Grindadráp
Le grindadráp, aussi nommé plus simplement le grind, est le nom donné à la tradition culturelle de chasse aux cétacés en vigueur dans les Îles Féroé. La traduction littérale du mot féroïen grindadráp est « mise à mort des baleines ». Historiquement, le grindadráp se pratiquait aussi à Terre-Neuve, au Groenland et dans d'autres archipels de l'Atlantique Nord comme les Orcades ou les Shetland mais, de nos jours, seules les Îles Féroé continuent à pratiquer cette chasse[1].
Pour les articles homonymes, voir Grind.
Grindadráp | |
![]() Des globicéphales morts sur la plage de Hvalba. | |
Type | chasse aux cétacés traditionnelle |
---|---|
Création | Au moins 1584 |
Pays | ![]() |
anciennement Terre-Neuve, Groenland, Orcades, Shetland | |
Chaque année, certains habitants tuent par centaines des globicéphales noirs, principale cible de la chasse, mais également des dauphins à flancs blanc et des grands dauphins qui s'aventurent dans les fjords de l'archipel[2]. Cette chasse est régulée par les autorités féroïennes[3][source insuffisante]. Elle est controversée en Europe, principalement quant à son éthique, mais aussi quant à la toxicité de la viande de globicéphale.
Origines
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Cette chasse est relatée la première fois en 1584[4] mais existe sans doute depuis bien plus longtemps, au temps des premières colonies scandinaves, afin de nourrir la population de l'archipel complètement isolée du reste du monde. À cause d'un climat difficile, la production de l'élevage et de l'agriculture est très limitée sur l'archipel, et la viande de globicéphale devient alors une source de nourriture très appréciée.
En 1928, le Département de médecine et de santé publique des Îles Féroé considère que la consommation de dauphin représente quasiment la seule source de protéines animales des Îles Féroé.
Chaque année, près de 1 000 dauphins et globicéphales sont tués, principalement au cours de l'été car l'archipel se situe le long des couloirs migratoires des cétacés. La nourriture recueillie à la suite de cet événement correspond à 30 % de la consommation alimentaire sur cette île, et une des rares sources de protéine animale disponible[5]. En 1978, des orques furent tuées lors d'un grind mais cela ne s'est jamais renouvelé depuis. En revanche, les grind aboutissent parfois à l'abattage d'espèces non autorisées comme le dauphin de Risso (annexe 2 de la CITES) ou plus rares comme des baleines à bec.
Tous les dauphins sont chassés selon la même méthode que les globicéphales à l'exception des marsouins qui sont abattus au fusil de manière individuelle dans les fjords en dehors des grind.
Chasse
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Traditionnellement, la chasse se déroule normalement en cinq étapes principales : le repérage (grindabođ), la chasse (grindarakstur), l'abattage (grindadráp), la danse (grindadansur) qui se déroule rarement à notre époque puisque tout le monde repart dès la fin du dépeçage et de la distribution (grindabỷti)[6].
Les chasses étaient initialement non commerciales et organisées de façon communautaire. De nos jours, toute la viande n'est plus consommée mais celle qui l'est est partagée au sein de la communauté en fin de chasse. Elle n'est en principe pas revendue, sauf dans les restaurants qui en proposent pour les touristes.[réf. nécessaire]
Le chef de grind (grindaformenn) décide de qui peut prendre part à l'abattage des cétacés (uniquement des hommes). En revanche, pour hisser les cétacés sur la berge et les dépecer, n'importe qui peut participer, hommes, femmes, y compris les enfants qui sont souvent conviés[7].
Repérage
Traditionnellement et historiquement, le repérage des cétacés nécessitait d'allumer des feux pour indiquer qu'un groupe de globicéphales était en vue[8]. La transmission du message pouvait également passer par des coureurs à pied, des rameurs, ou par le cri[9]. Ce n'est plus le cas de nos jours : le repérage des groupes de globicéphales et de dauphins est effectué par les pêcheurs ou les ferrys qui assurent la liaison entre les îles de l'archipel. Les méthodes traditionnelles ont été supplantées par des technologies modernes qui facilitent largement la localisation des cétacés. Ainsi, l'usage des téléphones mobiles, des sonars et de la VHF[10] sont devenus incontournables.
Conduite des cétacés jusqu'aux plages d'abattage
Une fois le groupe de cétacés repéré, les chasseurs entourent d’abord les animaux avec un large demi-cercle de bateaux. Ceux-ci rabattent alors lentement les cétacés dans une baie ou au fond d'un fjord pour les amener au bord d'une plage autorisée pour l'abattage[9]. Le guidage des animaux est largement facilité par l'habitude qu'ont les globicéphales de suivre les embarcations en nageant à leur proue, d'où leur nom de baleines pilotes.
