Francis Gourvil

Francis Gourvil, dit Fanch Gourvil (ou encore Barr-Ilio) est un écrivain breton, polygraphe et linguiste, spécialiste des littératures celtiques. Né le à Morlaix, il est mort le à Villeneuve-Saint-Georges.

Pour les articles homonymes, voir Gourvil.


Biographie

Issu d'un milieu modeste, il est apprenti tailleur à 14 ans chez Pierre Jaouan, mais son intelligence est remarquée par l'érudit Louis Le Guennec et, en 1911, le Conseil général du Finistère lui octroie une bourse d'études. Il vient alors de publier une version remaniée de la Vie des quatre fils Aymon en breton, Buez ar pevar mab Emon, et les Kanaouennou Breiz Vihan (petit recueil de 28 mélodies d'Armorique avec musique, préfacé par Maurice Duhamel et Anatole Le Braz) avec Hippolyte Laterre, rencontré à Carhaix, animés tous deux des mêmes passions[1]. À Rennes, il suit les cours d'Anatole Le Braz, Pierre Le Roux et Georges Dottin, et devient spécialiste des littératures celtiques. En 1913, il sort diplômé des "Hautes Études celtiques" de la faculté de Rennes, la même année que Jules Gros. Animateur de la Fédération des étudiants bretons, c'est lui qui organise, le à Rennes, la première manifestation des étudiants contre l'inauguration du groupe statuaire évoquant l'union de la Bretagne à la France, qu'ils appellent le monument de la honte.

Durant la Première Guerre mondiale, il est affecté au contrôle postal, précisément à la censure militaire des plis en langue bretonne. Fondateur de l'Œuvre de la chanson bretonne au front, il fait imprimer, à l'usage des soldats bretons, plusieurs fascicules de chansons empruntées aux bardes armoricains, et aurait même écrit des chansons pour inciter les Bretons à souscrire à l'emprunt de guerre. De retour à Morlaix, où il est en contact avec son cadet Pierre Cavellat, il ouvre la librairie Ti-Breiz avant de se lancer dans le journalisme et de devenir en 1931 rédacteur à L'Ouest-Éclair. Il lance aussi la revue Mouez ar Vro, qui ne dure qu'un an. Il participe ensuite au comité de rédaction de Buhez Breiz, « revue mensuelle d'études pour la défense des intérêts nationaux » (comprendre : bretons). Il aimait chanter, avec de plus un réel talent, et était en outre un fin diseur et conférencier émérite. Il travaille en 1934 avec le réalisateur Jean Epstein sur la réalisation du premier film en breton, Chanson d'Ar-mor. Il traduit et adapte en breton les dialogues écrit par Jean des Cognets, il participe aux repérages des lieux de tournage et interprète un second rôle[2].

Francis Gourvil décède dans sa propriété de Pleyber-Christ, près de Morlaix[1].

Activitès politiques

Il est actif à l'Union régionaliste bretonne, puis au Parti nationaliste breton, au Parti autonomiste breton et au Parti national breton qu'il quitte en 1938 en réaction à l'évolution du parti vers le fascisme[3]. Il collabore à la revue national-socialisme Stur d'Olier Mordrel[4],[3].

Pendant la Seconde Guerre mondiale il passe dans la Résistance (membre homologué du réseau Johnny). Il est dénoncé comme résistant par Yann Bricler, un nationaliste affairiste lié à l'abbé Perrot. Il est arrêté, puis emprisonné, ainsi que sa femme par la Gestapo. Au début du mois d', il est contacté par le résistant Roger Bothuan qui lui révèle l'existence d'une liste dressée par Yann Bricler, industriel quimpérois, dont une copie de la correspondance avec son cousin Olier Mordrel a été transmise par le comptable de Bricler, Jean Bouché, à la Résistance en mai 1943. Ainsi Gourvil apprend-il qu'il est dénoncé comme « traître au Mouvement breton »[5]. Il recopie la liste en deux exemplaires, la cache dans un aspirateur et à la bibliothèque municipale de Morlaix. En 1947, il écrit un mémoire sur cette affaire (fonds Gourvil). Extrait du document : « Francis Gourvil, rue de Brest, Morlaix. Traître au Mouvement breton ; traduisait pendant la guerre les lettres écrites en breton pour le compte du gouvernement français ; a fait arrêter ses anciens amis. Depuis l'arrivée des Allemands, espion anglais, grâce à ses nombreuses relations avec des Anglais, des Gallois et Écossais. Était en prison un an (espionnage ou aide à des aviateurs anglais) et vient d'être remis en liberté. Le moment est choisi au plus mal, et il est urgent de l'arrêter de nouveau. Très dangereux. Il doit se croire à l'abri maintenant et agir. »

Il comprend le , en écoutant Radio-Londres, que l'ensemble des faits révélés par Roger Bothuan était vrai. L'émission radiophonique de cette soirée était consacrée à Yann Bricler, exécuté par la Résistance le . Maurice Schumann évoque plusieurs faits précis contenus dans le dossier qu'il a pu lire. Gourvil décide alors de consigner tous les faits concernant cette histoire[6]).

