Joseph Venturini

Joseph Venturini, né le à Porto-Vecchio et mort le à Lille[1], est un professeur de littérature anglaise et italienne. Romancier, poète, peintre et essayiste de langue française.

Né en Corse en 1924, de père toscan et de mère française, il étudia la langue anglaise en France et en Angleterre. Durant son séjour en Grande-Bretagne, Il fut assistant de langue française à la Royal Grammar School de New-Castle-upon-Tyne[2]. Agrégé en littérature anglaise il exerça le métier de professeur de langue et littérature anglaise dans les établissements français d'enseignement supérieur. À la fin des années 1960, il travailla également une thèse doctorale en études italienne médiévale qui fut invalidée par le jury en dépit du caractère novateur de celle-ci[3]. En effet, donnant une lecture atypique de la Vita Nova, œuvre de jeunesse du poète florentin Dante Alighieri (1265-1321), Joseph Venturini voulut dégager l'œuvre dantesque du carcan des diverses traditions exégétiques européennes, qu'elles soient théologique, symboliste, littéraire et réaliste afin de permettre des lectures moins orientées culturellement, surtout moins "nécrophile" à l'encontre des sens "pulsionnels" qui travaillent de l'intérieur l'édifice textuel dantesque, qui échappent selon J. Venturini à toutes tentatives de fixations et par conséquent toujours occultés par le langage philosophique et empiriste de la dantologie officielle ancienne et moderne[4],[5].

Cette lecture non conventionnelle et atypique des œuvres poétiques de Dante Alighieri fut par la suite prolongée et approfondie par l'auteur dans ses œuvres littéraires ultérieures, toutefois toujours dans le cadre de la culture littéraire européenne moderne, dont il analyse les caractéristiques poétiques et anthropologiques fondamentales dans son dernier essai, posthume, Le Divin Robot ( éd. L'Harmattan, Paris, 2002).

Il enseigna la littérature italienne durant toute sa carrière universitaire, d'abord à la faculté de Lettres de Clermont-Ferrand (1958-1963) puis à la faculté de Lettres de Lille (1963-1992), dans laquelle il anima des séminaires d'études sur diverses périodes de l'histoire culturelle italienne: la poésie médiévale (Dolce Stil novo; Dante Alighieri; Guido Cavalcanti), la poésie lyrique sentimentale (Francesco Petrarca), la poésie narrative de la Renaissance (Torquato Tasso), la poésie moderne du romantisme italien (Giacomo Leopardi), le romanesque italien "Art déco" au XXe siècle (Moravia).

Joseph Venturini possédait une réelle "vitalité théorique"[6] particulièrement originale au regard des cadres interprétatifs en vigueurs dans le milieu universitaire de son époque. Une qualité d'analyse des œuvres de la culture anglaise, française et italienne substantialisées dans un mouvement général tendant à dés-habiller frontalement les enjeux culturels derrières les lieux communs littéraires et artistiques anciens et modernes, qui irriguent toutes formes de création, littéraire, poétique et picturale jusqu'à' nos jours.


Citations

« Il se peut que l’origine en remonte plus loin que ce que le présent récit a entrepris d’en dire. Mais ne pouvant trouver les mots qui conviennent à une telle matière prise à sa naissance, je ne dirai rien du premier soleil sur mon berceau, ni des premières longues pluies antérieures, ni de ces étoiles qui sur le velours du ciel noir d’une robe me sourirent d’amour une première fois. »

(Naissance posthume, éd. L'Âge d'Homme, Lausanne, Coll. Contemporains, I p.7)


« Nous sommes depuis ce temps-là, immémorable et pourtant présent puisque tous les vêtements et toutes les cultures n'ont jamais réussi à abolir notre vérité d'os et de chair, des corps habités. Sans nous ces corps sont vides comme vides sont toutes les maisons privées de leurs habitants. Souvenons-nous de ce mort de mort violente de l'Antipurgatoire de Dante qui dit être tombé là " où il laissa sa chair toute seule " (ove lasciai la mia carne sola). Je laisse aux théologiens, aux philosophes, aux psychologues et à tous les spécialistes des sciences humaines la responsabilité d'une réponse à la question: par quoi ou par qui, vivants, sommes-nous habités? Pour ma part, je n'en vois aucune que les mots puissent formuler car les mots, comme les étoiles, suivent leur propre cours. Pire, il me semble que toute tentative de dire par qui ou par quoi nous sommes habités, tend, par la réponse, non à prendre véritablement en considération la question mais à l'éluder: " le silence éternel de ces espaces infinis m'effraye ". »

(Le cochon dans l'île, éd. Presse Universitaire de Lille, Coll. "problématique / essais", Lille, 1986, pp. 14-15)

