Condition des femmes en Afghanistan

La condition des femmes en Afghanistan est sujette à de nombreuses difficultés, dans un pays traditionnellement patriarcal et ayant connu de nombreuses années de guerre civile.

Femmes à Kaboul en 2016.

Après une période plutôt favorable sous l'occupation soviétique, les conditions de vie des femmes se dégradent, dans un contexte de conflits militaires, de difficultés économiques et de l'application de la charia depuis 1992. L'arrivée des talibans au pouvoir en 1996 renforce cette situation. En 2021, après le retrait des troupes américaines, la reprise en main du pays par les talibans fait craindre une nouvelle dégradation de leur condition. Nombre d'entre elles se disent trahies par la communauté internationale, et expriment le sentiment que leur cause a été instrumentalisée lors des dernières décennies.

En 2010, la chercheuse Sonia Jedidi affirmait déjà, à propos de l'Afghanistan : « L’histoire des femmes n’est qu’une succession d’avancées vers un statut moderne puis de régression suite aux violentes oppositions des hommes qui ne veulent pas perdre leur pouvoir de contrôle sur les femmes[1]. »

Histoire

Femmes afghanes en 1927.

Émir puis roi d'Afghanistan à partir de 1919, Amanullah Khan lance un vaste programme de réformes afin de moderniser le pays, comprenant notamment l'amélioration de la condition des femmes. Ces initiatives provoquent toutefois de nombreux mécontentements à travers le pays et il finit par être renversé en 1929. Son successeur, le brigand Habibullah Ghazi, annule toutes ses réformes et met en place un régime religieux autocratique. Il est lui-même vaincu et l'ancienne monarchie est restaurée, mais la majeure partie des réformes libérales d'Amanullah ne sont pas rétablies[2].

Cour de biologie à l'université de Kaboul dans les années 1950.

La monarchie est abolie en 1973 au profit d'une République. Fondé par la poétesse féministe Meena Keshwar Kamal, l'Association révolutionnaire des femmes en Afghanistan œuvre depuis sa création en 1977 à la défense des droits des femmes afghanes.

En 1978 est établie la République démocratique d'Afghanistan, un régime pro-soviétique qui met en place une série de réformes collectivistes et sociales, notamment l'école obligatoire pour les filles.

Après le départ des Soviétiques en 1992, la charia est progressivement instaurée, entre mai et juillet, et dans un pays en butte aux combats entre factions, le sort des femmes se dégrade, à la fois en raison du sort économique et militaire communs à tous les Afghans[3], mais aussi en raison de la régression de leurs droits et la restriction de certaines libertés fondamentales[4].

Sous l'Émirat islamique d'Afghanistan (1996-2001), les droits des femmes régressent encore plus, celles-ci étant interdites d'étudier et d'exercer un métier. Après l'intervention militaire de 2001 qui chasse les talibans et installe de nouvelles institutions, de nombreux progrès sont faits concernant les femmes, même s'ils restent surtout cantonnés aux grandes villes et souvent de manière superficielle. En 2014, on note la présence de 27,7 % de femmes députées à l'Assemblée nationale (la moyenne mondiale étant de 21,7 %), un nombre de femmes multiplié par quatre dans la police par rapport à 2007 et par trois dans la justice par rapport à 2001. Mais les femmes policières ne sont pas acceptées et elles seront nombreuses à être assassinées par les talibans, comme Islam Bibi, Negar ou Malalaï Kakar[5].

On compte des actrices ou encore des journalistes (un tiers de la rédaction de 1TV) même si une partie de la population continue de critiquer cette mise en avant, alors que la sécurité des femmes n'est pas assurée (la députée Fawzia Koofi a plusieurs fois été menacée de mort par les talibans, qui mènent une guérilla dans la clandestinité). Au sein même de l'Assemblée, les députés ultra-conservateurs ont essayé de supprimer la disposition de la loi électorale garantissant un quota de 25 % de sièges aux femmes dans les conseils provinciaux ; celle-ci est finalement ramenée à 20 %. Ils ont en revanche réussi à faire retirer une proposition de loi visant à sanctionner les violences contre les femmes (une disposition existe depuis 2009 mais n'a pas force de loi). Ils refusent ce qu'ils appellent des influences occidentales qui contreviennent à la charia[6].

Femmes afghanes portant la burqa, en 2009.

Entre 2001 et 2014, sous la présidence d'Hamid Karzai, les violences domestiques, les meurtres commis à l'encontre de femmes ainsi que les viols et les attaques à l'acide augmentent[7].

