Campagne de Cilicie

La campagne de Cilicie est une série de conflits entre les Forces coloniales françaises, alliées à la Légion arménienne (la Légion d’Orient), et les forces turques de la Grande assemblée nationale de Turquie, au lendemain de la Première Guerre mondiale, de décembre 1918 à octobre 1921. Ces conflits s'inscrivent dans le cadre de la guerre d’indépendance turque.

Campagne de Cilicie
Troupes de la Légion arménienne.
Informations générales
Date [1] -
(2 ans et 10 mois)
Lieu Cilicie et Haute-Mésopotamie
Issue

Victoire turque

Retrait français (Traité de paix de Cilicie)
Belligérants
 France
Légion arménienne
Mouvement national turc
Commandants
Henri GouraudAli Fuat Pacha, Ali Saip Bey, Kılıç Ali, Şefik Özdemir Bey
Forces en présence
70 000 Français[2]
10 000 Armeniens[3]
25 000 Ottomans[4]

Guerre d'indépendance turque

L’intérêt français envers cette région est la conséquence des accords Sykes-Picot et de l’accord franco-arménien de 1916, qui entraîne l’établissement des forces arméniennes sous la tutelle de l’armée française. À la fin 1921, la France renoue toutefois de meilleures relations avec les autorités turques et signe le traité d'Ankara.

Origine du conflit

L’intérêt premier de la France pour la Cilicie, bien que manifesté depuis la campagne de Napoléon en Égypte et en Syrie de 1798 à 1800, s’était accru depuis l’acquisition en 1909 par des capitalistes français de l’immense ferme de Mercimek (Mercimek Çiftliği, 1 100 km2, soit la taille de la Martinique) appartenant au Sultan Abdülhamid II, en remboursement d’une partie des dettes de l’Empire ottoman. Cette ferme, pourtant privée, était gérée comme une ferme d’État, en développement depuis 1880, et correspondait plus ou moins à une bande partant des ports de Yumurtalık et Karataş et allant jusque dans les environs de Kozan et İmamoğlu.

Accords

Carte des accords Sykes-Picot

L’Armée française avait avancé dans la région, en vertu des accords Sykes-Picot, après l’armistice de Moudros du 30 octobre 1918. Ces accords prévoyaient que, en plus de la Syrie, les Français auraient la mainmise sur l’Anatolie du Sud, où la plaine fertile de Cilicie, les ports de Mersin et İskenderun (Alexandrette) et les mines de cuivre d’Ergani jusqu’au nord de la Mésopotamie, constituaient des points stratégiques. D’autre part, les champs pétrolifères du vilayet ottoman de Mossoul constituaient une priorité absolue pour les Britanniques. Selon l’accord passé, ceux-ci garderaient les villes d’Antep, Maraş et Urfa jusqu’à l’arrivée des Français qui devaient s’installer dans les régions d’Anatolie du Sud qui leur étaient allouées dans l’accord.

L’accord franco-arménien concernant le soutien des nationalistes arméniens du mouvement national arménien, du côté des alliés pendant la Première Guerre mondiale, fut signé le . Le ministre des Affaires étrangères, Aristide Briand, utilisa cette opportunité pour fournir des troupes pour les engagements français. La Légion arménienne devait avoir pour commandant le général Edmund Allenby. Les Arméniens combattirent en Palestine et en Syrie, ainsi qu’en Cilicie après l’armistice de Moudros. Le but premier en constituant la Légion était de permettre une contribution arménienne au démantèlement de la région d’Anatolie du Sud, hors de l’Empire ottoman.

Occupation française

Débarquements sur la mer Noire

Après l’armistice de Moudros, l’Armée française manœuvra pour contrôler les mines de charbon ottomanes, stratégiquement importantes, dans lesquelles la France possédait des parts substantielles. Le but était, d’une part, de prendre contrôle d’une importante source d’énergie, mais aussi de couvrir les besoins militaires français. Cela permettait aussi de contrôler la distribution de charbon en Anatolie, qui aurait pu être utilisé pour soutenir une insurrection.

