Cabane de gardian

La cabane de gardian est, à l'origine, le logement de l'ouvrier agricole dit « gardien des taureaux » dans la Camargue du XIXe siècle et du début du XXe. C'est une chaumière au pignon-façade orienté au sud et à l'arrière en forme d'abside surmontée d'une croupe pour limiter la prise au mistral. Elle consiste en une structure de bois dont les parois et la charpente sont couverts de sagne (roseau), le faîtage étant protégé des infiltrations de la pluie par une chemise de mortier à la chaux. Le bout du chevron central de l'abside est coiffé d'une corne de taureau ou d'une croix, et sert à amarrer la toiture avec des cordes les jours de grand vent ou de tempête.

Pour les articles homonymes, voir Cabane, Gardian et Camargue (homonymie).

À partir des années 1930, la cabane de gardian est revendiquée et défendue en tant que telle par l'association nation gardiane fondée en 1904 par l'écrivain et manadier Folco de Baroncelli[1].

Histoire

Cabanes de pêcheurs du XVIe siècle

Cabanes de pêcheurs de plan circulaire voisinant avec des cabanes allongées, sur un plan de 1584.

Un plan ancien du sud-est de la Camargue en 1534 montre, à l'une des embouchures du Rhône, un groupement de cabanes dont certaines sont en longueur (à l'instar des cabanes de la première moitié du XXe siècle) tandis que d'autres sont rondes avec un toit pointu en végétaux[2] et proches morphologiquement des cabanes de roseaux qui parsemaient au XIXe siècle le littoral languedocien et roussillonnais.


Cabanes de gardians du début du XXe siècle

Les cabanes de gardiens de manade étaient construites à l’aide des matériaux végétaux disponibles localement, et ce, uniquement pour des raisons de coût. Les matériaux nobles, comme la pierre, acheminés depuis les régions limitrophes, étaient réservés à la construction des mas[3].

Des cabanes peu différentes servaient d'habitations permanentes ou saisonnières aux pêcheurs, bergers, agriculteurs, vanniers, sauniers, etc., qui travaillaient en Camargue. De celles-là, il ne reste que quelques clichés photographiques outre des dessins et peintures de Vincent van Gogh : le détail de leur architecture et de leur nomenclature terminologique est perdu.

La cabane de gardian du début du XXe siècle est un bâtiment d'environ 8 m de long sur 5 m de large, haut de 3 à 4 m, pour 80 à 120 m2 de surface moyenne, à la façade en pignon et à la toiture à deux versants inclinés à 45 %, qui permet un rapide écoulement des pluies, rares, mais violentes. La partie exposée au mistral est en abside et à croupe de façon à donner le moins possible de prise au vent. Enfin la sagne (roseau) couvrait la charpente et parfois les murs.

Elle possède une armature de piquets verticaux en bois d'ormeau supportant des pannes sablières (arenié). Sur ces dernières, s'appuient les chevrons (traveto ou travette), lesquels reposent en haut sur la panne faîtière (arenié mestre). Lorsque le pignon est en matériaux végétaux, la faîtière est soutenue par deux poteaux montant de fond, l'un à l'avant, l'autre à l'arrière ; lorsque le pignon est en pierres maçonnées, elle repose à l'apex de celui-ci et sur un poteau de fond à l'arrière. Le chevron central de la croupe dépasse systématiquement le faîte de la toiture pour se retrouver coiffé d'une corne (bano) ou barré transversalement en forme de croix. Par grand vent, pour éviter que la cabane ne se soulève, on attachait au bout saillant de ce chevron, des cordes fixées au sol.

Cabane du sentier d'interprétation au Mas du Pont de Rousty : le versant affiche huit rangées de manons de sagne, la plus haute rangée étant recouverte d'une chemise de mortier de chaux sous la file de tuiles faîtières.
Ferme de charpente à arbalétriers et poinçon d'une cabane moderne.

La couverture est faite de rangées de javelles (manoun ou manon) de roseau des marais (sagno ou sagne) posés sur des lattes (coundorso ou condorse). Pour obtenir une meilleure étanchéité, une rangée de tuiles canal scellées au mortier vient souvent coiffer le faîtage, et un enduit de mortier à la chaux (cacho-faio) est appliqué le long de ce dernier, formant une chemise (camiso) ou chape. Celle-ci a aussi comme avantages de réfléchir, par sa blancheur, les rayons du soleil, de protéger du vent le sommet de la toiture en le caparaçonnant et de réduire les risques d'incendie liés à la présence du conduit de cheminée.

