La Mort de Sardanapale

La Mort de Sardanapale est un tableau d’Eugène Delacroix réalisé en 1827 et exposé au Salon Carré du Louvre la même année. La toile fait partie des collections du musée du Louvre, où il est entré en 1921, grâce aux arrérages du legs Audéoud. L'esquisse du tableau, acquise en 1925, grâce à un legs de la comtesse Paul de Salvandy, est également conservée au Louvre et constitue à elle seule une véritable œuvre d'art, même si elle est bien moins monumentale que le tableau final (100 × 81 cm). La mort de Sardanapale provoque un immense scandale dans le monde de l'art, par sa modernité. Delacroix s'affranchit frontalement des règles de l'art, mettant le feu au Salon de 1827.

Histoire

Le poète anglais Lord Byron, l'un des écrivains phare du romantisme, avait publié en 1821 un drame — Sardanapalus — traduit en français dès 1822. L'œuvre raconte la fin tragique de ce roi légendaire d’Assyrie, qui, voyant le pouvoir lui échapper à la suite d’une conspiration, choisit, lorsqu'il se rendit compte que sa défaite était inéluctable, de se jeter en compagnie de sa favorite, Myrrha, une esclave ionienne, dans les flammes d’un gigantesque bûcher. Si Delacroix a bien repris la trame générale du drame de Byron — on reconnaît Myrrha dans la femme à demi allongée sur le lit aux pieds du monarque —, l’idée de l'holocauste des femmes, des chevaux et du trésor semble avoir pour source un autre auteur, antique celui-là, Diodore de Sicile. Dans sa Bibliothèque historique (2, 27, 2), ce dernier rapporte en effet, d'après son prédécesseur Ctésias, que, « pour ne pas tomber aux mains de ses ennemis, (Sardanapale) fit élever dans son palais un gigantesque bûcher sur lequel il entassa la totalité de son or et de son argent, ainsi que tous ses vêtements royaux, puis, après avoir enfermé ses concubines et ses eunuques dans un espace aménagé au milieu du bûcher, il se fit brûler avec eux tous et son palais ».

Delacroix, passionné de littérature, s'inspire de ce drame romantique de Lord Byron et choisit pour sujet l’épisode dramatique de la mort du souverain, dont la capitale est assiégée sans aucun espoir de délivrance, et qui décide de se suicider en compagnie de ses esclaves et de ses favorites, après avoir brûlé sa ville pour empêcher l'ennemi de profiter de ses richesses. Delacroix éprouva le besoin de fournir quelques explications lorsque la toile fut exposée la première fois ; il le fit en ces termes :

« Les révoltés l’assiégèrent dans son palais… Couché sur un lit superbe, au sommet d’un immense bûcher, Sardanapale donne l’ordre à ses esclaves et aux officiers du palais d’égorger ses femmes, ses pages, jusqu’à ses chevaux et ses chiens favoris ; aucun des objets qui avaient servi à ses plaisirs ne devait lui survivre. »

Contexte

Eugène Delacroix est considéré comme l'un des plus grands peintres du romantisme français, mouvement prônant un lyrisme pulsionnel et s'opposant à l'élaboration raisonnée du néo-classicisme. C'est un artiste particulièrement ambigu, oscillant entre un héritage pictural académique et un désir de renouveler l'art. Il se revendiquait classique, alors que son œuvre témoigne d'une modernité sans précédent. Dès le début de sa carrière, Delacroix fait scandale, avec des toiles très éloignées de l'héritage esthétique qu'on lui a transmis.

La Mort de Sardanapale fut encore moins bien accueillie que les Scènes des massacres de Scio (1824), toile qui avait déjà fait scandale et promu Delacroix au rang de chef de file de l'école romantique en peinture. En effet, avec cette toile, l'artiste va encore plus loin dans sa prise d'indépendance. Véritable manifeste romantique, par son sujet et sa facture, la toile témoigne plus largement d'une prise de position nette dans la querelle du coloris. À l'époque la peinture romantique et le néo-classicisme se querellaient pour savoir qui de la ligne ou de la couleur avait la primauté en peinture. Les néo-classiques pensaient que la ligne était l'essence de la création picturale, alors que la couleur n'était qu'un soutien narratif. À l'inverse, les romantiques prônaient une primauté de la couleur sur la ligne. Delacroix prend position, avec sa toile, en faveur de la couleur, qui devient presque le sujet même de sa toile. Il met en avant dans son œuvre ce relâchement des conventions formelles, que rejettent les classiques : ce ne sont pas les formes et les sujets que l'artiste met en valeur, mais davantage l'intensité des couleurs, des contrastes et de la lumière (cf. La querelle du dessin et de la couleur entre Ingres et Delacroix).

L’œuvre fut exposée au Salon de 1827[1], en pendant de L'Apothéose d'Homère d'Ingres, toile qui quant à elle constituait une revendication de l'esthétique traditionnelle et des valeurs néoclassiques. Avec cette toile, Ingres rend un véritable hommage à Raphaël et à son École d'Athènes et il donne une leçon esthétique à la jeune génération. La composition choisie par le peintre respecte les codes esthétiques classiques : la ligne maîtrisée donne lieu à un dessin précis et les couleurs fraîches et claires rappellent les fresques de l’Âge classique. Cette toile constitue un véritable éloge du classicisme, rappelant les vases grecs par son style archaïsant et la pureté du dessin.

Jean-Auguste-Dominique Ingres, Homère déifié, dit L’Apothéose d’Homère, 1826, huile sur toile, 3,86m x 5,12m, Musée du Louvre, Paris.

