Kaiserdeputation

La Kaiserdeputation (approximativement députation de l'empereur) est un groupe de 32 députés du parlement de Francfort choisi le pour aller proposer la couronne impériale allemande au roi de Prusse de l'époque Frédéric-Guillaume IV afin de réaliser la solution petite-allemande. La proposition, qui a lieu le , est refusée par le monarque. Cela entraîne la fin des derniers espoirs des libéraux modérés d'unifier le pays sous le régime de la monarchie constitutionnelle et en conséquence à une radicalisation de la révolution de mars.

Représentation sur bois de la Kaiserdeputation

Contexte

Parlement de Francfort

La révolution de mars 1848 qui a lieu dans les pays germaniques conduit à la formation d'un pré-parlement à Francfort-sur-le-Main le qui décide des règles électorales pour la création du parlement de Francfort[1]. Celui-ci a la tâche de rédiger une constitution pour le nouvel État-nation unifié devant remplacer la confédération germanique. Il siège pour la première fois le [2].

Solution petite-allemande

Le choix entre l'unification par la solution grande-allemande, avec l'Autriche, et la solution petite-allemande, sans, n'est pas encore tranchée le lorsque Schwarzenbergs, alors premier ministre autrichien, déclare que l'empire autrichien est indivisible[3]. Ce faisant, la solution grande-allemande devient très complexe, tous les nationalités constituant l'empire autrichien devant être incorporé dans un État-nation allemand. Un mois plus tard, il est donc devenu clair pour l'assemblée nationale que les meilleures chances de réaliser l'unité allemande se trouvent du côté de la solution petite-allemande[4].

Négociations

Monarchie héréditaire

La Kaiserdeputation est le résultat d'une très longue série de négociations au sein de l'hémicycle qui se conclut le avec le vote de la constitution de Francfort. Le vote acquis par 267 voix à 263 marque la victoire d'une coalition formée autour de le fraction casino menée par Heinrich von Gagern avec le soutien de la fraction Westendhall autour de Heinrich Simon[5],[6]. Elle prévoit une monarchie héréditaire comme système politique, solution encore rejetée lors des premières lectures des ébauches de constitution. Ce revirement est dû aux difficultés pratiques qu'il y a à mettre en place les autres systèmes proposés avec notamment la monarchie élective d'une part, et d'autre part au fait que ces alternatives n'ont pas plus de soutien que la monarchie héréditaire[5]. Lors du vote 4 voix proviennent de membre de la gauche autrichienne, qui ainsi veulent manifester leurs désaveux pour la politique de restauration menée par le gouvernement autrichien.

Élection du roi de Prusse

Le , le roi de Prusse est élu à la tête du nouvel État à 290 voix contre 248[5]. Les groupes parlementaires de droite, centre, la moitié de la Westendhall et quelques députés isolés forment la majorité. Frédéric-Guillaume IV et la politique prussienne sont en fait peu appréciés de la majorité des députés. Les partisans de la solution monarchique héréditaire savent de plus que derrière ses discours déclarant que la Prusse doit être dans l'avant-garde pour l'unification allemande, il a en fait de grosse réserves vis-à-vis du travail de l'assemblée nationale. Toutefois, sous pression de son gouvernement, il avait déclaré le que la Prusse accepterait l'idée d'un empire héréditaire. La Prusse a par ailleurs ratifié immédiatement la constitution de Francfort, à la différence par exemple de la Bavière, du Wurtemberg, de la Saxe ou du Hanovre[7].

Les fonctionnaires du pouvoir central provisoire ont donc cherché à de nombreuses reprises à s'allier avec le gouvernement prussien, notamment pour lutter conte les radicaux-démocrates. Ils argumentent que la monarchie ne peut survivre que si elle fait cause commune avec les libéraux modérés et accepte le principe d'une monarchie constitutionnelle et parlementaire. Bassermann, qui occupe le poste de diplomate auprès de la Prusse, prend une part très active dans ces tractations avec le roi courant .

Le fait que le roi soit élu par le parlement est non de droit de divin a une portée symbolique importante[8].