Le , deux canonnières françaises débarquèrent leurs troupes respectives dans deux ports sur la mer Noire, Zonguldak et Ereğli, pour commander la région minière ottomane. Confrontée à une résistance locale, la France commença à retirer ses troupes d'Ereğli le .

Opérations en Thrace et à Constantinople

Les principales opérations dans cette région visaient à apporter un soutien aux opérations stratégiques des alliés. Une brigade française entra dans Constantinople le . Le , le général Franchet d'Espèrey, commandant en chef des forces alliées d’occupation dans l’Empire ottoman, arriva à Constantinople. Il coordonna les activités du gouvernement ottoman sous l’occupation alliée.

La ville de Bursa, ancienne capitale ottomane et important centre urbain d'Anatolie du Nord-Ouest, fut également occupée par les forces françaises pendant une courte période, avant que les Grecs en prennent possession lors de leur grande offensive de l’été 1920.

Campagne de Cilicie

Le premier débarquement eut lieu le à Mersin avec une force d’environ 15 000 hommes, principalement des volontaires de la Légion arménienne, accompagnés de 150 officiers français. Les premiers objectifs de ce contingent étaient d’occuper les ports et de démanteler l’administration ottomane. Le 19 novembre, Tarse était occupée pour sécuriser les environs et préparer l’établissement d’un quartier général à Adana.

Après l’occupation de la Cilicie même fin 1918, les troupes françaises occupaient les provinces ottomanes d’Antep, Maraş et Urfa en Anatolie du Sud fin 1919, cédées par les troupes britanniques comme convenu. À l’extrême-est de la zone d’occupation dans le sud, la ville de Mardin fut également occupée pendant 1 jour (le ).

Les gouverneurs de Cilicie nommés par la France dans la zone française d’occupation au sud furent, du au , Édouard Brémond, et de septembre 1920 au , Julien Dufieux. Dans les régions occupées, les Français firent face à la résistance de la majorité turque dès la première heure, principalement parce qu’ils s’étaient associés aux objectifs arméniens.

Les Français voulaient aussi s’installer en Syrie. Avec une pression exercée sur les Français, la Cilicie serait facilement laissée aux nationalistes turcs. Les monts Taurus étaient importants pour Mustafa Kemal. En outre, les soldats français étaient étrangers à la région et ils utilisaient une milice arménienne pour obtenir leurs renseignements ; les Turcs avaient jusqu’alors coopéré avec les tribus arabes de la région. Concernant la France, Mustafa Kemal avait émis l’idée que si la menace grecque pouvait être dispersée, les Français accepteraient un retrait.

La résistance des forces nationales fut une énorme surprise pour la France. La faute fut rejetée sur les forces britanniques qui n’avaient pas contrôlé le pouvoir de résistance des locaux. L'option stratégique d'ouvrir un front au sud en opposant les Arméniens aux forces turques échoua après la défaite des forces grecques et britanniques à l’ouest.

Le , deux jours après la prise par les Français de Maraş, l’incident de Sütçü İmam (nl), nommé ainsi d'après le défenseur de trois femmes turques harcelées et agressées dans la rue par des auxiliaires de la Légion arménienne, fut l’élément déclencheur des tensions dans la ville. Sütçü İmam tira sur un des agresseurs et fut contraint de se cacher. L’incident déclencha une série d’événements qui amena la majorité turque de Maraş à se dresser contre les forces d’occupation, et dont le point culminant se traduisit par une guérilla urbaine à grande échelle deux mois après l’incident. Après vingt-deux jours de combat urbain, le , les troupes d’occupation françaises furent forcées d’évacuer Maraş, suivies de la communauté arménienne de la ville, sous les assauts répétés des révolutionnaires turcs. Les rebelles de Maraş continuèrent l’effort de guerre en prenant part à la reconquête d’autres points de la région, forçant les forces françaises à se retirer graduellement, ville par ville.

Devant son refus de quitter Urfa (Édesse), la garnison française est assiégée le 9 février 1920. Le 6 avril, presque à bout de nourritures et de munitions, le commandant Hauger négocie avec le capitaine Ali Bey Saip un sauf-conduit pour ses troupes et l'absence de représailles contre la population chrétienne en échange de l'évacuation de la ville. Le 11 avril 1920, les 300 survivants de la garnison tombent dans un guet-apens (en) au col de Şebeke sur le chemin de la Syrie. Ils sont presque tous tués ou faits prisonniers.

