Henry Valensi
Henry Valensi est un peintre français né le à Alger et mort le à Bailly (Oise), fondateur du musicalisme et auteur d'un film abstrait de "cinépeinture" La Symphonie printanière, qui entre officiellement en 2013 dans les collections du Musée national d'art moderne.
Biographie
Henry Valensi a commencé très jeune à peindre les paysages solaires de son Algérie natale. Sa famille, qui s'installe à Paris en 1899 dans le 9e arrondissement, l'encourage dans sa passion naissante pour l'art pictural . Sur les conseils de Léon Bonnat Valensi entre à l'académie Julian en 1902 où il étudie la peinture sous la direction de Jules Lefebvre et de Tony Robert-Fleury.
Dès 1905, Étienne Dinet lui permet de faire sa toute première exposition au Salon des Orientalistes. Il est alors encore impressionniste, mais exprime le besoin de renouveler l'art pictural en libérant l'artiste de la vision purement objective que la pratique a cristallisé dans l'immobilisme.
Valensi qui a hérité de quoi vivre confortablement se positionne du côté de la liberté et de l'indépendance totale en tournant le dos au marché de l'art (ce qui l'empêchera de se faire connaître). Il adhère à la Société des artistes indépendants et expose régulièrement, chaque année, dans leurs salons à partir de 1908.
Valensi voyage beaucoup en Europe et sur le pourtour du bassin méditerranéen. Ses paysages commencent à se transformer en intégrant des éléments abstraits, au cours d'un voyage en Grèce, en 1909. Valensi ne s'intéresse plus dès lors qu'aux tentatives avant-gardistes: c'est de mouvement, de dynamisme dont la peinture a besoin, et c'est avec Marinetti et les peintres futuristes que Valensi se liera le plus longtemps, avant de trouver sa propre voie: le "musicalisme", dès 1913[1].
En 1912, il gère et organise le Salon de la Section d'Or aux côtés de Jacques Villon, Pierre Dumont, Jean Metzinger, Albert Gleizes, Raymond Duchamp-Villon, Marcel Duchamp et Francis Picabia. Il y présente Moscou la sainte.
À partir de 1913 il expose régulièrement dans divers salons en France comme à l'étranger. Valensi est aussi un grand voyageur avec une prédilection pour la Russie, et le bassin méditerranéen.
En 1932, Henry Valensi, et trois autres peintres Charles Blanc-Gatti, Gustave Bourgogne et Vito Stracquadaini fondent l’Association des Artistes Musicalistes et organisent à Paris (Galerie Renaissance) le premier des vingt-trois Salons Musicalistes.
Selon ses théories, qui donnent à l'Art une place prépondérante dans l'évolution de la conscience de soi à travers les civilisations, la musique parce qu'elle est science, rythme et dynamisme, devient au XXe siècle l'art le plus à même d'exprimer les nuances et les subtilités de l'âme humaine.
La couleur étant comme le son, vibration de matière, le peintre musicaliste est celui qui utilise sa matière d'art (la couleur, le trait, les formes) pour créer subjectivement une "musique" de couleur sur sa toile.
Valensi considère que la dernière étape de l'évolution de l'Art pictural consiste à introduire le mouvement réel dans l'espace de la toile, ce qui débouche sur la CINEPEINTURE, réalisée par des cinépeintres.
