Clément Rosset

Clément Rosset, né le à Carteret dans la Manche, mort le à Paris[1],[2], est un philosophe français[3].

Pour les articles homonymes, voir Rosset.

Biographie

Clément Rosset est né de parents réfugiés espagnols en France après la fin de la Guerre civile[4].

Entré à l’École normale supérieure[5] en 1961, Clément Rosset devient agrégé de philosophie[5] en 1964. Il enseigne la philosophie à Montréal de 1965 à 1967[6], puis à Nice jusqu’en 1998[5]. Retraité après cette date, il a vécu à Paris et s'est consacré à son œuvre.


Rosset développe une philosophie de l'approbation au réel : par la joie, je prends plaisir au réel tout entier, sans avoir à m'en masquer aucun aspect, si horrible soit-il. Le paradoxe de la joie est ainsi que rien dans la réalité ne me porte à l'approuver et que pourtant, je puisse l'aimer inconditionnellement. Cette vision est dite « tragique » au sens conféré par Nietzsche à ce terme : est tragique l'amour de la vie jusque dans le déchirement et la douleur extrêmes. Être heureux, c'est être heureux malgré tout.

Dès son premier livre, La Philosophie tragique[6], Rosset oppose cette vision tragique et joyeuse à la recherche d'un double qui puisse protéger du réel. Le réel étant à la fois cruel et indicible, les hommes ont tendance à lui préférer un double de substitution, une image illusoire et adoucie qui les en détourne. En particulier, la vision morale du monde repose sur l'illusion de ce double.

Deux essais consacrés à Schopenhauer[7],[8],[9] ont montré que ce dernier était un précurseur des philosophies de l'absurde (Sartre, Camus) : pour Schopenhauer, le monde est douloureux mais surtout, cette douleur est sans raison. Au pessimisme bien connu du penseur de Francfort s'ajoute donc une intuition de l'absurde.

Ses premiers essais personnels (La Logique du pire, L’Anti-nature) proposent une philosophie joyeuse et approbatrice d’un monde où le pire est la seule chose certaine. Le pire est ce qui existe, la réalité antérieure aux idées de sens, d’ordre ou de nature : c'est le hasard lui-même, en tant que silence et insignifiance. Dans la trilogie qui suit (Le Réel et son double[10] ; Le Réel, traité de l’idiotie ; L’Objet singulier), Rosset tente de préciser les attributs de cette réalité indéterminable et « in-signifiante ». La thèse essentielle de Rosset est celle-ci : la difficulté de penser le réel tient à ce qu’il ne manque de rien, qu’il se suffit à lui-même, qu’il se passe de tout fondement (car au fond, il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre). D’où la thèse majeure du Réel et son double : le réel est ce qui est sans double et le fantasme du double trahit toujours le refus du réel. L’ontologie du réel sur laquelle débouche cette réflexion a la particularité de ne pas reposer sur la pensée de son être ou de son unité[Lequel ?], mais de s’en tenir à sa seule singularité[Lequel ?], ce qui n’est possible que par la grâce d’une joie sans raison. Le réel auquel j’ai accès, aussi infime soit-il, en rapport de l’immensité qui m’échappe, doit être tenu pour le bon[11].

Ses influences

Les influences principales de Rosset – Schopenhauer mis à part – sont affirmées dès ses premiers livres. Elles correspondent à ses premières lectures. S’il a pu s’éloigner quelque peu, à partir du Réel et son double, de sa philosophie dite tragique, ces influences restent, explicitement ou implicitement, prégnantes dans tous ses ouvrages. Une des inspirations majeures de Rosset est Nietzsche, dont la pensée constitue le fil conducteur de son premier ouvrage. Il lui est, pour ainsi dire, toujours resté fidèle et le cite dans pratiquement tous ses livres. L’un des livres essentiels de Rosset, La Force majeure, consacre un long chapitre décisif à Nietzsche, dans lequel Rosset développe des analyses brillantes et originales du philosophe allemand comme philosophie de l'approbation inconditionnelle au hasard de la vie. Cette lecture est à comparer avec les interprétations qui faisaient autorité dans les années 1960-70 chez les philosophes français (Foucault, Derrida, Deleuze, Blanchot, Bataille, Klossowski). Rosset s'efforce de mettre en lumière un Nietzsche foncièrement affirmateur et joyeux, et en outre, musicien, aspect trop méconnu des commentateurs. Ses Notes sur Nietzsche constituent un apport crucial au développement de la pensée de Rosset en ce que chaque point remarquable de la philosophie de Nietzsche apparaît conciliable avec la philosophie de Rosset lui-même[12].

