Film Zapruder

Le film Zapruder (Zapruder Film) est un court métrage amateur en couleur et muet d'une durée de 26 secondes, qui montre en temps réel l'assassinat du président Kennedy à Dallas, le . La prise de vue a été effectué par un cinéaste amateur du nom d'Abraham Zapruder, réalisée sur un film mm muet avec sa caméra Bell & Howell. Devenu le plus célèbre film amateur de l'histoire, il fut une pièce à conviction essentielle pour les deux commissions d'enquête concernant l'assassinat de Dallas, la Commission Warren en 1964 et le House Select Committee on Assassinations en 1977-79. C'est lors du procès de Clay Shaw intenté par le procureur Jim Garrison que le film Zapruder fut montré en public pour la première fois, alors que le document n'était connu que sous la forme de photogrammes publiés par le magazine Life qui détenait les droits vendus par Zapruder. Le film fut diffusé pour la première fois au public américain, en à la télévision lors du late show Good Night America présenté par Geraldo Rivera, dans une copie pirate de deuxième génération. Le film Zapruder est devenu une pièce centrale pour les enquêteurs et chercheurs sur l'assassinat, étant à la fois considéré comme une confirmation des théories du complot ou a contrario, comme son infirmation. Il est aussi devenu une source d'inspiration pour le cinéma américain des années 1970, à une période de contestation contre la guerre du Viêt Nam, et de réaction à l'affaire du Watergate. Ce n'est qu'en 1991 que le film sera utilisé pour la première fois comme élément dans un long-métrage, JFK d'Oliver Stone.

Pour les articles homonymes, voir Zapruder.
Photogramme Z-230 du film Zapruder tel qu'il fut publié dans le rapport Warren (pièce à conviction no 398 de la commission), montrant Kennedy réagissant au premier impact de balle.

Résumé du film

Photo du cortège prise par Phil Willis, en arrière-plan au centre de l'image on aperçoit sur le muret qui jouxte la pergola, Abraham Zapruder et sa secrétaire Marilyn Sitzman. Kennedy est indiqué par une flèche.

Après l’amorce et un bref plan montrant des personnes sur la pergola d'Elm Street (debout de profil, Marilyn Sitzman, et les époux Charles et Beatrice Hester assis sur un banc, tous trois employés de Jennifer Junior), le film démarre par un plan de sept secondes montrant deux policiers d'escorte à moto qui ouvrent la marche du cortège présidentiel et tournent d'Houston Street vers Elm Street. Brusquement le film s’interrompt pour reprendre au moment où la limousine présidentielle est en vue. John Fitzgerald Kennedy est assis à sa gauche son épouse Jacqueline Kennedy. Il est accoudé contre la portière, en train de saluer la foule, en arrière-plan, une petite fille habillée de blanc et rouge suit le cortège en courant. La voiture présidentielle, est un instant cachée de la vue de Zapruder, par un panneau indicateur, la petite fille s'est arrêtée de courir. Quand la voiture réapparait, on voit une réaction du président Kennedy, qui porte les mains vers sa gorge, sous le regard de son épouse. Devant eux, le gouverneur John Bowden Connally se tourne vers sa droite puis réagit brusquement à un impact avant de s'effondrer vers son épouse. Au moment où Kennedy se penche, on aperçoit une explosion qui frappe son crâne, et rejette violemment son corps vers l'arrière. À la gauche de l'image, un garde du corps (celui de la première dame, Clinton J. Hill) se met à courir vers la voiture et agrippe l'arrière du capot. Jacqueline Kennedy regarde le crâne de son mari, et grimpe à l'arrière de la voiture, avant de reprendre sa place ; son garde du corps la rejoint sur la banquette arrière. La voiture disparait sous le pont ferroviaire, masquée par la palissade de bois. Le film s’arrête à cette dernière image[1].

Spécification technique

La caméra Bell & Howell 414 PD Zoomatic série « Director » avec laquelle Zapruder filma l'assassinat de Kennedy.

