Conjuration des Égaux

La Conjuration des Égaux (1796) est une tentative de renversement du Directoire menée par Gracchus Babeuf avec ses camarades (les Égaux), dans un contexte d'exaspération sociale due à la vie chère[2].

Conjuration de Babœuf l'an IV.
Le « génie défenseur de la République » embroche avec sa lance la Méduse, « figure emblématique » de l'Anarchie[1], qui s'apprêtait à poignarder la France représentée comme une jeune mère nourricière admirant la Constitution de l'an III.
Caricature anonyme stigmatisant la conjuration des Égaux, Paris, BnF, département des estampes et de la photographie, 1796.

Les idées de la Conjuration

Gracchus Babeuf et ses amis dénoncent les privilégiés qui tirent profit de la Révolution. Ils préconisent une réforme radicale de la société : l'abolition de la propriété privée doit rendre tous les Français égaux. Pour réaliser leur idéal, ils envisagent de renverser le Directoire. Le but de la Conjuration est de poursuivre la révolution, et d'aboutir à la collectivisation des terres et des moyens de production, pour obtenir « la parfaite égalité » et « le bonheur commun ». Ils demandent également l’application de la Constitution de l'an I (datant de 1793, première constitution de la République, qui ne fut en fait jamais appliquée).

Les idées de la Conjuration sont en particulier exposées dans le « Manifeste des Égaux » (1796)[3]. On peut y lire : « Il nous faut non pas seulement cette égalité transcrite dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, nous la voulons au milieu de nous, sous le toit de nos maisons. […] Qu'il cesse enfin, ce grand scandale que nos neveux ne voudront pas croire ! Disparaissez enfin, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés. […] L'instant est venu de fonder la République des Égaux, ce grand hospice ouvert à tous les hommes. […] L'organisation de l'égalité réelle, la seule qui réponde à tous les besoins, sans faire de victimes, sans coûter de sacrifices, ne plaira peut-être point d'abord à tout le monde. L'égoïste, l'ambitieux frémira de rage. »

Les faubourgs de Paris sont agités par le biais de la propagande des Égaux[4], et les proches de Babeuf ne prennent plus la peine de dissimuler leur « activité séditieuse » aux yeux de la police. Solidement implantée dans Paris, la propagande babouviste ne touche cependant pas que la capitale et l'on évoque les mêmes thèmes çà et là en province. Le Directoire considère que la propagande babouviste agite dangereusement l'opinion et, le , il ordonne le licenciement et le désarmement de la légion de police car, séduite par « la faction babouviste », elle devenait chaque jour plus indisciplinée.

Leurs effectifs sont largement surévalués ainsi que leur capacité de mobilisation populaire[5][source insuffisante].

Buonarroti cite un projet de décret qui devait installer une république égalitaire. Ce projet prévoit que « sera établi[e] dans la république une grande communauté nationale ». « Le droit de succession ab intestat ou par testament est aboli : tous les biens actuellement possédés par des particuliers écherront, à leur décès, à la communauté nationale. » « Les biens de la communauté nationale sont exploités en commun par tous ses membres valides. » La communauté nationale assure à chacun de ses membres un logement décent, l'habillement, une nourriture suffisante, et « les secours dans l’art de guérir ». Enfin, « la république ne fabrique plus de monnaie ».

Les meneurs et le réseau de leurs agents

Sept hommes se joignent à Gracchus Babeuf pour diriger la conjuration : Philippe Buonarroti, Augustin Darthé, Sylvain Maréchal — qui se charge de rédiger le manifeste —, Félix Lepeletier, Pierre-Antoine Antonelle, Debon, et Georges Grisel. Ce dernier quitte plus tard la conjuration et dénonce Babeuf, moyennant finances.

Un réseau d'agents militaires, composé de Germain, Vaneck, Jean Antoine Rossignol, Fyon, et Massart, a par ailleurs été créé, ainsi que des agents révolutionnaires qui seront placés dans chaque arrondissement de Paris. Les Égaux, ou « babouvistes », militent dans la clandestinité.

Arrestation des Égaux

Supplice de douze des prévenus dans l'affaire de Grenelle : fusillés le 4.eme jour complementaire de l'an 4.eme de la Rép. fran.se.
Estampe anonyme, Paris, BnF, département Estampes et photographie, 1796.

