Les Bonnes

Les Bonnes est une pièce de théâtre de Jean Genet, dont la première représentation eut lieu en 1947. Tragique et violente, ses personnages et les circonstances de son drame fictif présentent de nombreuses similitudes avec l'affaire des sœurs Papin, véritable fait-divers sanglant survenu quatorze ans plus tôt, même si l'auteur a toujours nié s'en être inspiré[1].

Les Bonnes
Auteur Jean Genet
Genre Théatre
Nombre de pages 112
Date de création en français 1947
Metteur en scène Louis Jouvet

Résumé

Les deux bonnes sont Claire (la petite sœur, qui semble plus révoltée, excitée à l'idée de dominer son aînée dans le rôle de meurtrière) et Solange (l'aînée, qui paraît plus réservée, inquiète sur le comportement révolté de sa sœur, bien qu'elle y participe activement). Elles travaillent pour une femme riche appartenant à la haute bourgeoisie (Madame) avec laquelle elles entretiennent une relation assez floue. Les deux bonnes s’habillent même avec les robes de leur maîtresse, lors de passages durant lesquels les personnages mélangent leurs rôles. Un peu plus tôt, Claire, soutenue par Solange, avait rédigé une fausse lettre de dénonciation afin de faire emprisonner l'amant de Madame (nommé Monsieur ; il faut néanmoins préciser que Monsieur est libéré, et qu'il donne rendez-vous à Madame). Les deux sœurs tentent alors d’empoisonner Madame en lui faisant boire du tilleul, pour éviter de se faire démasquer, mais elle ne le boira finalement pas, malgré l'insistance de Claire. Lors de la scène finale, Claire joue le rôle de Madame, et boit le tilleul empoisonné, mourant réellement, mais assassinant ainsi symboliquement sa maîtresse, après leur échec. En ce sens, la pièce exprime un malaise identitaire : Claire et Solange se sentent emprisonnées et réduites à leur condition sociale. Le malaise tient aussi du fait que Solange et Claire se confondent continuellement, l'une incarnant la raison (Solange) et l'autre la passion (Claire). On a donc une parodie de tragédie classique, avec un héros tragique (Claire/Solange) et un dilemme (tuer Madame, ou un dilemme intrinsèque qui repose sur la volonté de se découvrir, départ à la recherche de soi-même).

Comme l'a bien précisé Jean Genet, la pièce n'est pas un plaidoyer pour les domestiques. Cependant cet ouvrage repose sur une critique de la bourgeoisie du XXe siècle, que l'on peut qualifier de satire.

Lors de l'interprétation de l'ouvrage Les Bonnes à l'Athénée, ce théâtre donnait ensuite une pièce de Jean Giraudoux lors d'une même représentation, et cette dernière fut ovationnée : le public voulait ainsi confirmer et souligner son hostilité aux Bonnes en valorisant la seconde représentation.

La première mise en scène

Quant à la pièce, selon l'auteur en lui-même, elle est destinée à mettre les spectateurs mal à l'aise.

Malaise sans doute d'abord personnel, comme le prouve la présentation très dure pour lui et pour le milieu du théâtre que Genet propose à l'éditeur Jean-Jacques Pauvert en 1954 : « Il vous faut donc une présentation. Mais que dire d'une pièce dont j'étais détaché avant même qu'elle fût achevée ? […] Commandée par un acteur célèbre en son temps, ma pièce fut donc écrite par vanité, mais dans l'ennui[2]. »

Dans cette lettre à l'éditeur, Jean Genet avoue qu'il n'aime pas le théâtre, « on s'en convaincra en lisant la pièce. […] Car même les très belles pièces occidentales ont un air de chienlit, de mascarades, non de cérémonies. Ce qui se déroule sur la scène est toujours puéril. La beauté du verbe quelquefois nous trompe quant à la profondeur du thème. Au théâtre, tout se passe dans le monde visible et nulle part ailleurs[2]. »

Ce dont Jean Genet a l'ambition, c'est « obtenir que ces personnages ne fussent plus sur la scène que la métaphore de ce qu'ils devraient représenter. Pour mener à moins mal l'entreprise, j'eusse dû, bien sûr, inventer aussi un ton de voix, une démarche, une gesticulation… C'est un échec. Je m'accuse donc de m'être abandonné sans courage à une entreprise sans risques ni périls. Je répète pourtant que j'y étais incité par cet univers du spectacle qui se satisfait d'approximation[2]. »

Les Bonnes ont été mises en scène par Louis Jouvet et présentées pour la première fois le [1], au Théâtre de l'Athénée avec :

L'accueil par les critiques

La pièce est mal accueillie à sa création : elle n'est pas applaudie et le metteur en scène est violemment critiqué. Une des interprètes dira d'ailleurs « Lors de la générale il n’y a pas eu d’applaudissements », mais un « silence total […] C’était l’horreur »[1]. Ce ne sera pas la dernière fois, la « bataille des Paravents » restera dans l'histoire.

Les critiques sont nombreuses, et très virulentes. Plus de cinquante articles paraissent dans les mois qui suivent la première représentation[réf. souhaitée]. Dans la plupart d'entre eux, la pièce est jugée surjouée, longuette, malsaine. Il faut également se reporter au contexte de l’après-guerre, marqué par une volonté de réaffirmer des valeurs morales.

Néanmoins, la puissance dramatique des Bonnes a été reconnue. On peut considérer que le théâtre de Genet était légèrement en avance sur son temps, par contraste avec le théâtre de Jean Giraudoux, très à la mode à la même époque.