Refus de Frédéric-Guillaume

Caricature du refus de la couronne impériale par Frédéric-Guillaume IV, dessin d'Isidor Popper

Le roi, à la fois romantique et versatile, au-delà des implications politiques qu'auraient eu l'unification, n'est en aucun cas prêt à renoncer à son pouvoir de droit divin[9]. Il avait déjà vécu comme une défaite, le fait d'avoir dû, après les émeutes à Berlin le , accepter une constitution et la formation d'une assemblée nationale limitant toutes deux son pouvoir. Pour lui, une couronne impériale provenant d'un parlement démocratique n'a pas de valeur et rien de comparable avec le titre d'empereur du Saint-Empire germanique. Il déclare qu'elle n'est qu'« un jonc de crasse et d'argile[c 1] ». Le déjà, il écrit à Joseph von Radowitz:

« Chaque noble allemand, possédant une croix ou un trait dans ses armoiries, est au moins cent fois trop bon, pour accepter un diadème de crasse et d'argile issue de la révolution, forgé par l'infidélité et la haute trahison. L'ancienne, légitime, couronne de la nation allemande dormante depuis 1806, le diadème de droit divin, qui fait de son porteur la plus haute autorité d'Allemagne à qui on doit obéissance, on ne peut l'accepter que lorsque l'on s'en sent la force d'en assumer les devoirs. Elle ne peut être cependant attribuée par aucun autre que par l'empereur François-Joseph, moi et nos semblables. Gare à celui qui l'accepterait d'autres mains[c 2],[10]. »

La stratégie de Frédéric-Guillaume et des conservateurs est claire, pouvant s'appuyer sur la puissance militaire prussienne ils peuvent désavouer dans un premier temps les libéraux, comme ceux de la fraction casino sans compromis. Par ailleurs la cote de popularité de ces derniers a beaucoup baissé dans l'opinion publique en particulier comparée à celle des hommes politiques de gauche réclamant l'usage de solutions radicales comme Friedrich Hecker, Gustav Struve ou Karl Marx.

Le , Frédéric-Guillaume reçoit la Kaiserdeputation à Berlin. Il était informé de leur arrivée bien avant par télégraphe. Il refuse donc la couronne impériale, décevant les derniers espoirs des députés, au motif qu'il ne peut l'accepter « sans l'approbation libre des (autres) têtes couronnées, des princes et des villes-libres d'Allemagne[c 3] ».

Peu après, il écrit à Ernest-Auguste Ier de Hanovre qu'il ne peut pas donner ses véritables raisons devant la députation. Il compare ensuite la couronne proposée par l'église Saint-Paul à une laisse pour chien qui lierait son porteur à la révolution de mars.

Il écrit encore à son ambassadeur à Londres Christian Karl Josias Freiherr von Bunsen que contre la démocratie seuls les soldats sont d'une quelconque aide[11], il continue avec :

« Je ne veux pas d'un accord des princes à propos ni du vote ni de la couronne. Comprenez vous les mots soulignés? J'ai essayé de faire en sorte que vous y portiez aussi peu d'attention que possible. La couronne n'est tout d'abord pas une couronne. La couronne qu'un Hohenzoller devrait prendre, si la situation rendait cela possible, ne devrait pas provenir de la semence révolutionnaire, même avec l'accord des princes (*dans le genre de la couronne des pavés de Louis-Philippe*), mais une qui porterait le sceau de Dieu, donnée après la sainte onction, qui rend de droit divin, de la même manière que les 34 princes ont été faits rois des Allemands dans la lignée des anciens. La couronne que les Ottoniens, les Hohenstaufen, les Habsbourg ont porté, un Hohenzoller peut naturellement la porter ; Elle l'honore avec outrance de ses mille ans d'éclats. Celle, mal honoré montrant avec outrance son odeur de la révolution de 1848, les plus bêtes, les plus idiots, les plus mauvais, peut-être même, Dieu seul le sait, les plus méchants du siècle. Un roi légitime, de droit divin comme le roi de Prusse, bénit, n'ayant certes pas la plus vieille, mais la plus noble des couronnes, qui n'a jamais volé personne, devrait accepter un tel jonc imaginaire, fait de crasse et d'argile[c 4],[12]? »

Le , la décision est officialisée dans une lettre au pouvoir central provisoire[13], déposée par l'ambassadeur de Prusse à Francfort Ludolf Camphausen, dans laquelle les raisons du refus sont clairement énumérées. Les justifications parlent beaucoup de l'attitude vis-à-vis des autres souverains allemands, dont l'accord serait nécessaire pour faire du roi de Prusse l'empereur d'Allemagne. Officiellement le roi de Prusse s'attend à des refus de la part des autres princes. En fait ceux-ci auraient très certainement accepté, poussés en cela par les radicaux entre autres[14]. Le fait que le roi de Prusse ne puisse pas amender la constitution est également cité pour justifier le refus.