L'échec de l'insurrection militaire tentée au camp de Grenelle porte un coup très dur aux conjurés. La conjuration est dénoncée à la police par l'un de ses meneurs, Georges Grisel. La légion de police licenciée, le pouvoir s’attaque au démantèlement de la direction de la Conjuration des Égaux. Le , Gracchus Babeuf qui porte un faux nom (Tissot) est arrêté le premier, ainsi que Buonarroti qui l'aidait à mettre au point le manifeste devant annoncer aux Parisiens la victoire des conjurés. Les premiers mots ont déjà été écrits : « Le peuple avance, la tyrannie n'est plus. Vous êtes libres ». Ses complices arrêtés, 245 mandats d'arrêt sont lancés par Carnot qui entend faire cesser les revendications égalitaires.

Une haute cour est constituée et le procès s’ouvre à Vendôme le en présence de deux ministres. Babeuf, à qui l'on reproche l’initiative du complot, et Darthé, qui s’est enfermé lors des débats dans le mutisme le plus total et à qui l’on reproche la rédaction de l’ordre d’exécution des Directeurs, sont condamnés à mort[6]. En entendant sa condamnation à mort, Babeuf se frappa, dans le prétoire même, de plusieurs coups de stylet, et fut porté mourant, le lendemain, à l'échafaud. Darthé, qui avait également tenté de se suicider, est guillotiné avec lui le 8 prairial an V. Buonarroti, Charles Germain et cinq autres accusés sont condamnés à la déportation. Cinquante-six autres accusés, dont Jean-Baptiste-André Amar et Pierre-Charles Pottofeux sont acquittés, bénéficiant probablement de la solidarité des anciens parlementaires montagnards[5][source insuffisante]. Les enfants de Babeuf furent adoptés par Lepeletier et Turreau[7].

Postérité

La conjuration des Égaux aurait probablement disparu dans le flot des grands événements de la Révolution. Mais, la publication en 1828 du livre de Buonarroti, Conspiration pour l'Égalité, dite de Babeuf, lui assure une postérité prolifique[5][source insuffisante]. Friedrich Engels et Karl Marx reconnaissent en la Conjuration des Égaux « la première apparition d'un parti communiste réellement agissant »[8].

Notes et références

  1. Michel Vovelle, « L'image des minorités politiques sous la Révolution », dans Christine Peyrard (dir.), Minorités politiques en Révolution, 1789-1799, Aix-en-Provence, Publications de l'Université de Provence, coll. « Le temps de l'histoire », , 208 p. (ISBN 978-2-85399-675-4, lire en ligne), p. 200.
  2. Jean-Marc Schiappa, Gracchus Babeuf pour le bonheur commun, Paris, Spartacus, 2015, p. 118-119.
  3. Sylvain Maréchal, « Le manifeste des Egaux », (consulté le ).
  4. Stéphanie Roza, « Comment la révolution a transformé l’utopie : le cas de Gracchus Babeuf », Annales historiques de la Révolution française, no 366, , p. 83–103 (ISSN 0003-4436, DOI 10.4000/ahrf.12219, lire en ligne, consulté le )
  5. Martin Benoist, « Babeuf ou l'infortune de l'Égalité », La Nouvelle Revue d'histoire, no 84 de mai-juin 2016, p. 16-18.
  6. article « Darthé » de François Wartelle, in Dictionnaire historique de la Révolution française dirigé par Albert Soboul, PUF, 1989 (rééd. Quadrige, 2005, p. 323).
  7. « Nouvelles », Révolution française ou analyse complette et impartiale du Moniteur, Girardin, vol. 171, , p. 231 (lire en ligne, consulté le )
  8. Karl Marx, Sur la Révolution française, Paris, Éditions sociales, , « La critique moralisante et la morale critique… », p. 91.

Sources primaires imprimées

  • Débats du procès instruit par la haute cour de justice, contre Drouet, Baboeuf et autres, recueillis par des sténographes, Paris, Baudouin, 1797, tome 1, lire en ligne.
  • Débats du procès instruit par la haute cour de justice, contre Drouet, Baboeuf et autres, recueillis par des sténographes, Paris, Baudouin, 1797, tome 2, lire en ligne.
  • Débats du procès instruit par la haute cour de justice, contre Drouet, Baboeuf et autres, recueillis par des sténographes, Paris, Baudouin, 1797, tome 3, lire en ligne.
  • Débats du procès instruit par la haute cour de justice, contre Drouet, Baboeuf et autres, recueillis par des sténographes, Paris, Baudouin, 1797, tome 4, lire en ligne.
  • Philippe Buonarroti, Gracchus Babeuf et la conjuration des égaux (ou Histoire de la Conjuration pour l'Égalité, dite de Babeuf), 1828. Réédition : Conspiration pour l'égalité dite de Babeuf, Éditions La Ville brûle, Montreuil, 2014, édition critique établie par Jean-Marc Schiappa, Jean-Numa Ducange, Alain Maillard et Stéphanie Roza.

