Décret impérial abolissant la traite des Noirs
Par le décret du 29 mars 1815, l'empereur Napoléon Ier, qui avait conservé l'esclavage en Guadeloupe et en Martinique à sa restitution à la France en 1802 à la paix d'Amiens, abolit la « traite des Noirs » et interdit d’introduire, pour être vendu dans les colonies françaises, « aucun Noir provenant de la traite soit française, soit étrangère »[1].
Titre | Décret impérial abolissant la traite des Noirs |
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Pays | France |
Type | Décret |
Législature | Premier Empire |
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Gouvernement | Ministres Napoléon (2) |
Adoption |
Contenu du décret
Le décret est constitué de 5 articles :
Article 1er À dater de la publication du présent décret, la traite des Noirs est abolie. Il ne sera accordé aucune expédition pour ce commerce, ni dans les ports de France, ni dans ceux de nos colonies.
Article 2. Il ne pourra être introduit, pour être vendu dans nos colonies, aucun Noir provenant de la traite soit française, soit étrangère.
Article 3. La contravention au présent décret sera punie de la confiscation du bâtiment et de la cargaison, laquelle sera prononcée par nos cours et tribunaux.
Article 4. Néanmoins, les armateurs qui auraient fait partir avant la publication du présent décret des expéditions pour la traite, pourront en vendre le produit dans nos colonies.
Article 5. Nos ministres sont chargés de l'exécution du présent décret.
Contexte
Loi du 20 mai 1802 rétablissant l'esclavage
L'esclavage avait été initialement aboli sous la Révolution française par le décret du 4 février 1794, mais sous le Consulat, alors que Napoléon Bonaparte est premier consul, la loi sur la traite des noirs et le régime des colonies du 20 mai 1802 l'avait maintenu en Martinique lorsque l'île fut rétrocédée par les Anglais lors de la paix d'Amiens[2]. L'arrêté consulaire du 16 juillet 1802 avait rétabli l'esclavage en Guadeloupe proche de la Martinique.
Convictions de Napoléon
Pour un certain nombre d'historiens, cette décision s'expliquait à l'époque par des motifs essentiellement politiques et économiques.
Comme l'indique l'historien Jean-Joël Brégeon, Napoléon n'était initialement pas favorable au rétablissement de l'esclavage[3]. Il imaginait un nouveau statut transitoire adapté à chaque colonie.
Néanmoins, l'état d'insurrection de Saint-Domingue imposait d'y remettre de l'ordre. Par ailleurs, tout un « parti créole » exigeait le retour des esclaves dans les plantations[3].
L'historien Jean-François Niort explique : « Manipulé par le lobby esclavagiste, Bonaparte pense que la Guadeloupe est à feu et à sang – ce qui est faux – et que le rétablissement de l’ordre passe par le rétablissement de l’esclavage »[4].
Dans la réalité, cette loi n'a été finalement que peu appliquée en raison de la perte quasi-totale des colonies lors de la guerre avec l’Angleterre. Napoléon lui-même ne s’intéressa plus à la question de l’esclavage durant son règne de 1804 à 1814[5].
Congrès de Vienne
À l'international, certaines puissances historiquement esclavagistes commencent à faire évoluer leur position à ce sujet. C'est le cas notamment du gouvernement britannique qui proclame en 1807 l’abolition de la traite, reportant à plus tard l'abolition totale de l'esclavage[6].
En 1814, les Alliés entrent en France et forcent Napoléon à abdiquer. À l'initiative de l'Angleterre, un article additionnel est alors ajouté au traité du Paris du 30 mai 1814 indiquant que la traite devrait être interdite en France dans les cinq ans, soit en 1819[7].
Le 15 juin 1814, le roi de France Louis XVIII confirme que la délégation française soutiendra la position britannique lors du Congrès de Vienne qui doit débuter le 18 septembre de la même année[7].
Néanmoins cette déclaration n'est pas suivie d'effet. Les diplomates français Talleyrand puis Jaucourt choisissent de faire traîner les choses, préférant attendre que la France récupère ses colonies avant de s'engager. En parallèle, d'autres pays comme L'Espagne et Portugal se montrent également réticents à abolir la traite[7].
Dans ces conditions, le Congrès de Vienne accouche d'une simple déclaration le 8 février 1815 qui condamne mais qui ne met pas fin immédiatement à la « traite des nègres d’Afrique »[7],[8].
