que les deux dernières roues sont de sens définitif et que c'est précisément la synthèse des deux qui donne la signification du Mahayana[8].

Les enseignements de la deuxième roue du Dharma partent d'une approche négative (au sens d'apophatique) par négation de tout ce que ne peut pas être la Vérité et la réalisation ultime (nature de bouddha, Nirvāna) alors que la troisième roue du Dharma leur attribue, au contraire, des qualités positives. Deux exemples suffisent. Nagarjuna écrit dans Les stances-racine de la voie du milieu :

« Sans élimination ni acquisition, sans rien qui soit détruit, rien qui perdure, sans rien qui cesse ou vienne à se produire, tel est ce qu'on appelle Nirvāna (25,3)[9] »

Guy Bugault qui a traduit le texte précédent déclare clairement que « c'est un fait que Nagarjuna n'avance, dans Les stances-racine de la voie du milieu aucune prétention positive » [10].

Alors qu'Asanga écrit dans son Mahāyānottaratantra-śastra :

« La bouddhéité possède deux catégories de qualités: a) elle est non-composée, spontanément parfaite et non produite par des conditions extérieures ; b) elle possède la connaissance, la compassion et la puissance (I.5)[11]. »

Bibliographie

  • Philippe Cornu, Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme. Nouvelle édition augmentée, Éditions du Seuil, Paris, 2006. 952 p. (ISBN 2-02-082273-3).
  • Le Message du futur Bouddha (Mahāyānottaratantra-śastra) traduit et commenté par François Chenique, Dervy, Paris, 2001, (ISBN 2-84454-124-0).

Notes et références

  1. La « Roue du Dharma » (traduction du sanskrit Dharmachakra ou Dhammacakka en pali) est un symbole représentant la doctrine bouddhiste et la diffusion de l'enseignement du Bouddha sur le chemin de l'éveil depuis le début de la période du bouddhisme indien.
  2. (en) Albert Grünwedel et James Burgess, Buddhist art in India, Londres, Asian Educational Services, (ISBN 8120613880), p. 67 : "The wheel (dharmachakra), as already mentioned, was adopted by Buddha's disciples as the symbol of his doctrine, and combined with other symbols -a trident placed above it, etc.- stands for him on the sculptures of the Asoka period."
  3. Nichiren, « Les Écrits de Nichiren : Glossaire R » (consulté le )
  4. (en) Storch, T, The History of Chinese Buddhist Bibliography, Amherst, NY: Cambria Press,
  5. (en) Tokuno, Kyoko, 'The Evaluation of Indigenous Scriptures in Chinese Buddhist Bibliographical Catalogues' in Chinese Buddhist Apocrypha, Robert E Buswell. University of Hawaii Press, , p. 31–74 : "perfect synthesis of the entire four-hundred-year development of a proper Chinese form of the Canon."
  6. Dictionnaire Encyclopédique du Bouddhisme par Philippe Cornu, Seuil, nouvelle éd. 2006, p. 556.
  7. Dans la première partie de sa vie, Longchenpa considérait que c'était seulement la troisième roue qui était de sens définitif.
  8. Stéphane Arguillère, Profusion de la vaste sphère, Longchenpa, sa vie, son œuvre, sa doctrine. Peeters Publishers, Louvain, 2007 (ISBN 978-90-429-1927-3).
  9. Stances du milieu par excellence de Nagarjuna, traduit par Guy Bugault, Gallimard, 2002, p. 326.
  10. Guy Bugault, L'Inde pense-t-elle ?, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 254.
  11. Le Message du futur Bouddha (Mahāyānottaratantra-śastra) traduit et commenté par François Chenique, Dervy, Paris, 2001, (ISBN 2-84454-124-0), p. 53.

Aricles connexes

  • Le Dharmacakra (article complet), la « Roue du Dharma » ou « Roue de la Loi ».
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