Valensi travaille seul, avec une camera installée en banc-titre dans une chambre de bonne-studio , à partir de 1936, à l'élaboration d'un film abstrait en couleur qui n'aboutira qu'en 1959 : La Symphonie printanière[2] trente minutes, 64 000 dessins à partir d'un tableau peint en 1932,
Sa vie et son œuvre sont retracées dans un livre sorti à l'automne 2013, commandité par les ayants droit, écrit par Marie Talon sous la forme d'un dialogue imaginaire, qui présente le grand intérêt de retracer toute l'histoire de l'avant-garde artistique parisienne, avec de nombreux documents d'archives inédits (entre autres: les lettres que Max Jacob écrivit à Valensi pendant l'été 1914, également des lettres montrant que Valensi fréquentait beaucoup les Delaunay)[3]. La rédaction de ce livre a été facilitée d'abord grâce à la lecture de thèse de doctorat de Claire Euzet, "le musicalisme, une tendance de l'abstraction", soutenue en 1996 à La Sorbonne, puis grâce aux confidences de Christiane Vincent Laforce, (âgée de 90 ans en 2014) peintre musicaliste et collaboratrice accompagnatrice de Valensi, (de 1957 à sa mort) et enfin grâce à l'aide d'une jeune étudiante en Histoire de l'Art, Monika Lilkov , qui travaille sur Valensi en 2012 pour son mémoire de master : "La peinture en mouvement".
Valensi sort enfin de l'ombre: - En 2013, sept des tableaux qu'il avait légués à l'État, ainsi que le film de "cinépeinture" La Symphonie printanière ont été présentés pour une durée de 14 mois du au Centre Pompidou à Paris au dans le cadre de l'accrochage des collections Modernités Plurielles[4].
- En 2014, Benoit Sapiro et Alain Le Gaillard exposent tableaux et film de Valensi dans leur galerie respective, rue des beaux arts et rue Mazarine à Paris.
Valensi théoricien
Théoricien de renom, Valensi publia de nombreux écrits sur l’évolution des Arts et leur rapport à la matérialité. Valensi parle de matière d'art en effet : le son est la matière du compositeur, la couleur celle du peintre, les mots, celle du littérateur, la pierre ou le marbre ou, etc. celle du sculpteur. Les cinq Arts que Valensi dénombre sont : l’architecture, la sculpture, la peinture, la littérature - incluant la poésie et la musique -incluant la danse. À travers l’Histoire, ces Arts respectifs sont régis par les principes d’un art dominant, qui perd de sa matérialité au fur et mesure que l’on avance dans le temps : l’artiste définit ce phénomène comme « la Loi des Prédominances »[5]. Dans cette logique appelée « Art-Un », Valensi conçoit une histoire des Arts de l’Occident et de la Méditerranée évolutionniste, dominée par les règles artistiques de la façon qui suit :
- Tous les arts sous l’Antiquité égyptienne sont dominés par les principes de l’architecture, à savoir le massif, le colossal et la rigidité.
- Sous l’Antiquité Gréco-romaine, l’architecture laisse place à la sculpture. Réalisme, tridimensionnalité, précision géométrique, légèreté font évoluer tous les canons artistiques.
- Pendant le Moyen Âge et la Renaissance, la peinture devient l’art dominant. La couleur et l’expressivité transforment la sculpture, l’architecture mais également la littérature et la musique.
- À partir de la fin du XVIe siècle jusqu’au milieu du XIXe siècle, les principes artistiques sont soumis à la littérature. La représentation de figures allégoriques et la multiplication des sources littéraires dominent les académies. La majorité des tableaux à thèmes mythologique, littéraire ou historicisant datent pour la plupart d’entre eux, de cette période [6].
- C’est à la fin du XIXe siècle que Valensi voit naître une certaine « musicalisation » ou abstraction des arts. Valensi considère Stéphane Mallarmé comme le premier poète musicaliste : « Mallarmé le recueillit [le mot] et l’ayant musicalisé lui donna de nouveaux sens symboliques. » [7].
- Dans l'esprit de Valensi, le mouvement Musicaliste tend à incarner pleinement cette nouvelle ère qui va vers la légèreté, la fluidité, par l'abstraction-musicalisation de tous les arts, mais aussi de toute la pensée. Le manifeste des « Artistes Musicalistes » a vu le jour le , publié pour la première fois dans le journal Comœdia. La peinture Musicaliste est parfaitement représentative, dans ses principes esthétiques, de la musicalisation des Arts: ces derniers se définissent par l’introduction des propriétés musicales dans la plasticité picturale, à savoir le mouvement, le rythme et l’espace-temps: la couleur est une vibration qui ne se distingue du son que par sa longueur d'onde.