La pièce se prête à des mises en scène très variées, le décor pouvant être aussi bien celui, très chargé, d’un appartement bourgeois, voulu par Louis Jouvet, que la scène très épurée d’Alain Ollivier. C’est l’œuvre la plus jouée de Jean Genet, et son étude figure aujourd’hui dans les programmes de français au lycée.

En , plus de soixante ans après y avoir été créée, la pièce revient à l'Athénée Théâtre Louis-Jouvet, mise en scène par Jacques Vincey. La pièce est également jouée au Rayon Vert de Saint-Valery-en-Caux.

La cérémonie

« Ce qui vient de la cuisine, est crachat. »

Cette réplique de Claire à sa sœur montre à quel niveau de mépris les deux domestiques se ravalent elles-mêmes. Elles rêvent toutes deux de se glisser dans la peau de leur employeur, Madame, qui à leurs yeux paraît être la perfection incarnée. Ce désir d’osmose avec la prestance souveraine de leur employeur et son arrogance passe par les jeux de mots qu’utilise Genet au moment où Claire précise : « Elle est bonne. Madame est bonne ! Madame nous adore. » Et lorsque Solange s’adresse à sa sœur en jouant le rôle de Madame : « Je pourrais vous parler avec cruauté, mais je peux être bonne. » Oui, Madame pourrait être de leur monde, si seulement elles en étaient dignes. Mais l’impossibilité de se hisser au niveau de leur patronne fait que dans le même mouvement d’adulation et de reconnaissance, elles lui vouent une haine féroce et mortelle. Ainsi, Solange apostrophe la robe vide de Madame :

« Je hais votre poitrine pleine de souffles embaumés. Votre poitrine… d’ivoire ! Vos cuisses… d’or ! Vos pieds… d’ambre ! [Elle crache sur la robe rouge] Je vous hais ! »

Mais sa description précise de la beauté de Madame est aussi un aveu de son attirance pour elle. Jean Genet joue avec le double sens du mot « maîtresse », comme il a joué avec le mot « bonne », pour rappeler l’ambivalence des sentiments des deux sœurs pour leur patronne. Dans leur cérémonie rituelle, le jeu de la confrontation entre Madame (Claire) et son unique domestique (Solange) est tout à fait explicite, pour ne pas dire clair :

« SOLANGE à Claire

Que Madame se souvienne que je suis la bonne…

CLAIRE à Solange

Je vois dans ton œil que tu me hais.

SOLANGE

Je vous aime.

CLAIRE

Comme on aime sa maîtresse, sans doute. »

Les deux bonnes ont prévu une fin tragique à la « cérémonie », ainsi qu’elles appellent le meurtre fantasmé de leur patronne. Solange s’avance, menaçante, pour saisir Claire-Madame par le cou.

« Bas les pattes et découvrez ce cou fragile. Allez, ne tremblez pas, ne frissonnez pas, j’opère vite et en silence. Oui, je vais retourner à ma cuisine, mais avant je termine ma besogne. »

Mais leur rituel est improvisé, il se veut la réalité même, et elles n’ont pas encore réussi à le mener jusqu’à sa conclusion, chaque fois le réveil leur rappelle que Madame va rentrer et elles doivent s’interrompre et redevenir elles-mêmes. Chaque fois, c’est une amère déception.

« SOLANGE

C’est chaque fois pareil. Et par ta faute. Tu n’es jamais prête assez vite. Je ne peux pas t’achever. »

Au-delà de ce jeu dangereux, elles ont prévu d’empoisonner Madame avec dix cachets de gardénal dans une tasse de tilleul bien sucré. La tragédie est décidée, le crime projeté. Les deux sœurs sont en plein délire bipolaire, le lyrisme de Claire est ahurissant :

« L’assassinat est une chose… inénarrable !… Nous l’emporterons dans un bois et sous les sapins, au clair de lune, nous la découperons en morceaux. Nous chanterons ! Nous l’enterrerons sous les fleurs dans nos parterres que nous arroserons le soir avec un petit arrosoir ! »

Le spectateur découvre enfin Madame qui décide de voler au secours de son mari, arrêté à la suite d’une lettre de dénonciation anonyme, dont elle ignore que leur auteur n’est autre que Claire. Celle-ci tente de refermer le piège sur sa patronne :

« CLAIRE

Madame prendra un peu de tilleul, même s’il est froid.

MADAME [riant, se penche sur elle]

Tu veux me tuer avec ton tilleul… Ce soir, je boirai du champagne. »

L’exaltation de leur patronne, persuadée qu’elle va tirer son mari de sa fâcheuse situation, lui sauve la vie.

« Mais Solange veut aller jusqu’au bout : dans la réplique la plus longue de la pièce – trois pages entières de soliloque dément ! – Solange évoque leur mort et leurs funérailles auxquelles assisteront toutes les bonniches et les loufiats, “les femmes de chambre portant nos couleurs”. Puis elle s’effondre, exténuée. Claire reprend alors la direction de la « cérémonie », redevenant pour un instant ultime le personnage de Madame. Elle commande à Solange de lui apporter son tilleul… Le meurtre de la maîtresse remplacé par le suicide de la bonne justifie le jugement porté sur les crimes des psychopathes : le malade se détruit lui-même, d’où son irresponsabilité juridique au niveau pénal[3]. »

Mises en scène notoires

Notes et références

  1. « Histoire d'un livre, les Bonnes », sur gallimard.fr
  2. Jean Genet, À Pauvert, Décines, L'Arbalète, Marc BARBEZAT, 1958, citations des pages 142 à 148
  3. Marie-France Briselance et Jean-Claude Morin, Le Personnage, de la « Grande » histoire à la fiction, Paris, Nouveau Monde, , 436 p. (ISBN 978-2-36583-837-5), p. 269-274

Voir aussi

Articles connexes

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