L'appareil acheté par Zapruder dans un magasin de Dallas, est une caméra 8 mm de marque Bell & Howell modèle 414 PD Zoomatic série « Director », numéro de série AS 13486, équipée d'un objectif zoom télescopique Varamat 9–27 mm[2]. Le magasin de l'appareil est conçu pour contenir une pellicule 16 mm à double perforation, non sonore, dont seule la moitié en largeur est exposée à une fréquence de 18,3 images/seconde. En fin de bobine l'utilisateur ouvre le magasin et retourne la pellicule pour exposer la seconde moitié. Lors du développement, le laboratoire se charge de couper la pellicule en deux dans la longueur et de coller bout à bout les deux morceaux, pour obtenir un film mm deux fois plus long que le 16 mm d'origine[2]. Zapruder utilisa une pellicule Kodachrome II Safety Film destinée à la prise de vue en extérieur[2]. Le film est d'une longueur de 1,82 mètre (6 pieds en mesure anglo-saxonne) pour une durée totale de 26 secondes. Les photogrammes concernant la scène de l'assassinat sont numérotés de Z-001 à Z-486.

Historique

La prise de vue

Vue de la pergola «Brian» sur Elm Street : pour filmer, Zapruder s'est installé sur le socle juste à gauche de l'édifice, à droite du réverbère.

Abraham Zapruder co-dirige une enseigne de confections pour dames Jennifer Juniors, inc. dont les bureaux sont situés au quatrième étage de l'immeuble Dal-Tex au 501 Elm Street en face du Texas School Book Depository. Le matin du , il apprend par la presse que le cortège présidentiel doit passer devant ses bureaux, Lilian Rogers, sa secrétaire de direction, lui conseille de filmer le parcours du président Kennedy avec sa nouvelle caméra. Alors qu'il est réticent à cause de la pluie, il cède à l'insistance de celle-ci, et aussi parce qu'il voit que le ciel s'éclairci, mais pour cela il doit quitter ses bureaux pour aller chez lui prendre son appareil[3]. À son retour il remarque que le ciel s'est ensoleillé, mais aussi que la foule s'est amassée à Houston Street là où il avait prévu de faire la prise de vue. Il envisage alors de filmer le cortège de ses bureaux, mais il constate que cela n'est pas possible. Comme le cortège a pris du retard, cela lui permet d'avoir le temps de chercher un endroit propice sur Dealey Plaza[4].

Il finit par choisir le petit piédestal de béton d'une hauteur d'un mètre qui jouxte la pergola au nord d'Elm Street qui surplombe la butte herbeuse. De ce site il peut balayer toute la place, d'Houston Street jusqu'au pont du chemin de fer, malgré un panneau de signalisation qui masque une partie de la vue. Pour préparer sa caméra, il règle la vitesse sur « run » et l'objectif sur « telephoto », et tourne quelques images de sa réceptionniste Marilyn Sitzman et d'autres employés de son bureau, Beatrice Hester et son mari, qui profitent de la pause pour se reposer sur la pergola en attendant le cortège[4]. Il s'installe ensuite sur le muret avec Marilyn Sitzman, car étant sensible au vertige, et voulant éviter de trembler pendant la prise de vue, il a besoin qu'elle se positionne à coté de lui en le maintenant par la veste, afin de le stabiliser[5].

Zapruder commence à filmer à 12 h 29 quand il voit les deux premiers agents motorisés qui ouvrent la marche, alors qu'ils tournent de Houston Street vers Elm Street. Mais constatant que le président est plus loin, il met un instant son appareil en pause, et reprend le tournage lorsque arrive la Lincoln présidentielle. Quelques secondes après, lui et Marilyn Sitzman entendent ce qu'ils pensent être le bruit d'un pétard. Voyant Kennedy réagir en s'étreignant la gorge, et Connaly semblant lui aussi être touché, ils croient tout d'abord à une plaisanterie, lié au pétard en question[6], mais la violence du dernier coup de feu dissipe toute ambiguïté sur la nature des bruits. Ébranlé par ce qu'il voit à travers l'objectif, Zapruder continue cependant de filmer en travelling latéral jusqu'à ce que la voiture disparaisse sous le pont ferroviaire. Il arrête sa caméra, descend du piédestal tout en hurlant « Ils l'ont tué, ils l'ont tué ![trad 1],[6] ».

Contacts de la presse et du Secret Service

Après les coups de feu, le reporter du Dallas Morning News Harry McCormick, qui se trouve au Trade Mart avec les journalistes accompagnant le cortège présidentiel, quitte précipitamment la voiture de presse pour se rendre sur Dealey Plaza. Cherchant des témoins à interroger, il voit Zapruder visiblement très choqué, qui se dirige vers son bureau tenant sa caméra, celui-ci lui raconte qu'il a tout filmé : « Quand il [Kennedy] fut touché la seconde fois, sa tête semblait voler en éclats.[trad 2],[7],[8]. » McCormick percevant l'importance du document, tente de s'emparer du film[9], mais Zapruder refuse de le céder à personne d'autre qu'à un responsable du Secret Service ou du FBI. Le journaliste lui propose alors de contacter une de ses connaissances, Forrest Sorrels responsable du Secret Service de Dallas, et de l'amener à son bureau au Dal-Tex[7].

