Histoire des Juifs en Autriche

L'histoire des Juifs en Autriche est inséparable de l'Empire d'Autriche jusqu'au XXe siècle puis des persécutions nazies à partir des années 1930.

De la naissance des communautés juives à 1918

Les premiers Juifs de passage ont pu accompagner la présence romaine (commerce, armée, administration), pas au point que des communautés s'établissement durablement et laissent des traces de leur présence. Certains historiens forment l'hypothèse que les légions romaines auraient ramené dans la région des prisonniers de la première guerre judéo-romaine (66-73).

12e-15e siècles

Un document du 10e siècle détermine l'égalité des droits entre les marchands juifs et chrétiens du Danube, ce qui implique une présence juive et une importance commerciale reconnue.

Les premières communautés juives semblent s'être installées au milieu du 12e siècle, avec un responsable ou shtadlan. La fin de ce siècle amène des colons juifs de Bavière et de Rhénanie.

L'Autriche devient un centre culturel juif au cours du XIIIe siècle. La première mention d'une synagogue (en pierre) de la Judenplatz date de 1204, en complément (ou remplacement) de deux synagogues plus anciennes en bois.

Frédéric II (empereur du Saint-Empire) (1194-1250), considérant que la communauté juive constitue un groupe ethnique et religieux distinct de ses sujets chrétiens, publie en 1244 une charte des droits des Juifs, dans tous ses États, qui les écarte de certains emplois (éducation, entreprise), mais les incite à travailler dans le prêt d'argent, facilite l'immigration, et accorde des droits de justice et de perception d'impôts. Les sages de Vienne instituent une école rabbinique réputée.

La jalousie des populations chrétiennes et l'hostilité de l'église catholique s'opposent à cette émergence, dans une atmosphère souvent nettement antisémite : animosité, ségrégation, tensions, blocage de recouvrement de dettes, annulation de dettes

Le Wiener Gesera (de) (Vienna Geserah, 1420-1421) est l'extermination programmée de la communauté juive ( Vienne, Krems, et quinze autres communautés) par l'archiduc d'Autriche (Habsbourg), et futur empereur Albert II du Saint-Empire, à l'époque des guerres hussites : arrestation, emprisonnement, expulsion (en bateau sur le Danube), conversion forcée (condamnée par le pape Martin V), bannissement éternel, exécution (au bûcher), confiscations, destruction du ghetto et de la synagogue, le tout basé sur accusation de profanation d'hostie. Cette politique se poursuit en Moravie, pas en Styrie (par protection du duc Ernst), puis par Ladislaus Postumus en Moravie et en Silésie. Pour mémoire, la deuxième pandémie de peste frappe l'Europe à partir de 1347 (peste noire), et demeure active jusque vers 1800 : elle atteint la région à plusieurs reprises dont en 1424.

Les premières expulsions remontent au XIVe siècle. D'autres ont lieu par la suite comme celle de 1669.

Ferdinand Ier (empereur du Saint-Empire) (1503-1564) s'oppose aux persécutions contre les Juifs, mais exige des impôts excessifs, et le port de marque distinctive infâmante. Sous Léopold Ier (empereur du Saint-Empire) (1655-1705), par un droit de famille (de), seul le premier fils d'une famille juive est autorisé à se marier et à procréer.

  • Isaac ben Moses of Vienna (en) (1200-1270)

16e-18e siècles

La communauté juive de Vienne se développe à nouveau à la fin du XVIe siècle en vieille ville. Elle est transférée dans le Bas-Werd sur ordre de Ferdinand II en 1624. Ferdinand Ier (empereur du Saint-Empire) (1503-1564) s'oppose à la persécutions contre les Juifs, mais exige des impôts excessifs, et le port de marque distinctive infâmante. En 1625, un ghetto est créé à l'« Untere Werd » pour débarrasser l'Innere Stadt des Juifs. Le territoire obtient son surnom d'« île de Matza », du fait que les boulangers y fabriquent ce pain à pâte non levée pour les jours de fête.

