La Mort et le Mourant
La Mort et le Mourant est la première fable du livre VIII de Jean de La Fontaine situé dans le second recueil des Fables de La Fontaine, édité pour la première fois en 1678.
La Mort et le Mourant | |
Gravure de Noël Le Mire d'après Jean-Baptiste Oudry, édition Desaint & Saillant, 1755-1759 | |
Auteur | Jean de La Fontaine |
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Pays | France |
Genre | Fable |
Éditeur | Claude Barbin |
Lieu de parution | Paris |
Date de parution | 1678 |
La source de cette fable est le récit d'Abstémius "Le vieillard qui voulait remettre sa mort à plus tard" (Hecatonmythium, XCIX).
Texte
LA MORT ET LE MOURANT
[Abtemius]
La Mort ne surprend point le sage ;
Il est toujours prêt à partir,
S’étant su lui-même avertir
Du temps où l’on se doit résoudre à ce passage.
Ce temps, hélas ! embrasse tous les temps :
Qu’on le partage en jours, en heures, en moments,
Il n’en est point qu’il ne comprenne
Dans le fatal tribut[v 1] ; tous sont de son domaine[v 2] ;
Et le premier instant où les enfants des rois
Ouvrent les yeux à la lumière
Est celui qui vient quelquefois
Fermer pour toujours leur paupière.
Défendez-vous par la grandeur,
Alléguez la beauté, la vertu, la jeunesse :
La Mort ravit tout sans pudeur ;
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.
Il n’est rien de moins ignoré,
Et, puisqu’il faut que je le die,
Rien où l’on soit moins préparé.
Un mourant, qui comptait plus de cent ans de vie,
Se plaignait à la Mort que précipitamment
Elle le contraignait de partir tout à l’heure[v 3],
Sans qu’il eût fait son testament,
Sans l’avertir au moins. " Est-il juste qu’on meure
Au pied levé[v 4] ? dit-il : attendez quelque peu.
Ma femme ne veut pas que je parte sans elle ;
Il me reste à pourvoir un arrière-neveu[v 5] ;
Souffrez qu’à mon logis j’ajoute encore une aile.
Que vous êtes pressante, ô Déesse cruelle !
- Vieillard, lui dit la Mort, je ne t’ai point surpris ;
Tu te plains sans raison de mon impatience :
Eh ! n’as-tu pas cent ans ? Trouve-moi dans Paris
Deux mortels aussi vieux ; trouve-m’en dix en France.
Je devais[v 6], ce dis-tu, te donner quelque avis
Qui te disposât à la chose :
J’aurais trouvé ton testament tout fait,
Ton petit-fils pourvu, ton bâtiment parfait.
Ne te donna-t-on pas des avis quand la cause
Du marcher et du mouvement,
Quand les esprits[v 7], le sentiment[v 8],
Quand tout faillit[v 9] en toi ? Plus de goût, plus d’ouïe ;
Toute chose pour toi semble être évanouie ;
Pour toi l’astre du jour prend des soins superflus ;
Tu regrettes des biens qui ne te touchent plus.
Je t’ai fait voir tes camarades,
Ou morts, ou mourants, ou malades :
Qu’est-ce que tout cela, qu’un avertissement ?
Allons, vieillard, et sans réplique.
Il n’importe à la république
Que tu fasses ton testament. "
La Mort avait raison : je voudrais qu’à cet âge
On sortît de la vie ainsi que d’un banquet,
Remerciant son hôte, et qu’on fît son paquet ;
Car de combien peut-on retarder le voyage ?
Tu murmures, vieillard ! vois ces jeunes mourir,
Vois-les marcher, vois-les courir
À des morts, il est vrai, glorieuses et belles,
Mais sûres cependant, et quelquefois cruelles.
J’ai beau te le crier ; mon zèle est indiscret[v 10] :
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.
Notes de Vocabulaire
- La mort, tribut à payer au destin
- « Se dit parfois d'un droit seigneurial sans propriété » (dictionnaire de Furetière)
- aussitôt
- Prendre quelqu'un au pied levé, c'est le prendre au moment où il lève le pied pour partir, et au figuré : le prendre sans qu'il s'y attende, à l'improviste
- arrière petit-fils
- j'aurais dû
- « esprits vitaux et animaux qui enflent les muscles pour soutenir les corps et les faire mouvoir » (dictionnaire de Furetière)
- sensations
- manque
- qui parle sans discernement, déplacé, importun
Liens externes
- La mort et le mourant (78 tours numérisé / audio : 3 minutes et 31 secondes), lecture de Georges Berr sur le site de la Médiathèque Musicale de Paris
- La mort et le mourant (78 tours numérisé / audio : 2 minutes et 53 secondes), lecture de Pierre Fresnay sur le site de la Médiathèque Musicale de Paris
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