Peu après l'arrivée de Zapruder dans ses bureaux, deux policiers informés par une des employées, viennent à sa rencontre pour prendre possession du film, mais celui-ci leur signifie qu'il ne confiera le document qu'à une autorité supérieure.

Quelques minutes après, un autre journaliste, Darwin Payne du Dallas Times Herald, prend connaissance de l'existence du film de Zapruder, en interrogeant deux de ses employées Beatrice Hester et Marilyn Sitzman[8]. Il se rend aux bureaux de Jennifer Juniors pour tenter de négocier l'achat du film, mais essuie lui aussi un refus de Zapruder[10]. Il insiste cependant, proposant de faire développer le mm dans le laboratoire du journal et contacte son directeur James F. Chambers Jr pour tenter de négocier l'achat. Mais une nouvelle fois Zapruder refuse de le confier à d'autres personnes que des membres du FBI ou du Secret Service[10].

Vers 13 h, McCormick se présente aux bureaux de Jennifer Juniors en compagnie de Forrest Sorrels directeur du Secret Service de Dallas. Au même moment Erwin Schwartz associé de Zapruder, et averti de la situation par téléphone par la secrétaire Lilian Rogers, se rend lui aussi aux bureaux pour lui venir en aide. McCormick remarque que Darwin Payne du journal concurrent est aussi présent, ainsi que deux policiers et d'autres journalistes. Profitant du contact avec Sorrels, le journaliste tente une dernière fois d'acheter le film, mais le refus de Zapruder et les protestations de Payne, valent aux deux journalistes d'êtres écartés des pourparlers[11]. Forrest Sorrels s'entretient avec Zapruder dans son bureau privé et demande la possibilité d'avoir des copies du film pour les besoins de l’enquête, ce qui est accordé par l'entrepreneur[12].

Développement et copies du film

Après cette entrevue et l'obtention du film, Sorrels, à la recherche d'un laboratoire pour faire développer la pellicule, se voit proposer par McCormick celui du Dallas Morning News. Sorrels, McCormick, Schwartz qui est responsable de la caméra et Zapruder, ainsi que les deux policiers se rendent au siège du journal[11] ; mais le laboratoire ne peut développer que des films 16 mm noir et blanc. McCormick propose ensuite la station de télévision voisine WFAA, elle aussi équipée d'un laboratoire, mais celle-ci est dans la même situation que le journal. Directeur des programmes, Jay Watson profite de la présence d'Abraham Zapruder dans la station pour le faire témoigner en direct devant les caméras[8].

La chaine téléphone à la compagnie Eastman Kodak qui se trouve près de l'aéroport Love Field, dont le responsable Philip C. Chamberlain confirme que le laboratoire est équipé pour développer ce type de pellicule[13]. Vers 15 h 15 la bobine est portée chez Kodak qui procède au développement[14]. Vers 15 h 30 Sorrels doit s'absenter, ayant appris par la police qu'un suspect venait d'être arrêté, il demande à Zapruder et Schwartz de lui réserver une copie après le développement[14],[15].

Le premier positif obtenu numéroté 0183, est visionné par le laboratoire afin d'en contrôler la qualité en présence de Zapruder, le film sera examiné quatre fois. Zapruder demande alors s'il est possible d'en faire trois copies[16], mais Chamberlain explique que son laboratoire n'a pas la possibilité technique de dupliquer un négatif original, condition requise pour obtenir des copies et il devrait l'envoyer à la maison-mère située à Rochester dans l'état de New-York[17]. L'urgence rendant cette éventualité infaisable, Pat Pattist superviseur au laboratoire, prend alors contact avec la compagnie Jamieson Film de Dallas, un studio de production de documentaires situé à quelques kilomètres. Le négatif, ainsi que trois pellicules vierges de mm nécessaire à l'opération[17], sont portés au studio qui procède à la duplication en trois copies négatives : l'une sur-exposée, la deuxième correctement exposée et la troisième sous-exposée[18]. À la différence du négatif original, les duplicatas ne reproduisent pas la totalité de l'image comprise entre les perforations, et leurs qualités sont inférieures, les images étant plus floues[18]. Jamieson retourne les trois copies à Kodak qui en fait trois tirages positifs de premières générations, numérotées 0185, 0186 et 0187, qui s'ajoutent au positif original déjà développé par le laboratoire[15].