Les ouvertures sont étroites, et il n'y a pas de fenêtre au nord. L'entrée est toujours en pignon. La porte en est en bois. Une toile contre le soleil et les moustiques est suspendue au-dessus du linteau en été. Lorsque le pignon est en dur, une cheminée à hotte montante est adossée contre la paroi intérieure de celui-ci, et sous l'un des rampants, l'autre moitié du pignon étant prise par l'entrée. La souche de cheminée, généralement de section rectangulaire, dépasse toujours du rampant opposé à celui au-dessus de l'entrée.

La cabane s'allonge en fonction des besoins de l'habitant : soit pièce unique, l'occupant mangeant au mas, soit pièce à vivre et chambre. La chambre, séparée de la pièce principale, au mieux par une cloison, au pire par un simple rideau de tissu, occupe alors la partie arrondie ou culotte de l'édifice. Elle abrite un lit en forme de caisse, dit brèsso (fém.), sur lequel pose en guise de matelas un sac à sel de 50 kilos rempli d'herbes sèches, dites baunco. La pièce à vivre, pour sa part, est meublée simplement : une table, deux bancs, quelques étagères et coffres. En pignon, un auvent (laùpio, fém.), armature rudimentaire coiffée de sagne, complétée par une table et un banc en bois, sert aux tâches ménagères (préparation de la cuisine, vaisselle).

Le sol de la cabane est en terre battue ou en béton de terre (bétun), mélange de mortier de chaux et d'agrégats roulés.

Devant certaines cabanes des années 1950-1960, se dresse un poteau muni d'échelons, appelé escalassoun (échelier [5]), auquel le gardian est censé monter pour surveiller son troupeau. L'origine de cette fable est le dispositif observé avant 1925 au lieu-dit Le Cardinal, terrain de l'Esquinau, par l'ethnologue camarguais Carle Naudot : le mât d'un navire naufragé sur la côte de Faraman, non pas planté en terre, mais appuyé sur un grand peuplier blanc[6].

Il n'existe plus aujourd'hui d'anciennes cabanes de gardians en dehors de celle qui a été remontée au museon Arlaten d'Arles (Bouches-du-Rhône). Aux Saintes-Maries-de-la-Mer, les cabanes des gardians du mas de l'Amarée, popularisées par les cartes postales de la première moitié du XXe siècle, ont été rasées[7]. De même, celles du mas du Simbèu, construites vers 1930, ont été détruites une douzaine d'années plus tard par l'armée allemande[8].

Cabanes du front de mer aux Saintes-Maries-de-la-Mer

Les cabanes visibles actuellement aux Saintes-Maries-de-la-Mer sont des variantes modernisées des cabanes à pignon en dur de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, en particulier la trentaine qui se dressent à la sortie ouest de la ville, entre le front de mer et l'étang des Launes, bâties par les derniers maîtres cabaniers dans les années 1950-1960 à l'initiative du maire de l'époque, Roger Delagnes[9].

Construites en matériaux modernes (à l'exception du matériau de couverture), les cabanes du milieu du XXe siècle sont assises sur des fondations et la chemise de leur faîtage est réalisée en ciment sur du grillage[10]. La structure porteuse est constituée non plus par des poteaux de fond placés dans l'axe du bâtiment, mais par des fermes triangulées reposant sur les murs gouttereaux. Si l'on ne peut plus parler d'« authenticité » ni de « respect des techniques anciennes » à leur sujet, ces cabanes modernes permettent toutefois à la forme et à l'image de la cabane de gardian de perdurer dans le paysage et les esprits.

Architecture à la gardiane

Avec leurs murs en maçonnerie blanchis au lait de chaux, leur pignon aux rampants saillants, leurs larges baies (en pignon, sur les côtés et même parfois dans l'abside), et tout le confort moderne, certaines cabanes modernes servent de résidences secondaires, de gîtes, de chambres d'hôtel, de restaurants, etc., pour les amateurs de tourisme équestre et les vacanciers. Elles se caractérisent généralement par un « pignon en forme de losange », qui s'est généralisé entre 1950 et 1970 d'après la consultation des cartes postales : les rampants sont surhaussés par rapport aux versants de la toiture et terminés en bas par une sorte d'encorbellement au-dessus des angles pignon-gouttereau. Le cabanier laisse au pignon sa souche de cheminée, quoique factice, mais en l'intégrant, sous forme d'excroissance, à l'un des rampants.