Bibliographie

  • Richard M. Andrews, « Réflexions sur la conjuration des Égaux », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, no 1, 29e année, , p. 73-106 (lire en ligne).
  • Jean-Luc Coronel (sous la dir. de Michel Ganzin), La Conjuration des Égaux : un modèle idéologique et stratégique à la croisée des dynamiques révolutionnaires (mémoire de diplôme d'études approfondies en histoire des institutions, des idées et des faits sociaux), Aix-en-Provence, université d'Aix-Marseille, .
  • Colloque international de Stockholm, 21 août 1960. Babeuf et les problèmes du babouvisme, Paris, Éditions sociales, 1963, 320 p.
  • Maurice Dommanget, « La structure et les méthodes de la Conjuration des Égaux », Annales révolutionnaires, t. 14, no 3, , p. 177-196 (lire en ligne).
  • Maurice Dommanget, « L'Hébertisme et la Conjuration des Égaux », Annales révolutionnaires, t. 15, no 3, , p. 220-226 (lire en ligne).
  • Maurice Dommanget (préf. Serge Bianchi), Babeuf et la Conjuration des Égaux, Paris, Spartacus, coll. « Spartacus. Série B » (no 175), (1re éd. 1989), 95 p. (ISBN 978-2-902963-57-7).
  • Laura Mason, « Après la conjuration : le Directoire, la presse, et l'affaire des Égaux », Annales historiques de la Révolution française, no 354, , p. 77-103 (lire en ligne).
  • Philippe Riviale, La Conjuration : essai sur la conjuration pour l’égalité dite de Babeuf, Paris, L’Harmattan, 1994.
  • Stéphanie Roza, « Comment la révolution a transformé l'utopie : le cas de Gracchus Babeuf », Annales historiques de la Révolution française, no 366, , p. 83-103 (lire en ligne).
  • Jean-Marc Schiappa, « Deux inédits de la conspiration pour l'Égalité », Annales historiques de la Révolution française, no 264, , p. 217-230 (lire en ligne).
  • Jean-Marc Schiappa, « Agitation ouvrière et action babouviste dans le Paris de l'an IV », dans Paris et la Révolution : actes du colloque de Paris I, 14-16 avril 1989, Paris, Publications de la Sorbonne, coll. « Histoire moderne » (no 22), , XI-391 p. (présentation en ligne), p. 35-44.
  • Jean-Marc Schiappa, « Notes sur le dirigeant babouviste Robert François Debon », Annales historiques de la Révolution française, no 283, , p. 93-104 (lire en ligne).
  • Jean-Marc Schiappa, Gracchus Babeuf, avec les Égaux, Paris, Éditions ouvrières, coll. « La part des hommes », , 264 p. (ISBN 2-7082-2892-7, lire en ligne).
  • Jean-Marc Schiappa, « Aspects de l'implantation de la conjuration babouviste », Annales historiques de la Révolution française, no 291, , p. 115-123 (lire en ligne).
  • Jean-Marc Schiappa, « Un épisode sous le Directoire. (Le coup de Grenelle à travers les textes de Bescher, Buonarroti et Hennequin) », Annales historiques de la Révolution française, no 308 « Être républicain et démocrate sous le Directoire », , p. 349-352 (lire en ligne).
  • Jean-Marc Schiappa, Gracchus Babeuf pour le bonheur commun, Paris, Spartacus, coll. « Spartacus. Série B » (no 190), , 175 p. (ISBN 979-10-94106-13-6, présentation en ligne).
  • Michel Vovelle, « Une troisième voie pour la lecture de la Conspiration des Égaux ? », Annales historiques de la Révolution française, no 312, , p. 217-227 (lire en ligne).
  • Gérard Walter, Babeuf (1760-1797) et la conjuration des Égaux, Paris, Payot, coll. « Histoire Payot » (no 28), (1re éd. 1937), 251 p. (ISBN 2-228-70280-3).
    Reproduction en fac-similé réduit, sans les planches de l'édition de Paris, Payot, 1937.
  • (en) Isser Woloch, Jacobin Legacy : The Democratic Movement under the Directory, Princeton (New Jersey), Princeton University Press, , XVI-455 p. (présentation en ligne).

Littérature

  • Henri Krea, La Conjuration des égaux, illustrations "hors texte" de Ladislas Kijno, Présence africaine, 1964.

Articles connexes

Liens externes

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