À la Libération, il est membre du Comité de libération de Morlaix.

Recherches et polémiques

Il s’attache à déconstruire l’idéologie nationaliste bretonne, et notamment celle de l’œuvre de La Villemarqué, comme source majeure de cette idéologie. En 1959, à 71 ans, il soutient une thèse sur le Barzaz Breiz de Théodore Hersart de La Villemarqué à l'Université de Rennes, dans laquelle il met en doute l'authenticité des chants, certains d'entre eux entièrement inventés, d'autres récrits (comme Le Men, Arbois de Jubainville ou Luzel avant lui). En 1974, Donatien Laurent, ayant accès aux manuscrits du Barzaz Breiz'1, démontre dans sa thèse, publiée partiellement en 1974 dans le bulletin de la Société Archéologique du Finistère, puis entièrement en 1989, qu'un grand nombre de chants ont bien existé dans la tradition. Cette découverte ne contredit aucunement la thèse de Gourvil, ce que démontrera aussi Françoise Morvan, spécialiste de Luzel : « Le Barzaz Breiz’’ est une œuvre réécrite dans un esprit militant,catholique, très marqué idéologiquement : certains chants prétendument bardiques sont des créations, d'autres des compositions à partir de chants plus ou moins trafiqués, le tout se terminant par des cantiques ; c'est un livre intéressant à mon avis, justement parce qu'il est faux : ce qui est grave est que l'on ne puisse pas le dire sans paraître porter atteinte à la "nation" i Luzel, lui, a collecté sur le terrain et restitué ses trouvailles sans censurer les histoires de jeunes filles abusées par les seigneurs, les turpitudes du clergé, les revendications à l'égard des puissants, la misère des paysans... La "querelle du Barzaz Breiz" qui, à partir de 1872, a opposé Luzel, le républicain, né d'une famille paysanne, ayant le Breton pour langue maternelle, au vicomte de La Villemarqué, partisan de la renaissance d'une nation bretonne à reconquérir, cherchant à imposer au peuple une langue unifiée malgré les variantes dialectales, épurée de tous ses emprunts au français, est, de toute évidence, à l'origine de la méfiance entretenue à l'égard de Luzel. ». Goulven Peron[7], fait néanmoins remarquer que les chants les plus importants du Barzaz Breiz (La Marche d’Arthur, Le Tribut de Nominoé, Le Cygne...) n'apparaissent pas dans les carnets de collectes sans écarter pour autant leur possible origine populaire. Dans sa thèse publiée en 2006, Nelly Blanchard conclut que « le travail de Donatien Laurent [a montré] que le Barzaz-Breiz est bien basé sur un travail de collecte de chants populaires, mais que l'auteur a parfois arrangé des chants, compilé plusieurs versions, ajouté des éléments et quelquefois, semble-t-il, inventé des textes"[8]. »

Publications

  • Buez ar pevar mab Emon (La vie des 4 fils Aymon) ; Montroulez (Morlaix), Ar Gwaziou (Le Goaziou), 1911.
    • réédition : Buhez ar pevar mab Hemon ; Brest, Brud Nevez Emgleo Breiz, 1997.
  • En collaboration avec H. Laterre (Bodlann), préface d'Anatole Le Braz et Maurice Duhamel : Kanaouennou Breiz-vihan (mélodies d'Armorique) ; Carhaix, Impr. du Peuple, 1911.
  • Soniou koz brezonek, La chanson bretonne au front, Rennes, Imprimerie F. Simon, 1916.
  • Quelques opinions sur les langues locales dans l'enseignement ; Montroulez, éd. de Mouez ar Vro, (1920).
  • De l'Armor à l'Arrée : 12 images de Basse-Bretagne ; Morlaix, À l'Enseigne de Ti-Breiz, 1927, illustré par le peintre Kerga alias Charles de Kergariou.
  • En Bretagne. De Saint-Brieuc à Brest et de Quimper à Vannes ; Grenoble, Arthaud (collection Les Beaux pays), 1929 (dédié à Anatole Le Braz).
    • rééditions 1932, 1935.
  • Préface à La Bretagne ; P., Hachette (coll. Guides bleus), 1930.
    • traduction anglaise : Brittany from Saint-Brieuc to Brest… ; Lond., the Medici Society, 1930.
  • Soniou nevez ha soniou koz, Morlaix, Ti Breiz, 1930.
  • Un tour de Bretagne au XXe siècle ; Rennes, éditions de Bretagne, (supplément à Bretagne, n° 162), , 56 pages, ill.
  • Les poupées de Bretagne marque de fabrique ; Pont-l'Abbé, Le Minor, 1939 (illustrations de Jean-Adrien Mercier).
  • Préface de Morlaix illustré par Léopold Pascal de Jean de Trigon, Imprimerie commerciale de la Dépêche de Brest, 1941.
  • Langue et littérature bretonnes ; P., P.U.F., Que sais-je ?, 1952, 2e éd. 1969, 3e édition 1968, 4e édition 1976.
  • Morlaix entre mer et monts ; Le Doaré, 1954.
  • Théodore-Claude-Henri Hersart de la Villemarqué (1815 - 1895) et le Barzaz-Breiz, (thèse) ; Rennes, Imprimeries Oberthur, 1960.
  • Noms de famille de Basse-Bretagne : matériaux pour servir à l'étude de l'anthroponymie bretonne ; P., éd. d'Artrey / Société française d'onomastique, 1966, 205 pages.
  • Noms de famille bretons d'origine toponymique ; Quimper, Société archéologique du Finistère, 1970 (réédition 1993), 330 pages.