Sous Léopold Ier (empereur du Saint-Empire) (1655-1705), seul le premier fils d'une famille juive est autorisé à se marier et à procréer. La communauté est à nouveau expulsée en 1669-1670, après quoi la colonie est renommée Leopoldstadt. L'Expulsion des Juifs de Vienne en 1670 (de) serait liée à la Grande peste de Vienne (1678-1679) (Colonne de la peste (Vienne)), le prédicateur Abraham a Sancta Clara en attribuant la responsabilité aux Juifs et aux sorcières.

L'expulsion plus globalement d'Autriche, en petite minorité à Berlin, et plutôt au Burgenland (où ils vivent sous la protection de Paul Ier Esterházy), pose vite problème : baisse de recettes fiscales, désorganisation des foires et marchés dans tout le pays. Dès 1673, les Juifs reviennent progressivement s'installer à nouveau, en Autriche et à Vienne, sans empêcher plusieurs répressions.

Les Juifs de cour, dont Samuel Oppenheimer (1630-1703), ne sont pas directement concernés.

Le smyrniote Sabbataï Tsevi (1626-1676) se fait passer pour le Messie, et inspire la secte des Sabbatéens et du Frankisme, et préconise le retour à la Terre sainte pour y rétablir le Royaume d'Israël.

La situation de la communauté s'améliore avec Marie-Thérèse d'Autriche (1717-1780) au moins jusqu'en 1772, lorsque l'annexion de la Galicie, principauté transformée en Royaume de Galicie et de Lodomérie (1772-1918), où elle annule l'autonomie et réglemente les droits de la communauté.

Son fils Joseph II (empereur du Saint-Empire) (1741-1790) vise une intégration de la communauté, crée des écoles gouvernementales à la destination des Juifs, et impose l'enrôlement dans l'armée impériale. En 1781 est signé l'Édit de tolérance par l'empereur Joseph II, qui garantit la liberté de religion à tous les sujets catholiques et protestants (et serbes-orthodoxes) de l'Empire des Habsbourg, et leur égalité d'accès à la vie publique (emplois publics, université, corps de métier…). La non inclusion des chrétiens orthodoxes et des Juifs est ensuite corrigée par d'autres édits. L'Édit de tolérance de 1782 (en) accorde les mêmes droits à la population juive, mais avec une forte restriction de l'immigration, et l'obligation de remplacer par l'allemand le yiddish et l'hébreu (pour tout texte, y compris d'enseignement). Le joséphisme est la version autrichienne du despotisme éclairé.

19e siècle

La Haskala, mouvement juif progressiste, inspiré du mouvement des Lumières, et le judaïsme réformé se développent dans les années 1750-1880 : universalisme, idéal d'acculturation.

En 1867, l'empereur François-Joseph accorde aux juifs l'égalité des droits dans la foulée du compromis austro-hongrois. Dès lors, une bourgeoisie juive assimilée se développe contribuant fortement à la vie culturelle, économique et scientifique autrichienne. En 1900, Vienne, grâce à la présence de ses élites juives, peut apparaitre selon les mots de Walter Benjamin comme "la capitale du XXe siècle"[1].

Pourtant, au moment même de la Sécession viennoise, se développent les nouvelles formes de l'antisémitisme nourries par la longue crise qui commence en 1870. Deux mouvements se distinguent: le Christlichsociale, influencé par l'antijudaïsme religieux, et l'Alldeutschen, un mouvement pangermaniste. Hitler, qui séjourne à Vienne de 1907 à 1913, sera fortement influencé par ces deux mouvements[2]. Selon Kershaw, « Vienne est l'une des villes européennes où l'antisémitisme était plus virulent »[3].

La mouvement de la Téhia (1880-1920) tire le bilan de la Haskala, de la montée de l'antisémitisme en Europe et des progroms. Il aspire à un nationalisme juif, imitant le nationalisme européen du XIXe siècle, son exaltation du peuple et de l'esprit national, revendiquant contre la tentation de l'assimilation une autonomie culturelle juive (en diapora(s)), sans ignorer l'essor du sionisme.

Débuts du 20e siècle

Après la Première Guerre mondiale et la naissance de la république d'Autriche qui consacre la disparition de l'Empire austro-hongrois, 201 513 juifs vivent à Vienne[4].