Outre l’influence déterminante de Nietzsche, se sont exercées sur sa pensée celles de Lucrèce, Montaigne, Pascal, Spinoza et Hume – et, à certains égards, de Bergson, de Deleuze, voire de Lacan. Plus tard, revenant sur ce qu'il considère comme une condamnation trop hâtive, Rosset voit en Parménide la voix puissante de l’idiotie du réel (Principes de sagesse et de folie) contre l’interprétation métaphysique qui en fut faite par toute une lignée de philosophes, de Platon à Heidegger[13].

Reconnaissance

En 2013, il est lauréat du prix Procope des Lumières pour son ouvrage L'Invisible[14], et en 2008 du prix Gegner pour L'École du réel[15].

Décès

Il meurt en mars 2018 dans son appartement parisien.

Publications

  • La Philosophie tragique, Paris, Presses universitaires de France, 1960 (ISBN 213054066X)
  • Le Monde et ses remèdes, Paris, Presses universitaires de France, Paris, 1964 (ISBN 213050941X)
  • Lettre sur les chimpanzés : plaidoyer pour une humanité totale, Paris, Gallimard, 1965, rééd. 1999 (ISBN 2070755282)
  • Schopenhauer, philosophe de l’absurde, Paris, Presses universitaires de France, 1967, 2010 (ISBN 978-2-13-058350-9)
  • L’Esthétique de Schopenhauer, Paris, Presses universitaires de France, 1969 (ISBN 2130421296)
  • (sous le pseudonyme de Roboald Marcas) Précis de philosophie moderne, Paris, R. Laffont, 1968, rééd. Écrits satiriques 1, Paris, Presses universitaires de France, 2008 (ISBN 9782130570844)
  • (sous le pseudonyme de Roger Crémant) Les Matinées structuralistes, suivies d’un Discours sur l’écrithure (sic), Paris, R. Laffont, 1969, rééd. partielle : Les Matinées savantes, Montpellier, Fata Morgana, 2011 (ISBN 9782851948076)
  • Logique du pire : éléments pour une philosophie tragique, Paris, Presses universitaires de France, coll. «Bibliothèque de philosophie contemporaine», 1971 (ISBN 2130450563)
  • L’Anti-nature : éléments pour une philosophie tragique, Paris, Presses universitaires de France, 1973 (ISBN 2130539572)
  • Le Réel et son double : essai sur l’illusion, Paris, Gallimard, 1976 (ISBN 2070327515)
  • Le Réel : Traité de l’idiotie, Paris, Éditions de Minuit, 1977 (ISBN 2707318647)
  • L’Objet singulier, Paris, Éditions de Minuit, 1979, (ISBN 2707302856)
  • La Force majeure, Paris, Éditions de Minuit, 1983 (ISBN 2707306584)
  • Le Philosophe et les sortilèges, Paris, Éditions de Minuit, 1985 (ISBN 2707310115)
  • Le Principe de cruauté, Paris, Éditions de Minuit, 1988 (ISBN 2707311804)
  • Mozart, une folie de l'allégresse, Paris, Mercure de France, 1990, rééd. Le cas Mozart, Le Passeur, 2013 (écrit par Rosset et Didier Raymond) ( (ISBN 2368900381))[16] ; Mozart et le silence. Une folie d'allégresse, Le Passeur, 2021
  • Principes de sagesse et de folie, Paris, Éditions de Minuit, 1991 (ISBN 2707314021)
  • En ce temps-là - Notes sur Louis Althusser, Paris, Éditions de Minuit, 1992 (ISBN 2707314277)
  • Matière d’art : hommages, Nantes, Le Passeur, 1992, rééd. Montpellier, Fata Morgana, 2010 (ISBN 9782851947741)
  • Le Choix des mots, Paris, Éditions de Minuit, 1995 (ISBN 2707315397)
  • Le Démon de la tautologie, Paris, Éditions de Minuit, 1997 (ISBN 2707316156)
  • Route de nuit : épisodes cliniques, Paris, Gallimard, 1999 (ISBN 2070756181)
  • Loin de moi : étude sur l’identité, Paris, Éditions de Minuit, 1999 (ISBN 9782707316912)
  • Le Réel, l’imaginaire et l’illusoire, Biarritz, Distance, 2000 (ISBN 2908960125) (repris dans Fantasmagories, Paris, Éditions de Minuit, 2005)
  • Le Régime des passions, Paris, Éditions de Minuit, 2001 (ISBN 2707317640)
  • Propos sur le cinéma, Paris, Presses universitaires de France, 2001 (ISBN 2130520219)
  • Franchise postale [correspondance avec Michel Polac], Presses universitaires de France, 2003 (ISBN 2130537405)
  • Impressions fugitives : L’ombre, le reflet, l’écho, Paris, Éditions de Minuit, 2004 (ISBN 2707318531)
  • Fantasmagories, Paris, Éditions de Minuit, 2005 (ISBN 2707319384)
  • L’École du réel, Paris, Éditions de Minuit, 2008 (ISBN 2-7073-2019-6) [anthologie]
  • La Nuit de mai, Paris, Éditions de Minuit, 2008 (ISBN 2-7073-2020-X)[17]
  • Une passion homicide, Paris, Presses universitaires de France, 2008 (ISBN 2-13-056540-9)
  • Le Monde perdu, Éditions Fata Morgana, 2009 (ISBN 978-2-85194-746-8) (notice BnF no FRBNF42798306)
  • Tropiques. Cinq conférences mexicaines, Paris, Éditions de Minuit, 2010 (ISBN 9782707321077)
  • La Folie sans peine, écrit par Didier Raymond [édition originale : Points, 1991] et remanié par Rosset, dessins de Jean-Charles Fitoussi, PUF, 2010 (ISBN 9782130581017)
  • Récit d’un noyé, Paris, Éditions de Minuit, 2012 (ISBN 9782707322395)[18]
  • L’Invisible, Paris, Éditions de Minuit, 2012 (ISBN 9782707322388)[18]
  • Question sans réponse [postface à Santiago Espinosa, L'inexpressif musical, Encre Marine, 2013] ( (ISBN 2350880664))
  • Faits divers, Paris, PUF, Perspectives critiques, 2013 (ISBN 9782130625568)
  • Esquisse biographique. Entretiens avec Santiago Espinosa, Encre Marine, 2017 ( (ISBN 9782350881232))
  • L'Endroit du paradis. Trois études. Paris, Les Belles Lettres, 2018 ( (ISBN 2350881474))
  • La joie est plus profonde que la tristesse. Entretiens avec Alexandre Lacroix. Paris, Stock, 2019
  • Ecrits intimes. Quatre esquisses biographiques. suivi de Voir Minorque. Paris, Editions de Minuit, 2019