En 2020, se tiennent les négociations de paix de Doha entre le gouvernement afghan et les talibans. L'équipe de négociateurs des autorités publiques compte seulement quatre femmes (dont l'ancienne vice-présidente de l'Assemblée nationale Fawzia Koofi), les talibans aucune. Un groupe féministe est alors créé dans le pays : dénommé Women's National Movement for Peace, il rassemble des femmes voulant peser, notamment via le cybermilitantisme, sur le processus de conciliation en cours, alors que plusieurs dispositions réglementaires concernant les femmes sont mises dans la balance par les talibans pour aboutir à un accord (question du voile islamique obligatoire, de la mixité scolaire, etc.)[8].

L'année suivante, alors que les troupes étrangères quittent le pays, laissant l'armée nationale seule face aux talibans et autres groupes islamistes, plusieurs femmes, et notamment les féministes, se sentent en danger, certaines étant menacées de mort. Alors que les féminicides sont nombreux en Afghanistan, certaines choisissent de s'exiler à l'étranger[9]. Le 8 mai 2021, une cinquantaine de jeunes filles sont par exemple tuées à la sortie de leur école lors de trois attentats simultanés[10]. Mary Akrami, qui a créé un réseau de 27 refuges pour les femmes victimes de violences familiales ou conjugales, dit craindre la disparition de ces refuges après l'abandon du soutien de la communauté internationale, et parle de trahison, l'accord de Doha n'ayant prévu aucun engagement des Talibans en matière de respect des droits des femmes, à l'exception d'une vague promesse « dans le cadre des valeurs islamiques »[11].

En août 2021, les talibans reprennent le contrôle du pays. Le même mois, l’un de leur porte-parole annonce que le voile islamique devient obligatoire pour les femmes, mais pas nécessairement la burqa (sans préciser quels autres voiles sont autorisés). Il ajoute que l'éducation, de la primaire à l'université, leur est autorisée. Antonio Guterres, secrétaire général de l'Organisation des Nations unies, exprime son angoisse quant à la perte des droits des femmes, « durement acquis », sous le nouveau régime. Nombre de femmes se disent alors trahies par la communauté internationale[12],[13].

À l’été 2021, souhaitant présenter une image plus modérée que lors de leur dernier passage au pouvoir, les talibans affirment que les droits des femmes vont être respectés. Le chef du bureau politique des talibans au Qatar, Shir Mohammad Abbas Stanikzai, déclare cependant qu'il « pourrait ne pas y avoir » de femmes ministres dans le futur gouvernement ni d'autres nommées à des postes à responsabilité, ajoutant que certaines seront toutefois promues à des échelons subalternes. En parallèle, une cinquantaine de femmes manifeste dans la ville d'Hérat, réclamant le droit de travailler et de figurer dans les futures instances de direction du pays. Selon 20 Minutes, cet évènement témoigne d'un début de libéralisation de la société afghane depuis deux décennies, contrastant avec la fin des années 1990, quand toute contestation du régime était violemment réprimée[14].

Début septembre, un décret de la commission culturelle de l'émirat oblige au recensement des jeunes filles célibataires et des veuves âgées de moins de 45 ans dans deux provinces du nord du pays, afin de les obliger à se marier à des talibans[15].

Finalement, le premier gouvernement nommé par les talibans compte surtout des hommes ultraconservateurs et aucune femme. La représentante spéciale des Nations Unies sur la violence sexuelle dans les conflits Pramila Patten estime alors cela « fai[sai]t douter du récent engagement à protéger et à respecter les droits des femmes et des filles d’Afghanistan »[16],[17].

Absence de nom et campagne Where is my name

Femmes officiers de police en 2010.

En 2020, les femmes en Afghanistan sont avant tout définies par leurs relations : « fille de… », « sœur de… », « épouse de… ». Leur nom n'apparaît ni sur leur certificat de décès, ni sur les certificats de naissance de leurs enfants. Il n'apparaît pas plus sur leur pierre tombale, ni sur les invitations à leur mariage, ni habituellement sur les ordonnances qui leur sont délivrées. La BBC fait état du cas d'une femme atteinte de Covid-19, battue par son mari car le médecin avait écrit son nom sur l'ordonnance. De nombreuses personnes, dont des femmes, considèrent comme gênant de le révéler, car cela traduirait un manque de modestie ou une atteinte à l'honneur des familles[18].