« La force dardée sur nos corps s'est introduite dans les interstices les plus intimes de la charpente, dans les muscles, dans les organes et les viscères, les tendons et les cartilages, de façon trop instantanée, absolue et invraisemblable pour se satisfaire de mots. Cela fut à la fois plus subtil et plus matériel, plus brutal et plus infinitésimal, que tout ce qu'on pourrait en supposer ou en dire. Seule, peut-être, la canzone de Guido Cavalcanti qui par sa nature tout à fait particulière et déconcertante met en présence de notre intellect la tragique sublimité de ce qu'on nomme Amour, seuls les grands corps de Christ de Cimabue dont la matière verdâtre réussit à faire naître l'Idée au sein d'une opacité, sont-ils capables de susciter une notion approximative de cette intuition lancinante de l'investissement de notre charpente osseuses et de nos tissus par une matière intellective. »

(Ibidem., p. 15)

« Ce fut un instant hilare et épouvantable, d'une gravité et d'une légèreté sans pareilles, où le charnel connut un frétillement irréparable dans une fixité sans nom. »

(Ibidem., p. 15)

« Il faut donc savoir qu'au départ il y a un petit hobereau corse, qui depuis des décennies mène une vie d'exil dans les grises régions du nord de l'Europe, et de simples chats, animaux sages et inoffensifs s'il en est, mais à l'égard desquels le petit hobereau éprouve une phobie telle que jamais il n'a pu surmonter sa répulsion à l'égard de ces félins domestique. Les vicissitudes de l'existence, l'incapacité dans laquelle il s'était toujours trouvé à s'adapter à la vie moderne, avaient fait de lui un être on ne peut plus démuni et vulnérable, une manière d'enfant attardé, vielle dans l'amertume et le chagrin. (...) Il avait donc traîné sa morne vie loin de son île natale... »

(Une Histoire de Chats, éd. L'Âge d'Homme (Lausanne), Collection "Le Bruit du Temps" dirigée par Gérard Joulié, Jil Silberstein, 1990, pp.7-8)

« ..le petit hobereau vaincu et solitaire. Aussi ses retours annuels pour cinq ou six semaines dans l'île de sa naissance constituaient-ils pour lui sinon la reconquête d'une seigneurie perdue, et encore moins une revanche sur le cousinage mieux loti que lui, du moins des retrouvailles avec une nature qui portait en elle, en les exaltant, tous les signes d'une rectitude morale, d'un impératif de beauté et de transcendance, que le siècle avait incarcérés, sans leur donner le droit de cité, dans les tréfonds de son âme insatisfaite. »

(Ibidem., p.9)

« ..la complicité qu'il entretenait avec le paysage de ces montagnes, tout aussi insoumises que lui à l'histoire, était à lui et à lui seul. (...) On comprendra aussi que la personne du petit hobereau, tout en représentant quelque chose d'un peu souffreteux et rabougri, exprimait néanmoins un sens de la fierté ancestrale qui la rendait ambiguë, et plus disgracieuse encore qu'elle n'eût été sans cette fierté qui convenait mal à un corps si malingre et à une si maigre part des avoirs de ce monde. On peut néanmoins être convaincu que pas plus du paysage de cette partie de la Corse qui se nommait plus par habitude que par orgueil "terre de seigneurs", que du tempérament rivé à la pauvre fidélité du petit hobereau, les vulgarités de l'histoire contemporaines b'étaient venues à bout. »

(Ibidem., pp.9-10)

« ..il demeurait seul, assis devant une table de la terrasse, tel un juge placé en face du miroir divin de l'univers stellaire. La proximité de la transcendance lui paraissait alors si proche que l'infini lui était intime et confidentiel. Il avait écrit là-dessus quelques pages, avec des mots, âpres, décharnés, mais ruisselants de voluptés sublimes. (...) Cela ne ne présageait pour lui rien de bon, puisque la nature, le même ciel, les mêmes étoiles, les pins et les fougères que parcouraient en les effleurant les halos de la récente lune, demeuraient insensibles à sa déroute, absolument neutres dans ce conflit qui lui noircissait les couleurs du monde. (...) L'idée d'ouvrir en grand les volets de la porte-fenêtre et de s'asseoir sur le balcon pour présider à nouveau au procès que l'univers entendait aux créatures vivantes depuis l'éternité, pour témoigner du vis-à-vis intangible de son innocence avec la transcendance, cette idée lui traversa un instant l'esprit. »

(Ibidem., p.17)

« Le lendemain, après ce rêve, je m'acheminai donc l'esprit clair et prêt à recevoir mon avenir présent du présent passé vers l'autocar qui devait me ramener au bourg de ma naissance (...) Comme alors au volant de son autocar, il se tenait derrière une chaire surélevée dans un amphithéâtre venu apporter à quelques intellectuels et à moi-même une initiation aux méthodes sûres et ouvertes qui s'inscrivent aujourd'hui sous le nom de structuralisme dont le rapport à l'ethnologie rendra compréhensible cette présence de l'homme de l'île dans les facultés. Le sien n'était pas affaire d'hommes faibles ni de géomètres, ni même de cette modernité technocratique qui recouvre ses inhumaines promesses d'impuissances de ce nom qui sonne dur et fort. En fait, il nous montra un chemin large et stable qui, inédit pour le regard de l'homme demeuré oublieux de lui-même révélait au regard de l'homme demeuré fidèle à son destin les voies ancestrales de l'avenir. »

(Naissance posthume, éd. L'Âge d'Homme, Lausanne, Coll. Contemporains, XIII pp.22-23)

Bibliographie (œuvres publiées)

Recherche Académique

  • L'itinéraire du sensitif dans la "Vita Nuova" de Dante: le sens érotique de l'œuvre et ses prolongements symboliques.