Les lieux d'échouage sont réglementés, et il est interdit par la loi féroïenne d'échouer les cétacés dans des lieux où les conditions ne sont pas appropriées. Il existe 23 sites légaux répondant aux critères fixés pour pouvoir tuer les globicéphales et les dauphins (pente douce, absence d'eaux profondes) : Bøur, Fámjin, Fuglafjørður, Húsavík, Hvalba (et Nes-Hvalba), Hvalvík, Hvannasund, Klaksvík, Leynar (en), Miðvágur, Norðagøta (en), Norðskáli (en), Sandur , Syðrugøta, Tjørnuvík (en), Tórshavn, Tvøroyri, Vágur, Vestmanna, Viðvík et Øravík[11].
Abattage
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Une fois le groupe de cétacés coincé dans une baie, les individus sont hissés sur la berge à l'aide de crochets (blásturkrókur) insérés dans l'évent de l'animal puis abattus à l'aide de couteaux traditionnels (grindaknívur (en)). Tous les individus du groupe capturé sont alors tués sans exception (y compris les jeunes et les femelles gestantes). L'abattage se veut rapide et « sans douleur » mais dans les faits, il faut parfois plusieurs minutes pour parvenir à sectionner la colonne vertébrale du cétacé surtout à la fin de grind, qui dure quelquefois plusieurs heures. Des observateurs de l'autorité de protection de l'environnement de Londres ont notamment rapporté une agonie d'un quart d'heure entre le premier coup de gaffe et la mort de l'animal qui est parfois achevé par un vétérinaire. Ils rapportent également les cris lancés par les dauphins lors de l'abattage[12].
Chiffres
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année | Globicéphales | Dauphins à flancs blancs | Grands dauphins | Dauphins de Risso | Baleines à bec | Total |
---|---|---|---|---|---|---|
2000 | 588 | 265 | 0 | 0 | 3 | 856 |
2001 | 918 | 546 | 6 | 0 | 0 | 1470 |
2002 | 626 | 773 | 18 | 0 | 6 | 1423 |
2003 | 503 | 186 | 3 | 0 | 0 | 692 |
2004 | 1012 | 333 | 0 | 0 | 0 | 1345 |
2005 | 302 | 312 | 0 | 0 | 1 | 615 |
2006 | 856 | 622 | 17 | 0 | 0 | 1495 |
2007 | 633 | 0 | 0 | 0 | 3 | 636 |
2008 | 0 | 1 | 0 | 0 | 7 | 8 |
2009 | 310 | 170 | 1 | 3 | 2 | 486 |
2010 | 1107 | 14 | 0 | 21 | 0 | 1142 |
2011 | 726 | 0 | 0 | 0 | 0 | 728 |
2012 | 713 | 0 | 0 | 0 | 2 | 715 |
2013 | 1104 | 430 | 0 | 0 | 0 | 1524 |
2014 | 48 | 0 | 0 | 0 | 5 | 53 |
2015 | 501 | 0 | 0 | 0 | 2 | 503 |
2016 | 295 | 0 | 0 | 0 | 0 | 295 |
2017 | 1203 | 488 | 0 | 0 | 0 | 1691 |
2018 | 624 | 256 | 0 | 0 | 5 | 885 |
2019 | 682 | 10 | 0 | 0 | 2 | 694 |
2020 | 576 | 35 | 0 | 0 | 11 | 622 |
- Globicéphales
- Dauphins à flancs blancs
- Grands dauphins
- Dauphins de Risso
- Baleines à bec
Controverses
Une chasse traditionnelle ?
Traditionnellement, le grind était réalisé au moyen de barques manœuvrées à la rame. À présent, les globicéphales sont pourchassés par des vedettes rapides, des jet-skis et éventuellement repérés par des hélicoptères — comme pour le grind du de Tórshavn, la capitale de l'archipel. La localisation des dauphins est également largement facilitée par l'usage des téléphones mobiles, des sonars et de la VHF[10] — alors que les anciens Féroïens devaient allumer des feux pour indiquer qu'un groupe de globicéphales était en vue[8]. Cette chasse à la baleine est réglementée par les autorités des Îles Féroé, mais pas par la Commission baleinière internationale en raison de désaccords à propos de la compétence juridique de la Commission pour les petits cétacés.
Les groupes des droits des animaux critiquent cette chasse qu'ils jugent cruelle et inutile en raison de la non-consommation de la plupart des cétacés abattus [15].
Légalité et pérennité
L'ONG Sea Shepherd Conservation Society conteste la légalité de cette chasse en vertu de la Convention relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe. Mais, il faut savoir que bien que le globicéphale noir et les autres dauphins concernés soient inscrits[16][source insuffisante] dans cette convention, ces espèces ne sont pas considérées comme des espèces protégées par les traités internationaux ni même menacées (exception faite du dauphin de Risso) bien que les effectifs globaux de globicéphales en particulier soient assez mal connus[17],[18],[19][source insuffisante].
Certains Féroïens considèrent cette tradition comme durable[20] alors que l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) estime que la chasse menée depuis des siècles aux Îles Féroé n'a pas résulté en une diminution détectable des effectifs de globicéphales[21].
La chasse aux dauphins est une activité séculaire et légale dans ces îles danoises qui jouissent d'un statut autonome[22][source insuffisante]. Par conséquent, même si le Danemark est signataire des conventions européennes, ces textes n'ont aucune valeur dans les Îles Féroé. L'archipel indépendant sous protection danoise n'est en effet pas membre de l'Union européenne et ne veut pas appliquer la législation européenne mais accepte paradoxalement les subventions européennes par l'intermédiaire du Danemark.