En 2017, une Afghane, Laleh Osmany, rapidement soutenue par quelques célébrités, lance une campagne dont l'objectif est de faire modifier les règles d'enregistrement de l'état-civil, et d'inscrire le nom des femmes sur les cartes d'identité et sur les certificats de naissance des enfants. Malgré la forte opposition des conservateurs, et les réactions négatives d'internautes, le mouvement WhereIsMyName (« Où est mon nom ? ») semblerait avoir obtenu en 2020 des avancées, le président Ashraf Ghani ayant promis de demander à l'Autorité centrale de l'état civil afghan (Accra) d'étudier la possibilité de modifier la loi sur l'état-civil. Selon la BBC, fin juillet 2020, la loi aurait été modifiée en ce sens[18].

Arts

En 2010, l'ethnomusicologue Ahmad Naser Sarmast fonde l'Institut national afghan de musique, le seul établissement en la matière dans le pays, alors que les talibans prohibent cette discipline artistique. Une décennie plus tard, l'institut compte 300 élèves dont 100 filles. Negin Khpalwak et Zarifa Adibad, les deux premières cheffes d'orchestre de l'histoire de l'Afghanistan, y ont notamment été formées ; elles dirigent l'orchestre Zohra, composé de 30 femmes et qui a réalisé plusieurs tournées mondiales. Le retour des talibans au pouvoir en 2021 pose la question de la survie de l'institut[19].

Notes et références

  1. Sonia Jedidi, « Levons le voile sur les femmes en Afghanistan », Hérodote, vol. 136, no 1, , p. 121 (ISSN 0338-487X et 1776-2987, DOI 10.3917/her.136.0121, lire en ligne, consulté le ).
  2. (en) D. Balland, « Afghanistan x. Political History », dans Encyclopaedia Iranica, vol. 1, fasc. 5, (lire en ligne), p. 547-558.
  3. Mathilde Goanec, « La cause des femmes afghanes, une instrumentalisation qui n’a jamais cessé », sur Mediapart, (consulté le ).
  4. « Afghanistan: Nouvelles formes de chatiments cruels, inhumains ou degradants (9210f) », sur Amnesty International, (consulté le ).
  5. « Database », sur www.afghan-bios.info (consulté le ).
  6. Frédéric Bobin, « Afghanistan. Liberté surveillée », M, le magazine du Monde, semaine du 15 février 2014, pp. 40-44.
  7. Camille Sarret, « Le vent du Sud », article par initialement en janvier 2011 sous le titre « Renouveau du féminisme au Sud », Manière de voir no 150, décembre 2016-janvier 2017, pp. 8-11.
  8. Solène Chalvon-Fioriti, « Un rêve féministe à Kaboul », Vanity Fair n° 84, novembre 2020, p. 100-103.
  9. Margaux Benn, « Rester ou partir, le dilemme des classes moyennes afghanes », Le Figaro, 15-16 mai 2021, p. 8-9 (lire en ligne).
  10. Michel Taube et Fahimeh Robiolle, « Une cinquantaine de jeunes Afghanes assassinées à Kaboul : l’Afghanistan ne sera pas l’enclos des talibans ni leur base de conquête du monde », sur opinion-internationale.com, (consulté le ).
  11. (en) « Mary Akrami, fighting to keep Afghan women's shelters open », sur France 24, (consulté le ).
  12. Christine Delphy, « Une guerre pour les femmes afghanes ? », Nouvelles Questions Féministes, vol. 21, no 1, , p. 98 (ISSN 0248-4951 et 2297-3850, DOI 10.3917/nqf.211.0098, lire en ligne, consulté le ).
  13. « Voile, scolarisation : les premières annonces des talibans concernant les Afghanes », L'Obs, (lire en ligne).
  14. « Afghanistan : Les talibans formeraient un gouvernement exclusivement masculin, des femmes manifestent », sur 20minutes.fr, (consulté le ).
  15. Jean-Pierre Perrin, « Un décret oblige les jeunes Afghanes à se marier aux talibans », sur Mediapart, (consulté le ).
  16. « Afghanistan : Abdul Ghani Baradar, cofondateur des talibans, numéro deux du nouveau gouvernement », sur Le Monde, (consulté le ).
  17. « Afghanistan : à bord d’un vol d’évacuation depuis Kaboul, 49 ressortissants français et leurs familles en route pour le Qatar », sur Le Monde, (consulté le ).
  18. (en) Mahjooba Nowrouzi, « WhereIsMyName: Afghan women campaign for the right to reveal their name », sur bbc.com, .
  19. Suzana Kubik, « L'Institut national de musique d'Afghanistan : un havre de paix aujourd'hui menacé », sur France Musique, (consulté le ).

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