Influences en jeu

Alors que les conservateurs prussiens voient dans la constitution de Francfort avant tout la révolution, une usurpation et la déchéance de la Prusse. La gauche est aussi contre. Les deux chambres du parlement prussien se déclarent favorable à la couronne impériale. La majorité des ministres, des officiers et des membres de la cour affirme être également pour l'acceptation de la couronne sous condition d'un accord avec les autres souverains allemand, d'un droit de véto absolu pour l'empereur et non suspensif comme prévu et d'une révision du droit électoral[15]. La question est donc au départ loin d'être tranchée, les députés du parlement de Francfort ne pouvaient pas prévoir l'issue malheureuse de leur périple vers Berlin[16].

Toutefois c'est surtout les réticences de la Russie et de l'Autriche qui priment. Une guerre n'est pas à exclure en cas d'acceptation[15].

Conséquences

Le refus de la couronne impériale par le roi de Prusse marque l'échec de la révolution de mars en Allemagne en général et des libéraux modérés en particulier. Cette défaite les dépeint comme naïfs et hésitants. Leur plan de réaliser l'unité allemand par une monarchie constitutionnelle fortement parlementaire est caduc. Cela renforce les démocrates et radicalise la révolution. La campagne militaire pour imposer la constitution à tous les États allemands marque le sommet de cette radicalisation, elle est toutefois vaincue par les troupes prussiennes ce qui met un terme définitif à la révolution[7].

L'unité allemande « par le bas[c 5] », c'est-à-dire par le peuple et le parlement, est un échec. L'union d'Erfurt qui tente également de réaliser l'unité l'année suivante n'a cependant pas plus de succès[17]. La formation de l'Empire allemand en 1871, et donc la réalisation de la solution petite-allemande, n'a lieu qu'en 1871 et se fait « par le haut[c 6] », c'est-à-dire par le gouvernement. Elle suit la guerre austro-prussienne qui a confirmé l'hégémonie prussienne.

Membres de la Kaiserdeputation

Les députés de la Kaiserdeputation sont Eduard von Simson (président), Ernst Moritz Arndt, Marquard Adolph Barth (de), Friedrich Daniel Bassermann, Johann Friedrich Christoph Bauer (de), Hermann von Beckerath, Georg Beseler (de), Karl Biedermann, Moriz Adolph Briegleb (de), Adolph Cnyrim (de), Friedrich Christoph Dahlmann, Albert August Wilhelm Deetz (de), Gottlob Friedrich Federer (de), Gottlieb Wilhelm Freudentheil (de), Heinrich von Gagern, Wilhelm Friedrich Christian Gustav Krafft (de), Wilhelm Loewe, Ernst Merck (de), Friedrich von Raumer, Theodor Reh, Gabriel Riesser, Maximilian Heinrich Rüder, Gustav von Rümelin (de), Adolph Gottlieb Ferdinand Schoder (de), Alexander von Soiron, Gustav Adolf Harald Stenzel (de), Friedrich Karl Gustav Stieber (de), Heinrich Albert Zachariä (de) et Friedrich Joseph Zell (de).

Liens externes

Références

  1. Dipper et Speck 1998, p. 196
  2. Siemann 1985, p. 126
  3. Winkler 2002, p. 118
  4. Botzenhart 1998, p. 204
  5. Botzenhart 1998, p. 210-214
  6. Siemann 1985, p. 196
  7. Siemann 1985, p. 202
  8. Nipperdey 1994, p. 660
  9. Siemann 1985, p. 200
  10. (de) Günter Wollstein, Vorläufiges Scheitern eines deutschen Verfassungs- und Nationalstaates, coll. « Informationen zur politischen Bildung » (lire en ligne), chap. 265
  11. Siemann 1985, p. 203
  12. (de) L. v. Ranke, Aus dem Briefwechsel Friedrich Wilhelms IV. mit Bunsen, t. 50, Leipzig, Sämtliche Werke, , p. 493
  13. Siemann 1985, p. 204
  14. Langewiesche 1983, p. 210
  15. Nipperdey 1994, p. 660
  16. Langewiesche 1983, p. 183
  17. Siemann 1985, p. 218-222