Alors que le processus de développement s'est achevé, Zapruder et Schwartz se rendent vers 21 h à la police de Dallas, pour aller chercher Forrest Sorrels afin de lui confier deux des copies du film comme promis, mais ce dernier trop occupé refuse de prendre les films et leur demande de les expédier au bureaux du Secret Service de Dallas. Ils se rendent au siège du Secret Service à Ervay Street et rencontrent l'agent Max Phillips, chargé par Sorrels de réceptionner les copies du film. Zapruder donne deux des trois copies, la première et la troisième, et signe un document confirmant la cession[19].

Transaction et achat des droits du film

Plusieurs agences de presse, informées de l'existence du film Zapruder vont tenter d'acquérir l'exclusivité des droits de diffusion. Richard Stolley (en), qui dirige le bureau californien du magazine Life, se trouve à Los Angeles quand il apprend l'assassinat de Kennedy. D'urgence il se rend en avion à Dallas accompagné du reporter Tommy Thompson et du photographe Allen Grant[20]. Arrivé vers 16 h dans la ville texane, il est informé par une correspondante, qu'un confectionneur en vêtements a filmé l'assassinat et que son nom de famille est Zapruder, sans plus d'informations. Après des recherches dans l'annuaire de Dallas, il trouve son numéro de domicile et appelle Zapruder toutes les 15 minutes[21]. Vers 23 h ce dernier finit par décrocher, et confirme l'existence du film. Stolley convient alors d'un rendez-vous dans les bureaux de l’entrepreneur pour le lendemain vers 9 h[22].

Le Stolley devance son rendez-vous, en venant une heure plus tôt que prévu au bureau de Zapruder, et constate que deux autres hommes sont présents, il s'agit de membres du Secret Service[23]. Vers 9 h Abraham Zapruder, les reçoit tous les trois afin de leur montrer le film dans une projection privée dans son bureau. Ainsi Stolley a la primauté de pouvoir visionner le film au moment où les autres représentants d'agence de presse, Associated Press, United Press International, Movietone, et des magazines dont le Saturday Evening Post, arrivent au bureau[24]. La première projection se déroule dans une atmosphère tendue, Stolley écrira dans un article sur le film, qu'il a été frappé par la violence des images, et par les réactions et tensions chez les deux membres du Secret Service[23],[25]. En tout, Zapruder effectue quatre projections du film aux différents membres de la presse[25].

Après la projection, Stolley demande à s'entretenir avec Zapruder en privé, ce que lui accorde l'auteur du film, puisqu'il est le premier arrivé. Les deux hommes en présence de Schwartz comme témoin, s'enferment dans le bureau et commencent les négociations. Zapruder ne veut pas que son film soit exploité à des fins de voyeurisme, voire selon ses mots « pornographiques »[26], et désire aussi mettre sa famille à l’abri du besoin[24]. Stolley le rassure sur les intentions du magazine, et propose un montant de 15 000 dollars pour les seuls droits d'impression. Zapruder fait monter les enchères jusqu'à 50 000 dollars, prix adjugé pour l'acquisition du film au détriment des autres agences furieuses d'avoir été exclues des enchères[26]. Stolley quitte discrètement les bureaux avec le film original et la deuxième copie pour les expédier au siège principal de Life[26]. Il envoie l'original par courrier aérien à Chicago où se situe le service d'impression de la revue, et la copie à New York au siège de la direction[27].

Deux jours plus tard le directeur de la publication C.D. Jackson charge Stolley d'acquérir au nom de Time inc. tous les droits du film, comprenant les droits cinématographiques et télévisés pour 100 000 dollars en plus des 50 000 dollars déjà négociés. La transaction finale qui comprend six versements annuels de 25 000 dollars, est assortie de plusieurs clauses protégeant les intérêts de Zapruder, notamment la protection du copyright ainsi que de diffuser le film au public dans des conditions décentes et dignes[28]. L'accord entre les deux parties est conclu dans les bureaux de l'avocat de Zapruder, Sam Passman. Celui-ci propose, afin de prévenir des attaques antisémites dont Zapruder pourrait faire l'objet à cause du montant de la vente du film, de donner le premier versement de 25 000 dollars à la veuve de J. D. Tippit, le policier tué à Dallas une quarantaine de minutes après l'assassinat de Kennedy, avec l'accord de Zapruder[29].