De la naissance de la République d'Autriche à l'Anschluss

Après 1918, les sociaux démocrates dominent la vie politique. Malgré l'antisémitisme ambiant, aucune mesure anti-juive n'est prise. Dans les années 1930, on compte quelque 200 000 juifs vivant en Autriche (recensement 1934: 191.481[5]), principalement à Vienne (1934: 176 034). En 1934, un régime autoritaire est installé en Autriche. Le nombre de juifs dans les secteurs bancaire, judiciaire et médical diminue[2].

Les Juifs autrichiens durant le Troisième Reich

À la suite de l'Anschluss avec l'Allemagne nazie, le , l'antisémitisme explose. De nombreux commerces juifs sont pillés. les scènes d'humiliation publique sont fréquentes. Ruth Maier raconte dans son journal: « Même si... les Juifs ne jouissaient pas tout à fait des mêmes droits que le reste de la population , les Juifs occupaient cependant une place décente. Désormais ils sont ravalés au rang d'animaux, de porcs, de non humains. » . Les lois antisémites en vigueur dans le Reich s'appliquent désormais à l'Autriche. Elle raconte encore les violences subies par les Juifs: « La rue est déserte. Un jeune Juif bien vêtu, arrive au coin. Deux SS surgissent. L'un, puis l'autre, donne une gifle au juif qui vacille, se tient la tête et poursuit son chemin. »

"L’Autriche devient le laboratoire de la politique antisémite[6]" du Reich. les nazis y développent la politique des aryanisations forcées mais aussi l'émigration forcée. En aout 1938, Adolf Eichmann crée la centrale pour l'émigration juive, la Zentralstelle für Jüdische Auswanderng in Wien. Elle prévoit de dépouiller de leurs biens les Juifs avant leur départ. En , la moitié des juifs d’Autriche a quitté le pays, les deux tiers en [7]. En tout, 130 000 personnes sont concernées. le modèle est copié en Allemagne après la nuit de cristal puis en Bohème-Moravie. Avec la guerre, l'émigration devient difficile. Dans un premier temps, Eichmann envoie 1584 juifs autrichiens dans les environs de Lublin mais l'opération est interrompue par Himmler[8]. en , les déportations reprennent. Elles concernent 5031 personnes. Mais les préparatifs de l'invasion de l'URSS interrompent le processus. Après les succès de l'opération Barbarossa, les Juifs autrichiens sont de nouveau déportés à Lódz, Riga, Minsk ou encore Theresienstadt (plus de 15 000 personnes). En tout près de 49 000 Juifs sont déportés. Seul 2162 survivront[8].

65 500 des 191 481 juifs Autrichiens et à peu près 25 000 mischlings sont assassinés par les nazis – on connait les noms de 62 000 d'entre eux. Tous les autres (130 000155 000) se réfugient à l'étranger où survivent en se cachant[5],[9]. Entre 2 000 et 5 000 survivent à la Shoah en Autriche ou dans les KZs[9].

Après la Shoah

À la chute du Rideau de fer, un nouveau flux de Juifs arrive en provenance de l'ancienne Union soviétique. La population juive autrichienne est estimée actuellement autour de 8 140 personnes (recensement 2001[10]), essentiellement à Vienne (2001: 7 000). Des estimations évoquent le chiffre de 15 000 (Ariel Muzicant, le chef de l'Israelitische Kultusgemeinde (IKG) de Vienne)[11] à 20 000[12] juifs en Autriche actuellement (2007/2008).

Le social-démocrate Bruno Kreisky devient Chancelier de 1970 à 1979. Peter Sichrovsky devient député européen sous la bannière du Parti de la liberté d'Autriche de Jörg Haider et dévoile en 2005 qu'il a travaillé comme agent du Mossad, les services secrets israéliens, de 1997 jusqu'en 2002.