Notes et références

  1. « Mort de Clément Rosset, philosophe du tragique et de la joie », Bibliobs, (lire en ligne, consulté le ).
  2. Le Point, magazine, « Le philosophe iconoclaste Clément Rosset est mort », Le Point, (lire en ligne, consulté le ).
  3. « Biographie », Clément Rosset, (lire en ligne, consulté le ).
  4. 40 ans d'exil : La Retirada et la protection des réfugiés espagnols par l’Ofpra (1939-1979), Fontenay-sous-Bois, OFPRA, , 100 p. (lire en ligne), p. 52.
  5. « Clément Rosset - Auteur - Ressources de la Bibliothèque nationale de France », sur data.bnf.fr (consulté le ).
  6. Psychologies.com, « Clément Rosset : Je suis un chasseur d’illusions », Psychologies, (lire en ligne, consulté le ).
  7. Robert Jean-Dominique, « Clément Rosset, Schopenhauer », Revue Philosophique de Louvain, vol. 71, no 10, (lire en ligne, consulté le ).
  8. Seys Pascale, « Clément Rosset, L'esthétique de Schopenhauer », Revue Philosophique de Louvain, vol. 89, no 84, (lire en ligne, consulté le ).
  9. « Ecrits de Schopenhauer », Cairn.info, (ISSN 0338-5930, lire en ligne, consulté le ).
  10. « Le philosophe Clément Rosset est mort », sur www.philomag.com (consulté le ).
  11. « Entretien avec Clément Rosset : autour de L'école du réel - actu philosophia », sur www.actu-philosophia.com (consulté le ).
  12. « La Force majeure : un nouveau Nietzsche? », sur clementrosset.blogspot.fr (consulté le ).
  13. « Principes de sagesse et de folie - Philippe Sollers/Pileface », sur www.pileface.com (consulté le ).
  14. lalettre, « Prix Procope des Lumières 2013 à Clément Rosset », sur www.lalettredulibraire.com, (consulté le ).
  15. https://www.asmp.fr/prix_fondations/fiches_prix/gegner.html.
  16. Clément Rosset, Esquisse biographique, Les Belles Lettres, , p. 88-89.
  17. Aurélien Barrau, « La philosophie rêvée », La vie des idées, (lire en ligne, consulté le )
  18. « Clément Rosset : Récit d'un noyé. - actu philosophia », sur www.actu-philosophia.com (consulté le ).