- Valensi considère qu'il peint dans un état d'esprit similaire à celui du compositeur, il orchestre ses couleurs sur la toile et nomme symphonies, préludes ou fugues celles de ses œuvres qu'il considère abouties.
Dans les années 1910, la pensée artistique est considérablement imprégnée par la Révolution technique, découvrant ainsi de nouvelles formes plastiques et spatiales. Nombreux sont les peintres qui, bien qu’ayant bénéficié d’une formation académique, se penchent à représenter ces nouvelles formes de réalité : les Cubistes, les Futuristes et bien sûr les Musicalistes menés par Henry Valensi. La théorie du musicalisme vit le jour dans un monde où le rapport à l’image changeait complètement, où l’art s’imprégnait de ces nouvelles formes de réalité que sont la machine, le mouvement ou la réalité de la matière (support, couleurs). La mise en forme la plus aboutie de cette « musicalisation » consiste non plus à suggérer le rythme et le mouvement mais à leur donner une plasticité réelle. La technique du cinéma, âgée d’à peine quarante ans lorsque Valensi entama la création de sa peinture en mouvement, également dite "cinépeinture", représentait le moyen idéal d’insérer le mouvement et par ailleurs de donner une forme plastique à cette quatrième dimension qu’est le temps [8]. Valensi refusait d'alimenter le débat qui faisait rage autour de lui alors, entre Art et Industrie, [9], il considérait que sa cinépeinture représentait le parfait mariage entre l’Art, l’Industrie et les sciences ; et une version aboutie de l' « Art-Un » souhaité par tous alors. Pour lui l'Art-Un c'est le nom à donner au collectif des arts , c'est-à-dire un art global, régi alternativement par chacun de ses membres: ainsi au xxe siècle, l'Art(-Un) est guidé, régi, (plus que dominé) par les principes de la musique[9].
La Symphonie printanière
Les premiers essais de la production du film de « cinépeinture » la Symphonie printanière datent de 1936 bien que l’idée soit plus ancienne. Lorsque Valensi peignit le tableau éponyme en 1932, il prévoyait déjà l’introduction du mouvement dans la peinture. Même si les premiers essais réussis de film trichrome datent de 1922, réalisés en Kodachrome aux États-Unis, il aura fallu plus de dix ans pour attendre une mise sur le marché. C’est donc en 1936 que Valensi, équipé de deux caméras Pathé, datées d’environ 1925 ainsi que d’un projecteur datée de la même époque entame la réalisation de ce film « cinépeint »[10]. Les scènes, mêlant compositions abstraites et éléments figuratifs, sont peintes à l’huile sur des celluloïds, et filmées directement. Les éléments mobiles sont engendrés par la superposition de celluloïds découpés à même la forme souhaitée. Valensi réalisa entièrement seul l’ensemble du film, en dehors des dernières scènes auxquelles collabora son élève Christiane Vincent-La Force, peintre musicaliste de quarante ans sa cadette, galeriste et avant tout mémoire vivante de l’artiste. L’ensemble des archives du film, aussi bien esquisses sur papier que celluloïds, sont conservées aux Archives françaises du film du Centre national du cinéma et de l’image animée, archives situées à Bois d’Arcy. La pellicule du film, développée par le laboratoire GTC (Générale de Travaux Cinématographiques) de Joinville-le-Pont se trouve, quant à elle, à Digimage basé à Montrouge, Digimage ayant acheté GTC en 2009.