Charniers sous-marins
En 2010, avec son documentaire Féroé lʼarchipel blessé, l'ethno-cétologue, réalisateur, photographe et écrivain François-Xavier Pelletier met au jour des charniers sous-marins[15],[23], prouvant de fait que la viande de globicéphale n'est quasiment pas consommée.
En juillet et , l'association écologiste Sea Shepherd Conservation Society a réalisé une campagne d'action contre le grind. Alors que ces deux mois sont généralement les plus sanguinaires de l'année (700 cétacés tués l'année précédente), aucun dauphin n'a pu être tué par les Féroïens du fait des actions de ces militants. En 2014, Sea Shepherd a renouvelé son opération afin de faire cesser cette tradition[24] et seuls 53 globicéphales et 5 baleines à bec ont été tués lors de cette saison alors que plus de 1 500 cétacés avaient été abattus l'année précédente.
Tradition, divertissement, sport ?
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La nécessité de cette chasse à notre époque est remise en cause par les opposants car les raisons évidentes de survie et de ressources alimentaires qui étaient avérées par le passé ne le sont plus. Les Féroïens qui défendent cette chasse le font d'ailleurs pour raison culturelle et traditionnelle. L'écrivain féroïen Joan Paul Joensen[25] affirme « que ce soit un sport ou pas, dans le sens où on l'entend habituellement, il ne fait pas l'ombre d'un doute que le grind est une vraie source d'excitation et une occasion pour se réunir dans une existence autrement monotone »[26]. Une partie de la population féroïenne n'y est d'ailleurs plus favorable et aimerait arrêter cette coutume pour favoriser le tourisme basé sur l'observation des cétacés[27],[9]. Pour de nombreuses associations de défense de l'environnement et des cétacés, le grind est donc devenu une sorte de divertissement sous couvert culturel, mais sans légitimité en termes de ressource alimentaire, puisque de nombreuses carcasses sont abandonnées.
Toxicité et problème de santé publique
En Atlantique Nord, le globicéphale noir se situe en haut de la chaîne alimentaire et stocke ainsi de nombreux polluants et métaux lourds dans son organisme. La graisse, les muscles et les organes de ces cétacés présentent des taux très élevés de mercure, sélénium[28] cadmium[29] et de PCB[30]. Selon un rapport de l'Autorité européenne de sécurité des aliments datant du [31], « le système nerveux est le premier site de toxicité chez les animaux et chez les humains. En novembre 2008, les médecins-chefs des îles Féroé ont d'ailleurs recommandé que les globicéphales noirs ne soient plus considérés comme propices à la consommation humaine en raison du niveau de mercure et de pesticides dans la chair de ces animaux en particulier pour les enfants et les femmes enceintes. Enfin, en 2011 les autorités vétérinaires féroïennes recommandent aux habitants de limiter la consommation de chair et de graisse de cétacé à un repas par mois[32] ».
Des effets sur le développement neurologique ont été observés chez des enfants féroïens dont les mères ont été exposées à une contamination orale de méthylmercure[33]. Des déficits de concentration, de mémoire et des troubles du langage ont été observés chez des enfants de 7 ans. En 1989, 1999, 2008 et 2011 après que les autorités féroïennes délivrent des recommandations afin de limiter la consommation de chair de globicéphale, les médecins constatent une baisse des taux de mercure dans le sang des Féroïens adultes, mais les taux de PCB, polluant très persistant, stagnent. Une partie de la population féroïenne souffre ainsi de troubles nerveux. Cela peut se manifester chez les adultes par des altérations des fonctions visuelles, somatosensorielles et motrices, mais les études menées sur la population ne montrent pas de déficit neurologique grave chez les enfants de 0 à 14 ans. En revanche, une baisse de performances de tests neuropsychologiques et des performances scolaires liée aux concentrations en mercure a pu être observée. La réversibilité est difficile à évaluer, car les effets d'une exposition prénatale au mercure sont encore visibles à 14 ans[34].
Documentaire
Un "Grind" est filmé dans le documentaire Seaspiracy sorti en 2021, avec le témoignage d'un des habitants y ayant participé.
Notes et références
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- http://logir.fo/foldb/kunfo/2013/0000100.htm
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- « Carnage aux Féroé », sur hoaxbuster.com (consulté le )
- (en) Wylie, J. et Magolin, D., The Ring of Dancers: Images of Faroese Culture, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, .
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- (en) Sanderson, K., Grindadráp: A Textual History of Whaling in the Faroes to 1900, Sydney, University of Sydney, .
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- « http://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/scientific_output/files/main_documents/654.pdf »(Archive • Wikiwix • Archive.is • Google • Que faire ?)
- (en) « Whales & the marine environment », sur www.whaling.fo.
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- Fréry N., Effets sanitaires du méthylmercure - Intoxications / Études épidémiologiques, Institut de veille sanitaire, .
Lien externe
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