Le film comme pièce à conviction

Le film Zapruder au FBI et à la commission Warren

Le premier contact du FBI avec le film Zapruder se déroule le matin du , quand deux agents du bureau de Dallas se rendent au laboratoire Kodak où a été développé le film, pour visionner pendant deux heures la copie no 1 appartenant au Secret Service[30]. Auparavant, la troisième copie avait été envoyée le soir du à Washington, D.C. au siège du FBI. À partir de cet exemplaire, le FBI a produit une copie de deuxième génération, qui sert de base à l’enquête menée par le bureau. L'agent Lyndal Shaneyfelt expert photographique du FBI, est chargé de l'examen du film. En premier lieu, il assigne un numéro à chaque photogramme, en commençant par l'entrée des policiers à moto sur Elm Street et en terminant avec la dernière image du film. Il décompte en tout 486 images concernant l'assassinat, numérotées de Z-001 à Z-486[31]. Le , la caméra de Zapruder est envoyée au FBI pour une série de tests, notamment afin de déterminer sa vitesse d'obturation[32]. Le laboratoire du bureau établit que sa vitesse est de 18,3 images/secondes[33], ce qui permet de déduire la durée du film, et aussi que la voiture présidentielle se déplaçait à 18 km/h.

La commission Warren créée le sur décision du président Johnson, est constituée le . Le trois des conseillers de la commission : Melvin Eisenberg, Norman Redlich et Arlen Specter examinent le film pour la première fois. Ils sont assistés des agents Lyndal Shaneyfelt et Leo Gauthier du FBI et de Thomas Kelley du Secret Service. Ils sont chargés de faire une analyse image par image du film Zapruder[34]. Pendant sept jours, le film est visionné à vitesse normale et au ralenti, avec arrêt sur image afin de définir avec précision les circonstances de l'assassinat[31]. Mais dans un memorandum du , la commission fait le constat, d'après les observations de Shaneyfelt, que la copie de deuxième génération qui est examinée, est impropre à des analyses poussées à cause de la médiocre qualité des images[35],[31]. Le FBI, par l'intermédiaire de Shaneyfelt, et sur requête de la commission, demande au magazine Life propriétaire du film, de leur communiquer la pellicule originale. Comme le magazine ne veut pas laisser le film aux seules mains des officiels, il le confie à la garde d'Herbert G. Orth, chef assistant du laboratoire photographique du magazine, qui porte le film à Washington le , et en fait plusieurs projections aux membres de la commission[31]. Après visionnage, et constatant la qualité supérieure du film original, la commission commande au magazine trois séries de 160 diapositives en format 35 mm, des images du film, Shaneyfelt étant chargé de déterminer celles étant les plus pertinentes, il retient les photogrammes Z-171 à Z-334[36].

L'une des utilisations du film par la commission, est de servir de modèle à la reconstitution de l'assassinat. Le plusieurs caméras sont postées à des endroits précis sur Elm Street et Dealey Plaza, l'une d'elles à la fenêtre du cinquième étage du dépôt de livre, lieu que la police de Dallas détermine être à l'origine des tirs sur le cortège, et une deuxième à l'endroit où se trouvait Abraham Zapruder. Les images tournées devaient correspondre aux images du film Zapruder, et affiner l'examen de trajectoire des balles et le moment où les tirs furent effectués[37].

En la Commission publie son rapport, suivi deux mois plus tard des 26 volumes d'annexes, comprenant les dépositions des témoins et la publication des pièces à conviction. Le film Zapruder est reproduit en noir et blanc dans le volume 18 sous la référence CE 885 (Commission Exhibit 885), mais partiellement, ne retenant que les photogrammes Z-171 à Z-334 selon la sélection opérée par Shaneyfelt. Après la parution du rapport, les critiques de la commission constatent des anomalies dans la présentation du film. En premier, ils remarquent que les photogrammes Z-208 à Z-211 sont manquants, alors que la commission a déterminé que Kennedy avait été touché à partir de l'image Z-210[38]. Life dut reconnaître que son laboratoire avait endommagé le film et détruit les quatre images lors du développement, avant de le communiquer à la commission[38]. L'autre anomalie concerne les images Z-313 à Z-315 correspondant au tir fatal qui toucha Kennedy à la tête, dont l'ordre a été inversé, montrant un mouvement du corps du président vers l'avant, au lieu d'une réaction vers l'arrière. Face à ces critiques, le FBI par la voix de J. Edgar Hoover affirma avoir fait une erreur[38].