La Symphonie printanière se compose, telle une symphonie musicale, de cinq parties : un prélude, trois mouvements ainsi qu’une finale[11]. L’organisation du film mêle déroulement chronologique et thématique: le prélude correspondant à la fin de l’hiver et la finale au solstice d’été . Les trois mouvements successifs renvoient, dans l’ordre, au Ciel, à la Nature et à la Vie, incarnée par l’Amour. Ainsi, la Symphonie Printanière réunit les propriétés de la peinture avec celles de la musique (mouvement, rythme) et de la littérature, la composition répondant à un registre narratif. On dénombre quelques éléments figuratifs comme l’éclosion florale ou les personnages masculins et féminins du troisième mouvement. Néanmoins, il résulte de la Symphonie Printanière une composition généralement abstraite, les couleurs traduisant le rendu émotionnel. Valensi, passionné de psychophysique, s’est beaucoup penché le long de sa carrière sur l’étude de la couleur en tant qu’émission de vibrations, les vibrations produisant un impact sur la psyché de l’homme[12]. Les sept couleurs de l’arc-en-ciel expriment chacune un sentiment et génèrent une énergie plus ou moins intense. Voici l’ordre dans lequel les couleurs sont classées en fonction de l’énergie qu’elles diffusent, ainsi que le sentiment qu’elles véhiculent dans le langage plastique de Valensi : le rouge renvoyant au dynamisme, l’orange à l’euphorie, le jaune à la joie, le vert à l’espoir, le bleu au calme et enfin l’indigo et le violet à la mélancolie[12]. Les couleurs traduisent les différentes actions du film « cinépeint ».
La Symphonie printanière est reconnue œuvre d'Art à part entière par l'institution: le Musée National D'Art Moderne qui l'a acquise en , pour la mettre a disposition du public.
Sources
- (en) « Henry Valensi », extrait de la notice dans le dictionnaire Bénézit, sur Oxford Art Online, (ISBN 9780199773787)
- Voir aussi : www.musicalisme.fr et musicalisme.wordpress.com.
- Sous le titre Henry Valensi, l'heure est venue ce livre de 300 pages avec les textes manuscrits non publiés de l'artiste en annexe, est disponible en librairie (diffusé par Pollen), ainsi que sur le site de l'éditeur Yvelinédition. Depuis mars 2014, le livre est également disponible à la consultation en bibliothèque : entre autres à la BNF, à la bibliothèque Kandinsky, à la bibliothèque Sainte-Geneviève, à la bibliothèque de l'Institut National d'Histoire de l'Art et dans le centre de documentation du Musée d'Art et d'Histoire du Judaïsme, dans le Marais.
- Voir Centre Pompidou.
- Valensi, « La Loi des Prédominances et la Musicalisation de l’Art-Un », Sang nouveau, Charleroi, numéro 4, décembre 1930, p. 39-42.
- Valensi, Le musicalisme, éditions Sebrowski, Paris, 1936.
- Thibaudet, La Poésie de Stéphane Mallarmé, Gallimard, Paris, 1930.
- Valensi, « La Tradition et l’Art Indépendant », Congrès international de l’Art indépendant. Compte rendu des travaux du congrès, Exposition Internationale, Paris, 7-8-9-10 juin 1937, p. 53-57.
- Valensi, « Un mariage de l’Art et de l’Industrie : palette et caméra », Esthétique Industrielle, Paris, 1952, p. 122-131.
- Legs d'Henry Valensi, Archives personnelles des Ayants Droit.
- Valensi, « Présentation et analyse de la Symphonie Printanière », conférence prononcée le 1er juin 1959 à Bergame à l’occasion du Festival Gran Premio Bergamo.
- Valensi, « Essai sur la résonance sentimentale des couleurs », La revue d’esthétique, Paris, octobre-décembre 1955, tome 8, fascicule 4, p. 333-367.
Bibliographie
- Divers écrits du peintre Henry Valensi non publiés, exploités en 2012 par l'association des ayants droit, l'AADPHV.
- Qu'est ce que le Musicalisme ? Henry Valensi fondateur du Groupe musicaliste, 1990, Exposition à la Galerie Drouart, Paris.
Liens externes
- Ressources relatives aux beaux-arts :
- Delarge
- (en) Art UK
- (de + en) Artists of the World Online
- (en) Bénézit
- (en + nl) RKDartists
- (en) Union List of Artist Names
- Henry Valensi sur Issu
- Site de l'association Henry Valensi
- Henry Valensi sur Artnet
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