Voir aussi

Bibliographie

  • Marc Alpozzo, Le langage du réel ou de la tautologie selon Clément Rosset, Les Carnets de la Philosophie, no 12, juillet-août-septembre 2010, texte en ligne
  • Roxanne Breton, L’unique et le double : la répétition et la joie dans l’œuvre de Clément Rosset, Dialogue: Canadian Philosophical Review, vol.55/2, 2016
  • Sébastien Charles, La philosophie française en questions. Entretiens avec Comte-Sponville, Conche, Ferry, Lipovetsky, Onfray et Rosset, Paris, Le Livre de poche, 2004, texte en ligne
  • (collectif) Clément Rosset (La Ortiga, n°39-41, editoriaLimite, Santander, 2003)
  • (collectif) Lo Real. A proposito de Clément Rosset (Las Nubes, 1, 2004), texte en ligne
  • (collectif) Ethique à Quauhnahuac. Clément Rosset. Fragments, propos, présents (Le Grognard, n°14, juin 2010)
  • (collectif) Edição temática: Clément Rosset (Tragica : Estudos de Filosofia da Imanência, v.12, n.2, 2019), vol.1 vol.2 & vol.3
  • Normand Corbeil, La joie paradoxale, Spirale, Montréal, juin 1984, pp 4-5
  • Jacques Dewitte, Le réel simple ou double. Sur l’ "ontologie du réel" de Clément Rosset, Critique no 730, 2008, p. 173-191
  • Rafael Del Hierro, La filosofia tragica. Aprobacion de lo real y critica del doble. Thèse de doctorat, Madrid, 1995 (édition numérique)
  • Rafael Del Hierro, Rosset y los filosofos. Estudios sobre Schopenhauer y Nietzsche, 2014
  • Rafael Del Hierro, Rosset (1939), Madrid, Ediciones del Orto, 2001
  • Denis Lejeune, The philosophy of Clément Rosset (in The Radical Use of Chance in 20th Century Art, Amsterdam, Rodopi, 2012)
  • Pierre Le Vigan, "Clément Rosset ou l'éloge du réel", "Elements" n°106, sept. 2002
  • Olga del Pilar Lopez-Betancur, La philosophie tragique chez Clément Rosset : un regard sur le réel. Thèse de doctorat, Paris, 2014, texte en ligne + ed. L'Harmattan, 2018
  • Pierre-Yves Macé, Photo-, phono- et cinématographie chez Clément Rosset, Labyrinthe no 36-1, 2011, texte en ligne
  • Philippe Mengue, Clément Rosset : de la pensée du simple à l'allégresse, Critique, no 409-410, 1981, p. 595-619
  • Jean Tellez, La joie et le tragique. Introduction à la pensée de Clément Rosset, Éditions Germina, 2009
  • Stéphane Vinolo, Clément Rosset, la philosophie comme anti-ontologie, L'Harmattan, 2012
  • Santiago Espinosa, « D'une lecture aveuglante », Atelier Clément Rosset, (lire en ligne)
  • Jean-Charles Fitoussi : De la musique ou la jota de Rosset (2013) (documentaire)
  • Dossier « Clément Rosset (1939-2018) », de Thierry Hocquet, Marc Cerisuelo, Jean-Claude Bonnet & Alain de Libéra, Critique, juin-juillet 2018, (no 853-854), p. 603-638 [lire en ligne].

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