Traité de paix de Cilicie, traité d'Ankara et fin des hostilités

Le traité de paix de Cilicie du fut signé entre la France et le Mouvement national turc pour mettre un terme à la campagne de Cilicie. Le traité n'eut pas l'effet attendu et fut remplacé par le traité d'Ankara, signé le 20 octobre 1921[5] entre les représentants du Gouvernement français et la Grande assemblée nationale de Turquie le . Il est finalisé par l’armistice de Mudanya.

Retrait et mouvements de population

Les forces françaises se retirèrent de la zone d’occupation au tout début de 1922, environ 10 mois avant l’armistice de Mudanya. À partir du 3 janvier, les troupes françaises évacuèrent Mersin et Dörtyol ; le 5 janvier, Adana, Ceyhan et Tarse. L’évacuation fut terminée le 7 janvier, les dernières troupes quittant Osmaniye.

Au commencement, en 1919, sous coopération militaire, des troupes franco-grecques traversèrent le fleuve Maritsa pour occuper la ville de Uzunköprü en Thrace, ainsi que les lignes de chemin de fer jusqu’à la gare de Hadımköy près de Çatalca dans les environs d’Istanbul. En septembre 1922, à la fin de la guerre gréco-turque (1919-1922), pendant la retraite des Grecs devant l’avance des révolutionnaires turcs, les forces françaises se retirèrent également de leurs positions près des Dardanelles alors que les Britanniques étaient prêts à maintenir leurs positions. Le gouvernement britannique envoya une demande de soutien militaire. La réponse fut négative et les troupes grecques et françaises se retirèrent donc au-delà du fleuve Maritsa.

Épilogue

Le traité d’Ankara (également appelé « accord Franklin-Bouillon ») ne put pas résoudre tous les problèmes franco-turcs, notamment en rapport avec le sandjak d'Alexandrette. Cependant des relations positives furent maintenues. Durant la conférence de Lausanne de 1922/1923, des tensions réapparurent sur le sandjak d'Alexandrette, qui selon le Misak-ı Milli (en) aurait dû être inclus à l’intérieur des frontières nationales turques, et qui est resté sous contrôle français jusqu'en 1938.

Quant à l'intérêt financier français, à savoir les dettes ottomanes, il a été réglé par la jeune République de Turquie, conformément au traité de Lausanne de 1923.

Notes et références

  1. Millî Mücadele’de İlk Kurşun ve Dörtyol’un Düşman İşgalinden Kurtuluşu
  2. Western Society for French History. Meeting: Proceedings of the ... Annual Meeting of the Western Society for French History, New Mexico State University Press, 1996, page 206
  3. Ahmet Hulki Saral, Türk İstiklal Harbi Güney Cephesi IV, Ankara, 1996, pg 47
  4. Military Training Publishing Corporation, 1921, National service (Volumes 9–10), page 287
  5. (fr) Le traité d'Ankara

Voir aussi

Bibliographie et sources

  • Guévork Gotikian, « La Légion d’Orient et le mandat français en Cilicie (1916-1921) », Revue d'histoire arménienne contemporaine, vol. III : La Cilicie (1909-1921), (ISSN 1259-4873, lire en ligne)
  • Cosima Flateau, « La sortie de guerre de l’Empire ottoman », Les Cahiers Sirice, no 17, , p. 29–45 (ISSN 1967-2713, lire en ligne, consulté le )
  • Robert Normand, « La Cilicie », Annales de Géographie, vol. 29, no 162, , p. 426–451 (DOI 10.3406/geo.1920.9059, lire en ligne, consulté le )
  • Julien Zarifian, « La montée du kémalisme en Cilicie. 1919-1920 : l'administration française du Sandjak de Kozan face au nationalisme turc », CEMOTI, Cahiers d'Études sur la Méditerranée Orientale et le monde Turco-Iranien, vol. 38, no 38, , p. 235-260 (lire en ligne, consulté le )

Liens externes

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