Face à l’œuvre d’Ingres, La Mort de Sardanapale apparaît comme une véritable révolution artistique, dynamitant toutes les conventions académiques. Delacroix abandonne la mise en valeur classique des formes et des sujets, ainsi le style archaïsant au profit de l'intensité des couleurs et de la lumière. Cette toile incarne le rejet de beau académique et de la figuration néo-classique de la vertu par la démesure et la cruauté de la scène. Delacroix proclame ici la primauté et l'indépendance de la couleur face au dessin ; primauté qui constitue l'un des piliers de l'esthétique romantique.

Bien que largement rejetée par la majorité des critiques, Victor Hugo, une nouvelle fois clairvoyant, fut un des seuls à ne pas condamner la démesure exprimée par Delacroix, son rejet du Beau et la cruauté de la scène contemplée par un tyran esthète à mille lieues des exemples néoclassiques de vertu. La Mort de Sardanapale est certainement la toile la plus romantique de Delacroix, incarnant le mieux le sublime d'Edmund Burke.

D'autres artistes majeurs du romantisme français vont s'inspirer du drame de Byron, comme notamment Hector Berlioz, qui compose en juillet 1830 sa cantate Sardanapale (H 50), qui lui permit d'obtenir, après plusieurs tentatives infructueuses, le premier Grand prix de Rome et de remporter ainsi son premier succès officiel (seul un fragment de la partition a été conservé). Le poème mis en musique avait été commandé par la section de musique de l'Académie des beaux-arts à l'helléniste Jean-François Gail. Sans doute Gail, qui a puisé son inspiration non seulement chez les auteurs antiques mais aussi dans le drame de Byron, connaissait-il le tableau de Delacroix, celui-ci ayant, comme on l'a vu plus haut, défrayé la chronique artistique trois ans auparavant.

Composition

Sur son lit, Sardanapale est allongé, regardant de façon détachée l'horreur de la scène qui se déroule sous ses yeux. À ses pieds gît Myrrha, sa favorite, étalée les bras en croix sur une étoffe rouge qui recouvre le lit du souverain. Ce couple emblématique, uni dans la mort, attend de se faire dévorer par les flammes. Le feu est absent de la composition, mais le rouge omniprésent nous donne l'impression qu'il dévore déjà la chambre.

Détail.

En effet, le rouge est ici l’une des couleurs qui domine l’ensemble de la composition de la toile, visible notamment sur le lit du roi. Divers éléments rouges, en dehors du lit, sont également présents sur toute la surface de la toile. Dans le coin inférieur droit se trouve un drapé d’un rouge flamboyant. Légèrement au-dessus, plus au centre, dans la partie inférieure, une femme fait face au spectateur : elle est accoudée à un coussin également rouge. Enfin, dans toute la partie gauche du tableau, le rouge est présent par touches. Dans la partie gauche supérieure, des esclaves revêtent des coiffes rouges parées de pierres et d’éléments précieux en or. Le cheval du coin inférieur gauche est également paré de plumes majestueuses rouges et d’une bride d’un rouge éclatant. Il est tiré par un esclave noir, portant lui-même un turban rouge. Au pied du vaste lit, un esclave attrape une femme avec violence, la menaçant de sa dague et s’apprêtant à l’égorger. Une cascade de personnages, sur le bord gauche du tableau, semble tomber sur le spectateur, ce qui est accentué par le cadrage tronqué de la scène.

Delacroix offre aux spectateurs un spectacle chaotique, un monde sens dessus dessous où les corps sont bousculés et meurtris, les bêtes apeurées et cabrées et où les tissus sont froissés. Seul Sardanapale reste calme face au désordre. Le peintre représente avec une violente beauté cette scène, créant dans un tourbillon de couleur et de passion une « chose magnifique et si gigantesque qu’elle échappe aux petites vues » (Victor Hugo). Cette vision poignante d'un Orient fantasmagorique lie l'or et le sang, le luxe et la luxure, l'érotique et le macabre. Considérée comme « l'apothéose de la cruauté », le tableau emporte tout dans un tourbillon de spirales et de diagonales, ne laissant place qu'à l'expression brute des sentiments. Le feu consume la toile et le spectateur, ne laissant plus que le rouge.

Autre version

La Mort de Sardanapale, 1844
Philadelphia Museum of Art.

Delacroix a peut-être peint la version de Philadelphie pour lui-même avant de vendre la plus grande œuvre en 1846[2].

Notes et références

  1. « Delacroix, La Mort de Sardanapale », L'Œil, no 711, (lire en ligne, consulté le ).
  2. Musée de Philadelphie

Voir aussi

Bibliographie

  • (en) Elisabeth A. Fraser, « Delacroix's Sardanapalus : The Life and Death of the Royal Body », French Historical Studies, vol. 26, no 2, , p. 315-349 (DOI 10.1215/00161071-26-2-315)
  • Jean-Claude YON, « Chapitre 2 - Un mouvement ambigu : le romantisme », dans : , Histoire culturelle de la France au XIXe siècle. sous la direction de Yon Jean-Claude. Paris, Armand Colin, « U », 2010, p. 39-66. URL : https://www.cairn.info/histoire-culturelle-de-la-france-au-xixe-siecle--9782200353278-page-39.htm
  • Victor HUGO, Correspondance (1814-168), Arvensa éditions, numérisé le 18 février 2014, via googlebooks.fr, p.205, consulté le 14 décembre 2019
  • Barthélémy JOBERT, « LA MORT DE SARDANAPALE (E. Delacroix) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 avril 2020. URL : http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/la-mort-de-sardanapale/

Article connexe

Liens externes

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