Thèse présentée devant l'Université de Paris IV, le 20 juillet 1972.

Service de Reproduction des thèses, Université de Lille III, 1972.


Essais critiques

  • Le cochon dans l'île, Presse Universitaire du Septentrion (Villeneuve d'Ascq), Collection "problématique / essai" dirigée par Alain Buisine, Lille, 1986, 124 p. (ISBN 2859392882).
  • Moravia, "Art-déco", Presse Universitaire du Septentrion (Villeneuve d'Ascq), Collection "Objet" dirigée par Philippe Bonnefis, Lille, 1988, 128 p. (ISBN 2859393277).
  • Le Divin Robot (oeuvre posthume), L'Harmattan, Paris, 2002, 250 p. (ISBN 2747533565).


Contributions scientifiques

  • Les signes et leurs interprétations, Nöel Mouloud (direction), Presse Universitaire du Septentrion (Villeneuve d'Ascq), Collection "Philosophie", Lille, 1972, 196 p. (ISBN 2757403281).
  • La ville dans la Littérature italienne moderne, Mythe et réalité, avec Jeannine Basso, Valentin Caprani, Dominique Cohen-Tudor, Marius Pantaloni, Myriam Tanant, Presse Universitaire du Septentrion (Villeneuve d'Ascq), Lettres et Civilisations italiennes, Lille 1974. (ISNN 17682088).
  • Littérature et Cultures d'exil, Terre perdue, Langues sauvées, Najib M. Nakka (direction), Presse Universitaire du Septentrion (Villeneuve d'Ascq), Lille, 1993, 311 (ISBN 2865310493).

Romans autobiographiques

  • Naissance posthume, éd. L'Âge d'Homme (Lausanne), Collection "Contemporain" dirigée par Claude Frochaux et Jean-Louis Kuffer, 1987, 146 p. (ISBN 2825128686).
  • Une Histoire de Chat, éd. L'Âge d'Homme (Lausanne), Collection "Le Bruit du Temps" dirigée par Gérard Joulié, Jil Silberstein (avec le concours du Révizor), 1990, 62 p. (ISBN 2825100471).

Articles (revues)

  • "Le grand Meaulnes", in La Nouvelle Critique, N°10, Janvier 1968, pp.37-44.
  • "Le Quattrocento, une peinture crucifié", in La Nouvelle Critique, N°14, Mai 1968, pp. 29-36.
  • "Le Champ du Cinéma", in La Nouvelle Critique, N°21, Février 1969, pp.54-57.
  • "Le western italien", in La Nouvelle Critique, N°31, Février 1970, pp.54-60.
  • " La Mimésis d'Auerbach appliqué à Dante", in Littérature, N° 5, février 1972, pp. 117-125[7].
  • "Les damnés de Luchino Visconti", in La Nouvelle Critique, N°35, Juin 1970, pp.54-59.
  • "Pirandello, le fascisme et les idéologies d'aujourd'hui", in La Nouvelle Critique, N°52, Avril 1972, pp.14-18.
  • "Les Monstres dans la poésie narrative de Dante à Marino et leur signification morale", in Revue des sciences humaines, N°188, 1982.



Bibliographie sélective des oeuvres inédites (non publiées)

Essais critiques

  • Dante: Le cénotaphe (années 70-80)
  • Leopardi (années 80)
  • Pétrarque (années 80)
  • La peinture franciscaine (1991-1992)


Romans

  • Lui et Moi (1993-1997)


Poésie

  • La Ville (années 50-60)
  • Les Fleurs du pire (années 60)
  • Dante An 2000 (années 90)


Journal / Essais

  • Cahiers (1960-1998)

Références

  1. « matchID - Moteur de recherche des décès », sur deces.matchid.io (consulté le )
  2. Joseph Venturini, Dante: Le cénotaphe (écrit inédit), p. 3
  3. L' itinéraire du sensitif dans la "Vita Nuova" de Dante: le sens érotique de l'œuvre et ses prolongements symboliques. Thèse présentée devant l'Université de Paris IV le 20 juillet 1972. Service de Reproduction des thèses, Université de Lille III, 1972.
  4. Joseph Venturini, Dante: Le cénotaphe (écrit inédit), 132 p., p. 6-7
  5. Joseph Venturini, « Google Books », sur https://books.google.fr (consulté le )
  6. Yann Piot, "Présentation d'un texte inédit de Joseph Venturini: Le Divin Robot", in Réalités et temps quotidien : matériaux de la culture italienne contemporaine, Actes des rencontres franco-italiennes de 1999 à l’Université de Lille 3, L’Harmattan, Paris, 2000., Paris, L'Harmattan, , 322 p. (ISBN 274751448X et 9782747514484), p. 297
  7. Joseph Venturini, « La Mimésis d'Auerbach appliquée à Dante », sur persee.fr, Littérature, (consulté le )

Liens externes

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