Retour de Napoléon et promulgation du décret
Lorsque l'empereur revient de son exil de l'île d'Elbe durant les Cent-Jours, il ordonne par le décret du 29 mars 1815 l'interdiction de la traite et de la vente d'esclaves[3]. Pour le directeur de la Fondation Napoléon Thierry Lentz, Napoléon souhaite ainsi « couper l’herbe sous le pied » du Congrès de Vienne qui s’était saisi de la question[5]. Il explique :
« Napoléon connait les débats du Congrès de Vienne. Il sait très bien qu’il y a une commission qui prépare l’abolition de la traite. Il veut ainsi leur couper l’herbe sous le pied et leur montrer qu’il est plus libéral qu’eux[9]. »
Portée et limites
Le 18 juin 1815, l'empereur est battu à la bataille de Waterloo et doit abdiquer une deuxième fois le 22 juin. Louis XVIII regagne son trône le 8 juillet.
À la Seconde Restauration, tous les actes de « l'usurpateur » sont alors considérés comme nuls et non avenus[10].
Il faut alors attendre l'ordonnance royale du 8 janvier 1817 pour que Louis XVIII prohibe l'introduction d'esclaves noirs dans les colonies françaises, et la loi du 15 avril 1818 pour que le roi abolisse la traite négrière à proprement parler.
Malgré l'effet limité du décret passé par Napoléon, le politologue Thierry Choffat estime que « Grâce à Napoléon, la France est de nouveau sur la bonne voie. C’est la première étape avant l’abolition de l’esclavage en 1848 »[11].
Bibliographie
- Bureau du Journal du Palais, RÉPERTOIRE GÉNÉRAL : jurisprudence de 1791 à 1850 l'histoire du droit, législation et la doctrine des auteurs, Volume 12, 1815
- J.-M. LEGRAVEREND, Jean Baptiste Henri DUVERGIER, Traité de la législation criminelle, Mme. Ve. Charles-Bechet, 1830
- Louis DURAT-LASALLE Droit et législation des armées de terre et de mer, recueil méthodique complet des lois, etc., 1842
- Société des amis du Président Gaston Monnerville, L'Abbé Grégoire - Conférence donnée à la Grande Loge de France, 05/05/1981
- Thierry LENTZ, Le congrès de Vienne, Tempus, 2015
- Johanne VERNIER, Traite des êtres humains et traite des migrants, 2012
Notes et références
- Archives nationales, IREL (Instruments de recherches en ligne), Décret impérial abolissant la traite des Noirs (29 mars 1815), consulté le 11/08/2016
- « Napoléon, l'esclavagiste : la face sombre de l'Empereur », sur Le Dauphiné libéré,
- Jean-Joël Brégeon, « Napoléon, l'ombre et la lumière - Le retour de l'esclavage », Histoire & Civilisations (en partenariat avec Le Monde), numéro d'avril 2021, p. 47
- Antoine Flandrin, « L’exposition « Napoléon » à Paris écorne le mythe Bonaparte en présentant deux actes officiels sur l’esclavage », sur Le Monde,
- Thierry Lentz, « Les 5 procès de Napoléon », sur Le Figaro,
- Olivier Pétré-Grenouilleau, Traites négrières. Essai d’histoire globale, Seuil, , p. 307
- « Congrès de Vienne : l'abolition de la traite des noirs, déclaration du 8 février 1815 », sur Napoleon.org (consulté le )
- H. Nicolson, « Déclaration des plénipotentiaires des Puissances qui ont signé le traité de Paris du 30 mai 1814, relative à l’abolition de la traite des nègres d’Afrique ou du commerce des esclaves », 8 février 1815, dans Le congrès de Vienne et les traités de 1815, p. 726-727
- « La Grande Librairie - Mais qui était vraiment Napoléon ? », sur France Télévisions,
- Thierry Lentz, Le congrès de Vienne, 2015
- Grégory Barbier, « Napoléon (3/6) : comment et pourquoi a-t-il rétabli l'esclavage ? », sur Le Républicain lorrain,
Articles connexes
- Déclaration du 8 février 1815 (Congrès de Vienne) : engagement international d'abolir la traite négrière
- Ordonnance du 8 janvier 1817 : interdiction de l'introduction d'esclaves noirs dans les colonies
- Loi du 15 avril 1818 : interdiction de la traite négrière à l'initiative de Louis XVIII
- Loi du 25 avril 1827 : criminalisation de la traite négrière à l'initiative de Charles X
- Loi du 4 mars 1831 : durcissement de l'interdiction de la traite des Noirs à l'initiative du roi Louis-Philippe Ier
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