Le film au procès Clay Shaw

En 1967, le procureur de district de la Nouvelle-Orléans, Jim Garrison, rouvre l’enquête en mettant en accusation l'homme d'affaires Clay Shaw qu'il considère comme le principal instigateur de l'assassinat sur le président Kennedy dans le cadre d'un complot. Convaincu de la conspiration, Garrison ne peut la démontrer au jury sans le film Zapruder. Pour lui, le film est un « témoin oculaire » qui témoigne de ce qui s'est passé et montre ce qu'il a vu[39]. Le il accuse publiquement le magazine Life d’être partie prenante dans la conspiration en dissimulant le film au public et en cherchant à le détruire sur ordre du gouvernement fédéral, ce qui lui vaut d’être accusé par le magazine d'outrage civil[40]. En réponse Garrison assigne le magazine par subpoena, ordonnant qu'il produise le film devant le grand jury, ce qui est fait 15 jours plus tard le , quand le technicien du laboratoire de Life projette une copie du film devant le grand jury[41], suivi des témoignages et analyses de plusieurs critiques de la commission Warren, dont Harold Weisberg (en), Raymond Marcus, et Mark Lane[42]. Après la projection, le film est réquisitionné par Garrison dans la perspective du procès Clay Shaw à venir, mais accompagné de restrictions exigées par Time Inc. qui stipule que le film soit utilisé dans le cadre strict du procès, et ne soit pas montré aux médias, dupliqué ou distribué[43]. La copie ayant été préalablement marquée par Life, dans l'éventualité d'un piratage du film par le bureau du procureur de la Nouvelle Orléans[44].

Le à l'ouverture du procès, Garrison fait témoigner Abraham Zapruder concernant les circonstances de la prise de vue et l’authenticité du film. L'assistant du procureur, dans le cadre de la reconstitution de l'assassinat, procède ensuite à la projection du film, non sans l'objection de la défense. Le juge Edward A. Haggerty Jr. décide un premier visionnage à huis clos afin d'examiner la recevabilité de l'objection[45]. Finalement le film est autorisé à ce qui est alors, sa première projection publique depuis sa prise de vue. Lors de cette audience il est visionné quatre fois, dont deux fois au ralenti, et deux autres fois après le témoignage de Zapruder à la demande de membres du jury[46].

Notes et références

Notes

  1. (en) « they killed him ! they killed him ! »
  2. (en) « His head seemed to fly to pieces when he was hit the second time. »

Références

  1. Lentz 2010, p. 113-114.
  2. Wrone 2003, p. 10.
  3. Wrone 2003, p. 9.
  4. Thompson 1967, p. 4.
  5. Wrone 2003, p. 11.
  6. Thompson 1967, p. 6.
  7. Bugliosi 2007, p. 56.
  8. Wrone 2003, p. 13.
  9. Simon 2013, p. 36.
  10. Wrone 2003, p. 17.
  11. Wrone 2003, p. 18.
  12. Bugliosi 2007, p. 108.
  13. Bugliosi 2007, p. 120.
  14. Bugliosi 2007, p. 128.
  15. Twyman 1997, p. 138.
  16. Wrone 2003, p. 22.
  17. Zapruder 2016, chap. 2 § 8,14.
  18. Frye 2019, p. 282.
  19. Wrone 2003, p. 27.
  20. Bugliosi 2007, p. 180.
  21. Vågnes 2011, p. 33.
  22. Wrone 2003, p. 32.
  23. Twyman 1997, p. 142.
  24. Bugliosi 2007, p. 205.
  25. Wrone 2003, p. 33.
  26. Bugliosi 2007, p. 206.
  27. Wrone 2003, p. 34.
  28. Wrone 2003, p. 36.
  29. Wrone 2003, p. 37.
  30. Wrone 2003, p. 26.
  31. Bugliosi 2007, p. 454.
  32. Zapruder 2016, chap. 5, § 11,35.
  33. Wrone 2003, p. 39.
  34. Epstein 1966, p. 114.
  35. Simon 2013, p. 38.
  36. Wrone 2003, p. 53.
  37. Simon 2013, p. 39.
  38. Simon 2013, p. 40.
  39. Lubin 2003, p. 171.
  40. Zapruder 2016, chap. 7 § 13,23.
  41. Zapruder 2016, chap. 7 § 13,24.
  42. Wrone 2003, p. 201.
  43. Zapruder 2016, chap. 7 § 13,26.
  44. Wrone 2003, p. 60.
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Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

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