Tirés à part et littérature grise

  • Les deux Bretagne : il y a cent ans se nouaient les premières relations intellectuelles entre la Bretagne et le Pays de Galles. 1938.
  • Noms de famille bretons en Ab-, Ap-, "fils de...", Louvain, Centre international, 1951.
  • Coup d'œil sur la Bretagne, , allocutions et causeries : congrès de la fédération nationale du bâtiment et des activités annexes, Brest, I.C.A.
  • Sur un passage de la neuvième série du Barzaz-Breiz, 1954, Rennes, Revue Ogam - Tradition celtique.
  • Les noms de famille bretons d'origine toponymique, Extrait de la Revue internationale d'onomastique (Artrey éd.), 1965, 15pp.
  • La langue du Barzaz-Breiz et ses irrégularités. Solécismes, syntaxe, tournures insolites, Rennes, Imprimeries Réunies, 1966 (depuis, des travaux d'universitaires et de linguistes ont démontré que nombre des prétendues fautes de breton relevées par Gourvil s'expliquait parfaitement par les traits dialectaux de la langue du sud de la Bretagne, d'où étaient originaires La Villemarqué et les chants incriminés, Gourvil lui étant du nord)[réf. nécessaire].
  • Noms de famille de Basse-Bretagne empruntés aux faunes marine et terrestre, Quimper, Société archéologique du Finistère, 1972.
  • Noms d'animaux dans l'anthroponymie bretonne ; P., éd. d'Artrey (in Revue d'onomastique), 1972.
  • Ouvrages, études et articles concernant la philologie, l'anthroponymie et la toponymie bretonne, Plourin-lès-Morlaix, chez l'Auteur, 1979.
  • Nouvelles contributions à l'histoire du Barzaz-Breiz, 1982.
  • L'authenticité du Barzaz-Breiz et ses défenseurs. À la rescousse d'un mauvais livre.

Archives

Sources

Références

  1. Robert Marot, La Chanson populaire bretonne : reflet de l'évolution culturelle, Grassin, p. 78.
  2. Chanson d'Ar‑mor, sur le site de la Cinémathèque française
  3. Cadiou 2013, p. 177
  4. Sébastien Carney 2015, p. 206
  5. Fonds Gourvil, archives départementales du Finistère, 204 J 195 et procès du collaborateur Yves Marie Bizien, archives départementales d'Ille-et-Vilaine, 215 W 173.
  6. AD29, 204 J 195.
  7. Goulven Peron, « Les Chanteurs de La Villemarqué », Le Lien, no 101, mars 2007, p. 22- 33.
  8. Nell Blanchard, Barzaz-Breiz une fiction pour s'inventer, Presses universitaires de Rennes, 2006, p. ll.

Bibliographie

  • Guengant (Jean-yves), notices biographiques de Michali Maurice et Bothuan Roger, site "Mémoires des résistants du pays de Brest", lire en ligne
  • Morvan (Françoise), François-Marie Luzel, biographie, Presses universitaires de Rennes, 1998.
  • Morvan (Françoise), Le Monde comme si, Actes-Sud, 2002 (réédition Babel-Actes-sud) (ISBN 2742739858)
  • Morvan (Françoise). “ Hommage à Francis Gourvil " (Bretagne-Île-de-France, mars 2021.
  • Sébastien Carney, Breiz Atao ! : Mordrel, Delaporte, Lainé, Fouéré : une mystique nationale (1901-1948), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « histoire », , 608 p. (ISBN 978-2-7535-4289-1, ISSN 1255-2364)
  • Georges Cadiou, « Gourvil, Francis dit Fañch (1889-1984) », dans EMSAV : Dictionnaire critique, historique et biographique : Le mouvement breton de A à Z du XIXe siècle à nos jours, Spézet, Coop Breizh, , 439 p. (ISBN 978-2-84346-587-1), p. 177-178. 
  • Laurent (Donatien), Aux sources du Barzaz-Breiz : la mémoire d'un peuple ; éd. Ar Men, 1989, 335 pp (version grand public de la thèse soutenue, quinze ans plus tôt, en 1974).
  • Le Stum (Philippe), Le néo-druidisme en Bretagne. Origine, naissance et développement, 1890-1914 ; Rennes, éd. Ouest-France, 1998 (notice biographique, pp 204–206) (ISBN 2-7373-2281-2)

Liens externes

  • Portail de la Bretagne
  • Portail de la littérature
  • Portail des langues
Cet article est issu de Wikipedia. Le texte est sous licence Creative Commons - Attribution - Partage dans les Mêmes. Des conditions supplémentaires peuvent s'appliquer aux fichiers multimédias.