Le troisième quart du XXe siècle aura vu la floraison d'une « architecture gardiane », qui pastiche l'humble logement de la société rurale camarguaise, célébré par le marquis Folco de Baroncelli au début du XXe siècle, tout en faisant place à des aménagements modernes. Marque distinctive de la Camargue et des Saintes-Maries, elle aura permis aux cabaniers et à leurs techniques de couverture de perdurer. Mais en ce début du XXIe siècle, l'âge d'or de cette architecture semble bien révolu[11].

Quelques musées

Notes et références

  1. « Cabanes de Camargue », sur www.patrimoine.ville-arles.fr (consulté le ) : « Cette dernière est cependant revendiquée et défendue à partir de 1930 par la Nacioun Gardiano. C'est ce mouvement, visant à maintenir les traditions de l’élevage taurin, qui en fait la « cabane de gardian ». »
  2. .
  3. Le mas camarguais est pour sa part construit en dur.
  4. Petit canal d'assainissement.
  5. Échelle à un seul montant central sur laquelle sont disposés des échelons perpendiculairement de part et d'autre.
  6. Carle Naudot, Camargue et gardians, publié en 1977 par le Parc naturel régional de Camargue, p. 48.
  7. Le relevé en plan et coupes de la plus petite des deux cabanes a été publié dans le volume Provence du Corpus de l'architecture rurale française en 1980.
  8. L'évolution de la cabane camarguaise au XXe siècle d'après des cartes postales et photos anciennes, III, Les cabanes du premier mas du Simbèu aux Saintes-Maries-de-la-Mer, pierreseche.com, 6 septembre 2008.
  9. Cabanes du front de mer aux Saintes-Maries-de-la-Mer, pierreseche.com, 26 janvier 2009.
  10. Détails consignés dans le dossier Du roseau à la cabane édité par le Parc naturel régional de Camargue (mise à jour janvier 2007).
  11. Cabanes hôtelières et maisons à la gardiane, pierreseche.com, 12 avril 2009.

En savoir plus

Bibliographie

  • Pierre Lanéry d'Arc, Les maisons-types de la Provence, chap. 35 de Enquête sur les conditions de l'habitation en France. Les maisons-types, t. 1, Ministère de l'instruction publique, Ernest Leroux, Paris, 1894, pp. 207-248.
  • de Flandresy Jeanne, Charles-Roux Jules, Mellier Etienne, Le livre d'or de la Camargue, tome I, Le pays ; les mas et les châteaux ; le Rhône camarguais, Librairie A. Lemerre, Paris, 1916, 437 p.
  • Fernand Benoit, Les chaumières à abside de la Camargue : la cabane, origine, description, mode de construction, dans Revue du folklore français, t. 9, 1938, No 2, avril-juin, pp. 51-53, pl. h. t.
  • Fernand Benoit, Les coutumes, l'habitation et les fêtes [en Camargue], dans Le Chêne, numéro spécial, No 16, 1938, pp. 100-112.
  • Rul d'Elly, La Camargue gardiane, Michel Delaveau, Paris, 1938, 165 p.
  • Carle Naudot, Ethnographie du pays d'Arles. Contribution au folklore de Camargue, Le Seden, 1947.
  • Henri Marc, Carle Naudot, Victor Quenin, Terre de Camargue (Terro camarguenco), Arthaud, Grenoble, 1948, 159 p.
  • Jean-Luc Massot, en collaboration avec Nerte Fustier-Dautier et Claude Poulin, Maisons rurales et vie paysanne en Provence. L'habitat en ordre dispersé, Éd. SERG, Ivry-sur-Seine, 1975, 401 p.
  • Jean Boyer, Documents inédits sur la construction de cabanes en Camargue aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans Ethnologie française, t. 6, 1976, No 2, pp. 131-142
  • Evelyne Duret, Cabanes de Camargue : documents sur l'architecture traditionnelle du début du XXe siècle, catalogue de l'exposition de l'architecture vernaculaire camarguaise de la période 1871-1914 présentée au Musée camarguais à Arles de juillet 1983 à juillet 1984, Parc naturel régional de Camargue, 1983, 22 p.

Articles connexes

Liens externes

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