La Mort et le Mourant

La Mort et le Mourant est la première fable du livre VIII de Jean de La Fontaine situé dans le second recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1678.

La Mort et le Mourant

Gravure de Noël Le Mire d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant, 1755-1759

Auteur Jean de La Fontaine
Pays France
Genre Fable
Éditeur Claude Barbin
Lieu de parution Paris
Date de parution 1678

La source de cette fable est le récit d'Abstémius "Le vieillard qui voulait remettre sa mort à plus tard" (Hecatonmythium, XCIX).


Dessin de Grandville (1838-1840)


Texte

LA MORT ET LE MOURANT

[Abtemius]

Illustration de Benjamin Rabier (1906) (début)
Illustration de Benjamin Rabier (1906) (fin)
Gravure de Gustave Doré (1876)


La Mort ne surprend point le sage ;

Il est toujours prêt à partir,

S’étant su lui-même avertir

Du temps où l’on se doit résoudre à ce passage.

Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps :

Qu’on le partage en jours, en heures, en moments,

Il n’en est point qu’il ne comprenne

Dans le fatal tribut[v 1] ; tous sont de son domaine[v 2] ;

Et le premier instant où les enfants des rois

Ouvrent les yeux à la lumière

Est celui qui vient quelquefois

Fermer pour toujours leur paupière.

Défendez-vous par la grandeur,

Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse :

La Mort ravit tout sans pudeur ;

Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.

Il n’est rien de moins ignoré,

Et, puisqu’il faut que je le die,

Rien où l’on soit moins préparé.

Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie,

Se plaignait à la Mort que précipitamment

Elle le contraignait de partir tout à l’heure[v 3],

Sans qu’il eût fait son testament,

Sans l’avertir au moins. " Est-il juste qu’on meure

Au pied levé[v 4] ? dit-il : attendez quelque peu.

Ma femme ne veut pas que je parte sans elle ;

Il me reste à pourvoir un arrière-neveu[v 5] ;

Souffrez qu’à mon logis j’ajoute encore une aile.

Que vous êtes pressante, ô Déesse cruelle !

- Vieillard, lui dit la Mort, je ne t’ai point surpris ;

Tu te plains sans raison de mon impatience :

Eh ! n’as-tu pas cent ans ? Trouve-moi dans Paris

Deux mortels aussi vieux ; trouve-m’en dix en France.

Je devais[v 6], ce dis-tu, te donner quelque avis

Qui te disposât à la chose :

J’aurais trouvé ton testament tout fait,

Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait.

Ne te donna-t-on pas des avis quand la cause

Du marcher et du mouvement,

Quand les esprits[v 7], le sentiment[v 8],

Quand tout faillit[v 9] en toi ? Plus de goût, plus d’ouïe ;

Toute chose pour toi semble être évanouie ;

Pour toi l’astre du jour prend des soins superflus ;

Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus.

Je t’ai fait voir tes camarades,

Ou morts, ou mourants, ou malades :

Qu’est-ce que tout cela, qu’un avertissement ?

Allons, vieillard, et sans réplique.

Il n’importe à la république

Que tu fasses ton testament. "


La Mort avait raison : je voudrais qu’à cet âge

On sortît de la vie ainsi que d’un banquet,

Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet ;

Car de combien peut-on retarder le voyage ?

Tu murmures, vieillard ! vois ces jeunes mourir,

Vois-les marcher, vois-les courir

À des morts, il est vrai, glorieuses et belles,

Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles.

J’ai beau te le crier ; mon zèle est indiscret[v 10] :

Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.


Notes de Vocabulaire

  1. La mort, tribut à payer au destin
  2. « Se dit parfois d'un droit seigneurial sans propriété » (dictionnaire de Furetière)
  3. aussitôt
  4. Prendre quelqu'un au pied levé, c'est le prendre au moment où il lève le pied pour partir, et au figuré : le prendre sans qu'il s'y attende, à l'improviste
  5. arrière petit-fils
  6. j'aurais dû
  7. « esprits vitaux et animaux qui enflent les muscles pour soutenir les corps et les faire mouvoir » (dictionnaire de Furetière)
  8. sensations
  9. manque
  10. qui parle sans discernement, déplacé, importun

Liens externes


  • Portail des contes et fables
  • Portail de la poésie
  • Portail de la littérature française
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.