Citations

  1. « imaginärer Reif aus Dreck und Letten »
  2. « 
    „Jeder deutsche Edelmann, der ein Kreuz oder einen Strich im Wappen führt,
    ist hundertmal zu gut dazu, um solch ein Diadem aus Dreck und Letten der Revolution, des Treubruchs und des Hochverrats geschmiedet, anzunehmen. Die alte, legitime, seit 1806 ruhende Krone deutscher Nation, das Diadem von Gottes Gnaden, das den, der es trägt, zur höchsten Obrigkeit Deutschlands macht, der man Gehorsam schuldet um des Gewissens willen, das kann man annehmen, wenn man in sich die Kraft dazu fühlt und die angeborenen Pflichten es zulassen. Die Krone vergibt aber keiner als Kaiser Franz Joseph, ich und unseresgleichen und wehe dem! der es ohne uns versucht und wehe dem! der sie annimmt [...]
     »
  3. « das freie Einverständnis der gekrönten Häupter, der Fürsten und der freien Städte Deutschlands »
  4. « 
    „Ich will weder der Fürsten Zustimmung zu der Wahl noch die Krone. Verstehen Sie die markierten Worte? Ich will Ihnen das Licht darüber so kurz und hell als möglich schaffen. Die Krone ist erstlich keine Krone. Die Krone, die ein Hohenzoller nehmen dürfte, wenn die Umstände es möglich machen könnten, ist keine, die eine, wenn auch mit fürstlicher Zustimmung eingesetzte, aber in die revolutionäre Saat geschossene Versammlung macht (dans le genre de la couronne des pavés de Louis-Philippe), sondern eine, die den Stempel Gottes trägt, die den, dem sie aufgesetzt wird nach der heiligen Ölung, »von Gottes Gnaden« macht,
    weil und wie sie mehr denn vierunddreißig Fürsten zu Königen der Deutschen von Gottes Gnaden gemacht und den letzten immer der alten Reihe gesellt. Die Krone, welche die Ottonen, die Hohenstaufen, die Habsburger getragen, kann natürlich ein Hohenzoller tragen; sie ehrt ihn überschwänglich mit tausendjährigem Glanze. Die aber, die Sie – leider meinen, verunehrt überschwänglich mit ihrem Ludergeruch der Revolution von 1848, der albernsten, dümmsten, schlechtesten –, wenn auch, gottlob, nicht bösesten dieses Jahrhunderts. Einen solchen imaginären Reif, aus Dreck und Letten gebacken, soll ein legitimer König von Gottes Gnaden und nun gar der König von Preußen sich geben lassen, der den Segen hat, wenn auch nicht die älteste, doch die edelste Krone, die Niemand gestohlen worden ist, zu tragen?“'
     »
  5. « von unten »
  6. « von oben »

Bibliographie

 : document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.

  • (de) Manfred Botzenhart, 1848/1849 Europa im Umbruch, Paderborn, Schöningh, , 285 p. (ISBN 3-506-97003-8)
  • (de) Christof Dipper et Ulrich Speck, 1848 Revolution in Deutschland, Francfort-sur-le-Main et Leipzig, Insel Verlag, (ISBN 3-458-16894-X)
  • (de) Dieter Langewiesche (dir.), Die deutsche Révolution von 1848/1849, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, coll. « Wege der Forschung », , 405 p. (ISBN 3-534-08404-7)
  • (de) Thomas Nipperdey, Deutsche Geschichte, 1800-1866, Bürgerwelt und starker Staat, Munich, C.H. Beck, , 838 p. (ISBN 3-406-09354-X, lire en ligne)
  • (de) Wolfram Siemann, Die deutsche Revolution von 1848/49., t. 266., Francfort-sur-le-Main, Neue Historische Bibliothek, Suhrkamp, , 255 p. (ISBN 3-518-11266-X)
  • (de) Heinrich August Winkler, Der lange Weg nach Westen., t. I : Deutsche Geschichte vom Ende des Alten Reiches bis zum Untergang der Weimarer Republik, Munich, C.H. Beck, (ISBN 3-406-49527-3)
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