Bibliographie

  • Jacques Le Rider : Les Juifs viennois à la Belle Époque, Éditions Albin Michel, Collection : Présences du judaïsme, 2013, (ISBN 2226242090)
  • Eveline Brugger, Birgit Wiedl. Regesten zur Geschichte der Juden im Mittelalter. Band 1: Von den Anfängen bis 1338. Institut für Geschichte der Juden in Österreich. StudienVerlag, Innsbruck. 2005. (ISBN 3-7065-4018-5).
  • (de) Michaela Feurstein et Gerhard Milchram, Jüdisches Wien : Stadtspaziergänge, Wien, Böhlau, , 238 p. (ISBN 3-205-99094-3)
  • Sabine Hödl, Peter Rauscher, Barbara Staudinger (ed.) Hofjuden und Landjuden. Jüdisches Leben in der Frühen Neuzeit. Philo Verlag, Vienna. 2004. (ISBN 3-8257-0352-5)
  • Béatrice Gonzalés-Vangell, Kaddish Et Renaissance - La Shoah Dans Les Romans Viennois (1991-2001) De Robert Schindel, Robert Menasse Et Doron Rabinovici, Presses Universitaires Du Septentrion, 2005, 328 pages. (ISBN 2-85939-900-3)
  • Martha Keil, Elke Forisch, Ernst Scheiber. (ed.) Denkmale. Jüdische Friedhöfe in Wien, Niederösterreich und Burgenland Club Niederösterreich, St. Pölten. 2006. (ISBN 3-9502149-0-9).
  • Christoph Lind. "Der letzte Jude hat den Tempel verlassen": Juden in Niederösterreich 1938 – 1945. Mandelbaum Verlag, Vienna. 2004. (ISBN 3-85476-141-4)
  • Barbara Staudinger. "Gantze Dörffer voll Juden": Juden in Niederösterreich 1496-1670. Mandelbaum Verlag, Vienna. 2005. (ISBN 3-85476-165-1)
  • Thomas E. Schärf. Jüdisches Leben in Baden: Von den Anfängen bis zur Gegenwart. Mandelbaum Verlag, Vienna. 2005. (ISBN 3-85476-164-3)
  • Werner Sulzgruber. Die jüdische Gemeinde Wiener Neustadt: Von ihren Anfängen bis zu ihrer Zerstörung. Mandelbaum Verlag, Vienna. 2005. (ISBN 3-85476-163-5)
  • Nicht in einem Bett - Juden und Christen in Mittelalter und Frühneuzeit. Reihe: Juden in Mitteleuropa, Ausgabe 2005.

Articles connexes

Liens externes

Références

  1. Georges Bensoussan (dir.), Jean-Marc Dreyfus (dir.), Édouard Husson (dir.) et al., Dictionnaire de la Shoah, Paris, Larousse, coll. « À présent », , 638 p. (ISBN 978-2-03-583781-3), p. 117.
  2. Georges Bensoussan, Jean-Marc Dreyfus et Édouard Husson 2009, p. 117
  3. Ian Kershaw, Hitler, Flammarion, 2008 p. 72
  4. Statistisches Jahrbuch der Stadt Wien 1930–1935 (Neue Folge. 3. Band) Hrsg. von der Magistratsabteilung für Statistik. Beinhaltet die Daten für 1910, 1923 und 1934
  5. Österreichische Historikerkommission: Schlussbericht der Historikerkommission der Republik Österreich. Band 1. Oldenbourg Verlag, Wien 2003, p. 85–87
  6. Georges Bensoussan, Jean-Marc Dreyfus et Édouard Husson 2009, p. 118
  7. Georges Bensoussan, Jean-Marc Dreyfus et Édouard Husson 2009, p. 158
  8. Georges Bensoussan, Jean-Marc Dreyfus et Édouard Husson 2009, p. 119
  9. Österreichische Historikerkommission: Schlussbericht der Historikerkommission der Republik Österreich. Band 1. Oldenbourg Verlag, Wien 2003, p. 291–293
  10. Recensement d'Autriche, 2001
  11. Ariel Muzicant: « Österreich ist anders. »(ArchiveWikiwixArchive.isGoogle • Que faire ?) 12. Mai 2005. In: Der Standard, 4. Mai 2005
  12. Marijana Milijković: Von einer Blüte ist keine Rede – Dennoch tut sich was in der jüdischen Gemeinde: Der Campus im Prater eröffnet. Der Standard, 12 septembre 2008, Seite 2


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